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15 septembre 2009

Precious

La spirale du ghetto

Séquence émotion. Le 35ème Festival du Film Américain de Deauville a potentiellement dégotté sa Palme d'Or, ou ce qui en fait office ici. Témoin la réaction du public, débout et applaudissant des deux mains un réalisateur un peu timide, Lee Daniels, accompagné par le jury également debout m'a-t-on dit (je ne l'ai pas vu, masqué qu'il était par la foule) à la fin de la projection de « Precious », produit en 2009. Ce n'est pas commun. Mais je me souviens de la même réception du public pour « The fountain », il y a quelques années, qui ne s'était pourtant pas retrouvé en haut du palmarès, alors méfiance. Témoin également, l'opinion de Tonton Sylvain, qui vaut bien toutes les critiques du monde. On peut contester, mais fichtre, c'est mon avis, et comme disait l'autre, je le partage ! Et qu'au bout du compte, le film se hisse sur une marche annexe du podium confirme simplement que Tonton à le nez creux même s'il n'est pas devin …

Affiche USA (movieposterdb.com)

Precious (Gabourey Sidibe) est une ado noire de Harlem qui glande tranquille près du mur du fond de la classe, à l'abri derrière une obésité assez phénoménale (selon nos critères de la Vieille Europe s'entend). Ce n'est pas tellement que l'école lui pèse, c'est plutôt qu'elle a d'autres préoccupations. Outre les rêveries habituelles de collégiennes sur le prof de math, son quotidien est plutôt occupé par une situation familiale sordide : 16 ans et déjà mère d'une petite mongolienne élevée par la grand-mère de Precious ; un père qui la viole régulièrement sous les yeux de sa mère qu'il ne touche plus ; une mère (Mo' Nique) acariâtre qui passe ses journées devant la télévision en attendant les allocations sociales ; des reproches appuyés de violence physique quant à l'inutilité des études, et son inutilité à elle, en dehors de ce qu'elles justifient le versement des allocations ; les tâches ménagères qu'elle est seule à accomplir dans une ambiance à la Cosette ...

Les choses commencent à changer quand Precious tombe à nouveau enceinte et que la Principale du collège réalise qu'elle est de plus quasiment analphabète, bien qu'elle ait réussi à le masquer relativement efficacement jusque là. Prenant les choses en main, la Principale la renvoie du collège tout en l'inscrivant d'office dans une école alternative.

Le cours d'alphabétisation y est donné à temps plein. Il est assuré par Ms Rain (Paula Patton), une jeune femme dévouée qui ne s'en laisse pas compter, face à un groupe de jeunes filles du ghetto pas commodes à dompter.

Les choses dégénèrent encore pour Precious à l'accouchement de son second enfant, lorsque la violence de la réaction de sa mère la pousse à fuir le domicile avec son nouveau-né. Elle est alors prise sous l'aile de Mrs Rain qui l'héberge transitoirement le temps de lui trouver une place en foyer et un petit subside, avec l'aide de Mrs Weiss (Mariah Carey), une assistante sociale de la mairie qui suit la famille. Et comme si tout cela ne suffisait pas, Precious apprend lors du décès de son père qu'il avait le SIDA et qu'elle-même est découverte séropositive.

Privée des allocations qu'elle percevait, puis de toute ressource au décès de son mari, la mère de Precious tente de récupérer sa fille lors d'une rencontre qui les réunit avec Mrs Weiss. Cette réunion est l'occasion de poser au grand jour les ressorts de la mécanique infernale de la misère qui broie cette famille.

Dans sa petite intervention inaugurale, Lee Daniels annonçait un film parfois dur, mais demandait aussi à ce que les spectateurs ne se privent pas de rire librement à un film traversé d'humour. Un film dur, on s'en rend compte rapidement lorsque chaque nouvel épisode est l'occasion d'un nouveau tour de spirale dans le tourbillon du sordide. Traversé d'humour, pieux mensonge pour adoucir le choc. Les seuls traits lénifiants sont peut-être les quelques séquences rêvées de Precious s'inventant une autre vie, un autre corps, une autre couleur de peau. Car le film est bien un choc. On peut ne pas apprécier le cinéma social, je n'imagine pas qu'on puisse rester indifférent à cette histoire.

Le plus difficile n'est d'ailleurs pas tant dans l'accumulation de la misère que dans ce je-ne-sais-quoi qui ne fait pas douter un seul instant de son accent de vérité.

Car il y a paradoxalement quelque chose de frais dans cette histoire et dans la façon de la raconter, respectueuse de la souffrance, de la dignité, mais aussi des ambivalences de toute situation de violence ou de comportements défaillants. Et la forme n'y est pas pour rien, qui ne se laisse pas emporter dans la mode du pseudo-reportage, caméra à l'épaule. Il n'y a pas d'effet particulier (sinon les quelques séquences rêvées déjà mentionnées), on se dit qu'on aurait aussi bien pu filmer tout ça avec une vieille caméra Super8 et un bon magnétophone, tant ça crie de vérité, mais c'est bien un film, un vrai. Le verbiage du ghetto, annoncé dès le banc-titre de générique, n'y est sans doute pas pour rien. Et de façon paradoxale, cette avalanche de misère, par son effet même de « trop, c'est trop », au lieu de décrédibiliser le scénario, produit comme un effet anesthésiant : qu'est-ce qu'une nouvelle catastrophe va bien pouvoir ajouter comme peine ? La coupe est déjà pleine, alors autant prendre les choses les unes après les autres, sans s'en préoccuper davantage.

On est surpris, au bout de cette tourmente, qu'il puisse rester des survivants, mais on réalise alors subitement comment de l'enfance on est passé sans s'en apercevoir à un âge adulte déjà bardé de cicatrices, d'une expérience ahurissante.

Le risque de raconter une telle histoire est évidemment celui du misérabilisme, Mais justement, la mise en évidence des ambivalences, des ressorts sous-jacents, permet en grande partie d'éviter le piège, encore qu'incomplètement il est vrai.

Côté acteurs, on n'est pas dans la perfection. Les séquences rêvées de Precious sont d'une lourdeur souvent indigeste, à la hauteur du spectacle de patronage. Mais pour dire les choses simplement, on s'en fiche complètement. Mo' Nique et Paula Patton, dans deux registres différents, sont étonnantes. La première est d'une richesse dans l'interprétation qui plaisir à voir malgré le caractère antipathique du personnage. La seconde est un peu figée dans une courte panoplie d'expressions, mais en sachant l'exploiter à bon escient. Gabourey Sidice n'est sans doute pas la révélation du siècle, mais il faut avouer que son physique ingrat lui fournit une dimension particulière, par l'espèce de carapace protectrice qu'elle crée autour d'elle, par la limitation des expressions faciales qu'elle autorise sur un visage à ce point « enflé » et qui participe à l'impression de neutralité émotionnelle également protectrice. A noter par ailleurs les interventions d'une part de Mariah Carey en Mrs Weiss, dont j'ignorait personnellement ce talent d'actrice, et d'autre part de Lenny Kravitz (l'infirmier John) qui, par contre, ne marquera pas les mémoires.

On pourrait disserter des pages durant sur le détail de la mise en scène de telle ou telle scène, mais serait-ce bien utile ? Après tout, le film est là et parle suffisamment bien par lui-même.

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