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20 novembre 2008

Au revoir Mr Chips (Goodbye, Mr Chips)

Du bon usage de l'incrédible

Non pas lassé mais repu pour un temps des espionnageries en tous genres, Tonton Sylvain ne put clore ce soir là sa journée sans une respiration profonde. Les couleurs criardes, les montages hystériques, les caméras épileptiques, n’étaient pas faits pour le genre de calme auquel il aspirait si souvent. Les humeurs plus juvéniles pouvaient bien savoir passer de cette trépidante excitation au sommeil le plus salvateur, Tonton, lui, n’était plus de ce bois là. Il lui fallait des atterrissages plus en douceur, des décompressions plus subtiles. Des choses sucrées aux odeurs de tilleul et de menthe poivrée.



Affiches USA (movieposterdb.com)
Encore sous le coup d’une trouble agitation intérieure, il errait, de son fauteuil à la cuisine, en quête d’un lait chaud, avant de se raviser dans une économie de gestes. Il rodait, du salon à la bibliothèque, la pipe aux lèvres et la moustache en bataille. Mais rien ne semblait vouloir apaiser cette irritante perturbation. Vesper revenait sans cesse hanter ses pensées au milieu de mille détonations rebelles. Son cou dépassait à peine de son pull angora mais le froid persistait à s’insinuer par quelque invisible interstice. Il tentait avec lassitude de détourner encore une fois son attention de ces misères automnales en posant son regard distrait sur l’étagère à sa hauteur de la bibliothèque, quand une cassette poussiéreuse attira sa curiosité. L’étiquette à demi effacée indiquait à l’encre bleue en cursives largement déliées « Au revoir Mr Chips ! ». Une seconde ligne, en plus petits caractères, continuait : « Goodbye, Mr Chips, Sam Wood, 1939) ».

" Pourquoi pas ? », se dit-il après quelques secondes d’hésitation. « C’est peut-être bien cela la solution. Peut-être qu’un petit bain de mémoire en noir et blanc aurait un effet lénifiant salvateur ».

Il tendit la main dans la direction que lui indiquait son regard et se saisit prudemment de l’objet. Un passage rapide de son mouchoir à carreaux sur les deux faces de l’objet le débarrassa de l’essentiel du dépôt que le temps avait accumulé et le mit en état d’être aussitôt ingurgité dans le vieux lecteur Panasonic qui se mit à vrombir en rembobinant la bande depuis longtemps oubliée.



Affiche Belgique (movieposterdb.com)
Tonton rajusta ses lunettes, son col angora, et sa veste d’intérieur en mohair, avant de se laisser lourdement glisser dans la chaleur douillette de son fauteuil club, face à l’écran qui commençait à émettre un scintillement caractéristique. Une pression nonchalante sur une touche de la télécommande lança la première image en même temps que Tonton posait, l’un par-dessus l’autre, ses deux pieds croisés sur le tabouret molletonné qu’il affectionnait depuis des années.

Le générique défila tranquillement au son d’une douce musique discrètement joyeuse, sur un fond nostalgique de la MGM figurant dans un style de bas-relief un lion de profil couché en une majestueuse posture de sphinx. Puis l’histoire s’ouvrit, par le discours inaugural du recteur d’une traditionnelle école anglaise, les professeurs en toge faisant face sur une estrade à l’ensemble des élèves attentifs, dans leur uniforme, assis sur les bancs du chœur de la chapelle de l’école. En quelques mots plaisants, le recteur signalait la place vide à sa gauche, laissée vacante pour la première fois en 38 ans par le vieux professeur Chipping (Robert Donat) consigné dans ses quartiers sur ordre du médecin de l’école inquiet des conséquences d’un rhume chez un personnage de 83 ans. Pendant que la cérémonie se poursuivait, le vieux professeur, ayant finalement décidé de négliger l’avis médical, se hâtait dans les rues froides quand il y rencontra un jeune élève égaré également en retard. Arrivant tous deux devant la chapelle, la porte close les contint sur son perron, leur permettant de faire connaissance, le jeune enfant légèrement impressionné, et le vieillard en toge à l’œil malicieux. Lorsque les portes s’ouvrirent enfin pour laisser sortir un vol d’élèves turbulents saluant le vieil homme, celui-ci put enfin entrer saluer ses collègues, pour finalement regagner son nid avant le départ de sa gouvernante. Il s’installait à peine dans un confortable fauteuil entre l’âtre crépitant et la table garnie d’un traditionnel gâteau que le sommeil s’invita sur ses paupières, le replongeant dans le souvenir ému de sa vie consacrée à cette école.



Affiche Grande Bretagne (movieposterdb.com)
Le plan suivant entama un long retour sur cette vie dévouée, depuis l’arrivée dans ces murs de Mr Chipping pour son premier poste d’enseignement. Ses premières hésitations, ses premières bourdes, ses maladresses de débutant entre son cours de lettres et les appétits sportifs de ses élèves et de l’école, sa touchante bonne volonté, son isolement timide parmi un corps enseignant déluré, … Sa déception après des années de loyaux services de voir lui échapper le poste de recteur auquel il aspirait, et l’abnégation par laquelle il s’était consolé en se trouvant conforté et reconnu dans sa vocation d’enseignement plutôt que d’administration. Mais cet épisode avait été l’occasion de nouer une amitié avec Staefel (Paul Henreid), le professeur d’allemand qui était venu à son secours et l’avait invité à partager ses vacances consacrées à une traversée du Tyrol à pied. C’est justement durant ce périple que leur chemin croisa celui de deux anglaises parcourant le même trajet à bicyclette, et qu’il tomba amoureux de l’une d’elles, Katherine Ellis (Greer Garson), jusqu’à l’épouser peu après leur retour. Dès la rentrée des classes, il la présenta à ses collègues à la surprise générale, surprise d’autant plus marquée que sa beauté sage n’était pas attendue de l’unique conquête de ce bonnet de nuit gentillet de Chipping. C’est d’ailleurs à elle qu’il dut son surnom de Chips, sobriquet intime qu’elle lui donnait même en public et qui fut vite adopté par toute l’école, élèves et professeurs. Leurs caractères, leur gentillesse naturelle, s’accordaient tant en se complétant qu’elle trouva immédiatement sa place auprès de tous, poussant un Chips finalement heureux de se laisser faire sur la voie d’une convivialité de bon aloi qu’il ne se connaissait pas.

Ainsi s’écoula la vie de Mr Chips parmi les vicissitudes de la vie, la mort de Katherine en couches, la guerre, mais toujours rattrapé et soutenu par la présence de cette école, de ce rôle le professeur attentionné porté au plus haut de sa valeur humaine.



Affiche Espagne (movieposterdb.com)

Lorsque la bande toucha à sa fin, Tonton Sylvain réalisa la présence en lui de cette calme sensation à laquelle il avait aspiré, qui s’était subrepticement insinuée sans qu’il y eût prêté attention jusque là. Plus de trâce de cette agitation tenace qui l’avait tenaillé quelques heures plus tôt. Au contraire, une simple sérénité, une douceur entre le miel et la mélisse. Sans ostentation, sans éclat, sans drame, le baume avait opéré et il se sentait simplement reposé, l’âme à la fois émue et souriante.

Quatre ans avant « Goodbye, Mr Chips », Robert Donat s’était illustré à la fois par une comédie, « The ghost goes west », et en tant que personnage principal d’Hitchcock dans « Les 39 marches ». Joli exemple d’éclectisme. Et il fallait bien reconnaître que, dans ce rôle s’étendant sur toute une vie, il avait bien mérité l’Oscar qui lui avait été décerné pour cette composition. Tout en finesse, en délicatesse, il avait brossé le portrait d’une sorte de Pierrot vaguement lunaire forçant la sympathie. Bien sûr, on était loin d’une crédibilité quelconque, mais qu’il était doux d’imaginer un maître de cette espèce, presque encore un enfant parmi les enfants.

Du coup, Greer Garson y avait gagné un statut d’emblée maternel plus que de compagne. Elle était devenue non pas l’épouse attentive mais l’ancrage terrestre d’un nuage aérien. Elle avait dans le regard ce petit rien qui change tout, ce petit éclat qu’ont les filles qui en savent bien plus qu’elles ne le laissent paraître, qui savent qu’un homme n’est ni un simple enfant à qui il faut faire la leçon ni vraiment un adulte à regarder d’égal à égal, en un mot qu’un homme n’est pas une femme. Non, elles savent qu’un homme se complait dans un rêve d’idéal qu’il ne saurait lui-même nommer, et qu’il faut savoir s’accommoder de ce petit travers dès lors que l’on s’attache à lui. Il faut même savoir l’y précéder sans en avoir l’air et le laisser suivre en lui laissant penser qu’il en a fait le choix. En un regard, Greer Garson avait tout dit, et le reste ne venait que le confirmer. Ce regard, cette composition de « femme comme on en rêve », elle allait bientôt avoir à les remettre en pratique dans les deux épisodes de la série des Miniver (« Mrs Miniver » en 1942 et « L’histoire des Miniver » en 1950) comme dans le « Jules César » de Mankiewicz en 1953.

Paul Henreid, le Victor Laszlo de « Casablanca », n’avait pas le charisme de ses deux collègues mais proposait ici une prestation néanmoins honorable sous les traits de Staefel. Un sympathique faire valoir qui savait les limites de son personnage, qui le cantonnait à un soutien discret mais efficace. Choix de réalisateur ou choix d’acteur ? Mais de fait, Henreid était pour Donat et Garson dans la même attitude que Staefel pour Chips et Katherine.

Justement, la réalisation était sans surprise, coulée dans un classicisme qu’elle avait peut-être même contribué à construire. Un flash back lentement amené, clairement annoncé par le grimage en vieil homme de Donat dont on n’imaginait pas un instant qu’il dusse être conservé tout au long du film, survenant lors de l’endormissement du personnage après une patiente mise en place de tous les codes qui allaient émailler le reste de l’histoire. Des plans encore parfois empreints du souvenir du muet, comme cette scène de permanence surveillée par Chipping durant laquelle on s’attachait fortement aux expressions de son visage devant la déception de ses élèves privés de la compétition sportive dont ils entendaient les échos par la fenêtre ouverte. Les expressions de révolte plus ou moins contenue sur les visages de certains élèves étaient filmées dans la même tonalité. Parallèlement, les expressions ultérieures de Katherine tendaient vers un naturel manifestement recherché. Les évocations de l’histoire de l’école étaient amenées par des focalisations de plan sur une plaque ou une statue dans la continuité d’une scène dans laquelle les personnages introduisaient la référence.

On aurait pu ainsi découper le film plan par plan et en reconstruire une encyclopédie de ce sur quoi un classicisme hollywoodien pouvait être bâti. Sam Wood représentait d’ailleurs bien cela, avec, la même année, sa contribution à la réalisation de « Autant en emporte le vent », monument parmi les monuments. Avec son ouvrage, certes ultérieur, de « Pour qui sonne le glas ». Avec ses mises en scène codifiées de « Un jour aux courses » et de « Une nuit à l’opéra » pour le compte des Marx Brothers.

Mais Tonton Sylvain n’était déjà plus à cet examen. Le sommeil tant attendu avait enfin trouvé le chemin de son repos. La nuit était déjà bien avancée et enfin le calme était revenu et s’était emparé de sa victime consentante qui ne serait reconnaissante qu’au petit matin lorsque le retour de la conscience lui permettrait de saisir le pouvoir captivant et apaisant de ce cinéma de tradition.
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12 novembre 2008

Secret défense

L'arroseur arrosé

Heureusement que Philippe Haïm, le réalisateur de « Secret défense », ne ménage pas sa peine pour expliquer et défendre son film prévu pour sortir le 10 Décembre 2008. C’est vrai qu’une petite séance d’explication publique ne fait jamais de mal, mais là, c’était vraiment un plus de pouvoir relire le film juste après sa projection avec Philippe Haïm en guise de guide, dans une salle privée de chez UGC. Et naturellement, Tonton Sylvain, souvent sur les bons coups, ne s’était pas fait prier pour poser une fesse sur les fauteuils moelleux. Ou plutôt si, il s’était un peu fait prier en voyant qu’il s’agissait d’un film français, cinéma depuis longtemps abonné au grattage de plaie mélancolique sous couvert de hauteur de style ou de pensée profonde ou à la gaudriole. Un vague souvenir que Gérard Lanvin pouvait faire autre chose l’avait finalement emporté, et voilà Tonton embarqué pour l’aventure.


Affiche France (cinemovies.fr)


Le film s’ouvre sur une prostituée pensive sur un lit pendant que son client se rhabille et fixe un rendez-vous pour la prochaine fois. Mais elle lui annonce qu’elle raccroche les gants en même temps qu’elle ôte sa perruque. Le client n’en croit manifestement pas un mot. Fin de la scène. Episode suivant : Diane (Vahina Giocante) étudiante aux Langues Orientales se fait coller à son examen d’arabe malgré sa tentative de se concilier le prof imperturbable qui lui fait rater une occasion de stage rêvée. Elle sort énervée de l’amphi avant de se faire rattraper par un des autres étudiants (Aurélien Wiik) qui lui fait une drague d’enfer jusqu’à se réveiller au petit matin auprès d’elle. Episode suivant : Alex (Gérard Lanvin), le père du jeune homme, débarque dans la soirée qu’ils organisent avec des amis et embauche la fille quasiment de force en lui révélant qu’il connaît son passé de prostituée. Mais le job de représentant en vins du père n’est qu’une couverture et Diane se retrouve enrôlée comme agent des services secrets français, avec entraînement dans une caserne isolée, sous les ordres du père, chef d’opérations, et d’un groupe d’officiers traitants plus ou moins rigides, dont Leïla (Rachida Brakni) et Amed (Mehdi Nebbou). Après la période d’entraînement, Diane se voit propulsée sur le terrain, sur une opération visant à déjouer une tentative d’attentat islamiste ourdie depuis le moyen orient par un dénommé Al Barad (Simon Abkarian).

Parallèlement, Pierre (Nicolas Duvauchelle) est un gamin paumé de banlieue, vivant seul chez sa mère (Catherine Hiegel), vivotant de petits trafics, qui finit par se faire jeter en prison où il se fait mettre le grappin dessus par un groupe de co-détenus musulmans dont la tutelle protectrice le conduit vers la conversion à l’islam. En sortant de prison, Pierre tente de rentrer chez sa mère qui ne supporte plus son attitude et finit par le mettre à la porte. Il est alors prêt pour être pris en main par un groupe islamiste qui finit par l’expédier en Afghanistan dans un camp d’entraînement à l’attentat suicide.

Les deux histoires se raccrochent quand c’est justement Pierre qui est sur le vol vers Paris qui croise celui par lequel l’organisateur de l’attentat accompagné de Diane arrive de Beyrouth à Paris. Un jeu de passe-passe fait arriver la bombe chimique à la ceinture de Pierre qui s’engouffre dans le métro poursuivi par Diane, tandis que le reste des services secrets se charge d’Al Barad. On frôle la catastrophe juste avant le dénouement à tiroirs dans lequel on apprend que même Diane s’était faite manipuler de longue date, depuis même la première scène du film.

Pour une fois, un film français qui pourrait se comparer à un film d’action américain. C’est assez rare pour qu’on veuille bien le saluer. On n’est pas dans l’intimiste, ni dans la parodie. On a une histoire qui se tient, une action qui de déploie, et qu’on arrive à suivre pour l’essentiel. Ca bouge, ça pétarade, ça complote, avec un début, un milieu, et une fin. Ca a l’air basique dit comme ça, mais ce n’est pourtant pas si fréquent de nos jours.

Si en plus le sujet est documenté, validé par toute une flopée d’experts tant du monde des services secrets que de celui de l’islamisme, dont certains apparaissent même au générique, on se dit qu’il n’y a pas grand chose à redire et que la séance valait le déplacement.

C’est alors qu’arrive le doute et la mauvaise conscience : « Je vais quand même pas me contenter de la brosse à reluire » se dit Tonton Sylvain ; « Y’a bien des trucs qui clochent, non ? Juste histoire d’user aussi un peu mon gant de crin ».

Et quand on cherche, on finit par trouver …

D’abord côté interprétation. Gérard Lanvin est certes assez irréprochable en baroudeur buriné manipulateur et taiseux. On pense à Ventura ou à Gabin dans le même rôle et on se dit que la relève est bien assurée. Simon Abkarian est du même tonneau, même si je ne parviens pas à m’habituer à sa coiffure gominée, mais c’est une autre histoire. Mehdi Nebbou, en officier traitant érodé par le doute, est également largement convaincant. Catherine Hiegel, malgré un rôle peu développé, est assez hallucinante de désarroi et de colère tout à la fois.

Le reste du casting, de son côté, ne fait pas dans la dentelle, limité par un surjeu en forme de fausse note. Dans le genre, Rachida Brakni, toute mignonne qu’elle puisse être, en fait des tonnes sur le mode « sans doute et sans peur ». Mais la palme revient sans conteste à Nicolas Duvauchelle, et tant pis si Tonton Sylvain se fait une réputation de vieux croûton imperméable. L’animal sent l’Actor’s Studio à des kilomètres. Quand on aime, c’est Byzance, mais sinon c’est à se taper le front sur le tableau de bord. Qu’est-ce qu’il peut y avoir de crédible dans un personnage illuminé à ce point ? On comprend qu’il arrive rapidement derrière les barreaux. On ne comprend pas comment il en sort vivant ou comment il n’y retourne pas dans la seconde qui suit. Ni comment il parviendrait à survivre simplement quelques minutes dans le monde réel. On revient à des choses plus supportables avec les surprenantes prestations des experts invités au casting, peut-être grâce à leur longue habitude des plateaux télé et à leur connaissance du sujet lui-même.

La réalisation, de son côté, a largement assimilé les codes du genre. Parfois peut-être un peu trop d’ailleurs, et « La mémoire dans la peau » a laissé des séquelles qu’il faudra sans doute longtemps pour effacer : un découpage syncopé, une caméra hystérique, un mixage de plans à la mitrailleuse lourde. L’action est bien là, mais par moments à un point tel qu’elle finit par gommer le but de l’action. On est submergé par un tourbillon frénétique dans lequel on se noie et au milieu duquel on n’a même plus le loisir de se demander où tout cela peut bien aller. Mais à la différence de « La mémoire dans la peau » et de ses congénères, ce genre de péripétie a heureusement une fin qui permet de raccrocher à l’histoire. Il suffit d’attendre que ça passe, pas trop longtemps d’ailleurs, et on retouche la terre ferme.

Quelques effets un peu artificiels et qu’on aurait bien vu dans « OSS 117. Le Caire, nid d’espions » viennent se greffer sur tout ça : une mappe-monde qui tourne à toute allure avant de s’arrêter subitement sur fond d’entretien top secret sous les dorures d’un ministère, un glissement de reflet sur une voiture en gros plan dont c’est le seul indice d’un long trajet, … Mais après tout, cela ne s’intègre pas si mal dans le tableau et peut aussi bien être vu comme une respiration ludique dans une trame générale lourde.

Mais le sujet est ailleurs. Philippe Haïm avoue quatre ans de travail pour réaliser son film. Quatre ans de rencontres, de réflexion, d’apprentissage d’un milieu plus que fermé. Quatre ans de mise en place de contacts, de création de liens avec des professionnels experts pour aboutir à cette histoire symétrique d'un couple manipulateur / manipulé d'une part chez les espions et d'autre part chez les terroristes. Cela se sent, et c’est tant mieux pour la crédibilité. Mais cela manque aussi de réponse à une question élémentaire : comment accorder foi à des experts dont la raison sociale est dans la manipulation ? Comment regarder ce qu’ils veulent bien montrer quand ils nous disent eux-mêmes à quel point ils ne peuvent naviguer que dans les eaux sombres, le mensonge, le faux-semblant. On en revient au paradoxe rencontré en classe de sixième : un Crétois m’a assuré que tous les Crétois sont des menteurs. Comment décider si j’y crois ou pas ? Quelles pouvaient bien être les motivations de ces experts de la manipulation dans l’ombre en annonçant dévoiler leur arrière-boutique ? N’est-on pas dans la manipulation ? Entouré de tous ces experts, Philippe Haïm n’est-il pas, justement, le support d’une histoire qu’on tente de nous faire croire ? Et de quelle histoire pourrait-il bien s’agir ? Allez savoir … Les tiroirs à fonds multiples devenant la règle dans un monde de conspiration, il est permis de douter, de se résoudre à ne rien prendre au pied de la lettre, y compris la parole des « experts ». Même si on ne sait pas bien à quoi cela servirait, et où serait la chausse trappe, la seule leçon évidente est que rien n’est comme il semble être. Et débrouillez vous avec ça !

En attendant, amusons nous, laissons le vertige d’une histoire d’escrocs de haut vol nous distraire un instant. Et ce n’est déjà pas si mal.

Voir aussi l'article de Cinemaniac.fr

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Quantum of solace

Espérons encore dans le Beaujolais

James Bond est de retour. C’est l’automne et revient le temps des feuilles mortes, des marrons chauds, des cache-nez, des bottines en cuir, du cassoulet, des prix littéraires, et du nouveau James Bond. Crise financière ou pas, le monde ne s’arrêtera pas de tourner. D’autant qu’il ne sait rien faire d’autre, le monde, que de tourner. Et James Bond n’arrêtera pas de faire exploser les méchants. D’autant qu’il ne sait rien faire d’autre, James Bond, que de faire exploser les méchants. Autrefois les méchants s’appelaient Curt Jurgens, Christopher Walken, Yaphet Kotto, Michael Lonsdale, Christopher Lee, Max Von Sydow … Maintenant ils s’appellent Mathieu Amalric, mais ça ne change rien. Autrefois ils oeuvraient à la tête d’une organisation du nom de Spectre. Maintenant ils dirigent une organisation du nom de Quantum, mais ça ne change rien. Ils étaient là pour se faire exploser par James Bond. Maintenant ils sont là pour se faire exploser par James Bond. Rien de nouveau sous le soleil, ni sous le vent d’automne.

Affiche France (cinemovies.fr)


Une petite nouveauté avait bien tenté une tête avec l’arrivée du premier James Bond à l’allure d’agent russe, plus slave que nature, sous la couverture d’un dénommé Daniel Craig. Mais bon, la surprise est passée, si ce n’est l’aura animale de l’individu qui n’en manque certes pas aux dires de mes voisines ahanantes d’exaltation. Un an après « Casino Royale » qui avait vu le petit nouveau se faire occire la fiancée, le MI6 se retrouve à devoir maîtriser les appétit vengeurs du Commandeur, pour une suite annoncée comme prenant immédiatement le relais de l’épisode précédent. Ce dernier étant revenu sur la première des aventures du mythique espion, c’est donc pour la suite du début que l’automne de cette année bat le rappel des spectateurs avides d’habitude et de respect de la tradition.

Affiche Russie (cinemovies.fr)

Tout commence par une poursuite en voiture dans un tunnel routier, sur la corniche italienne. Aston Martin contre Alfa Romeo. On ne pouvait plus clair ! Les plans se succèdent à un rythme épileptique jusqu’à, naturellement, ce que le beau Bond (Daniel Craig) se débarrasse de ses poursuivants et atteigne la vieille ville de Sienne où il engouffre son auto délabrée par une porte cochère anonyme et automatique dans un souterrain inattendu au bout duquel il peut livrer le colis qu’il a dans le coffre à quelques coéquipiers menés par l’illustre M (Judi Dench), la cheftaine en chef des baroudeurs de Sa Très Gracieuse. Le colis est sommairement réanimé, ligoté sur quelque tabouret, puis interrogé de dos par M et Bond.


Affiches USA (movieposterdb.com)

On a d’ailleurs droit à l’occasion à la seconde surprise de l’épisode. Il était ainsi de tradition que la scène cascadeuse introductive n’ait que peu de rapport avec le reste de l’action. Foin de tradition ici, et tant pis pour les nostalgiques : il y aura un rapport, et puis c’est tout. C’est le début de l’histoire, qu’on le veuille ou pas. C’est comme ça. Et puisqu’on y est, on réalise à ce propos qu’on avait à peine remarqué la première surprise qu’avait été le générique, toujours aussi psychédéliquement 70 qu’à l’accoutumée, mais sans plus de référence à la grande tradition des génériques de James Bond que la fugace apparition d’un discret disque blanc modèle réduit qui traverse une partie de l’écran. Pour une version plus classique de la chose, il faudra attendre le début du générique de fin, qui retrouvera tous les codes usuels du générique de début du James Bond classique avant de s’effacer sur l’ordinaire litanie des participants à la fabrication du film. Renversant bouleversement que de retrouver le début à la fin ! Y aurait-il un message là dessous ?


Affiche Arménie (movieposterdb.com)


Quoi qu’il en soit, l’interrogatoire de Mr White (Jesper Christensen), puisque c’était lui qui occupait le coffre de l’Aston Martin, tourne à la confusion avec la révélation de l’existence d’un traitre au sein du MI6, vite occis par le beau James après une nouvelle série de cascades poursuiteuses dans le vieux Sienne. A la suite de quoi, M, toute marie de l’attentat auquel elle a échappé de justesse, envoie Bond sur la seule piste que ses services lui indiquent, quelque part en Haïti.



Affiche Chine (movieposterdb.com)



Affiche Honk Kong _________Affiche Taïwan
(movieposterdb.com)

Ci-tôt dit, ci-tôt fait, Bond est sur place, débusque la cible, Mr Slate (Neil Jackson), l’occit dans un excès de précipitation avant de tomber sur la cible que la cible devait elle-même occire, Camille (Olga Kurylenko), une belle brune à la carrière de James Bond Girl toute tracée. M, qui suit les aventures de son poulain depuis les brumes londoniennes, commence un peu à en avoir ras le casque de voir Bond refroidir les pistes à mesure qu’il les approche, et elle commence à le faire savoir. Mais James s’en fiche. C’est lui le héros après tout. Et puis si son attitude lui est reprochée, elle lui est en même temps pardonnée du fait de la colère qui l’habite depuis que Vesper, sa Dulcinée de « Casino Royale », avait été trucidée et qu’il en est resté d’une infinie tristesse bondienne, autant dire dans une froide recherche de vengeance.

Affiche Corée (movieposterdb.com)
Mais revenons en Haïti. Quelques cascades plus tard, juste histoire de ne pas perdre la main, James espionne Camille, qui lui a échappé, alors qu’elle rencontre sur les docks Monsieur Greene (Mathieu Amalric), son amant qui avait décidé de la faire occire par la cible occise par Bond, et alors qu’il la livre à un odieux putschiste bolivien, le Général Medrano (Joaquin Cosio), avec qui il est en affaire. L’odieux avait déjà quelques années plus tôt occis toute la famille de la belle qui rêve manifestement de se venger. Se méprenant et croyant la belle en danger, James se lance dans une série de cascades poursuiteuses nautiques et libère Camille très pas contente qu’il lui ait fait rater son approche de sa cible à elle. Greene en profite pour prendre un avion privé en compagnie de deux agents de la CIA, Felix Leiter (Jeffrey Wright) et son chef, Gregg Beam (David Harbour) qui roule pour lui-même, en direction de l’Autriche. James les suit dans un autre avion et tout le monde se retrouve à une représentation de La Tosca où Greene anime une réunion secrète de Quantum, les participants, oreillette à l’oreille, murmurant leur débat dispersés au milieu de la foule des spectateurs. James met son grain de sel, repère quelques participants, et se lance dans quelques acrobaties. Il laisse sur le carreau un agent des services spéciaux infiltré, ce qui fâche M tout rouge, au point de lui faire couper les vivres à Bond.
Affiche Japon (movieposterdb.com)
James se rabat sur un petit voyage en Italie pour recruter l’aide de Mathis (Giancarlo Giannini) qui le suit alors en Bolivie où il ne tarde pas lui-même à se faire trucider, de même que Mademoiselle Fields (Strawberry Fields d’après le générique de fin) (Gemma Arterton), la représentante de l’ambassade britannique venue à l’aéroport sommer Bond de rentrer au bercail avant de succomber à son charme. Quoi qu’il en soit, nouvelle rencontre de Bond et de Greene, et retrouvailles avec Camille déjà sur place qu’il sauve une nouvelle fois des griffes du chef de Quantum.

Affiche Vietnam (movieposterdb.com)
Quelques cascades aéroportées plus loin, et on comprend enfin au passage le but de Quantum de s’approprier les ressources en eau pour assoiffer les populations et en tirer profit, tout le monde se retrouve au milieu du désert pour la signature de l’accord définitif entre l’odieux général Medrano et Greene, avec grain de sable importé par Bond et Camille, bagarre générale, et explosions à tous les étages.

Affiche Israël (movieposterdb.com)
Une petite scène finale pour raccrocher les wagons avec l’histoire du deuil de Vesper qu’il faut bien clore par une vengeance en bonne et due forme pour qu’on arrive enfin à la fin de ce début de l’épopée du beau Bond, qu’on avait d’ailleurs rarement vu autant couvert d’ecchymoses et de cicatrices dans ses aventures ultérieures antérieurement mises à l’écran (… Ca va ? Ca suit, dans le fond ?), et voilà l’travail !

Affiche Allemagne (movieposterdb.com)
Si l'on en croit le dossier de presse, et Vox Populi, les scènes d'action ont pris une telle place dans cette nouvelle mouture de James Bond que cela tournerait à l'exercice d'école. Autant dire que l'histoire aurait peu d'importance et se limiterait à l'argument d'un lien entre les cascades. Un peu comme la télévision avait pu être décrite il y a quelques années par Patrice Lelay, ex-PDG de Béton TV, comme un moyen de maintenir le téléspectateur captif d'une page de publicité à la suivante. Ce serait néanmoins ne pas faire honneur à la qualité du scénario concocté par Paul Haggis, Robert Wade, et Neal Purvis pour le compte du réalisateur Mark Foster, épaulé du réalisateur en second, Dan Bradley.

Si Mark Foster n'avait jamais tourné une scène d'action plus échevelée que dans « Les cerf-volants de Kaboul », Dan Bradley est un spécialiste du genre, avec une longue carrière de cascadeur et de réalisateur en second sur des productions du genre de la série de Jason Bourne. Drôle d'association, sauf si on se dit que Haggis, compromis dans la réalisation de « Dans la vallée d'Elah », n'est pas Lelay, et qu'il semblait bien y avoir déjà, dès le choix de l'équipe, une volonté de faire de ce Bond là une mixture jouant sur tous les tableaux.

De fait, et comme l'annonçait immédiatement le générique, on se lance ici dans une casse en règle des codes du James Bond, et ce dans la droite ligne de ce qu'avait entamé « Casino Royale ». James Bond était un aristocrate de l'espionnage, pas avare de ses poings, mais jamais décoiffé et toujours tiré à quatre épingles. Un genre de version originale de l'OSS 117 de Jean Dujardin. Il devient ici un bagarreur émérite qui encaisse les coups même s'il finit par l'emporter avec son lot de balafres. Il était macho et collectionneur sans état d'âme. Il devient mû par la passion du deuil et par la vengeance. Il était cynique, drôle, pince sans rire et flegmatique. Il devient touchant, touché, à l'humour rare, impliqué, parfois emporté. Il était dévoué au service de Sa Très Gracieuse, rappliquant au moindre appel de M et dragueur de Moneypenny devant l'Eternel. Il devient franc-tireur, rebelle, sans la moindre idée de qui peut bien être Moneypenny au point qu'elle ne figure même plus au scénario. Il était bardé de gadgets et de technologie loufoque. Il n'a plus d'outil plus sophistiqué qu'un téléphone portable dernier cri. Il affrontait des fous géniaux qui n'avait comme plus simple motivation que le désir d'être Maître du Monde. Il se collète maintenant avec des affairistes retors et sans scrupules. Bref, il était une caricature de bande dessinée, il devient un héros de polar humain évoluant dans un monde complexe, à la recherche, plus que de vengeance, d'un minimum de consolation, littéralement d'un « Quantum of solace ». Les plus taquins ont pu dire d'un « lot de consolation, » mais l'ironie était facile !

C'est-y pas un projet ambitieux, ça, de tirer James de la bande dessinée pour le tirer vers le monde des humains ? On peut se demander si ça valait le coup, si ce n'était justement pas une bonne chose d'avoir conservé un personnage aussi bien formaté depuis tant d'années, si ce n'était justement pas le lot de consolation du spectateur après s'être avalé toute une année de productions bourniennes de pouvoir respirer avec ce gugusse du MI6, son cheptel de potiches miss-monde-like et sa panoplie d'Inspecteur Gadget. Mais après tout, si on accepte l'objectif, on peut reconnaître la difficulté de la tâche, et pourquoi pas la maîtrise de l'ouvrage. Un peu comme on pouvait remarquer la hauteur du défi d'intégrer des scènes porno réelles dans un film classique au motif que cela fait autant partie de la vie que les états d'âme les plus nobles. Le tout était de s'y prendre correctement. Que cela soit une réussite ou pas est un autre débat. Et rien ne dit que toute tentative doive être toujours couronnée de succès. Bref, reconnaissons la tentative, ajoutons qu'on n'y voit pas d'intérêt, et on aura dit l'essentiel sans qu'il soit davantage utile de commenter la réalisation totalement au service de l'objectif.

Au service de cet objectif également, Mathieu Amalric fait de son mieux en méchant d'occasion. Il a le regard torve et la morgue vindicative. Peut-être un peu trop, du reste, pour être parfaitement cohérent avec le peu qui reste du James Bond de pacotilles et de paillettes. Olga Kurylenko est pour l'essentiel assez convaincante si ce n'est quelques regards qui dépassent un peu le crédible (l'expression de surprise impatiente et soulagée à l'approche de Medrano est un grand moment involontaire de rigolade). Daniel Craig et Judi Dench assurent leurs jobs en bons pros qui savent suivre un cahier des charges. Joaquin Cosio fait un Général Medrano sans ambigüité sur ses mauvaises intentions, et complètement inconscient de ce que le nom de son personnage peut évoquer de théâtral pour le public français. Comment le saurait-il, d'ailleurs ? Peut-être seul Amalric était-il conscient de la chose et on peut admirer sa performance de n'avoir pas éclaté de rire à chaque prise, d'autant qu'il devait avoir été mis d'humeur potache par le nom de son personnage à lui, Dominic Greene, un des premiers terroristes Vert (green en grand-breton) du grand écran.

Juste pour le fun, signalons la participation de Oona Chaplin, petite fille de Charlie et homonyme de l'épouse du grand homme, en serveuse d'hôtel malmenée par Medrano, et celle de Guillermo del Toro pour une voix additionnelle qu'on peut s'amuser à découvrir.

Et si en sortant de la projection, on se retrouve vite plongé dans un vent automnal qui pousse irrémédiablement vers une platée de cassoulet, on y va en se disant que le James Bond de cette année est d'une bien curieuse cuvée. Pourvu que le Beaujolais ne se mette pas à avoir un goût de Chardonay, qu'il nous reste au moins ce dernier carré de tradition !
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