James Bond est de retour. C’est l’automne et revient le temps des feuilles mortes, des marrons chauds, des cache-nez, des bottines en cuir, du cassoulet, des prix littéraires, et du nouveau James Bond. Crise financière ou pas, le monde ne s’arrêtera pas de tourner. D’autant qu’il ne sait rien faire d’autre, le monde, que de tourner. Et James Bond n’arrêtera pas de faire exploser les méchants. D’autant qu’il ne sait rien faire d’autre, James Bond, que de faire exploser les méchants. Autrefois les méchants s’appelaient Curt Jurgens, Christopher Walken, Yaphet Kotto, Michael Lonsdale, Christopher Lee, Max Von Sydow … Maintenant ils s’appellent Mathieu Amalric, mais ça ne change rien. Autrefois ils oeuvraient à la tête d’une organisation du nom de Spectre. Maintenant ils dirigent une organisation du nom de Quantum, mais ça ne change rien. Ils étaient là pour se faire exploser par James Bond. Maintenant ils sont là pour se faire exploser par James Bond. Rien de nouveau sous le soleil, ni sous le vent d’automne.
Affiche France (cinemovies.fr)
Affiche Russie (cinemovies.fr)
Tout commence par une poursuite en voiture dans un tunnel routier, sur la corniche italienne. Aston Martin contre Alfa Romeo. On ne pouvait plus clair ! Les plans se succèdent à un rythme épileptique jusqu’à, naturellement, ce que le beau Bond (Daniel Craig) se débarrasse de ses poursuivants et atteigne la vieille ville de Sienne où il engouffre son auto délabrée par une porte cochère anonyme et automatique dans un souterrain inattendu au bout duquel il peut livrer le colis qu’il a dans le coffre à quelques coéquipiers menés par l’illustre M (Judi Dench), la cheftaine en chef des baroudeurs de Sa Très Gracieuse. Le colis est sommairement réanimé, ligoté sur quelque tabouret, puis interrogé de dos par M et Bond.
Affiches USA (movieposterdb.com)
On a d’ailleurs droit à l’occasion à la seconde surprise de l’épisode. Il était ainsi de tradition que la scène cascadeuse introductive n’ait que peu de rapport avec le reste de l’action. Foin de tradition ici, et tant pis pour les nostalgiques : il y aura un rapport, et puis c’est tout. C’est le début de l’histoire, qu’on le veuille ou pas. C’est comme ça. Et puisqu’on y est, on réalise à ce propos qu’on avait à peine remarqué la première surprise qu’avait été le générique, toujours aussi psychédéliquement 70 qu’à l’accoutumée, mais sans plus de référence à la grande tradition des génériques de James Bond que la fugace apparition d’un discret disque blanc modèle réduit qui traverse une partie de l’écran. Pour une version plus classique de la chose, il faudra attendre le début du générique de fin, qui retrouvera tous les codes usuels du générique de début du James Bond classique avant de s’effacer sur l’ordinaire litanie des participants à la fabrication du film. Renversant bouleversement que de retrouver le début à la fin ! Y aurait-il un message là dessous ?
Si Mark Foster n'avait jamais tourné une scène d'action plus échevelée que dans « Les cerf-volants de Kaboul », Dan Bradley est un spécialiste du genre, avec une longue carrière de cascadeur et de réalisateur en second sur des productions du genre de la série de Jason Bourne. Drôle d'association, sauf si on se dit que Haggis, compromis dans la réalisation de « Dans la vallée d'Elah », n'est pas Lelay, et qu'il semblait bien y avoir déjà, dès le choix de l'équipe, une volonté de faire de ce Bond là une mixture jouant sur tous les tableaux.
De fait, et comme l'annonçait immédiatement le générique, on se lance ici dans une casse en règle des codes du James Bond, et ce dans la droite ligne de ce qu'avait entamé « Casino Royale ». James Bond était un aristocrate de l'espionnage, pas avare de ses poings, mais jamais décoiffé et toujours tiré à quatre épingles. Un genre de version originale de l'OSS 117 de Jean Dujardin. Il devient ici un bagarreur émérite qui encaisse les coups même s'il finit par l'emporter avec son lot de balafres. Il était macho et collectionneur sans état d'âme. Il devient mû par la passion du deuil et par la vengeance. Il était cynique, drôle, pince sans rire et flegmatique. Il devient touchant, touché, à l'humour rare, impliqué, parfois emporté. Il était dévoué au service de Sa Très Gracieuse, rappliquant au moindre appel de M et dragueur de Moneypenny devant l'Eternel. Il devient franc-tireur, rebelle, sans la moindre idée de qui peut bien être Moneypenny au point qu'elle ne figure même plus au scénario. Il était bardé de gadgets et de technologie loufoque. Il n'a plus d'outil plus sophistiqué qu'un téléphone portable dernier cri. Il affrontait des fous géniaux qui n'avait comme plus simple motivation que le désir d'être Maître du Monde. Il se collète maintenant avec des affairistes retors et sans scrupules. Bref, il était une caricature de bande dessinée, il devient un héros de polar humain évoluant dans un monde complexe, à la recherche, plus que de vengeance, d'un minimum de consolation, littéralement d'un « Quantum of solace ». Les plus taquins ont pu dire d'un « lot de consolation, » mais l'ironie était facile !
C'est-y pas un projet ambitieux, ça, de tirer James de la bande dessinée pour le tirer vers le monde des humains ? On peut se demander si ça valait le coup, si ce n'était justement pas une bonne chose d'avoir conservé un personnage aussi bien formaté depuis tant d'années, si ce n'était justement pas le lot de consolation du spectateur après s'être avalé toute une année de productions bourniennes de pouvoir respirer avec ce gugusse du MI6, son cheptel de potiches miss-monde-like et sa panoplie d'Inspecteur Gadget. Mais après tout, si on accepte l'objectif, on peut reconnaître la difficulté de la tâche, et pourquoi pas la maîtrise de l'ouvrage. Un peu comme on pouvait remarquer la hauteur du défi d'intégrer des scènes porno réelles dans un film classique au motif que cela fait autant partie de la vie que les états d'âme les plus nobles. Le tout était de s'y prendre correctement. Que cela soit une réussite ou pas est un autre débat. Et rien ne dit que toute tentative doive être toujours couronnée de succès. Bref, reconnaissons la tentative, ajoutons qu'on n'y voit pas d'intérêt, et on aura dit l'essentiel sans qu'il soit davantage utile de commenter la réalisation totalement au service de l'objectif.
Au service de cet objectif également, Mathieu Amalric fait de son mieux en méchant d'occasion. Il a le regard torve et la morgue vindicative. Peut-être un peu trop, du reste, pour être parfaitement cohérent avec le peu qui reste du James Bond de pacotilles et de paillettes. Olga Kurylenko est pour l'essentiel assez convaincante si ce n'est quelques regards qui dépassent un peu le crédible (l'expression de surprise impatiente et soulagée à l'approche de Medrano est un grand moment involontaire de rigolade). Daniel Craig et Judi Dench assurent leurs jobs en bons pros qui savent suivre un cahier des charges. Joaquin Cosio fait un Général Medrano sans ambigüité sur ses mauvaises intentions, et complètement inconscient de ce que le nom de son personnage peut évoquer de théâtral pour le public français. Comment le saurait-il, d'ailleurs ? Peut-être seul Amalric était-il conscient de la chose et on peut admirer sa performance de n'avoir pas éclaté de rire à chaque prise, d'autant qu'il devait avoir été mis d'humeur potache par le nom de son personnage à lui, Dominic Greene, un des premiers terroristes Vert (green en grand-breton) du grand écran.
Juste pour le fun, signalons la participation de Oona Chaplin, petite fille de Charlie et homonyme de l'épouse du grand homme, en serveuse d'hôtel malmenée par Medrano, et celle de Guillermo del Toro pour une voix additionnelle qu'on peut s'amuser à découvrir.
Et si en sortant de la projection, on se retrouve vite plongé dans un vent automnal qui pousse irrémédiablement vers une platée de cassoulet, on y va en se disant que le James Bond de cette année est d'une bien curieuse cuvée. Pourvu que le Beaujolais ne se mette pas à avoir un goût de Chardonay, qu'il nous reste au moins ce dernier carré de tradition !
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