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7 décembre 2008

Le plus grand chapiteau du monde (The greatest show on earth)

De la sciure dans les veines

De retour dans son occupation favorite de dépoussiérage de sa mémoire, Tonton Sylvain, ce brave homme, ne pouvait pas rater l'occasion du passage de ce film de 1952 sur son satellite personnel. Une projection un peu nocturne, certes, mais on n'est pas à ça près quand on est investi d'une mission de cette envergure. D'autant que la chose est signée de Cecil B. DeMille, un monument d'Hollywood, et se présente comme une de ces interminables et spectaculaires sagas dont le Maître était coutumier. De plus, avec un Oscar à la clé, Tonton aurait eu bien mauvaise grâce à manquer l'évènement et l'opportunité de compléter sa collection d'avis autorisés. En avant donc pour l'aventure et pour « Sous le plus grand chapiteau du monde », ou « The greatest show on earth » pour les initiés à la langue de Bernard Shaw.

Affiches USA (movieposterdb.com)
L'histoire est assez simple. Un cirque monumental est sur la sellette au départ de sa tournée annuelle à la limite de ses possibilités financières. Mais le directeur, Brad Braden (Charlton Heston), tient bon face aux financiers et la tournée démarre avec l'argument de l'engagement du Grand Sebastian (Cornel Wilde), une vedette du trapèze volant à la réputation sulfureuse. Comme prévu, les dames de la troupe sont en émoi. Néanmoins s'engage une rivalité entre Sebastian et Holly (Betty Hutton), une consœur accessoirement petite amie de Braden, qui se voit retirer par celui-ci la glorieuse piste centrale pour raisons promotionnelles. La compétition tourne au drame quand Sebastian tombe en pleine représentation en tentant une voltige inédite et en sort handicapé d'un bras. Holly en éprouve une telle culpabilité qu'elle s'écarte de Braden pour se rapprocher de Sebastian qu'elle convainc de rester dans le cirque à un poste d'intendance. Parallèlement, Angel (Gloria Grahame) lui dispute alternativement Braden et Sebastian, suscitant la jalousie de son compagnon Klaus (Lyle Bettger), le dresseur d'éléphants pour qui elle officie. C'est justement cette jalousie qui pousse Klaus à participer au braquage de la caisse du cirque, braquage qui causera un spectaculaire accident de train au cours duquel Braden, grièvement blessé, n'est sauvé que par l'intervention de Sebastian et d'un clown (James Stewart) qui se révèle être un chirurgien en fuite, tandis qu'Holly sauve le cirque lui-même en le relevant de ses ruines.

Affiches Australie (movieposterdb.com)

Autant dire que le scénario tient sur un timbre poste, s'appuyant sur des ressorts d'un classicisme éprouvé : une histoire de couples en recomposition sous l'effet du doute et de la culpabilité ; l'honnêteté et la conviction en sa fonction allant jusqu'au sacrifice de soi-même ; la puissance du dépassement de soi et de l'abnégation face à l'adversité ; un petit brin de jalousie et ses conséquences néfastes ; la force des valeurs et des bons sentiments. Pour le piment, on ajoute bien une petite touche d'appât du gain et de mauvais garçons, mais on sent bien que le cœur n'y est pas, qu'il s'agit d'un piment très doux, et que l'essentiel est ailleurs.

Affiches Allemagne (movieposterdb.com)

Même la scène de la catastrophe ferroviaire, toute spectaculaire qu'elle soit, ne parvient pas à dépasser le statut d'intermède autant dramatique que ludique dans une trame d'une autre dimension.

Affiche Belgique (movieposterdb.com)

Il suffit d'ailleurs d'écouter la voix de Cecil B. DeMille en narrateur introduisant la première minute du film pour réaliser où se situe le centre du sujet. Et pour ceux qui n'auraient pas compris, d'observer le casting peuplé d'une myriade d'artistes de cirque dans leurs propres rôles. Tourné sans « les locaux » d'un vrai géant du cirque américain, Ringling Brothers, Barnum and Bailey, et ne manquant jamais de faire apparaître la référence à son identité, alimenté par toute une série d'anecdotes saisies par le réalisateur dont on dit qu'il a préparé son tournage en suivant deux mois de la tournée du vrai Barnum, le film est avant tout une présentation de la magie et du spectacle du cirque. L'histoire n'est qu'un fil conducteur entre des numéros reproduits par leurs auteurs réels. Contrastant avec la réalité de la piste à laquelle se mêlent les comédiens, les vues du public sur les gradins ont quelque chose de figé, l'occasion de fixer quelques attitudes éphémères. On y croise d'ailleurs quelques visages connus qui n'ont d'autre fonction que celle de faire valoir par une apparition de quelques secondes au milieu d'une foule : Bing Crosby, William Boyd, Bob Hope, Diana Lynn, ...

Affiche France (moviepsterdb.com)

Une fois posée cette trame, il ne reste plus dès lors qu'à se laisser emporter ou non par le charme de la présentation, selon sa sensibilité, un œil sur toute une série de performances, un autre sur les coulisses, en suivant distraitement l'histoire qui sert de toile de fond. La qualité des acteurs n'a ainsi finalement que peu d'importance, même si Charlton Heston, dont il s'agit ici du premier rôle principal, et James Stewart, qu'on reconnaît à peine sous son maquillage permanent, sortent du lot. Et il faut bien avouer une certaine dextérité du réalisateur à mêler son histoire conductrice aux numéros de piste. Même si l'histoire est relativement basique, on finit facilement par se prendre au jeu sans réelle frustration ni sentiment de décalage.

Affiches Espagne (movieposterdb.com)

On dira ce qu'on voudra, mais le Hollywood de ces années là, savait prendre un sujet et en faire un spectacle intéressant même à partir d'un support aussi sommaire. Pas de quoi porter au firmament une étoile incandescente à chaque fois, mais de quoi sortir Tonton Sylvain de son lit pour aller rêvasser avec plaisir devant un écran nocturne en tout cas. On peut demander davantage au cinéma, certes, mais on peut tout autant se satisfaire de cette récréation avant de replonger, le coeur apaisé dans des oeuvres plus austères. Et ça, ça ne manque pas ; mais c'est une autre histoire.
Affiche Grande Bretagne (movieposterdb.com)

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4 décembre 2008

Peter Ibbetson

Hathaway, fameux Surréaliste

Etonnant objet que ce film d'Henry Hathaway de 1935 ! A creuser dans les vieilleries, on parvient bien souvent à tomber sur des pépites oubliées dont seuls les spécialistes conservent un souvenir. Mais à ce point, la chose est suffisamment rare pour être soulignée. Des oeuvres touchantes ou amusantes sombrant sous une poussière indue, tout cela est relativement fréquent pour peu qu'on ne craigne pas de se tâcher les manches. Mais à ce niveau d'originalité, voilà qui est peu banal.


Affiche France (wikipedia.fr)

L'histoire est l'adaptation du premier roman de George du Maurier, le grand-père de Daphnée. Elle débute par l'enfance parisienne bourgeoise d'un enfant anglais jusqu'à son rapatriement à Londres dans la famille de sa mère à la mort de celle-ci qui le laisse orphelin. George du Maurier avait lui-même vécu cette enfance parisienne du milieu du 19ème siècle avant de suivre un chemin tout différent de son héros.

Ainsi, le jeune Gogo vit auprès de sa mère malade dans une bucolique banlieue parisienne. La maison mitoyenne est occupée par d'autres anglais, dont la jeune Mimsey, du même âge que lui, avec qui il partage les jeux et les disputes de leur âge. La mort de la mère de Gogo les surprend justement lors d'un de ces différents qui les oppose à propos du partage d'un tas de planches dont chacun veut alimenter son propre projet. Malgré la proposition de la mère de Mimsey d'héberger Gogo, son oncle maternel vient le chercher pour le conduire à Londres sans accepter de voir la déchirure que représente la séparation entre les deux enfants. Gogo doit alors abandonner son surnom, son prénom de Pierre, et jusqu'au patronyme de son père français, pour adopter le nom de jeune fille de sa mère, seule liberté qu'on lui accorde, et devenir Peter Ibbetson.

Quelques années plus tard, Peter (Gary Cooper) est un jeune architecte apprenant son métier dans le cabinet de Mr Slade (Donald Meek) qui, malgré sa cécité, reconnaît en son protégé un talent prometteur. Il reconnaît aussi une faille en ce jeune homme solitaire, une insatisfaction profonde qui le pousse à la démission, laquelle est refusée par Mr Slade qui le pousse à prendre un congé à Paris accepté plus par respect que par enthousiasme.


Affiche USA (notrecinema.com)

Ce voyage est l'occasion d'une rencontre avec Agnès (Ida Lupino), une gardienne de musée, à qui Peter fait visiter les lieux de son enfance. Ainsi, ce qui devait ouvrir les yeux du jeune homme sur les plaisirs qu'il se refusait devient une sorte de pèlerinage ramenant à la conscience de Peter le souvenir de Mimsey et la raison de son insatisfaction permanente.

Dès son retour à Londres, Mr Slade envoie Peter en province, en mission auprès du Duc (John Halliday) et de la Duchesse (Ann Harding) of Towers qui souhaitent l'intervention d'un architecte pour rénover leurs écuries. Il est bien spécifié que ce-dernier, devant séjourner dans leur demeure pour y diriger les travaux, devra être un gentleman.

Il apparaît rapidement que c'est la Duchesse Mary qui est responsable de ce projet, tandis que son mari se consacre essentiellement à l'élevage et au dressage des chevaux. Peter et Mary, dont les idées diffèrent sur le projet, se querellent dès le premier jour, manquant de peu la rupture. C'est finalement lui qui a gain de cause, et les travaux débutent sous sa direction et la supervision de Mary. Leurs personnalités s'apprécient progressivement, se rapprochent, jusqu'à réaliser qu'ils ont curieusement vécu simultanément le même rêve dont ils sont tous deux les acteurs. Peu avant la fin des travaux, le Duc, qui a observé ce rapprochement même platonique, met les pieds dans le plat et somme Mary et Peter de s'expliquer. Lors de la discussion, les deux réalisent qu'ils sont les Mimsey et Gogo de leur enfance que le hasard a fait se retrouver. Peter, tout à son caractère entier, confirme de plus son attachement à Mary. La dispute tourne mal et le Duc est tué avec l'arme dont il visait les jeunes gens.

Peter est arrêté, jugé, et condamné à la prison à vie. Mais du fond de la prison où il survit miraculeusement à une rixe qui le laisse paralysé, et du fond de son château où elle entame une vie de recluse, Peter et Mary réalisent qu'ils peuvent continuer à communiquer et à se retrouver par leurs rêves communs, lesquels peuplent ainsi de plus en plus leur quotidien par un lien dans lequel ils se plongent jusqu'à en faire leur unique raison de vivre, jusqu'à la mort.

Le film est nettement tranché en trois parties séparées par des espaces de plusieurs années résumées en quelques panneaux écrits à l'écran. Chacune des parties est émaillée de rappels en allusions plus ou moins discrètes aux périodes antérieures, par la reprise de quelque dialogue, le retour fugace de quelque personnage secondaire, ou celui de lieux symptomatiques. Ainsi tout un jeu se déroule autour d'un mot d'enfant maugréant « pour toujours », et évoluant tout au long du film en des situations diverses. Ainsi également de la répétition d'un anodin tic verbal d'un personnage de la première partie qui sert de rappel récurrent de l'attention et du souvenir dans la suite de l'histoire. Mais le plus spectaculaire est le basculement, après la mort du Duc, d'un univers de réalité à un univers de rêve ; et particulièrement la façon dont sont traitées ces séquences oniriques, filmées d'une manière à peine différentes et séparées par une transition à peine marquée avec les séquences de réalité, tout cela sans que jamais le doute ne s'installe sur leur nature. L'image est à peine différente sans être pourtant la même. Quelques lueurs nimbées de lumière rasante dans un rare brouillard sont là pour orienter l'attention. Mais encore plus l'évolution travaillée de la lumière : la photographie claire, lumineuse, classique des séquences d'enfance, se transforme progressivement à mesure que le film avance en un jeu d'ombres et de contrastes confinant dans les scènes de prison en une photographie de contrastes purs à la Cocteau ou à la Bunuel. Le retour d'une photographie de pleine lumière, quasiment d'une exposition de film d'aventure et de grands espaces, ne se retrouve plus alors que dans les scènes de rêve les plus heureuses, liant ainsi de manière plus que transparente rêve et enfance heureuse, heureuse jusqu'à la chute brutale de la fin de l'enfance. Le procédé est d'ailleurs annoncé dès la visite de Peter à Paris, retour sur les lieux de l'enfance dans une lumière chaude quasi méridionale.

Le passage au rêve est également marqué par une rupture de cohérence dans les repères d'espace et de temps. Les incohérences, les anachronismes, se multiplient en tout sauf en ce qui concerne les deux rêveurs. Procédé simple et finalement attendu, mais qui s'annonce subrepticement dès la mort du Duc, alors qu'on est en pleine réalité : Mary et Peter, penchés sur le corps sans vie de la victime, sont surpris par les coups, qu'on suppose être l'arrivée des domestiques alertés par la détonation, coups sur une porte qu'on vient de quitter grande ouverte dans le plan précédent ; surpris, ils lèvent le regard dans la direction qu'on imagine être celle du bruit, mais justement à 90 degrés de la direction de la porte. Comment dans un tel souci du détail, une telle erreur, double en l'occurrence, pourrait-elle être autre chose que volontaire et symbolique du tourbillon d'onirisme à venir ? Un exemple de ce luxe de détails qui valide l'impossibilité d'une erreur de ce calibre : le dernier plan filme à distance et presque en ombre chinoise la main tendue vers le ciel de Peter qui s'éteint, dont on distingue à peine qu'il porte au doigt la bague qui sert d'allégorie à la communication onirique qu'il a entretenue avec Mary ; la caméra n'est en rien centrée sur la bague et ce n'est qu'au second visionnage qu'on l'aperçoit, mais une fois qu'elle est repérée, on n'imagine plus que ce plan pouvait avoir un autre but que de la montrer.

Le film fourmille d'ailleurs de détails de cet ordre, de rappels ou d'allusions quasiment subliminaux, dignes des fresques symboliques à la Tennessee Williams de « Soudain l'été dernier » quoique sur un mode moins psychanalytique. Il est ici question d'émotion, de poésie, loin de toute tentation analytique. Hathaway est un lettré, un conteur, qui regarde une oeuvre pour ce qu'elle peut transmettre, pas un torturé qui se sert de l'oeuvre qu'il crée pour s'y regarder et se comprendre lui-même. Et ce qu'il a à dire parle d'un amour fou, du même Amour Fou qui fera écrire André Breton qui verra, et les surréalistes avec lui, « Peter Ibbetson » comme une oeuvre exemplaire de leur sensibilité.

On comprend de plus l'intérêt d'Hathaway, dont on sait la prédilection pour les problématiques bibliques, pour cette histoire. L'ensemble peut en effet être regardé comme une allégorie de la chute, au sens religieux, de l'éviction d'Adam et Eve du Jardin d'Eden, et des affres de leur passage terrestre avant d'en retrouver l'entrée. La chute, sortie brutale de l'enfance insouciante par la disparition de la mère de Gogo, est accompagnée, davantage que par l'intervention d'un médecin, par celle d'une religieuse en prière, par l'appel à un prêtre, par une voisine agenouillée, tandis que Gogo qui était le centre de tous les regards devient subitement presque transparent au regard des autres, sauf à celui de Mimsey dont il est lui-même le seul univers. Et c'est toute leur vie qui consistera dès lors en la reconstruction de ce monde blessé en une entité unique, cristalline, brillante comme le diamant de cette bague dont Peter avoue qu'elle contient tout leur univers. Toute la vie vue comme un voyage chaotique d'un paradis à un autre.

Il serait trop long de poursuivre l'analyse détaillée de tous les recoins de ce film étonnant que les suppléments du DVD de chez Wild Side Video se chargent de largement introduire et commenter. Qu'il s'agisse des choix de distribution, de la mise en perspective dans la carrière du réalisateur ou dans l'histoire des studios, de la qualité du découpage, ... des angles multiples sont empruntés et éclairent abondamment. Juste néanmoins de quoi mettre en appétit. Le décryptage des choix de cadrage, d'une sobriété mais en même temps d'une densité étonnante, reste par exemple dans un silence qui laisse sur sa faim. Un sujet de thèse pour un étudiant en cinéma ? Pourquoi pas !

(Egalement publié sur Cinemaniac.fr)


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20 novembre 2008

Au revoir Mr Chips (Goodbye, Mr Chips)

Du bon usage de l'incrédible

Non pas lassé mais repu pour un temps des espionnageries en tous genres, Tonton Sylvain ne put clore ce soir là sa journée sans une respiration profonde. Les couleurs criardes, les montages hystériques, les caméras épileptiques, n’étaient pas faits pour le genre de calme auquel il aspirait si souvent. Les humeurs plus juvéniles pouvaient bien savoir passer de cette trépidante excitation au sommeil le plus salvateur, Tonton, lui, n’était plus de ce bois là. Il lui fallait des atterrissages plus en douceur, des décompressions plus subtiles. Des choses sucrées aux odeurs de tilleul et de menthe poivrée.



Affiches USA (movieposterdb.com)
Encore sous le coup d’une trouble agitation intérieure, il errait, de son fauteuil à la cuisine, en quête d’un lait chaud, avant de se raviser dans une économie de gestes. Il rodait, du salon à la bibliothèque, la pipe aux lèvres et la moustache en bataille. Mais rien ne semblait vouloir apaiser cette irritante perturbation. Vesper revenait sans cesse hanter ses pensées au milieu de mille détonations rebelles. Son cou dépassait à peine de son pull angora mais le froid persistait à s’insinuer par quelque invisible interstice. Il tentait avec lassitude de détourner encore une fois son attention de ces misères automnales en posant son regard distrait sur l’étagère à sa hauteur de la bibliothèque, quand une cassette poussiéreuse attira sa curiosité. L’étiquette à demi effacée indiquait à l’encre bleue en cursives largement déliées « Au revoir Mr Chips ! ». Une seconde ligne, en plus petits caractères, continuait : « Goodbye, Mr Chips, Sam Wood, 1939) ».

" Pourquoi pas ? », se dit-il après quelques secondes d’hésitation. « C’est peut-être bien cela la solution. Peut-être qu’un petit bain de mémoire en noir et blanc aurait un effet lénifiant salvateur ».

Il tendit la main dans la direction que lui indiquait son regard et se saisit prudemment de l’objet. Un passage rapide de son mouchoir à carreaux sur les deux faces de l’objet le débarrassa de l’essentiel du dépôt que le temps avait accumulé et le mit en état d’être aussitôt ingurgité dans le vieux lecteur Panasonic qui se mit à vrombir en rembobinant la bande depuis longtemps oubliée.



Affiche Belgique (movieposterdb.com)
Tonton rajusta ses lunettes, son col angora, et sa veste d’intérieur en mohair, avant de se laisser lourdement glisser dans la chaleur douillette de son fauteuil club, face à l’écran qui commençait à émettre un scintillement caractéristique. Une pression nonchalante sur une touche de la télécommande lança la première image en même temps que Tonton posait, l’un par-dessus l’autre, ses deux pieds croisés sur le tabouret molletonné qu’il affectionnait depuis des années.

Le générique défila tranquillement au son d’une douce musique discrètement joyeuse, sur un fond nostalgique de la MGM figurant dans un style de bas-relief un lion de profil couché en une majestueuse posture de sphinx. Puis l’histoire s’ouvrit, par le discours inaugural du recteur d’une traditionnelle école anglaise, les professeurs en toge faisant face sur une estrade à l’ensemble des élèves attentifs, dans leur uniforme, assis sur les bancs du chœur de la chapelle de l’école. En quelques mots plaisants, le recteur signalait la place vide à sa gauche, laissée vacante pour la première fois en 38 ans par le vieux professeur Chipping (Robert Donat) consigné dans ses quartiers sur ordre du médecin de l’école inquiet des conséquences d’un rhume chez un personnage de 83 ans. Pendant que la cérémonie se poursuivait, le vieux professeur, ayant finalement décidé de négliger l’avis médical, se hâtait dans les rues froides quand il y rencontra un jeune élève égaré également en retard. Arrivant tous deux devant la chapelle, la porte close les contint sur son perron, leur permettant de faire connaissance, le jeune enfant légèrement impressionné, et le vieillard en toge à l’œil malicieux. Lorsque les portes s’ouvrirent enfin pour laisser sortir un vol d’élèves turbulents saluant le vieil homme, celui-ci put enfin entrer saluer ses collègues, pour finalement regagner son nid avant le départ de sa gouvernante. Il s’installait à peine dans un confortable fauteuil entre l’âtre crépitant et la table garnie d’un traditionnel gâteau que le sommeil s’invita sur ses paupières, le replongeant dans le souvenir ému de sa vie consacrée à cette école.



Affiche Grande Bretagne (movieposterdb.com)
Le plan suivant entama un long retour sur cette vie dévouée, depuis l’arrivée dans ces murs de Mr Chipping pour son premier poste d’enseignement. Ses premières hésitations, ses premières bourdes, ses maladresses de débutant entre son cours de lettres et les appétits sportifs de ses élèves et de l’école, sa touchante bonne volonté, son isolement timide parmi un corps enseignant déluré, … Sa déception après des années de loyaux services de voir lui échapper le poste de recteur auquel il aspirait, et l’abnégation par laquelle il s’était consolé en se trouvant conforté et reconnu dans sa vocation d’enseignement plutôt que d’administration. Mais cet épisode avait été l’occasion de nouer une amitié avec Staefel (Paul Henreid), le professeur d’allemand qui était venu à son secours et l’avait invité à partager ses vacances consacrées à une traversée du Tyrol à pied. C’est justement durant ce périple que leur chemin croisa celui de deux anglaises parcourant le même trajet à bicyclette, et qu’il tomba amoureux de l’une d’elles, Katherine Ellis (Greer Garson), jusqu’à l’épouser peu après leur retour. Dès la rentrée des classes, il la présenta à ses collègues à la surprise générale, surprise d’autant plus marquée que sa beauté sage n’était pas attendue de l’unique conquête de ce bonnet de nuit gentillet de Chipping. C’est d’ailleurs à elle qu’il dut son surnom de Chips, sobriquet intime qu’elle lui donnait même en public et qui fut vite adopté par toute l’école, élèves et professeurs. Leurs caractères, leur gentillesse naturelle, s’accordaient tant en se complétant qu’elle trouva immédiatement sa place auprès de tous, poussant un Chips finalement heureux de se laisser faire sur la voie d’une convivialité de bon aloi qu’il ne se connaissait pas.

Ainsi s’écoula la vie de Mr Chips parmi les vicissitudes de la vie, la mort de Katherine en couches, la guerre, mais toujours rattrapé et soutenu par la présence de cette école, de ce rôle le professeur attentionné porté au plus haut de sa valeur humaine.



Affiche Espagne (movieposterdb.com)

Lorsque la bande toucha à sa fin, Tonton Sylvain réalisa la présence en lui de cette calme sensation à laquelle il avait aspiré, qui s’était subrepticement insinuée sans qu’il y eût prêté attention jusque là. Plus de trâce de cette agitation tenace qui l’avait tenaillé quelques heures plus tôt. Au contraire, une simple sérénité, une douceur entre le miel et la mélisse. Sans ostentation, sans éclat, sans drame, le baume avait opéré et il se sentait simplement reposé, l’âme à la fois émue et souriante.

Quatre ans avant « Goodbye, Mr Chips », Robert Donat s’était illustré à la fois par une comédie, « The ghost goes west », et en tant que personnage principal d’Hitchcock dans « Les 39 marches ». Joli exemple d’éclectisme. Et il fallait bien reconnaître que, dans ce rôle s’étendant sur toute une vie, il avait bien mérité l’Oscar qui lui avait été décerné pour cette composition. Tout en finesse, en délicatesse, il avait brossé le portrait d’une sorte de Pierrot vaguement lunaire forçant la sympathie. Bien sûr, on était loin d’une crédibilité quelconque, mais qu’il était doux d’imaginer un maître de cette espèce, presque encore un enfant parmi les enfants.

Du coup, Greer Garson y avait gagné un statut d’emblée maternel plus que de compagne. Elle était devenue non pas l’épouse attentive mais l’ancrage terrestre d’un nuage aérien. Elle avait dans le regard ce petit rien qui change tout, ce petit éclat qu’ont les filles qui en savent bien plus qu’elles ne le laissent paraître, qui savent qu’un homme n’est ni un simple enfant à qui il faut faire la leçon ni vraiment un adulte à regarder d’égal à égal, en un mot qu’un homme n’est pas une femme. Non, elles savent qu’un homme se complait dans un rêve d’idéal qu’il ne saurait lui-même nommer, et qu’il faut savoir s’accommoder de ce petit travers dès lors que l’on s’attache à lui. Il faut même savoir l’y précéder sans en avoir l’air et le laisser suivre en lui laissant penser qu’il en a fait le choix. En un regard, Greer Garson avait tout dit, et le reste ne venait que le confirmer. Ce regard, cette composition de « femme comme on en rêve », elle allait bientôt avoir à les remettre en pratique dans les deux épisodes de la série des Miniver (« Mrs Miniver » en 1942 et « L’histoire des Miniver » en 1950) comme dans le « Jules César » de Mankiewicz en 1953.

Paul Henreid, le Victor Laszlo de « Casablanca », n’avait pas le charisme de ses deux collègues mais proposait ici une prestation néanmoins honorable sous les traits de Staefel. Un sympathique faire valoir qui savait les limites de son personnage, qui le cantonnait à un soutien discret mais efficace. Choix de réalisateur ou choix d’acteur ? Mais de fait, Henreid était pour Donat et Garson dans la même attitude que Staefel pour Chips et Katherine.

Justement, la réalisation était sans surprise, coulée dans un classicisme qu’elle avait peut-être même contribué à construire. Un flash back lentement amené, clairement annoncé par le grimage en vieil homme de Donat dont on n’imaginait pas un instant qu’il dusse être conservé tout au long du film, survenant lors de l’endormissement du personnage après une patiente mise en place de tous les codes qui allaient émailler le reste de l’histoire. Des plans encore parfois empreints du souvenir du muet, comme cette scène de permanence surveillée par Chipping durant laquelle on s’attachait fortement aux expressions de son visage devant la déception de ses élèves privés de la compétition sportive dont ils entendaient les échos par la fenêtre ouverte. Les expressions de révolte plus ou moins contenue sur les visages de certains élèves étaient filmées dans la même tonalité. Parallèlement, les expressions ultérieures de Katherine tendaient vers un naturel manifestement recherché. Les évocations de l’histoire de l’école étaient amenées par des focalisations de plan sur une plaque ou une statue dans la continuité d’une scène dans laquelle les personnages introduisaient la référence.

On aurait pu ainsi découper le film plan par plan et en reconstruire une encyclopédie de ce sur quoi un classicisme hollywoodien pouvait être bâti. Sam Wood représentait d’ailleurs bien cela, avec, la même année, sa contribution à la réalisation de « Autant en emporte le vent », monument parmi les monuments. Avec son ouvrage, certes ultérieur, de « Pour qui sonne le glas ». Avec ses mises en scène codifiées de « Un jour aux courses » et de « Une nuit à l’opéra » pour le compte des Marx Brothers.

Mais Tonton Sylvain n’était déjà plus à cet examen. Le sommeil tant attendu avait enfin trouvé le chemin de son repos. La nuit était déjà bien avancée et enfin le calme était revenu et s’était emparé de sa victime consentante qui ne serait reconnaissante qu’au petit matin lorsque le retour de la conscience lui permettrait de saisir le pouvoir captivant et apaisant de ce cinéma de tradition.
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12 novembre 2008

Secret défense

L'arroseur arrosé

Heureusement que Philippe Haïm, le réalisateur de « Secret défense », ne ménage pas sa peine pour expliquer et défendre son film prévu pour sortir le 10 Décembre 2008. C’est vrai qu’une petite séance d’explication publique ne fait jamais de mal, mais là, c’était vraiment un plus de pouvoir relire le film juste après sa projection avec Philippe Haïm en guise de guide, dans une salle privée de chez UGC. Et naturellement, Tonton Sylvain, souvent sur les bons coups, ne s’était pas fait prier pour poser une fesse sur les fauteuils moelleux. Ou plutôt si, il s’était un peu fait prier en voyant qu’il s’agissait d’un film français, cinéma depuis longtemps abonné au grattage de plaie mélancolique sous couvert de hauteur de style ou de pensée profonde ou à la gaudriole. Un vague souvenir que Gérard Lanvin pouvait faire autre chose l’avait finalement emporté, et voilà Tonton embarqué pour l’aventure.


Affiche France (cinemovies.fr)


Le film s’ouvre sur une prostituée pensive sur un lit pendant que son client se rhabille et fixe un rendez-vous pour la prochaine fois. Mais elle lui annonce qu’elle raccroche les gants en même temps qu’elle ôte sa perruque. Le client n’en croit manifestement pas un mot. Fin de la scène. Episode suivant : Diane (Vahina Giocante) étudiante aux Langues Orientales se fait coller à son examen d’arabe malgré sa tentative de se concilier le prof imperturbable qui lui fait rater une occasion de stage rêvée. Elle sort énervée de l’amphi avant de se faire rattraper par un des autres étudiants (Aurélien Wiik) qui lui fait une drague d’enfer jusqu’à se réveiller au petit matin auprès d’elle. Episode suivant : Alex (Gérard Lanvin), le père du jeune homme, débarque dans la soirée qu’ils organisent avec des amis et embauche la fille quasiment de force en lui révélant qu’il connaît son passé de prostituée. Mais le job de représentant en vins du père n’est qu’une couverture et Diane se retrouve enrôlée comme agent des services secrets français, avec entraînement dans une caserne isolée, sous les ordres du père, chef d’opérations, et d’un groupe d’officiers traitants plus ou moins rigides, dont Leïla (Rachida Brakni) et Amed (Mehdi Nebbou). Après la période d’entraînement, Diane se voit propulsée sur le terrain, sur une opération visant à déjouer une tentative d’attentat islamiste ourdie depuis le moyen orient par un dénommé Al Barad (Simon Abkarian).

Parallèlement, Pierre (Nicolas Duvauchelle) est un gamin paumé de banlieue, vivant seul chez sa mère (Catherine Hiegel), vivotant de petits trafics, qui finit par se faire jeter en prison où il se fait mettre le grappin dessus par un groupe de co-détenus musulmans dont la tutelle protectrice le conduit vers la conversion à l’islam. En sortant de prison, Pierre tente de rentrer chez sa mère qui ne supporte plus son attitude et finit par le mettre à la porte. Il est alors prêt pour être pris en main par un groupe islamiste qui finit par l’expédier en Afghanistan dans un camp d’entraînement à l’attentat suicide.

Les deux histoires se raccrochent quand c’est justement Pierre qui est sur le vol vers Paris qui croise celui par lequel l’organisateur de l’attentat accompagné de Diane arrive de Beyrouth à Paris. Un jeu de passe-passe fait arriver la bombe chimique à la ceinture de Pierre qui s’engouffre dans le métro poursuivi par Diane, tandis que le reste des services secrets se charge d’Al Barad. On frôle la catastrophe juste avant le dénouement à tiroirs dans lequel on apprend que même Diane s’était faite manipuler de longue date, depuis même la première scène du film.

Pour une fois, un film français qui pourrait se comparer à un film d’action américain. C’est assez rare pour qu’on veuille bien le saluer. On n’est pas dans l’intimiste, ni dans la parodie. On a une histoire qui se tient, une action qui de déploie, et qu’on arrive à suivre pour l’essentiel. Ca bouge, ça pétarade, ça complote, avec un début, un milieu, et une fin. Ca a l’air basique dit comme ça, mais ce n’est pourtant pas si fréquent de nos jours.

Si en plus le sujet est documenté, validé par toute une flopée d’experts tant du monde des services secrets que de celui de l’islamisme, dont certains apparaissent même au générique, on se dit qu’il n’y a pas grand chose à redire et que la séance valait le déplacement.

C’est alors qu’arrive le doute et la mauvaise conscience : « Je vais quand même pas me contenter de la brosse à reluire » se dit Tonton Sylvain ; « Y’a bien des trucs qui clochent, non ? Juste histoire d’user aussi un peu mon gant de crin ».

Et quand on cherche, on finit par trouver …

D’abord côté interprétation. Gérard Lanvin est certes assez irréprochable en baroudeur buriné manipulateur et taiseux. On pense à Ventura ou à Gabin dans le même rôle et on se dit que la relève est bien assurée. Simon Abkarian est du même tonneau, même si je ne parviens pas à m’habituer à sa coiffure gominée, mais c’est une autre histoire. Mehdi Nebbou, en officier traitant érodé par le doute, est également largement convaincant. Catherine Hiegel, malgré un rôle peu développé, est assez hallucinante de désarroi et de colère tout à la fois.

Le reste du casting, de son côté, ne fait pas dans la dentelle, limité par un surjeu en forme de fausse note. Dans le genre, Rachida Brakni, toute mignonne qu’elle puisse être, en fait des tonnes sur le mode « sans doute et sans peur ». Mais la palme revient sans conteste à Nicolas Duvauchelle, et tant pis si Tonton Sylvain se fait une réputation de vieux croûton imperméable. L’animal sent l’Actor’s Studio à des kilomètres. Quand on aime, c’est Byzance, mais sinon c’est à se taper le front sur le tableau de bord. Qu’est-ce qu’il peut y avoir de crédible dans un personnage illuminé à ce point ? On comprend qu’il arrive rapidement derrière les barreaux. On ne comprend pas comment il en sort vivant ou comment il n’y retourne pas dans la seconde qui suit. Ni comment il parviendrait à survivre simplement quelques minutes dans le monde réel. On revient à des choses plus supportables avec les surprenantes prestations des experts invités au casting, peut-être grâce à leur longue habitude des plateaux télé et à leur connaissance du sujet lui-même.

La réalisation, de son côté, a largement assimilé les codes du genre. Parfois peut-être un peu trop d’ailleurs, et « La mémoire dans la peau » a laissé des séquelles qu’il faudra sans doute longtemps pour effacer : un découpage syncopé, une caméra hystérique, un mixage de plans à la mitrailleuse lourde. L’action est bien là, mais par moments à un point tel qu’elle finit par gommer le but de l’action. On est submergé par un tourbillon frénétique dans lequel on se noie et au milieu duquel on n’a même plus le loisir de se demander où tout cela peut bien aller. Mais à la différence de « La mémoire dans la peau » et de ses congénères, ce genre de péripétie a heureusement une fin qui permet de raccrocher à l’histoire. Il suffit d’attendre que ça passe, pas trop longtemps d’ailleurs, et on retouche la terre ferme.

Quelques effets un peu artificiels et qu’on aurait bien vu dans « OSS 117. Le Caire, nid d’espions » viennent se greffer sur tout ça : une mappe-monde qui tourne à toute allure avant de s’arrêter subitement sur fond d’entretien top secret sous les dorures d’un ministère, un glissement de reflet sur une voiture en gros plan dont c’est le seul indice d’un long trajet, … Mais après tout, cela ne s’intègre pas si mal dans le tableau et peut aussi bien être vu comme une respiration ludique dans une trame générale lourde.

Mais le sujet est ailleurs. Philippe Haïm avoue quatre ans de travail pour réaliser son film. Quatre ans de rencontres, de réflexion, d’apprentissage d’un milieu plus que fermé. Quatre ans de mise en place de contacts, de création de liens avec des professionnels experts pour aboutir à cette histoire symétrique d'un couple manipulateur / manipulé d'une part chez les espions et d'autre part chez les terroristes. Cela se sent, et c’est tant mieux pour la crédibilité. Mais cela manque aussi de réponse à une question élémentaire : comment accorder foi à des experts dont la raison sociale est dans la manipulation ? Comment regarder ce qu’ils veulent bien montrer quand ils nous disent eux-mêmes à quel point ils ne peuvent naviguer que dans les eaux sombres, le mensonge, le faux-semblant. On en revient au paradoxe rencontré en classe de sixième : un Crétois m’a assuré que tous les Crétois sont des menteurs. Comment décider si j’y crois ou pas ? Quelles pouvaient bien être les motivations de ces experts de la manipulation dans l’ombre en annonçant dévoiler leur arrière-boutique ? N’est-on pas dans la manipulation ? Entouré de tous ces experts, Philippe Haïm n’est-il pas, justement, le support d’une histoire qu’on tente de nous faire croire ? Et de quelle histoire pourrait-il bien s’agir ? Allez savoir … Les tiroirs à fonds multiples devenant la règle dans un monde de conspiration, il est permis de douter, de se résoudre à ne rien prendre au pied de la lettre, y compris la parole des « experts ». Même si on ne sait pas bien à quoi cela servirait, et où serait la chausse trappe, la seule leçon évidente est que rien n’est comme il semble être. Et débrouillez vous avec ça !

En attendant, amusons nous, laissons le vertige d’une histoire d’escrocs de haut vol nous distraire un instant. Et ce n’est déjà pas si mal.

Voir aussi l'article de Cinemaniac.fr

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Quantum of solace

Espérons encore dans le Beaujolais

James Bond est de retour. C’est l’automne et revient le temps des feuilles mortes, des marrons chauds, des cache-nez, des bottines en cuir, du cassoulet, des prix littéraires, et du nouveau James Bond. Crise financière ou pas, le monde ne s’arrêtera pas de tourner. D’autant qu’il ne sait rien faire d’autre, le monde, que de tourner. Et James Bond n’arrêtera pas de faire exploser les méchants. D’autant qu’il ne sait rien faire d’autre, James Bond, que de faire exploser les méchants. Autrefois les méchants s’appelaient Curt Jurgens, Christopher Walken, Yaphet Kotto, Michael Lonsdale, Christopher Lee, Max Von Sydow … Maintenant ils s’appellent Mathieu Amalric, mais ça ne change rien. Autrefois ils oeuvraient à la tête d’une organisation du nom de Spectre. Maintenant ils dirigent une organisation du nom de Quantum, mais ça ne change rien. Ils étaient là pour se faire exploser par James Bond. Maintenant ils sont là pour se faire exploser par James Bond. Rien de nouveau sous le soleil, ni sous le vent d’automne.

Affiche France (cinemovies.fr)


Une petite nouveauté avait bien tenté une tête avec l’arrivée du premier James Bond à l’allure d’agent russe, plus slave que nature, sous la couverture d’un dénommé Daniel Craig. Mais bon, la surprise est passée, si ce n’est l’aura animale de l’individu qui n’en manque certes pas aux dires de mes voisines ahanantes d’exaltation. Un an après « Casino Royale » qui avait vu le petit nouveau se faire occire la fiancée, le MI6 se retrouve à devoir maîtriser les appétit vengeurs du Commandeur, pour une suite annoncée comme prenant immédiatement le relais de l’épisode précédent. Ce dernier étant revenu sur la première des aventures du mythique espion, c’est donc pour la suite du début que l’automne de cette année bat le rappel des spectateurs avides d’habitude et de respect de la tradition.

Affiche Russie (cinemovies.fr)

Tout commence par une poursuite en voiture dans un tunnel routier, sur la corniche italienne. Aston Martin contre Alfa Romeo. On ne pouvait plus clair ! Les plans se succèdent à un rythme épileptique jusqu’à, naturellement, ce que le beau Bond (Daniel Craig) se débarrasse de ses poursuivants et atteigne la vieille ville de Sienne où il engouffre son auto délabrée par une porte cochère anonyme et automatique dans un souterrain inattendu au bout duquel il peut livrer le colis qu’il a dans le coffre à quelques coéquipiers menés par l’illustre M (Judi Dench), la cheftaine en chef des baroudeurs de Sa Très Gracieuse. Le colis est sommairement réanimé, ligoté sur quelque tabouret, puis interrogé de dos par M et Bond.


Affiches USA (movieposterdb.com)

On a d’ailleurs droit à l’occasion à la seconde surprise de l’épisode. Il était ainsi de tradition que la scène cascadeuse introductive n’ait que peu de rapport avec le reste de l’action. Foin de tradition ici, et tant pis pour les nostalgiques : il y aura un rapport, et puis c’est tout. C’est le début de l’histoire, qu’on le veuille ou pas. C’est comme ça. Et puisqu’on y est, on réalise à ce propos qu’on avait à peine remarqué la première surprise qu’avait été le générique, toujours aussi psychédéliquement 70 qu’à l’accoutumée, mais sans plus de référence à la grande tradition des génériques de James Bond que la fugace apparition d’un discret disque blanc modèle réduit qui traverse une partie de l’écran. Pour une version plus classique de la chose, il faudra attendre le début du générique de fin, qui retrouvera tous les codes usuels du générique de début du James Bond classique avant de s’effacer sur l’ordinaire litanie des participants à la fabrication du film. Renversant bouleversement que de retrouver le début à la fin ! Y aurait-il un message là dessous ?


Affiche Arménie (movieposterdb.com)


Quoi qu’il en soit, l’interrogatoire de Mr White (Jesper Christensen), puisque c’était lui qui occupait le coffre de l’Aston Martin, tourne à la confusion avec la révélation de l’existence d’un traitre au sein du MI6, vite occis par le beau James après une nouvelle série de cascades poursuiteuses dans le vieux Sienne. A la suite de quoi, M, toute marie de l’attentat auquel elle a échappé de justesse, envoie Bond sur la seule piste que ses services lui indiquent, quelque part en Haïti.



Affiche Chine (movieposterdb.com)



Affiche Honk Kong _________Affiche Taïwan
(movieposterdb.com)

Ci-tôt dit, ci-tôt fait, Bond est sur place, débusque la cible, Mr Slate (Neil Jackson), l’occit dans un excès de précipitation avant de tomber sur la cible que la cible devait elle-même occire, Camille (Olga Kurylenko), une belle brune à la carrière de James Bond Girl toute tracée. M, qui suit les aventures de son poulain depuis les brumes londoniennes, commence un peu à en avoir ras le casque de voir Bond refroidir les pistes à mesure qu’il les approche, et elle commence à le faire savoir. Mais James s’en fiche. C’est lui le héros après tout. Et puis si son attitude lui est reprochée, elle lui est en même temps pardonnée du fait de la colère qui l’habite depuis que Vesper, sa Dulcinée de « Casino Royale », avait été trucidée et qu’il en est resté d’une infinie tristesse bondienne, autant dire dans une froide recherche de vengeance.

Affiche Corée (movieposterdb.com)
Mais revenons en Haïti. Quelques cascades plus tard, juste histoire de ne pas perdre la main, James espionne Camille, qui lui a échappé, alors qu’elle rencontre sur les docks Monsieur Greene (Mathieu Amalric), son amant qui avait décidé de la faire occire par la cible occise par Bond, et alors qu’il la livre à un odieux putschiste bolivien, le Général Medrano (Joaquin Cosio), avec qui il est en affaire. L’odieux avait déjà quelques années plus tôt occis toute la famille de la belle qui rêve manifestement de se venger. Se méprenant et croyant la belle en danger, James se lance dans une série de cascades poursuiteuses nautiques et libère Camille très pas contente qu’il lui ait fait rater son approche de sa cible à elle. Greene en profite pour prendre un avion privé en compagnie de deux agents de la CIA, Felix Leiter (Jeffrey Wright) et son chef, Gregg Beam (David Harbour) qui roule pour lui-même, en direction de l’Autriche. James les suit dans un autre avion et tout le monde se retrouve à une représentation de La Tosca où Greene anime une réunion secrète de Quantum, les participants, oreillette à l’oreille, murmurant leur débat dispersés au milieu de la foule des spectateurs. James met son grain de sel, repère quelques participants, et se lance dans quelques acrobaties. Il laisse sur le carreau un agent des services spéciaux infiltré, ce qui fâche M tout rouge, au point de lui faire couper les vivres à Bond.
Affiche Japon (movieposterdb.com)
James se rabat sur un petit voyage en Italie pour recruter l’aide de Mathis (Giancarlo Giannini) qui le suit alors en Bolivie où il ne tarde pas lui-même à se faire trucider, de même que Mademoiselle Fields (Strawberry Fields d’après le générique de fin) (Gemma Arterton), la représentante de l’ambassade britannique venue à l’aéroport sommer Bond de rentrer au bercail avant de succomber à son charme. Quoi qu’il en soit, nouvelle rencontre de Bond et de Greene, et retrouvailles avec Camille déjà sur place qu’il sauve une nouvelle fois des griffes du chef de Quantum.

Affiche Vietnam (movieposterdb.com)
Quelques cascades aéroportées plus loin, et on comprend enfin au passage le but de Quantum de s’approprier les ressources en eau pour assoiffer les populations et en tirer profit, tout le monde se retrouve au milieu du désert pour la signature de l’accord définitif entre l’odieux général Medrano et Greene, avec grain de sable importé par Bond et Camille, bagarre générale, et explosions à tous les étages.

Affiche Israël (movieposterdb.com)
Une petite scène finale pour raccrocher les wagons avec l’histoire du deuil de Vesper qu’il faut bien clore par une vengeance en bonne et due forme pour qu’on arrive enfin à la fin de ce début de l’épopée du beau Bond, qu’on avait d’ailleurs rarement vu autant couvert d’ecchymoses et de cicatrices dans ses aventures ultérieures antérieurement mises à l’écran (… Ca va ? Ca suit, dans le fond ?), et voilà l’travail !

Affiche Allemagne (movieposterdb.com)
Si l'on en croit le dossier de presse, et Vox Populi, les scènes d'action ont pris une telle place dans cette nouvelle mouture de James Bond que cela tournerait à l'exercice d'école. Autant dire que l'histoire aurait peu d'importance et se limiterait à l'argument d'un lien entre les cascades. Un peu comme la télévision avait pu être décrite il y a quelques années par Patrice Lelay, ex-PDG de Béton TV, comme un moyen de maintenir le téléspectateur captif d'une page de publicité à la suivante. Ce serait néanmoins ne pas faire honneur à la qualité du scénario concocté par Paul Haggis, Robert Wade, et Neal Purvis pour le compte du réalisateur Mark Foster, épaulé du réalisateur en second, Dan Bradley.

Si Mark Foster n'avait jamais tourné une scène d'action plus échevelée que dans « Les cerf-volants de Kaboul », Dan Bradley est un spécialiste du genre, avec une longue carrière de cascadeur et de réalisateur en second sur des productions du genre de la série de Jason Bourne. Drôle d'association, sauf si on se dit que Haggis, compromis dans la réalisation de « Dans la vallée d'Elah », n'est pas Lelay, et qu'il semblait bien y avoir déjà, dès le choix de l'équipe, une volonté de faire de ce Bond là une mixture jouant sur tous les tableaux.

De fait, et comme l'annonçait immédiatement le générique, on se lance ici dans une casse en règle des codes du James Bond, et ce dans la droite ligne de ce qu'avait entamé « Casino Royale ». James Bond était un aristocrate de l'espionnage, pas avare de ses poings, mais jamais décoiffé et toujours tiré à quatre épingles. Un genre de version originale de l'OSS 117 de Jean Dujardin. Il devient ici un bagarreur émérite qui encaisse les coups même s'il finit par l'emporter avec son lot de balafres. Il était macho et collectionneur sans état d'âme. Il devient mû par la passion du deuil et par la vengeance. Il était cynique, drôle, pince sans rire et flegmatique. Il devient touchant, touché, à l'humour rare, impliqué, parfois emporté. Il était dévoué au service de Sa Très Gracieuse, rappliquant au moindre appel de M et dragueur de Moneypenny devant l'Eternel. Il devient franc-tireur, rebelle, sans la moindre idée de qui peut bien être Moneypenny au point qu'elle ne figure même plus au scénario. Il était bardé de gadgets et de technologie loufoque. Il n'a plus d'outil plus sophistiqué qu'un téléphone portable dernier cri. Il affrontait des fous géniaux qui n'avait comme plus simple motivation que le désir d'être Maître du Monde. Il se collète maintenant avec des affairistes retors et sans scrupules. Bref, il était une caricature de bande dessinée, il devient un héros de polar humain évoluant dans un monde complexe, à la recherche, plus que de vengeance, d'un minimum de consolation, littéralement d'un « Quantum of solace ». Les plus taquins ont pu dire d'un « lot de consolation, » mais l'ironie était facile !

C'est-y pas un projet ambitieux, ça, de tirer James de la bande dessinée pour le tirer vers le monde des humains ? On peut se demander si ça valait le coup, si ce n'était justement pas une bonne chose d'avoir conservé un personnage aussi bien formaté depuis tant d'années, si ce n'était justement pas le lot de consolation du spectateur après s'être avalé toute une année de productions bourniennes de pouvoir respirer avec ce gugusse du MI6, son cheptel de potiches miss-monde-like et sa panoplie d'Inspecteur Gadget. Mais après tout, si on accepte l'objectif, on peut reconnaître la difficulté de la tâche, et pourquoi pas la maîtrise de l'ouvrage. Un peu comme on pouvait remarquer la hauteur du défi d'intégrer des scènes porno réelles dans un film classique au motif que cela fait autant partie de la vie que les états d'âme les plus nobles. Le tout était de s'y prendre correctement. Que cela soit une réussite ou pas est un autre débat. Et rien ne dit que toute tentative doive être toujours couronnée de succès. Bref, reconnaissons la tentative, ajoutons qu'on n'y voit pas d'intérêt, et on aura dit l'essentiel sans qu'il soit davantage utile de commenter la réalisation totalement au service de l'objectif.

Au service de cet objectif également, Mathieu Amalric fait de son mieux en méchant d'occasion. Il a le regard torve et la morgue vindicative. Peut-être un peu trop, du reste, pour être parfaitement cohérent avec le peu qui reste du James Bond de pacotilles et de paillettes. Olga Kurylenko est pour l'essentiel assez convaincante si ce n'est quelques regards qui dépassent un peu le crédible (l'expression de surprise impatiente et soulagée à l'approche de Medrano est un grand moment involontaire de rigolade). Daniel Craig et Judi Dench assurent leurs jobs en bons pros qui savent suivre un cahier des charges. Joaquin Cosio fait un Général Medrano sans ambigüité sur ses mauvaises intentions, et complètement inconscient de ce que le nom de son personnage peut évoquer de théâtral pour le public français. Comment le saurait-il, d'ailleurs ? Peut-être seul Amalric était-il conscient de la chose et on peut admirer sa performance de n'avoir pas éclaté de rire à chaque prise, d'autant qu'il devait avoir été mis d'humeur potache par le nom de son personnage à lui, Dominic Greene, un des premiers terroristes Vert (green en grand-breton) du grand écran.

Juste pour le fun, signalons la participation de Oona Chaplin, petite fille de Charlie et homonyme de l'épouse du grand homme, en serveuse d'hôtel malmenée par Medrano, et celle de Guillermo del Toro pour une voix additionnelle qu'on peut s'amuser à découvrir.

Et si en sortant de la projection, on se retrouve vite plongé dans un vent automnal qui pousse irrémédiablement vers une platée de cassoulet, on y va en se disant que le James Bond de cette année est d'une bien curieuse cuvée. Pourvu que le Beaujolais ne se mette pas à avoir un goût de Chardonay, qu'il nous reste au moins ce dernier carré de tradition !
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24 octobre 2008

Vers sa destinée (Young Mr Lincoln)

Peut-être jusqu’au sommet de cette colline …

La même année où David O. Selznick produisait le « Gone with the wind » (Autant en emporte le vent) de Victor Fleming dans un déluge de couleurs et de grand spectacle, Darryl F. Zanuck se lançait dans le « Young Mr Lincoln » (Vers sa destinée) de John Ford dans une sobriété de noir et blanc quasi monacale. 1939. Cette année-là, John Ford réalisait également « Stagecoach » (La Chevauchée fantastique). En quelques années, sortant à peine du muet, découvrant sa place dans le monde, questionnant son passé, son présent, et pensant déjà son avenir, en pleine tourmente des troubles agitant la planète entière, le cinéma américain aura mis sur le devant de la scène une spectaculaire cohorte d’individualités et traité une diversité de thèmes insensée. A-t-on encore idée du saut parcouru après l’avènement de parlant, seulement 12 ans auparavant ? A titre de comparaison, 1994 n’est pas si loin d’aujourd’hui, mais même dans notre époque de révolution permanente, peut-on imaginer une telle différence entre le cinéma de 1994 et celui d’aujourd’hui ? Comment une telle concentration a pu survenir justement à cette époque est un autre débat. Mais que John Ford soit une des figures de cette improbable cavalcade est un fait incontournable.

Affiche France (de.cinemotions.com)


Presque perdues au milieu de cette cataracte de monuments, de cette tornade de questionnement, d’appropriation et de mise en forme des mythes fondateurs de l’âme américaine, de fabrication d’une imagerie et d’un imaginaire renouvelés, de tentatives et d’invention de diverses formes d’écriture, qui pour longtemps allaient devenir par la force des évènements un patrimoine partagé largement au-delà des frontières états-uniennes, se nichent une multitude de productions oubliées, qu’on est surpris, en les visionnant aujourd’hui, de se dire qu’elles ont quelque chose de connu, quelque chose de fondamental qui fonde l’essentiel de notre mémoire. Quelque chose comme “How green was my valley”, “Gentleman’s agreement”, “Pygmalion”, “3 Godfathers”, … Et « Youg Mr Lincoln » est une de ces surprises de la mémoire.

Affiche USA (de.cinemotions.com)
John Ford nous présente ici une étape de la vie d’Abraham Lincoln, futur président des Etats-Unis. Une étape de sa jeunesse, entre son éveil à une conscience collective et une de ses premières implications dans l’action publique. Que le récit soit plus une évocation, largement romancée, voire concentrant dans cette période décisive des évènements qui lui sont en réalité ultérieurs, ne fait que confirmer l’objectif du réalisateur de mettre en scène le mythe étatsunien plus que son histoire réelle, de participer à la constitution ou au renforcement d’une conscience nationale plus qu’à entreprendre une leçon historique. Il est de ces images qui fondent l’identité dont seule la valeur symbolique importe. Qui se soucie des détails historiques du bris d’un vase à Soissons ? Pourtant, qui ne connaît l’acte d’Hugues Capet comme un geste fondateur de la réalité de la France ? Peu importe que le procès mené par Lincoln dans le film se déroule en réalité non en 1837 mais en 1857, si peu avant son élection à la présidence en 1860. Les valeurs portées par cet épisode sont éternelles dans l’imaginaire national, et cela suffit à en justifier la présence dans notre film.

Le film s’ouvre sur le discours électoral d’un politicien haranguant quelques badauds sur les marches d’une épicerie de campagne à New Salem, Illinois, tenue par un tout jeune Lincoln (Henry Fonda) de 23 ans. En fin de discours, l’homme donne la parole au timide Lincoln dont le ton tranche d’emblée : pas de grande phrase, pas de promesse grandiloquente, juste un homme simple, dans ses paroles, sa tenue, son attitude, qui propose sa bonne volonté sans prétention au vote de ses concitoyens. Acceptant parfois le troc pour faciliter l’accès des colons désargentés à son magasin, Lincoln reçoit un jour en paiement un exemplaire du deuxième tome des Commentaires sur les lois d’Angleterre de William Blackstone. De ce jour, et encouragé par son amie Ann Rutledge (Pauline Moore), il l’étudie jusqu’à la trame et en fait le départ d’un apprentissage autodidacte du droit dont il fera son métier en s’installant comme avocat quelques années plus tard à Springfield, Illinois. C’est dans cette ville que, lors de la fête du 4 Juillet qui donne lieu à de multiples parades et festivités, la famille Clay venue pour l’occasion se fait harceler par l’adjoint du sheriff, Scrub White (Fred Kohler Jr), sous l’œil goguenard de son acolyte, J. Palmer Cass (Ward Bond). Malheureusement, la journée se termine mal, avec une bagarre entre White et les deux fils Clay , Matt et Adam, et avec la mort du policier. Cass, témoin de la scène comme la mère, Abigail Clay (Alice Brady), permet l’arrestation des deux jeunes. Aucun des deux frères ne voulant dénoncer l’autre et leur mère refusant d’accuser l’un de ses fils, Matt (Richard Cromwell) et Adam (Eddie Quillan) sont conjointement accusés du meurtre. Après être héroïquement intervenu face à la foule déchaînée et avoir ainsi évité le lynchage, Lincoln se porte volontaire pour assurer la défense des accusés face au tribunal. La plus grande partie du film décrit le déroulement du procès, avec son lot de rebondissements, de stratégie, de joutes oratoires entre Lincoln et le procureur, John Felder (Donald Meek). En particulier s’y tient l’épisode fameux de la présentation à la cours d’un banal almanach permettant de mettre à mal un témoignage défavorable. C’est également l’occasion de présenter plusieurs des personnages qui côtoieront la vie réelle d’Abraham Lincoln, Mary Todd (Marjorie Weaver), sa future épouse, Stephen A. Douglas (Milburn Stone), un de ses futurs opposants politiques, Ninian Edwards (Charles Tannen), beau-frère de Lincoln, ou encore John T. Stuart (Edwin Maxwell), associé de Lincoln à Springfield.

Dépassant les approximations historiques, dont la plus évidente est le déplacement dans le temps du procès de William Duff Armstrong (ici celui des frères Clay) de 1857 à 1837, le film ne se veut manifestement pas une biographie d’Abraham Lincoln. C’est bien plus une évocation de son image laissée dans la conscience nationale américaine. Il n’est pas plus question d’une étude politique des thèses défendues par Lincoln. Davantage d’une présentation des racines et des principes qui l’ont vu atteindre à son statut mythico-historique. Nulle part il n’est question de son action durant la Guerre de Sécession, ni de son intervention concernant l’abolition de l’esclavage. C’est son origine humble, son caractère autodidacte, sa simplicité, sa proximité avec les petites gens, son amour du droit et de la justice, ses talents d’orateur, sa perspicacité, son ancrage dans un pays physique fait de prairies et de rivières, mais aussi son dévouement à une inspiration et à un projet dépassant le commun des mortels, qui sont mis en avant et soulignés. Et cet effet est rendu par tous les moyens disponibles : par l’effet de contraste qu’offre une gaucherie certaine dans les tentatives d’imitation des gestes de la bonne société, par une maladresse en situation de parole publique lorsqu’elle n’est pas motivée par l’urgence, par le vêtement qui, lorsqu’il cherche la distinction, verse dans la caricature du chapeau haut de forme, par le regard qui se perd dans l’infini d’un projet immense même en présence des avances d’une séduisante jeune fille.

L’habileté rhétorique face à la foule hostile est un grand classique du charisme de l’homme publique. Ainsi la scène du discours renversant la colère de la populace n’est pas sans évoquer ce que sera celui du Marc Antoine incarné par Marlon Brando dans le Jules César de Mankiewicz en 1953. De même, la rigueur du raisonnement face à l’hostilité ambiante inaugure la multitude de films que le cinéma américain consacrera à des procès filmés, du « Sergent noir » ou du « Cas Paradine » à « Des hommes d’honneur », de « Ouragan sur le Caine » ou de « 12 hommes en colère » à « Philadelphia » ou jusqu’à « Find me guilty ». Dans tous les cas, il s’agit d’une démarche comparable : s’appuyant sur une conviction et une volonté tenace, même un homme seul peut parvenir retourner la situation la plus désespérée ; et lorsque cette conviction confinant à la certitude le fait œuvrer dans le sens du bien,
il est à même à faire triompher la vérité et la justice.

Peut-être la scène la plus emblématique, celle qui est peut-être la plus symboliquement chargée de ce que la mythologie nationale doit retenir du grand homme, est-elle la scène de clôture du film. Lincoln, après avoir dit adieu à la famille Clay, se retrouve seul sur une route de campagne avec son fidèle compagnon, Efe Turner, qui lui demande, alors qu’une pluie fine commence à tomber : « On ne va pas rentrer, Abe ? ». Le regard déjà perdu dans le lointain, Lincoln commence à s’engager d’un pas calme mais ferme sur la route que vient d’emprunter le chariot des Clay, et répond, comme déjà ailleurs : « Non, je crois que je vais avancer un peu … peut-être jusqu’au sommet de cette colline ». Cette certitude confiante dans l’avenir, dans sa capacité à changer l’avenir, non le sien mais celui des gens simples et honnêtes qu’il s’est donné comme mission de défendre, sur un chemin que la pluie vient rincer de toutes les scories de la petitesse et d’un passé d’injustice, dans l’ascension d’une colline que John Ford filme comme il filmerait l’ascension par Jésus de son Golgotha, cette rectitude de l’homme tranquille face aux éléments rehaussée par le chapeau haut de forme malgré une posture légèrement voûtée qui en souligne l’humanité, après un combat qui a fait triompher le bien mais surtout la vérité, pilier du vivre ensemble étatsunien, c’est cette icône que l’ensemble du film s’est évertué à lentement construire.

Car c’est bien de cela qu’il semble être question. D’un homme parmi les hommes que sa conviction porte à un statut quasi divin. Homme parmi les hommes, rusé, roublard, éventuellement bagarreur. Sans cesse en contrepied, il traite la plupart de ses entretiens importants dans une position à la fois horizontale, mais également brisée : sa lecture de son livre initiatique de Blackstone se fait allongé dans l’herbe et les jambes dressées en appui sur le tronc d’un arbre ; ses premiers clients d’avocats, il les écoute quasiment avachi dans son fauteuil de bureau ; c’est dans la même position qu’il écoute les témoignages lors du procès ; au juge qui vient s’entretenir avec lui à son office à la veille de la clôture du procès, il offre un accueil les pieds appuyés au rebord de la fenêtre. Mais c’est aussi un homme qui se dresse lorsque le souffle de son projet se met à souffler : droit face à la foule en colère ; droit dans la contre-attaque face au faux-témoin ; droit dans son ascension de la colline finale. Homme parmi les hommes, mais à la manière du prêcheur de Galilée, à la manière d’un dieu fait homme pour s’y mêler et les reconnaître à son image.

Lincoln, dans l’iconographie de John Ford, n’est ainsi pas seulement une image mythico-historique, c’est aussi un figure mystique, à l’image de la faible distance séparant le mystique du patriotique dans l’imaginaire étatsunien. Et le fondu-enchainé final du Lincoln de chair et de sang à sa statue trônant dans le monument de Washington, DC, qui lui est consacré renforce encore le propos : un Lincoln de pierre en Majesté, imposant par sa taille comme par son attitude de calme résolu, siégeant face à la nation, à l’humanité, à l’éternité, comme Dieu siègerait au jour du Jugement Dernier, comme Zeus se tiendrait sur son trône au faîte de l’Olympe.

Qu’on soit sensible ou pas à ce genre de discours, il faut bien avouer que le cinéma de John Ford nous entraîne là dans un projet bien éloigné de ce que sera un cinéma d’aventure ou un cinéma des états d’âme. L’aventure intérieure n’a que peu de place dans ce propos qui ne s’appuie sur des individus que pour exalter la construction d’une vision du monde, une conception des valeurs d’une nation.
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Vedettes du pavé (Sidewalks of London – Saint Martin’s Lane)

Vieilleries et curiosités

Au magasin des vieilleries et des curiosités, allez savoir ce qui vous pousse à choisir un film plutôt qu’un autre. Vous êtes là, à vous dire qu’à force d’avaler des histoires plus ou moins navrantes et des effets spéciaux au kilomètre, vous voudriez bien savoir ce qu’il y a dans le fait de projeter une image sur un écran qui capte autant votre attention. Et que ce ne serait pas du luxe de remonter aux sources de l’affaire plutôt que de continuer à gober stérilement le défilement des images. Alors, banco ! Retroussons nos manches, munissons-nous d’un bon plumeau, et hardi petit ! Y’a quoi sous cette pile ? Tiens, un Buster Keaton. Mouais, j’ai quand même pas trop envie aujourd’hui. Va savoir pourquoi … c’est comme ça. Et là, c’est quoi, ça ? « Vedettes du pavé » ? « Saint Martin’s Lane » pour la VO. Tiens, une curiosité, ça s’appelle aussi « Sidewalks of London ». Pourquoi pas. Et ça date de quand, cette antiquité ? 1938, eh ben c’est pas tout neuf, en effet. Par un certain Tim Whelan. Tu m’en diras tant ! Par contre, y’a du beau monde, dis donc : Charles Laughton, Vivien Leign, Rex Harrison … mazette ! Finalement, ça n’a pas l’air d’être le plus mauvais choix. Adjugé !

Affiche Italie (ebay.es)

L’histoire se passe à Londres, où des artistes de rue tentent de survivre en se produisant devant les terrasses des cafés et les files d’attente aux guichets des spectacles couverts. L’ambiance est bon enfant, chacun prenant son tour devant les attroupements, avec juste quelques accrocs de chapardage épisodique, mêlant artistes patentés et mendigots. Charles Staggers (Charles Laughton) est spécialisé dans la déclamation de poèmes. Libby (Vivien Leigh), danseuse sans affectation, est plus orientée vers des expédients cleptomanes dont elle profite dans une riche demeure inoccupée. Surprenant son manège, Charles la force à restituer un étui à cigarettes qu’elle avait subtilisé au client d’une gargote de rue, Harley Prentiss (Rex Harrison), compositeur de son état. Cette rencontre noue une relation amicale et platonique entre Charles et Libby qui, à la rue après la découverte de son squat, vient emménager sous son toit. De taquinerie en dispute, les deux en arrivent à l’idée d’un numéro commun auquel ils convient deux compagnons de galère.

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La première présentation est un succès, devant Prentiss présent dans la file d’attente. Mais Libby réalise aussitôt le peu d’avenir de ce genre de prestation, et quitte le groupe pour voler de ses propres ailes sous la férule de Prentiss. Effondré par ce lâchage doublé des moqueries de Libby lorsqu’il lui déclare sa flamme, Charles quitte lui-même le spectacle et s’enfonce dans l’alcool et la clochardisation à mesure que Libby grimpe les marches du succès.


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Jusqu’au jour où le hasard les met à nouveau en présence, elle la Belle, lui le Clochard, pour aboutir à un large pardon qui permettra à Charles de reprendre sa place et ses déclamations sur les trottoirs de Londres.

Rien de vraiment grandiose dans cette histoire à l’eau de rose peuplée de sourires et de bons sentiments, mais juste une fraîcheur, un souffle gentiment désaltérant. Le plus étonnant est peut-être de voir Charles Laughton s’investir ainsi pour un petit film juste au sortir de sa prestation dans le très culte « Les Révoltés du Bounty » aux côtés de Clark Gable, et juste avant de s’engager dans « L’Auberge de la Jamaïque ». Vivien Leigh, quant à elle, entrera l’année suivante dans la légende avec le rôle de Scarlett dans « Autant en emporte le Vent ».

Au plan technique, le film date de 1938, et autant dire tout de suite que ça se voit. La lumière a quelque chose d’un autre âge, comme une approximation datant d’une époque de tâtonnement. Si les rares scènes de jour sont quasi systématiquement surexposées, les scènes de nuit font roder un gris lugubre s’il était voulu. La qualité de l’image semble avoir notablement souffert des outrages du temps. Il est difficile de savoir comment les choses se présentaient lors des projections de l’époque et si le piqué actuel tient à la prise de vue ou à la dégradation du support. En tout cas, on est bien plus proche de l’image et du son désastreux de « L’Auberge de la Jamaïque » que de ceux d’ « Autant en emporte le Vent ».

Le jeu des uns et des autres est très hétérogène comme on pouvait s’y attendre. Vivien Leigh est dans l’exagération qui la caractérise (m’expliquera-t-on un jour ce qu’on peut bien lui trouver ?). Rex Harrison est un dandy très british au regard enamouré si propre aux jeunes premiers de l’époque. Charles Laughton vole à des kilomètres au dessus du lot, même s’il n’a pas encore cette rondeur qui ne s’acquière qu’avec l’âge et qu’il étalera du « Procès Paradine » d’Alfred Hitchcock à « Panique à la Maison Blanche » d’Otto Preminger.

Et malgré tout, il reste au fond des yeux à l’issue de la projection comme un air de contentement, une lueur du plaisir qui ne s’en laisse pas compter par les imperfections techniques, une satisfaction d’avoir regardé défiler tout ce que la bonne volonté peut apporter aux raconteurs d’histoire, même les plus maladroits. Car de quoi s’agit-il ? De la confrontation entre l’ambition et le plaisir de vivre, entre les rêves de gloire et les rêves d’artistes. Pas d’une confrontation agressive, emportée, juste la juxtaposition de deux visions du monde : vivre pour faire ou faire pour vivre. Pas de hargne ou de colère là-dedans, tant les deux sont généralement mêlés, intriqués. Juste une séparation artificielle pour en montrer les limites respectives et les dilemmes de leurs enjeux. En d’autres temps, on aurait vu l’opposition entre un désir de « travailler plus pour gagner plus », et un objectif de « travailler plus pour apporter plus ». Bien sûr, comment apporter plus si c’est sans gagner par son labeur les conditions de sa dignité et de son confort ? Mais comment aussi apporter quoi que ce soit si le seul objectif est d’amasser aveuglément ? Séparation arbitraire tant l’ensemble est indissociable et solidaire. Et que cela soit dit le sourire au bord des lèvres, à près de 70 ans de distance, n’en est que plus touchant.

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Le secret des poignards volants (Shi mian mai fu)

Vole, pigeon, vole !

Est-on certain de repérer tous les codes quand le message vient d’aussi loin ? Est-ce que le jeu des couleurs en extrême orient fait appel au même référentiel que celui qui a cours sous nos latitudes ? Est-ce que le rythme des saisons met en jeu les mêmes émotions et les mêmes pré requis que ceux qui peuplent nos mémoires ? Allez savoir ! Le fait est que le résultat produit un drôle d’écho et ce n’est déjà pas si mal. Peut-être pas celui que le réalisateur avait prévu, mais après tout tant pis. Ou peut-être qu’il l’avait prévu quand même : la Chine a une certaine histoire de contact avec l’occident, ne serait-ce que par Honk Kong et Macao interposés. Dire que le contact fonctionne dans les deux sens et que le détail de la sensibilité chinoise nous est comme un livre ouvert serait par contre bien exagéré. Et finalement, que Zhang Yimou s’y retrouve, c’est peut-être bien possible. Que ses compatriotes soient dans le même cas est sûrement plus improbable. Mais au fond, est-ce que ça a une importance ? On est là, on regarde, on vibre ou pas, et c’est déjà ça. On se lasse, alors tant pis, et on passe à autre chose ; on reste collé au fauteuil et le pari est gagné, orient extrême ou pas.
Affiche France (cinemovies.fr)
L’histoire est en elle-même relativement classique, se déroulant dans la Chine du XIXième siècle. Pour atteindre le Clan des Poignards Volants, rebelle à son autorité, un potentat local qu détient prisonnière une jeune femme aveugle, Mei (Zhang Ziyi), membre du clan, fait organiser son évasion sous surveillance. Jin (Takeshi Kaneshiro), un de ses capitaines prendra le rôle du complice qui escortera la jeune femme durant son voyage de retour et la défendra contre les fausses attaques des troupes lancées à leur poursuite sous la direction d’un second complice, Leo (Andy Lau) , capitaine des gardes. Durant le voyage, les embûches sont nombreuses, avec les interventions parasites de troupes annexes qui ne sont pas dans la combine et qu’il faudra défaire. C’est également l’occasion pour les deux fuyards de développer un sentiment mutuel qu’ils tentent alternativement de maîtriser. Arrivant sur les terres du clan, une succession de révélations rend la situation de plus en plus complexe pour les deux jeunes gens, pris dans un tourbillon tragique entre leurs fidélités à leurs clans respectifs et le chamboulement de leurs émotions.

Affiche USA (cinemovies.fr)


Sous nos cieux, le film serait classé dans le genre cape et épée, mêlé d’un zeste de fantastique, comme c’est souvent le cas dans ce type de production orientale. La taille du zeste variant naturellement d’une production à l’autre. Ici, le zeste se limite quasiment aux séquences de combats dont la réalité est plus proche d’une chorégraphie bondissante et aérienne quasi mystique que d’un réalisme sourcilleux. On est loin des westerns ou des aventures de la Tulipe Noire. On est en revanche bien plus en écho à une sorte de Matrix médiéval. Les gestes sont lents, posés, réfléchis, comme issus d’une longue et profonde méditation, jusqu’à ce que le passage à l’action les libères soudainement, comme livrés à eux-mêmes et fruits d’un entraînement qu’on devine minutieux et acharné, où le geste n’est plus que le flot non retenable déclenché par la décision d’agir. Comme la libération des eaux à la rupture d’un barrage, rien ne pouvant plus l’interrompre jusqu’à leur tarissement. Et pourtant, magie de l’orient millénaire et cérébral, alors que l’on croyait le flot justement immaîtrisable, l’action s’arrête subitement, se fige, comme dans une respiration, avant de reprendre en une explosion de combat chorégraphié. Mélange de puissance invincible, d’autant plus évocatrice qu’elle est toute en fluidité au lieu de la force brute du rustre, et de capacité contenir et canaliser ce qui semblait sans limite. La caméra n’est alors là que pour souligner le virevoltant mouvement, ou pour contourner, comme circonscrire, la scène figée où chacun reprend son souffle et ses repères.


Affiche USA (monkeypeaches.com)

Dans ce ballet, le temps n’a plus cours, en tout cas plus de la même façon que dans notre monde de glaise et de sang. Il accélère, ralentit, se déplace, s’immobilise, déferle. Les combats peuvent durer une fraction de seconde ou s’étaler sur plusieurs saisons, cela n’a que peu d’importance. Les blessures s’ouvrent s’oublient, se referment, sans qu’une basse raison matérielle ait besoin d’y être convoquée. Les épées volent, les flèches décollent, les lances se plantent, les poignards virevoltent, à un rythme qui doit plus à la métaphysique qu’à la rationalité, mais nul ne l’attendait. On aurait naïvement pu croire ce tourbillonnement réservé à quelque tradition nippone du manga, mais il n’en est rien. Même sur l’autre rive de la Mer de Chine voltigent des héros épiques et chevaleresques. On aurait naïvement pu croire les péripéties matriciennes copiées de quelque jeu vidéo issu des cauchemars d’un graphiste de l’Empire du Soleil Levant. Il n’en est rien, l’Empire du Milieu contre-attaque, ou plutôt sort de sa torpeur. D’autres l’avaient déjà annoncé : Quand la Chine s’éveillera … On voit le résultat.

Affiche Chine (monkeypeaches.com)


Et lorsque ces aventures sont capturées par une pellicule maîtrisant couleur et lumière avec talent, le résultat est presque sans surprise. Encore une fois, il est probable que notre œil de sauvage occidental ne saisit de cette palette de couleurs que l’aspect immédiatement esthétique, là où le regard asiatique saisit tout une gamme de symboles mystérieux. Mais il faut bien un début à toute chose.

Reste à remplir de nos propres contenus cet édifice symbolique livré clés en main mais aussi vierge que la plus magnifique coquille vide. Marcel Mauss nous avait préparé à côtoyer le « mana » polynésien, cette enveloppe symbolique pure, disponible à chacun pour y inclure les significations qui lui importent. On est devant cette cinématographie comme devant ce mystère polynésien, à la fois fasciné et relégué en marge d’un monde qu’on sait être là sans le connaître vraiment, aux risques de n’accéder définitivement qu’à sa forme ou de n’y projeter que nos propres références sans finalement rien y apprendre sur nous-même ou sur le monde.
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