Paul Giamatti tel qu’en lui-même
Et si l'âme était un organe comme un autre ? Un organe qu'on pourrait prélever, greffer, échanger ? Un organe qui pourrait se stocker, faire l'objet d'un trafic ? C'est par ce genre de questions que le Festival du Film Américain de Deauville 2009 a choisi de cueillir à froid le spectateur avec le premier film présenté en compétition, « Cold souls », un film de 2009 de Sophie Barthes. Ca sent au choix le burlesque ou la prise de tête. Incapable de se décider entre les deux options, Tonton Sylvain se gratte la tête et se présente avec ses doutes dans la file d'attente. Quelques instants plus tard, la séance commence. Tonton cesse de se torturer le cuir chevelu.
Paul Giamatti (lui-même) est un comédien new-yorkais en plein travail de répétition sur « Oncle Vania » de Tchekov. Son travail, et le couple qu'il forme avec son épouse Claire (Emily Watson), sont perturbés par ce qu'il est convenu d'appeler une crise existentielle. On aurait dit autrefois des états d'âme. A la lecture d’un article du New-Yorker signalé par son metteur en scène, il apprend l'existence d'une entreprise, Cold Souls, qui se propose de libérer ses clients de leur âme et d'en assurer le stockage. Intrigué, il se rend dans l'entreprise et rencontre son directeur, le Dr Flintstein (David Strathairn), pour plus d'information. Finalement tenté, il se laisse convaincre et laisse son âme en dépôt dans le coffre fourni par Cold Souls, ne restant qu'avec les 5% résiduels nécessaires à la survie du corps.
Paul est rapidement étonné par les effets de cette ablation, voire impressionné par son changement d'attitudes. Plus d'idées noires, certes, mais un détachement, une certaine froideur qui finissent par le faire revenir sur son choix. Sur la proposition du Dr Flintstein, et pour éviter de retrouver son humeur morose, il accepte que lui soit alors greffée l'âme d'un autre, choisie sur catalogue, celle d'un poète russe, importée plus ou moins légalement via une greffe temporaire sur une passeuse, Nina (Dina Kozun), lien entre Cold Souls et son partenaire russe.
A nouveau déçu par cette implantation, Paul revient vers le Dr Flintstein pour retrouver son âme personnelle. Mais l'opération est annulée lorsque Paul découvre que son coffre est vide et que son âme a été dérobée par Nina puis greffée, malgré le refus qu'il avait exprimé lors de son extraction, à Sveta (Katheryn Winnick), une jeune et ambitieuse comédienne de série télé en Russie.
S'en suit une sorte de course poursuite de Paul cherchant à récupérer son âme.
Je me souviens, alors que j'étais étudiant, d'un curieux auto-stoppeur allemand entre deux âges, que j'avais embarqué en pleine nuit Porte d'Orléans alors que je rentrais vers ma banlieue. Il me disait, dans un anglais approximatif, aller vers Bordeaux et que je le rapprocherais toujours un peu. Soudain, voyant sur mon pare-brise le faux caducée qu'affectionnent les étudiants en médecine, il se tourna vers moi en me demandant si j'étais psychiatre. Malgré ma réponse négative, il me confia qu’il allait à Bordeaux pour se chercher. Et voilà que 25 ans plus tard réapparaît mon chevelu teuton sur l’écran noir de « Cold souls » : Paul Giamatti se cherche, et, peut-être faute d’avoir pensé à pousser une pointe du côté de Bordeaux, cette quête le mène jusqu’en Russie.
La première surprise réside dans le fait que Paul Giamatti interprète un personnage qui porte son nom. Il n’y a, dans cette histoire surréaliste, manifestement aucun recouvrement historique avec la réalité physique de l’acteur. C’est que la réalité doit être cherchée ailleurs, et sans doute dans le fait que courir après son âme perdue est vue par l’auteur, Sophie Barthes, comme une activité universellement humaine et non une fiction romanesque.
Je ne suis pas assez calé en Tchekovologie pour cerner en quoi le travail sur Oncle Vania se relie à cette histoire d’âme. Je laisse ce point à des commentateurs plus érudits que moi.
Quoi qu’il en soit, Paul se trouve engager dans une recherche que les bons traités appellent quête identitaire. Qui suis-je, que fais-je, où vais-je, et certains diraient « dans quel état j’erre ». La réponse est habituellement spéculative. Ici, elle est expérimentale : retirons l’âme et voyons ce qui se passe. Et naturellement, ce qui se passe, c’est qu’on veut la récupérer. Ce n’est pas tant qu’on la trouve particulièrement radieuse ou simplement sereine, mais on y est tout bêtement habituée. Elle n’est peut-être pas terrible, mais au moins on la connaît pour l’avoir longtemps pratiquée. Comme cette dernière dent qui reste, inutile et douloureuse, sur la mâchoire d’un vieillard, et qu’il a une telle résistance à accepter qu’on lui extraie. Elle le fait souffrir, et bouge sur sa base, elle s’infecte sans arrêt, mais c’est la sienne, c’est le dernier vestige de ce qu’il a été et de ce qu’il est encore à ses yeux. Si toute l’âme du vieillard réside dans cette dernière dent, on peut bien comprendre que celle de Paul puisse être dans ce miséreux caillou en forme de poix chiche qu’il défend avec tant d’obstination.
Et dans cette quête, dans cette reconstruction de son âme, il faut bien avouer que Paul a besoin d’aide. Comme l’intuitent toutes les sectes, nul ne peut se construire sans l’intervention extérieure d’un maître à penser, d’un exemple, d’un guru, d’un passeur. En l’occurrence, c’est la fonction de Nina que d’être cette passeuse qui permet à l’homme de trouver, ici de retrouver, son identité dans le monde. Loin des locaux aseptisés de « Cold Souls » ou l’âme s’égare malgré tout, c’est au contact du cambouis, de la boue, de la rudesse dont témoigne la qualité de l’image de la partie russe du film, que peut se trouver confortée une âme vacillante, malgré tout indéracinable dans ses 5% résiduels.
C’est à ces considérations que le film convie le spectateur. Réflexion amusante à défaut d’être originale. Car on ne compte plus les ouvrages dissertant sur le mal de vivre, la nécessité de se construire et de se reconstruire, l’importance de l’autre dans la maturation de soi, … Malgré tout, l’exercice est ludique, surtout quand il est bien mené.
A ce jeu, Paul Giamatti (le vrai) se montre à son avantage. Surtout dans la première partie du film où les états d’âme ont leur plus grande place. Son interprétation d’un homme sans âme, littéralement, est drôle et inspirée, tout à la fois montrant ce qui change et ce qui reste inchangé dans ce qu’ils ont de subtile intrication. La seconde partie du film le met un peu plus en difficulté, visiblement moins dans son élément avec la quête physique et aventureuse qu’avec l’aventure intérieure. David Strathairn n’est d’ailleurs pas en reste, dans un jeu simple et enjoué mais crédible de psychiatre muté en industriel. Dina Kozun et Katheryn Winnick sont peut-être un cran en dessous, mais quelle importance tant tout tourne autour de Giamatti ?
La réalisation est sobre, loin des artifices techniques qu’on aurait pu craindre du traitement d’un tel sujet aux portes du fantastique. On a déjà signalé la rupture de rythme entre les deux parties du film, et c’est sans doute le principal défaut d’un film par ailleurs indubitablement attachant.
Se précipitant en fin de projection, Tonton Sylvain, négligeant pour quelques instants son grattage capillaire, se dirige alors d’un pas décidé vers le comptoir de Mamie Crêpes. Parce que c’est pas tout ça, mais y’en a qu’il faut qu’ils mangent. Non mais quand même !
Et si l'âme était un organe comme un autre ? Un organe qu'on pourrait prélever, greffer, échanger ? Un organe qui pourrait se stocker, faire l'objet d'un trafic ? C'est par ce genre de questions que le Festival du Film Américain de Deauville 2009 a choisi de cueillir à froid le spectateur avec le premier film présenté en compétition, « Cold souls », un film de 2009 de Sophie Barthes. Ca sent au choix le burlesque ou la prise de tête. Incapable de se décider entre les deux options, Tonton Sylvain se gratte la tête et se présente avec ses doutes dans la file d'attente. Quelques instants plus tard, la séance commence. Tonton cesse de se torturer le cuir chevelu.
Paul Giamatti (lui-même) est un comédien new-yorkais en plein travail de répétition sur « Oncle Vania » de Tchekov. Son travail, et le couple qu'il forme avec son épouse Claire (Emily Watson), sont perturbés par ce qu'il est convenu d'appeler une crise existentielle. On aurait dit autrefois des états d'âme. A la lecture d’un article du New-Yorker signalé par son metteur en scène, il apprend l'existence d'une entreprise, Cold Souls, qui se propose de libérer ses clients de leur âme et d'en assurer le stockage. Intrigué, il se rend dans l'entreprise et rencontre son directeur, le Dr Flintstein (David Strathairn), pour plus d'information. Finalement tenté, il se laisse convaincre et laisse son âme en dépôt dans le coffre fourni par Cold Souls, ne restant qu'avec les 5% résiduels nécessaires à la survie du corps.
Paul est rapidement étonné par les effets de cette ablation, voire impressionné par son changement d'attitudes. Plus d'idées noires, certes, mais un détachement, une certaine froideur qui finissent par le faire revenir sur son choix. Sur la proposition du Dr Flintstein, et pour éviter de retrouver son humeur morose, il accepte que lui soit alors greffée l'âme d'un autre, choisie sur catalogue, celle d'un poète russe, importée plus ou moins légalement via une greffe temporaire sur une passeuse, Nina (Dina Kozun), lien entre Cold Souls et son partenaire russe.
A nouveau déçu par cette implantation, Paul revient vers le Dr Flintstein pour retrouver son âme personnelle. Mais l'opération est annulée lorsque Paul découvre que son coffre est vide et que son âme a été dérobée par Nina puis greffée, malgré le refus qu'il avait exprimé lors de son extraction, à Sveta (Katheryn Winnick), une jeune et ambitieuse comédienne de série télé en Russie.
S'en suit une sorte de course poursuite de Paul cherchant à récupérer son âme.
Je me souviens, alors que j'étais étudiant, d'un curieux auto-stoppeur allemand entre deux âges, que j'avais embarqué en pleine nuit Porte d'Orléans alors que je rentrais vers ma banlieue. Il me disait, dans un anglais approximatif, aller vers Bordeaux et que je le rapprocherais toujours un peu. Soudain, voyant sur mon pare-brise le faux caducée qu'affectionnent les étudiants en médecine, il se tourna vers moi en me demandant si j'étais psychiatre. Malgré ma réponse négative, il me confia qu’il allait à Bordeaux pour se chercher. Et voilà que 25 ans plus tard réapparaît mon chevelu teuton sur l’écran noir de « Cold souls » : Paul Giamatti se cherche, et, peut-être faute d’avoir pensé à pousser une pointe du côté de Bordeaux, cette quête le mène jusqu’en Russie.
La première surprise réside dans le fait que Paul Giamatti interprète un personnage qui porte son nom. Il n’y a, dans cette histoire surréaliste, manifestement aucun recouvrement historique avec la réalité physique de l’acteur. C’est que la réalité doit être cherchée ailleurs, et sans doute dans le fait que courir après son âme perdue est vue par l’auteur, Sophie Barthes, comme une activité universellement humaine et non une fiction romanesque.
Je ne suis pas assez calé en Tchekovologie pour cerner en quoi le travail sur Oncle Vania se relie à cette histoire d’âme. Je laisse ce point à des commentateurs plus érudits que moi.
Quoi qu’il en soit, Paul se trouve engager dans une recherche que les bons traités appellent quête identitaire. Qui suis-je, que fais-je, où vais-je, et certains diraient « dans quel état j’erre ». La réponse est habituellement spéculative. Ici, elle est expérimentale : retirons l’âme et voyons ce qui se passe. Et naturellement, ce qui se passe, c’est qu’on veut la récupérer. Ce n’est pas tant qu’on la trouve particulièrement radieuse ou simplement sereine, mais on y est tout bêtement habituée. Elle n’est peut-être pas terrible, mais au moins on la connaît pour l’avoir longtemps pratiquée. Comme cette dernière dent qui reste, inutile et douloureuse, sur la mâchoire d’un vieillard, et qu’il a une telle résistance à accepter qu’on lui extraie. Elle le fait souffrir, et bouge sur sa base, elle s’infecte sans arrêt, mais c’est la sienne, c’est le dernier vestige de ce qu’il a été et de ce qu’il est encore à ses yeux. Si toute l’âme du vieillard réside dans cette dernière dent, on peut bien comprendre que celle de Paul puisse être dans ce miséreux caillou en forme de poix chiche qu’il défend avec tant d’obstination.
Et dans cette quête, dans cette reconstruction de son âme, il faut bien avouer que Paul a besoin d’aide. Comme l’intuitent toutes les sectes, nul ne peut se construire sans l’intervention extérieure d’un maître à penser, d’un exemple, d’un guru, d’un passeur. En l’occurrence, c’est la fonction de Nina que d’être cette passeuse qui permet à l’homme de trouver, ici de retrouver, son identité dans le monde. Loin des locaux aseptisés de « Cold Souls » ou l’âme s’égare malgré tout, c’est au contact du cambouis, de la boue, de la rudesse dont témoigne la qualité de l’image de la partie russe du film, que peut se trouver confortée une âme vacillante, malgré tout indéracinable dans ses 5% résiduels.
C’est à ces considérations que le film convie le spectateur. Réflexion amusante à défaut d’être originale. Car on ne compte plus les ouvrages dissertant sur le mal de vivre, la nécessité de se construire et de se reconstruire, l’importance de l’autre dans la maturation de soi, … Malgré tout, l’exercice est ludique, surtout quand il est bien mené.
A ce jeu, Paul Giamatti (le vrai) se montre à son avantage. Surtout dans la première partie du film où les états d’âme ont leur plus grande place. Son interprétation d’un homme sans âme, littéralement, est drôle et inspirée, tout à la fois montrant ce qui change et ce qui reste inchangé dans ce qu’ils ont de subtile intrication. La seconde partie du film le met un peu plus en difficulté, visiblement moins dans son élément avec la quête physique et aventureuse qu’avec l’aventure intérieure. David Strathairn n’est d’ailleurs pas en reste, dans un jeu simple et enjoué mais crédible de psychiatre muté en industriel. Dina Kozun et Katheryn Winnick sont peut-être un cran en dessous, mais quelle importance tant tout tourne autour de Giamatti ?
La réalisation est sobre, loin des artifices techniques qu’on aurait pu craindre du traitement d’un tel sujet aux portes du fantastique. On a déjà signalé la rupture de rythme entre les deux parties du film, et c’est sans doute le principal défaut d’un film par ailleurs indubitablement attachant.
Se précipitant en fin de projection, Tonton Sylvain, négligeant pour quelques instants son grattage capillaire, se dirige alors d’un pas décidé vers le comptoir de Mamie Crêpes. Parce que c’est pas tout ça, mais y’en a qu’il faut qu’ils mangent. Non mais quand même !
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