Add to Technorati Favorites

7 octobre 2008

Analyse polyvalente

Critique multi-usages

J’étais allé au cinéma de mon plein gré. Non pas qu’un battage médiatique quelconque ne m’eut aucunement incité à tenter l’aventure. Je suis d’ordinaire assez rétif à ce genre d’intervention, au point de plus fréquemment tenter ma chance au petit bonheur plutôt que de me fier à une revue de presse préliminaire. L’affiche paraissait avenante, attirante mais sans ostentation, discrète et précise à la fois. Le titre aurait pu introduire une multitude d’histoires, mais son inscription sur ce placard précisément, au fronton de ce cinéma, faisait une association devant laquelle aucune hésitation ne venait spontanément à l’esprit. Pourquoi ce film-là, ce jour-là ? Je n’en sais trop rien. Peut-être le résultat d’une alchimie complexe entre l’humeur du jour, le titre, l’affiche, la météo, la longueur de la file d’attente, la brièveté de la jupe de la blonde qui venait de rejoindre la queue, … Allez savoir. En tout cas, c’est là que j’avais finalement décidé d’investir mes dix euros. Et c’est là que, la poche allégée d’un billet de banque et alourdie d’un billet d’entrée, je m’enfonçais dans la salle obscure en tâtonnant du bout du pied la travée baignée de pénombre à la recherche d’un accès incertain à un fauteuil encore libre.

La blonde avait quitté la queue bien avant moi et il n’y avait de toute façon plus aucun espoir de la retrouver au hasard dans cette mer de velours rouge dont les ondulations n’étaient qu’à peine perceptibles sous la faible lumière renvoyée par l’écran dans le bruit assourdissant des bandes-annonces et des messages promotionnels d’usage. Quand enfin j’avisais une zone dépeuplée et un coussin disponible à offrir un havre à l’avachissement du spectateur dans la peau duquel je m’étais glissé, le film commençait, ou du moins s’entamait la séquence rituelle de la compagnie de production. Les choses avaient bien changé par rapport au rugissement héraldique du lion de la MGM, mais la seule chose qui semblait vouloir demeurer était bien cette propension des studios à faire précéder leurs productions d’un objet cinématographique incertain dont l’unique but était la construction scénarisée du logo supposé identifier la compagnie de production. Quoi qu’il en fût, j’étais à peine callé entre les accoudoirs vermillon que le film débutait.

Malgré un luxe de détails, les un chargés de sens, les autres chargés de la seule tâche d’assurer soit un parfum de quotidienneté soit une trame de fond à la narration, l’histoire était finalement assez simple. Un jour, deux personnages, chacun immergé dans le flot continu de sa propre vie, émergeant comme par hasard entre un hier qui l’a lentement construit et un lendemain qui sera définitivement conditionné par ce qu’aujourd’hui aura créé de maturation propice à son éclosion, se rencontrent dans des conditions que certains trouveraient probablement prévisibles mais que nombre d’autres raccrocheraient certainement à la futilité que le hasard fait peser sur la condition humaine. De cette rencontre naît une relation qui se développe au fil de l’histoire, s’incluant dans un réseau relationnel progressivement de plus en plus complexe.

Des évènements et des personnages semblant extérieurs, présents ou potentiels, interfèrent au fil du temps dans le développement de cette relation multifactorielle, sources de réactions, parfois émotionnelles et parfois rationnelles, de rebondissements inattendus pour peu qu’on se laisse surprendre par leur irruption, comme autant de matériaux de construction d’un édifice progressivement de plus en plus élaboré. Et c’est au sein de cette élaboration qu’entre en œuvre le lent processus de constitution d’un lien, tout à la fois étrange et naturel, qui sert de fil conducteur à l’ensemble du film. L’intrigue se noue sans crier gare, encore qu’à y être vigilant on pouvait en distinguer les prémices bien avant qu’elle ne prenne un tour explicite, jusqu’à son paroxysme qui ne trouvera de dénouement que par le même processus, mais inversé cette fois en un renversement de déconstruction subite.

Au retour à la lumière, pendant que s’éloignait, dans un entr’aperçu fugace, la blonde antérieurement disparue, qui fuyait désormais définitivement loin de la queue de sortie de la salle où je me trouvais englué, la question qui me vint naturellement à l’esprit, outre l’ébauche d’une interrogation sur le moteur de la longue plainte de Camus décrivant le mythe de Sisyphe, sur son intrication intrinsèque à la cruauté du supplice de Tantale, et sur sa conclusion finalement apaisante qu’il fallait imaginer Sisyphe heureux, était avant tout celle de savoir si le spectacle auquel je venais d’assister devait se ranger au rayon du drame ou à celui de la comédie. Car enfin, si l’ensemble de la narration soulignait le caractère déterminé du parcours des personnages, donc leur enfermement dans un mécanisme échappant à leur autonomie, à leur contrôle, à leur libre arbitre, et broyant finalement leur liberté, l’intrigue se dévidait de surprise en rebondissement, en décalages soudains, sources classiques d’un humour protecteur. Lequel, du rouleau compresseur de l’enfermement écrasant ou de l’échappatoire du sourire, voire du rire, l’emportait en l’occurrence ? Peut-être aucun. Peut-être les deux. Selon le moment, l’humeur, l’angle sous lequel on abordait l’histoire. Et à cet égard, la profondeur de l’analyse de la psychologie des personnages pouvait aussi bien se voir comme futile et superficielle que comme un terreau générateur d’un approfondissement sensible de la connaissance de l’âme humaine.

Bien sûr, rien de tout cela n’aurait eu la moindre chance d’éclore sans les performances d’acteurs choisis. Mais la même ambiguïté se projetait nécessairement aussi sur la qualité apparente de leur prestation : devait-on la considérer comme teintée d’un sur jeu quasi cabotin, ou au contraire comme empreinte d’une intériorisation distanciée ? Encore une fois, l’angle de lecture était ici primordial en ce qu’il orientait le regard sur telle ou telle attitude, tel ou tel geste, telle ou telle expression. Devait-on en conclure que la direction d’acteur avait été définitivement trop lâche ou au contraire trop rigide, mêlant des contraintes contradictoires en une impossible synthèse ? Ou ne devait-on pas plutôt louer la versatilité de la mise en scène basculant sans cesse d’un extrême à l’autre dans une apparente cacophonie ?

Et en soutien de cet effort, que dire de l’image et de sa qualité technique, de la lumière, de la bande son, … ? Peut-être que, chacune pour sa part, était exemplaire de la difficulté d’atteindre à la perfection technique, ou simplement de la concilier avec le concret d’une histoire aux multiples facettes, avec une problématique à plusieurs niveaux. Comment chaque couche de cette accumulation de niveaux de lecture peut-elle s’appuyer équitablement sur une réalisation technique qui leur soit commune ? C’est à l’évidence un défi impossible et pourtant sans cesse renouvelé, avec plus ou moins de bonheur, ici comme mille fois depuis l’invention des frères Lumière.

******************************************************
NDLA 1 : Avec mes excuses pour cet exercice de style « juste pour rire ». Le pari est de rédiger une critique de film multi-usages, c’est-à-dire pouvant correspondre à n’importe que film. Le jeu consiste à trouver un film auquel elle ne s’adapte pas.

NDLA 2 : Je ne savais pas très bien dans quel chapitre déposer cette plaisanterie. Je l’ai mise ici un peu au hasard. Si certains lecteurs la trouvent mal positionnée et souhaitent me suggérer une place plus adaptée, je la déplacerai volontiers.

Aucun commentaire: