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5 janvier 2009

Burn after reading

A, B, C, D, ... se fond des noeuds

Tonton Sylvain s'est laissé avoir ! Les Champs-Elysées, un samedi après-midi, un froid de canard malgré un soleil timide, de congés pour les fêtes, une comédie annoncée, des stars américaines au générique, Madame qui tire par la manche ... La totale, quoi. Vous seriez pas tombés, vous ? Prétentieux, va ! Tonton Sylvain, lui, il s'est fait prendre ... mais au moins il avoue, il fait pas le fier à bras, lui. En tout cas, c'est comme ça qu'il s'est retrouvé dans une salle déserte, ou quasiment, devant la livraison du moment des frères Joel et Ethan Coen, « Burn after reading ». En bon français, ça aurait dû donner « A brûler après lecture », ou quelque chose du genre. Pas compliqué comme traduction, pourtant. Mais non, on n'en est plus à l'époque où on traduisait les titres des films. Enfin, on a encore les sous-titres, ... tout n'est pas perdu ... pour le moment.

Affiche France (movieposterdb.com)

Washington, D.C. A est marié avec B. C est marié avec D. C est l'amant de B. A picole et ça finit par se voir alors il perd son job à la CIA et entreprend de rédiger ses mémoires. B n'est pas contente. Elle pense qu'elle va pouvoir divorcer, en tirer quelque pognon, et se mettre officiellement avec C. Mais C, même chroniquement infidèle, tient à D qui part justement en province pour son job à elle.

La secrétaire de l'avocat de B fait de la gym dans la salle de sport de E où travaillent F qui a besoin d'argent pour une bêtise, et G qui est un grand benêt. Elle y oublie le dossier contenant des fichiers sur A. F et G découvrent les fichiers, n'y comprennent rien mais pensent qu'il s'agit de documents secrets qu'ils vont pouvoir monnayer. Et comme C est un Don Juan impénitent, il séduit par hasard F qui ne sait pas qu'il est lié à son affaire. A partir de là, les fils commencent à s'entrecroiser et à faire une série de noeuds : C descend G, D entreprend de divorcer de C, A s'énerve, F tente de traiter avec l'ambassade russe, A descend E qui se mêle à l'histoire pour dépanner F, ... Le tout est suivi de plus ou moins loin par la CIA qui compte les coups sans trop comprendre de quoi il en retourne.

Ah, j'oubliais : A est Osbourne Cox (John Malkovich), B est Katie (Tilda Swinton), C est Harry (George Clooney), D est Sandy (Elizabeth Marvel), E est Ted (Richard Jenkins), F est Linda Litzke (Frances McDormand), G est (Brad Pitt).

C'est clair ? Comment ça, non ? Mais si ! Prenez un papier et un crayon, relisez ça tranquillement, vous verrez, c'est limpide. Ah, je vois ce que vous voulez dire : c'est un peu crypté. Certes, mais avec un code à la portée d'un enfant. Juste pour ne pas qu'on vienne me dire que j'ai dévoilé le scénario et trahi le suspense. Et puis après tout, qu'on crypte une histoire d'espions et de CIA, c'est bien le moins, quand même, non ?

Affiche USA (movieposterdb.com)

Soyons honnêtes, il ne s'agit pas vraiment d'un film d'espionnage. Plutôt d'une histoire de pieds nickelés en marge des milieux du renseignement et de la haute administration de Washington.

Et tout est à l'avenant dans cette affaire. Le scénario, bien sûr. Mais aussi les acteurs qui ne se font pas prier pour donner dans la facétie. La palme à Brad Pitt avec ses mèches blondes, son brushing à la Tony Manero et ses petits pas de danse d'aérobic permanent, les écouteurs de walkman vissés dans les oreilles. George Clooney n'est pas le dernier non plus à faire des pitreries et des mines à la Laurel et Hardy. Frances McDormand a bien compris l'hystérie de son personnage et n'hésite pas à bien le montrer. On a bien un petit doute au départ sur John Malkovich qui semble prendre les choses bien au sérieux. Mais on n'est alors qu'au début du film et on n'a pas encore été plongé dans le grand bain de Guignol. Et dès que la machine est lancée, Malkovich se rattrape, comme pour dire « Je vous ai bien eus ! ». Seul Richard Jenkins tente encore jusqu'au bout de sa prestation de garder un minimum de simplicité. Un peu en forme de contre-point d'un brin de lucidité résiduelle dans le tourbillon environnant.

La réalisation est simple, sans excès de fioriture. On se laisse bien aller à quelques dérapages de graveleux, mais on n'est pas à ça près. Et pour une fois, aucune scène n'est filmée sur la cuvette des toilettes - la mode serait-elle enfin en train de passer ? -. Même une scène de douche de George Clooney n'est prise qu'au micro, porte à peine entrouverte, c'est dire. On n'échappe bien sûr pas à la gerbe d'hémoglobine habituelle de nos jours, mais peut-on encore réellement appeler ça un effet tant on est là dans le vulgus filmus, un genre de passage obligé ? Pour autant, le rythme est tenu, paisible au début, puis s'emballant progressivement à mesure que la situation se corse.

Et voilà le travail pour un film tourné dans le quasi huis-clos de la ville de Washington. On patauge dans un burlesque oscillant entre la blague potache attardée et le tonus de salle de garde. Il y a sûrement des amateurs du genre (encore que le remplissage de la salle pour un film attaquant sa quatrième semaine d'exploitation n'aille pas complètement dans ce sens). Pour les amateurs d'un peu plus de subtilité, Tonton Sylvain se fera une joie leur proposer un large éventail d'objets sinistres ou amusants pour les consoler à l'heure de la prise de conscience qu'ils ont dépassé l'âge de la pitrerie élémentaire. Un petit saut sur la liste de films décortiqués sur des sites comme Cinemaniac.fr convaincra les plus rétifs que tout ne se limite pas à la galéjade de base.
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4 janvier 2009

The Spirit

Black Spirit

Sans mettre de fausse coquetterie où elle n'a rien à faire, si quelqu'un a compris quelque chose à cette histoire et veut bien lui faire partager sa découverte, Tonton Sylvain est preneur. Et pourtant, il ne se laisse habituellement pas facilement avoir. Il a de la persévérance, le bougre. Au point de se cacher dans le fond de son fauteuil pour laisser venir la séance suivante et pousser une deuxième tentative de décrypter le scénario. Mais malgré cela, rien à faire. Nom d'un chien, ça va pas être commode de dire quelque chose de ce film de Frank Miller, sorti fin 2008. Tentons tout de même l'expérience, on verra bien. Peut-être qu'en écrivant, l'illumination viendra.

Affiche USA (movieposterdb.com)

Ca se passe dans la ville de Central City. Un policier, Denny Colt (Gabriel Macht), est descendu. Un méchant nommé Octopus (Samuel L. Jackson), et médecin légiste de son état, injecte un produit dans le cadavre avant qu'il soit inhumé. Peu après, le policier revient d'entre les morts et vient proposer ses services à son ancien chef, dans la police, en tant que justicier masqué répondant au surnom de Spirit. Pourquoi ? Parce qu'il se propose d'être « l'Esprit » de la ville. Quelques années plus tard, Octopus reprend du service avec le projet de devenir un dieu, immortel et tout-puissant, et de dominer le monde. Pour cela, il doit non seulement avoir recours à la drogue qu'il a testée sur le policier mort, mais il doit en combiner l'action avec les reste de ce qui se rapproche le plus d'un dieu, en l'occurrence du sang d'Hercule, le demi-dieu grec de l'antiquité, qu'il a pu localiser. Récupérer l'amphore contenant le sang d'Hercule devient son grand objectif sur la route duquel il va se heurter au Spirit.

Dans le camp des méchants, on a aussi Silken Floss (Scarlett Johansson), une assistante froide et machiavélique d'Octopus, une danseuse du ventre de nom de Plaster of Paris, et une petite armée de clones d'un homme de main un peu bas de plafond dont chaque exemplaire est reconnaissable au nom inscrit sur son T-shirt noir : toujours un nom finissant pas « os » (pathos, logos, adios, amigos, ...) (Louis Lombardi). Dans le camp des gentils, avec Spirit bien qu'aisément en conflit avec lui également, on trouve le Lieutenant Dolan (Dan Lauria), son ancien chef, et sa fille (Sarah Paulson) qui se trouve être médecin à l'hôpital du coin, amoureuse de Spirit et toujours prête à le réparer en cas de dégât, une série de policiers plus ou moins identifiables, dont la belle et godiche Morgenstern (Stana Katic). Interviennent également le personnage de la Mort, Lorelei Rox (Jaime King), qui laisser échapper Spirit d'entre ses griffes, et la belle Sand Saref (Eva Mendes), ancienne petite amie de Denny Colt, au rôle changeant dans l'histoire, oscillant entre méchante et gentille. Tout ce petit monde se livre donc une bataille acharnée jusqu'à ce qu'un des deux camps l'emporte ... Remarquez que je ne dis pas lequel, je ne veux surtout pas déflorer le suspense.

Affiche Taiwan (movieposterdb.com)

Voilà pour ce qui est de ce que j'ai compris de l'histoire. C'est un peu vague, je sais, mais c'est le mieux que je puisse faire sans aide extérieure. Après tout, chaque neurone a ses limites. Il ne sert à rien de le nier, et il est bien plus utile de les assumer.

Du coup, ça donne l'occasion de s'occuper un peu de la forme, puisque le fond, s'il existe, se révèle étanche à l'exploration. Et question forme, on est largement servi. Parce que le film est l'adaptation revendiquée de la bande dessinée d'origine. Je dois avouer modestement que je n'en avais jamais entendu parler, mais bon, ce n'est pas une référence. Et en disant « revendiquée », je veux bien dire revendiquée, exposée, proclamée, affichée, ... Les choses ne s'arrêtent évidemment pas au générique abondamment pourvu en dessins façon origine. L'image est travaillée avec des glissements vers des scènes au crayon, voire en noir et blanc, juste soulignées par la note rouge vif de la cravate du Spirit. Le tout dans une ambiance le plus souvent glauque et nocturne à la Batman. Les personnages naviguent sur une vague de burlesque ouvertement exagéré. Il n'est qu'à voir la démarche et les mimiques de Morgenstern, le maquillage à la sous-Joker d'Octopus, les mines et les lunettes en pointes de Silken Floss, pour en être immédiatement convaincu, si même il y avait besoin d'autant d'indices pour parvenir à cette conclusion.

Cette forme là est un choix, pourquoi pas. Mais c'est pourtant bien là la difficulté. Autant on peut adhérer au clin d'oeil renvoyant à la bande dessinée, autant il peut être difficile de rester dans l'ambiance pendant toute la durée du film sans y voir autre chose qu'une plaisanterie. Et ce d'autant plus que la loi du genre semble avoir légèrement été redressée par la dernière version de « Batman, The dark knight » : après avoir vu comment d'un départ comparable il était possible de faire naître au moins des moments d'une autre qualité, on pouvait se dire qu'il serait difficile de revenir en arrière. Eh bien si, et c'est justement l'effet produit : malgré la débauche d'effets spéciaux, malgré la performance technique de coller à la forme dessinée, on ne peut faire disparaître cette sensation pénible, celle d'être revenu en arrière, et pas pour le meilleur.

Perdu dans ce fatras d'une histoire difficile à suivre et d'une forme qui cherche tellement à faire de la bande dessinée qu'elle en oublie de faire du cinéma, il devient bien difficile d'entrer dans le détail des plans et des codes qui sont proposés. Que doit-on faire ainsi de ces allusions religieuses à la judéité de Morgenstern qui arbore une grosse étoile de David en guise de pendentif ? Que doit-on penser de cette scène d'Octopus et Floss en officiers nazi devant Spirit prisonnier ? Mystère et boule de gomme. Cela a-t-il d'ailleurs un sens ou ne sert-il qu'à faire genre ?

Et au bout du compte, quoi ? On a tenté l'expérience de poser des mots en forme de commentaire du film, et ça nous mène où. Pas beaucoup plus loin semble-t-il. Mais Tonton Sylvain, dans son inébranlable foi en l'homme qu'il ne peut accepter de voir gaspiller son temps et son énergie en oeuvres inutiles, ne peut toujours pas se résoudre à ranger le film dans l'immense placard à oubli sans lui donner au moins la chance qu'une intelligence extérieure vienne en décrypter le contenu. Si une telle intelligence existe, qu'elle n'hésite pas ici à venir à notre secours.
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Agathe Clery

Noir, c'est noir !

Le sujet est bien tentant. Le casting pas insupportable. Le réalisateur paré d'un talent certain. Alors pas trop d'hésitation en cette période de fêtes et de froid glacial pour entrer se réfugier dans la douce chaleur d'un cinéma de Montparnasse en occupant le temps avec le dernier film en date d'Etienne Chatiliez, « Agathe Clery ». Le film est sorti depuis un mois pile, et la salle est pleine. Pas la plus grande du multiplex, mais quand même. S'il faut en juger juste à cela, ça ne s'annonce pas trop mal, si ce n'est la horde de pipelettes qui ont du mal à se retenir de chuchoter des bêtises et de gigoter en heurtant le dos des sièges, en tout cas du mien. Tonton Sylvain n'est pas bégueule et il aime bien la jeunesse. Mais bon, faut pas abuser quand même !

Affiche France (movieposterdb.com)

L'histoire s'attache à décrire les mésaventures d'Agathe Clery (Valérie Lemercier), directrice marketing d'un laboratoire de cosmétique en pleine ascension, pas ouvertement ou violemment raciste, mais pleine de ces petites préventions ou a priori du quotidien qui finissent par dresser un tableau pénible. Les problèmes commencent quand elle se met à brunir spontanément sous l'effet de la survenue d'une maladie d'Addison, ou insuffisance surrénale. Le brunissement est tellement intense qu'elle se retrouve sous peu avec une pigmentation la faisant passer pour noire.

Rapidement s'accumulent les tracasseries, les regards, les embûches, les gènes qu'elle doit affronter depuis l'autre côté. Après avoir perdu son emploi, son compagnon Hervé (Artus de Penguern), et presque son logement, elle n'a plus d'autre choix que de s'accepter comme noire avec l'aide de quelques proches (son amie Joëlle (Isabelle Nanty) et ses parents (Dominique Lavanant et Jacques Boudet)) et du médecin femme noire (Nadège Beausson-Diagne) qui la rattrape lors d'une tentative de suicide. Elle finit par se faire embaucher dans une boite d'informatique dont le patron, Quentin Lambert (Anthony Kavanagh), noir lui aussi, a choisi, en réaction à l'ostracisme ambiant, de n'employer que des non-blancs. Jusqu'à ce qu'une idylle naisse entre Agathe et Quentin.

Dans sa veine habituelle, Etienne Chatiliez poursuit son exploration amusée des travers de notre société. Après l'adoption, le cordon ombilical, le chômage, ... le voici qui s'intéresse au racisme ambiant. Naturellement, on ne se refait pas, pas de violence dans ce regard. C'est qu'il n'est pas dans le propos d'aller regarder les drames les plus spectaculaires. Non, la spécialité d'Etienne Chatiliez c'est d'aller faire un tour du côté de chacun d'entre nous, du côté des plus humbles, des plus anonymes, pour y repérer les traces de ce qu'on aimerait ne pas voir. Mais pas comme une accusation honteuse. Plutôt comme une taquinerie face à un enfant pris les doigts dans le pot de confiture : « Tu crois que je ne t'ai pas vu ? » Juste de quoi nous bousculer un peu dans nos certitudes se pensant bien-pensantes, mais sans vraiment nous faire mal. Après tout, on reste des gens bien, des gens honnêtes qui ne réalisent simplement pas le détail de leurs comportements. Un petit coup de miroir, juste pour nous dire : « Vous avez vu le bouton que vous avez sur le nez ? »

Et pour faire passer la pilule, pour mettre un peu d'onguent sur l'écorchure, Etienne Chatiliez est là pour nous enrober tout ça avec un petit sourire en coin et quelques chansons. Pas de la franche rigolade, n'exagérons rien, on est bien élevés. Non, juste un sourire. De ce genre de sourire qu'on ne peut s'empêcher en voyant un type marcher sur une peau de banane, sans pour autant refuser de lui porter secours. Et non pas une chanson lyrique et engagée, au contraire, une vraie comédie musicale, à l'américaine, avec scènes de danse et tout le tremblement. Jusqu'à y inclure un détournement de quelques mesures de l'Internationale. De quoi détendre les plus revêches, non ?

Et c'est peut-être ce qu'on peut reprocher à cette entreprise : traiter légèrement un sujet sérieux voire douloureux. Même si on comprend l'intention dédramatisante, on peut se demander si la forme « comédie musicale » est bien la plus adaptée au sujet.

D'autant que dans le genre, Etienne Chatiliez semble ne pas avoir beaucoup évolué depuis ses fameuses publicités pour Eram, auxquelles il ne se prive pas de faire un clin d'oeil.

Côté acteurs, pas beaucoup de fausses notes une fois accepté le parti pris de réalisation. La seule vraiment notable est peut-être la prestation d'Anthony Kavanagh, un rien poussive et surjouée, malgré de bons moments. Je ne sais pas si ça a fait la même impression à tout le monde, mais le passage du statut d'humoriste chevelu et légèrement allumé à celui d'animateur puis d'acteur plus sérieux me fait l'effet d'avoir abattu l'entrain du jeune homme. La prestation de la plupart des autres intervenants est relativement honorable, avec une mention spéciale à Isabelle Nanty et à son air toujours abasourdi. Même Valérie Lemercier oublie le plus souvent d'en faire des tonnes. Le plus souvent mais pas toujours, malgré tout.

Il faut dire que le rôle grimé est un pousse-au-crime particulièrement tentant et que les maquilleurs s'en sont donné à coeur joie. De ce point de vue d'ailleurs, la couleur de peau est d'un réalisme saisissant. C'est d'autant moins le cas des autres attributs que le manque est souligné dès le scénario qui annonce une maladie modifiant la teinte cutanée uniquement, et dans les dialogues qui plaisantent sur « Il ne te manque que le nez épaté ». Du coup, l'aspect de l'histoire faisant accepter sans sourciller Agathe par les gens de couleurs comme une des leurs peine un peu à être crédible. Mais bon, on a vu bien pire en matière de faille dans un scénario.

Et au bout du compte, si on ne ressort pas de la projection sans le souvenir d'un certain plaisir, on reste malgré tout légèrement sur sa faim devant un certain nombre de limites.
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1 janvier 2009

La belle personne

De l'inutilité des choses

Tonton Sylvain n’est pas un fin lettré. Pas de quoi en être fier, mais c’est comme ça. Et encore moins en littérature classique, s’il est possible de trouver encore un moins à quelque chose. Alors dire qu’il avait d’emblée repéré que « La belle personne » de Christophe Honoré était une adaptation en 2008 de La Princesse de Clèves de Mme de Lafayette serait un gros et vilain mensonge. Non, il a fallu qu’on lui mette sous le nez et qu’il aille ensuite y voir de plus près. De là à dire qu’il s’est passionné pour la tâche, il y a plus qu’un pas. Une bonne distance à crapahuter sac au dos reflèterait davantage la réalité de son intérêt. Mais bon, on n’est pas obligé de se sentir concerné par les états d’âme de l’adolescence pour reconnaître qu’ils existent. Alors pourquoi pas se poser un instant et regarder le monde de ses contemporains tel qu’il est, avec ses humeurs et ses inutilités.


Affiche France (movieposterdb.com)

Pour resituer le contexte, et répéter simplement ce qu’on trouve partout comme une reprise de la présentation de son film par Christophe Honoré, l’idée de départ est née d’un agacement contre un propos de campagne du candidat Sarkozy vilipendant « l’imbécile ou le sadique » qui avait eu l’idée de poser des questions sur la Princesse de Clèves dans la cadre d’un concours administratif. Et pour en montrer l’importance et l’actualité, Christophe Honoré s’est mis en devoir d’adapter le roman au présent, dans un cadre adolescent convenant mieux à l’expression des sentiments, et remplaçant la cour royale par une cour de lycée.

Pour les incultes, comme ce pauvre Sylvain, qui auraient besoin de se mettre en tête, ou - soyons gentils - de se le remettre à l’esprit, l’intrigue concerne une jeune fille, Junie (Lea Seydoux), qui débarque dans un nouveau lycée peu après le décès de sa mère et son déménagement chez son oncle, sa tante, et son cousin Matthias. Au premier jour de lycée, dans la même classe que son cousin, elle se fait rabrouer par le professeur d’anglais avant d’être réconfortée par toute la bande de copains de Matthias (Esteban Carjaval-Alegria). Otto (Grégoire Leprince-Ringuet), le plus timide de la bande, est immédiatement séduit par Junie qui accepte rapidement ses avances pilotées par les garçons de la bande. C’est cependant sans compter sur l’apparition de Nemours (Louis Garrel), leur jeune et beau professeur d’italien qui s’entiche également de Junie. Matthias, de son côté, vit également de complexes et secrètes amours adolescentes avec un autre élève de la classe. Une lettre enflammée égarée met un peu plus de pagaille dans les cœurs. Nemours accepte de récupérer la lettre en prétendant qu’elle lui appartient pour sauver la mise à Matthias, son véritable auteur. La situation, néanmoins, rapproche Nemours et Junie. Avant que les choses n’aillent plus loin, Junie avoue son trouble à Otto qui finit par découvrir que Nemours en est la source. Ne supportant pas les choses, il met fin à ses jours tandis que Junie refuse les avances de Nemours et préfère retourner en province sans laisser d’adresse.

On aura naturellement ( !!!) reconnu les correspondances évidentes dans l’intrigue du roman de Mme de Lafayette : Junie / Mlle de Chartres – Mme de Clèves, Nemours / le Duc de Nemours, Otto / Monsieur de Clèves, Matthias / le Vidame de Chartres. Les correspondances de l’histoire ne sont pas non plus une surprise puisque le film en est ouvertement une adaptation. D’autant plus que les dialogues, souvent littéraires dans leur forme, font écho à la célèbre préciosité du roman. Pas besoin d’aller chercher davantage de crédibilité dans cette adaptation que celle de l’emphase des sentiments : qui peut imaginer que des gamins de lycée - même du 16ème arrondissement où est censée se dérouler l’histoire - puissent s’exprimer ainsi ?, qui peut voir l’âge du rôle dans l’anatomie pulpeuse de Léa Seydoux ?, pas plus que l’âge de son rôle chez Louis Garrel qui ressemble davantage à un élève de la classe ?, qui ne tombe pas de son siège en entendant un professeur conclure une conversation téléphonique avec un élève de sa classe par un « Je t’embrasse » ?, qui peut regarder un professeur discuter en souriant avec un collègue de son amour pour une élève sans avoir les bras qui tombent en souvenir du « Mourir d’aimer » d’André Cayatte ? On a beau pimenter l’affaire d’une note homosexuelle banalisée, on reste dans la combustion qui se veut ardente d’une âme romantique avant (celle de Mme de Lafayette) ou après (celle de Christophe Honoré) l’heure. On est bien plus dans la peinture d’une réaction nucléaire rêvée dans le chaos des sentiments enfantins que dans la sociologie de l’adolescente exploration du passage à l’âge adulte. Dans le genre, le « Diabolo menthe » de Diane Kurys avait une autre allure, mais il est vrai qu’il ne se piquait pas - sauf erreur - d’être l’adaptation de quoi que ce soit.

Une fois admis le sujet du film, le reste n’a qu’assez peu d’importance. Christophe Honoré sait manier une caméra. Il se délecte bien un peu à filmer les visages, comme pour se concentrer sur ce qu’il y a dans la tête que sur ce qu’il y a autour. Il s’amuse bien un peu à remonter, comme pour des respirations en forme de clin d’œil, des scènes de La Princesse de Clèves pour les relier ensuite par une histoire à sa sauce. Il se plait bien à faire évoluer tout cela dans un temps d’hiver aussi gris que possible comme si le seul embrasement des sentiments devait suffire à illuminer l’écran. Il prend bien plaisir à faire passer à l’écran l’apparition de Chiara Mastroianni en souvenir de sa prestation dans « La lettre », la version de Manoel de Oliveira de La Princesse de Clèves. Après tout, c’est lui le réalisateur, et c’est bien le minimum que de lui reconnaître ces droits là. On n’est pourtant pas obligé d’adhérer. En particulier, reprenant la recette de « Les chansons d’amour », que le suicide d’Otto se déroule en forme de pastiche chanté de Jacques Demy ou d’ « On connait la chanson », peut au choix renforcer la sensation de rêverie romantique ou finir d’irriter ceux qui voient comme imbécile ou sadique d’interroger sur La Princesse de Clèves les candidats à un poste dans la fonction publique.

On peut au bout du compte admirer le talent de Christophe Honoré à traiter ce genre de sujet. On peut aussi s’interroger sur l’inutilité des choses. Libre à quiconque de se complaire dans l’exploration emphatique. Libre à quiconque de s’en taper complètement.
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