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22 octobre 2009

Underwater! (La Vénus des mers chaudes)

Le faux espoir d'un bain de jouvence

Les antiquités du cinéma prennent souvent moins de rides qu'on pourrait le croire. « Le petit Lord Fauntleroy » ou « Le mouron rouge » vous plongent en quelques minutes dans un bain de nostalgie se muant rapidement en un doux bain de jouvence. « La Vénus des mers chaudes », de son vrai nom « Underwater! », est pour sa part une excellente illustration de cette règle, dans la mesure où elle fait figure d'exception, de ces exceptions qui sont supposées venir confirmer la dite règle.

Le film vit le jour en 1955, sous la direction de John Sturges. Juste histoire de se fixer les idées, c'est au même John Sturges qu'on devra, deux ans plus tard, « Les sept mercenaires ». Du lourd donc, pourrait-on dire. A la production on trouve Howard Hughes, et sur les planches Jane Russell, celle-la même pour qui Hughes, ingénieur de formation, avait quelques années plus tôt, inventé un soutien-gorge spécial destiné à rehausser encore son anatomie déjà avantageuse.

Le cadre historique étant ainsi dressé, on peut simplement ajouter pour mémoire que si le film date de 1955 et se déroule à Cuba, un peu à terre mais pour l'essentiel en mer le long de ses côtes, la révolution castriste n'interviendra sur l'ile que quatre ans plus tard.

Dominique Quesada (Gilbert Roland) et Johnny Gray (Richard Egan) sont deux plongeurs qui explorent les côtes cubaines. Découvrant une épave de galion espagnol, ils se mettent en tête de la fouiller et d'en extraire un trésor potentiel. Renseignement pris auprès de l'Université de La Havane, l'épave se confirme être celle d'un navire perdu contenant un fastueux trésor, en particulier une statue de la Vierge grandeur nature en or massif. Reste à convaincre Théresa (Jane Russell), l'épouse de Johnny et filleule de Dominique, de gager leurs biens pour investir dans l'aventure. Ses réticences initiales conduisent Dominique à embarquer dans l'affaire une jeune conquête, Gloria (Lori Nelson), qui se trouve avoir été abandonnée dans le port de La Havane à bord d'un voilier dont son protecteur indélicat lui a laissé la propriété en s'enfuyant devant ses créanciers. Une fois Théresa finalement convaincue de faire plaisir à son mari, les deux couples peuvent alors se lancer dans l'aventure, accompagnés par le Père Cannon (Robert Keith), un prêtre archéologue de l'Université.

Les plongées se déroulent de manière rapidement fructueuse et sans difficulté notable si ce ne sont les visites intempestives du bateau de Rico Herrera (Joseph Calleia), un pêcheur de requins qui ne croit manifestement pas à la couverture qu'ils lui servent de scientifiques en campagne d'exploration géologique sous-marine.

Lorsque la découverte du trésor se confirme et que le groupe remonte un lot de lingots d'or, la confrontation avec les malandrins se précise. Parallèlement, la fin de la fouille est perturbée par divers incidents de plongée et finalement par la rupture de la coque du galion, dont la partie contenant la statue précieuse convoitée tombe dans un précipice sous-marin la rendant dès lors inaccessible.

Globalement, l'histoire est largement survolée, sans appesantissement notable sur quelque subtilité que ce soit. Bien au contraire, le film est manifestement d'abord l'argument à présentation de multiples séquences de plongée sous-marine libre avec bouteille, encore largement méconnue, dans un décor de fonds tropicaux. Il est ensuite l'argument à filmer la plastique abondamment oestrogénique de Jane Russell dans une large collection de maillots de bain aux pointes effilées. L'ensemble est traité avec une note humoristique gentillette qui finit de reléguer l'histoire au magasin des accessoires.

Parler du jeu des acteurs paraît dans ce contexte relever de la gageure tant la question semble simplement hors de propos. Gilbert Roland en fait des tonnes dans le genre séducteur andaloux, moustache linéaire en avant, manches roulées jusqu'à la racine des deltoïdes, canotier penché sur le front, sourire imperturbable, professionnel du mambo, et guitariste à ses heures. Richard Egan fait pâle figure à côté malgré ses biceps musculeux à faire craindre en permanence pour la survie des manches de ses chemisettes, son ratelier de publicité pour dentifrice, sa voix caverneuse de mâle-comme-on-n-en-fait-plus. Lori Nelson est tellement absente qu'on en oublie simplement vite qu'elle est là. Les pirates cubains sont à l'avenant, avec une petite subtilité de répartition des rôles entre le chef, roublard comme un Rapetou et goguenard, le matelot sourd-muet inexpressif, et le mécanicien bougon. Reste Jane Russell, à qui on n'en demandait pas tant, et qui se pique pourtant pour une raison obscure de chercher un peu de crédibilité qui, par contraste, semble la qualifier d'office pour l'Académie Française, ou pour l'équivalent anglo-saxon qu'on voudra. Non, finalement, le seul à réellement faire l'acteur avec un minimum de sérieux est encore Robert Keith.

Côté technique, les décors sont soit naturel dans une ambiance essentiellement aquatique tropicale, soit d'un kitch d'opérette assez distrayant. Inutile de chercher le raccord entre l'aspect extérieur du petit voilier du groupe et l'aspect intérieur de la cabine aux dimensions de hall de gare. La lumière est traitée comme quantité négligeable si ce n'est sa luminosité dans les rares scènes d'extérieur à terre. Les scènes à bord, même sur le pont, sont manifestement pour la plupart tournées en studio dans un éclairage artificiel basique. Les rares scènes de navigation, quasiment à chaque changement de plan, proposent des changements de tonalité de couleur difficilement attribuables à un vieillissement hétérogène de la pellicule. Même les plans larges du bateau sur fond majestueux de coucher de soleil sombrent dans un rouge sanguin du plus bel effet émétisant. Les prises sous-marines ont pour elles l'excuse de la nouveauté, … mais c'est probablement la seule.

La mise en scène, de son côté, ne se pose pas de question superflue. Pas de mouvement de caméra excessif, pas d'angle de prise de vue acrobatique, pas de traveling ingénieux. On doit en venir au sujet du tournage sous-marin, alors on se concentre sur le sujet, en remplissant rapidement le reste du film de quelques shootages express pour faire liaison. On a du mal à retrouver la patte du John Sturges des « Sept mercenaires », du « Vieil homme et la mer », de « Règlement de comptes à OK Corral », …

Au bout du compte, parti pour un bain de jouvence, Tonton Sylvain, votre serviteur, bien en peine d'étancher ici sa soif de vieillerie, se rue alors sur sa zapette pour brancher compulsivement TCM et d'avaler tout cru « Témoin à abattre », de la même année et avec Edward G. Robinson. Mais ça, c'est une toute autre histoire !


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Land of the Pharaohs (La terre des Pharaons)

Curiosité sur le Nil

Pas grand chose à se mettre sous la dent en ce week-end du 15 Août. Et puis soudain, posé comme par hasard au milieu de pas grand chose, on tombe sur une pépite déterrée par une chaine du satellite, « Land of the Pharaohs » (La terre des Pharaons), pondu par Howard Hawks en 1955. Avec en plus William Faulkner à l'écriture et Dimitri Tiomkin à la musique … excusez du peu ! Alors, même s'il fait beau dehors, on se laisse tenter, c'est humain, qu'est-ce que vous voulez.

Le Pharaon Khuru (Jack Hawkins), de retour d'une de ses campagnes guerrières, décide de se faire ériger un tombeau à sa mesure, à l'inviolabilité renforcée après le pillage des tombes de ses prédécesseurs. Khuru, toujours épaulé par son Premier Ministre Hamar (Alex Minotis), embauche pour cela Vashtar (James Robertson Justice), un architecte prisonnier dont il avait pu apprécier les capacités dans une bataille où il avait affronté des fortifications conçues par Vashtar. Afin de convaincre Vashtar et malgré le sort qui lui est promis de mourir après la construction du tombeau pour préserver le secret de son accès, il s'engage à libérer son peuple soumis en esclavage. Vashtar accepte finalement le marché et la supervision des travaux. L'âge avançant, il devra secondairement accepter l'aide de son fils Senta (Dewey Martin) qui sera alors également soumis à la même perspective funeste que lui-même.

La construction de la pyramide débute donc dès qu'est promulgué le décret royal de mobilisation des bras et des ressources de l'Egypte pour ce projet. La population entame les travaux dans l'enthousiasme et l'allégresse, lesquels retombent néanmoins après quelques années de dur labeur. Pharaon doit alors trouver de nouvelles ressources pour continuer les travaux et lance une campagne d'impôts sur les provinces de l'empire. La province de Chypre affirme ne pas pouvoir supporter le tribut demandé et envoie en remplacement la Princesse Nellifer (Joan Collins). Après une rebuffade initiale, Pharaon tombe sous le charme de la belle Princesse et en fait sa seconde épouse.

Mais lorsque Nellifer réalise que le fabuleux trésor du Pharaon est en fait un viatique pour sa « seconde vie », destiné à l'accompagner dans la tombe, elle ourdit un complot contre Khuru et sa première épouse, visant à se positionner en régente du jeune fils du Pharaon.

On avait l'habitude des peplums mettant en scène l'histoire antique, ou fréquemment aussi l'histoire biblique. Les temps modernes nous avaient habitués également à un détournement vers l'horreur, quitte à la traiter sur un mode de comédie, autour de quelque histoire de momie. Mais il faut bien avouer qu'on - c'est-à-dire cette vieille baderne de Tonton Sylvain – n'avait pas coutume de voir le genre servir de toile de fond à un quasi polar, pour ne pas dire un film noir. D'où la surprise devant cette étrangeté datant pourtant de 1955.

Car si le fond visuel baigne dans le kitsch de la reconstitution d'une Egypte fantasmée, il faut bien avouer que l'histoire est ailleurs et que le vieil Howard nous ballade durant la plus grande partie du film dans une histoire dont on ne comprend finalement l'intérêt que dans les dernières scènes. On rigole tout du long sur les décors et les costumes de pacotille, sur l'historicité suspecte des personnages et des évènements, sans se douter que l'animal nous mène ailleurs, sur le terrain de la cupidité, de la jalousie, de la duplicité, plus familier à la noirceur des rues sombres de Dashiel Hammet ou de Raymond Chandler qu'au soleil cuisant de Cecil B. DeMille.

Non pas qu'à l'issue de cette bascule on se retrouve face à un monument de la psychologie ou du cinéma qui nous fasse revoir de fond en comble notre conception du monde, non pas que l'intrigue une fois révélée se trouve être d'une profondeur révolutionnaire, mais simplement la découverte nous abandonne dans le plaisir d'une surprise que le simple fait de la déstabilisation qu'elle produit oblige à une relecture entière du film dès la dernière image close. Et ce n'est certainement pas si banal.

Est-ce la raison de l'emploi pour certains rôles clés d'acteurs qu'on n'aurait jamais attendu à cet endroit ? Est-ce en préparation à cette déstabilisation qu'il est fait appel à Joan Collins pour une Nellifer difficilement crédible ou à Dewey Martin qui l'est encore moins en Senta, pour des personnages qu'on sent définitivement plus à l'aise aux bords de la Tamise ou de l'Hudson que sur les berges du Nil ? Ce serait bien là une espièglerie du vieil Howard qu'il ne faudrait pas en être autrement surpris.

Au bout du compte, coincé dans la carrière du réalisateur entre « Les hommes préfèrent les blondes » et « Rio bravo », « La terre des Pharaons », seule tentative pléplumesque de Hawks, rivalise difficilement avec ses voisins. Il jouit néanmoins d'une originalité qui mérite le détour sans pour autant devoir trop longuement encombrer les pages des anthologies du cinéma.


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My Winnipeg (Winnipeg mon amour)

La fourche du Manitoba

Comment décrire cette étrangeté pondue par Guy Maddin en 2007 qu'est « My Winnipeg » (Winnipeg mon amour) ?

Peut-être en avouant tout de suite que Tonton Sylvain, quoique parfois partant pour des aventures inattendues, ne se serait sans doute pas lancé sur l'affaire si le hasard d'un DVD qui traînait par là et la promesse de Madame faite à un copain d'en lire et d'en commenter le contenu ne lui avaient substantiellement forcé la main. Autrement dit, et plus simplement, littéralement fait comme un rat, Tonton n'avait plus d'autre choix que de s'avaler la chose sous peine de … mais c'est une autre affaire. Bref, le DVD s'engouffrait dans le lecteur, la télé commençait à afficher l'image en noir et blanc d'une vieille femme râleuse, et Tonton se préparait à son premier bâillement, le dos vaguement vautré dans une confortable pile de larges coussins.

Ce n'est que 1h20 plus tard que Tonton réalisa que son premier bâillement n'était finalement jamais arrivé et qu'il était une heure indue.

Entre temps, Guy Maddin avait pris le contrôle de la situation, un peu comme dans « La quatrième dimension », cette vieille série des années 50 dont le début de chaque épisode présentait un écran brouillé et une voix off prévenant de ne pas changer les réglages du téléviseur mais qu'une force extérieure en avait pris les commandes.

A vrai dire, cet épisode est à ce jour ma seule expérience maddinienne, aussi je suis bien incapable de dire si le vécu de cette projection tient au film lui-même ou au style propre au réalisateur. Encore que la lecture de commentaires de quelques aficionados de l’auteur tendrait à faire pencher pour la seconde hypothèse.

De fait, sous des dehors obscurs et hermétiques, la forme est proprement stupéfiante. Si on se demandait s’il était possible de rédiger de la poésie avec un langage d’images, on se trouverait là devant la réponse absolument affirmative. Car il y a dans ce film quelque chose de captivant sans qu’il ait l’air d’y toucher. Le découpage erratique, les images vaguement floues et parasitées comme celles d’une mauvaise caméra de surveillance, la voix off permanente de Guy Maddin déclamant un texte aux allures de monologue intérieur, l’entremêlement d’images d’archives et de scènes filmées, les petits bouts de la petite histoire, les reconstitutions de scènes de l’enfance, le visage permanent de cette vielle mère, les allers-retours entre un passé intime et un présent douloureux, la plainte inassouvie contre une ville que rien ne prédestinait à faire naître un attachement si puissant, la valse hésitation entre un désir de fuite et une impossibilité du détachement, … on n’en finit pas de disséquer chacun des plans, chacune des images, chacun des mots des 80 minutes du film. Mais de les disséquer après coup, tant l’instant du visionnage reste entier, monolithique, opaque à autre chose que la fascination. Et c’est bien là la force de la chose : embarquer le spectateur le plus rétif sans espoir de sortie avant la dernière image qui opère alors comme une sonnerie de réveil. « Hein, quoi, comment … ? Ah, c’est fini ?! Il est quelle heure, au fait ? »

Que le fond n’ait rien de bien palpitant n’est d’ailleurs que bien secondaire dans l’affaire : l’attachement / répulsion de Maddin pour sa ville natale et cité de son enfance qu’il tente désespérément de fuir sans parvenir à la quitter. Sur la vague trame d’un voyageur dans un train de nuit qui fait ses premiers tours de roue au départ de Winnipeg alors que le voyageur se remémore tout ce qui le retient ou le pousse à s’éloigner de cette ville, on passe en revue les principales particularités de la ville, le froid, la neige, les bâtiments publics, les évènements marquants de son histoire, tout autant que les principales étapes de la vie du jeune homme et de sa famille. La grande grève, l’évasion des chevaux de leurs écuries pétrifiés dans les glaces des mois durant après s’être jetés dans le fleuve, la piscine municipale à trois bassins superposés, la fourche des rivières, le chien de la famille, la mère actrice de série télé, la sœur championne d’athlétisme, le frère mort à l’adolescence, … Le tout dans un entremêlement de sujets, d’images d’archives ou de reconstitution. Guy Maddin ne filme pas tant la ville que « sa ville ». Même pas sa ville telle qu’il la voit, d’ailleurs, mais bien plutôt telle qu’il la ressent, qu’il la vit, qu’il s’en nourrit, qu’il s’en pétrit. La voix off exclusive n’est pas un descriptif, elle est un monologue, une longue page de journal intime, une longue introspection du réalisateur au travers du filtre de cette ville dont il s’est progressivement construit, pour le meilleur et pour le pire.

Pour le meilleur et pour le pire, de cette ville maternelle comme de cette ascendance maternelle, aussi captivantes que repoussantes l’une que l’autre, aussi présentes et comme en écho l’une de l’autre. La voix du narrateur se fait l’expression de la ville et la seule autre voix du film est celle de la mère, comme pour souligner l’effet de pendant, au travers d’un film par ailleurs muet. Non pas seulement muet au sens qu’il ne rend aucune autre voix, mais au sens des films d’avant l’invention du parlant, quand les séquences étaient, comme ici, séparées de cartons présentant une parole écrite ou un commentaire intermédiaire. Les deux voix se répondent, sans le savoir, dans la construction du narrateur, dans ce qui le construit, dans l’étrangeté qui le construit, l’étrangeté de cette double parole tellement présente qu’elle en efface toute autre voix, étrangeté qui fait apparaître les cartons rédigés en français en contreplan d’un texte dit en anglais. Bien sûr la ville comme le réalisateur sont canadiens et pétris de cette double culture, mais l’étrangeté demeure de cette superposition à l’image de celle de cette mère-ville et de cette mère-femme.

Etrangeté qui ne prend fin qu’avec la fin du film et la sortie de Tonton de son coma hypnotique, avant qu’il ne se jette sur son écritoire pour en décrire les charmes troublants.

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13 octobre 2009

Taking Woodstock (Woodstock Hotel)

Le choc des civilisations

Ce n’est pas un scoop, mais le film d’Ang Lee, « Taking Woodstock » (« Woodstock Hotel » pour les amateurs de VF), sorti en 2009 et présenté à Cannes puis à Deauville la même année, n’est pas un film musical. Et quiconque s’attendra à visionner un concert mythique en sera pour son temps perdu. Par contre, si on recherche une vision nostalgique sur une époque à l’occasion de la préparation du fameux concert, on en aura pour son argent, et bien plus. Tonton Sylvain, lui, ne savait pas trop à quoi s’attendre, alors pas vraiment de risque d’être déçu. Mais question plongée dans une époque révolue de quand Tonton n’avait pas ses cheveux blancs, que la « liberté sans entrave » avait un sens, que le sens de la responsabilité n’avait que la limite qu’on voulait bien lui donner, que la notion de plaisir n’était ni l’alpha ni l’oméga de l’égoïsme, que l’insouciance n’était ni une innocence ni une indécence, que la peur du lendemain semblait une préoccupation de dinosaure, que « carpe diem » n’avait de latin que son étymologie oubliée au profit d’une pratique libérée, … alors là, la cueillette est à des années lumière de la déception.

Le film présente l’histoire, basée sur des faits réels et sur les souvenirs du principal protagoniste, de l’organisation du festival de musique pop de Woodstock durant l’été 1969. Elliot Tiber (Demetri Martin) est un jeune décorateur dont les affaires ne tournent pas fort à New-York, et qui a bien du mal à résister aux appels à l’aide en forme de jérémiades permanentes de ses parents, Jake (Henry Goodman) et Sonia (Imelda Staunton) Teichberg, juifs polonais immigrés, qui tentent d’éviter la faillite du El Monaco, le motel qu’ils possèdent à White Lake, une petite ville des environs de la mégapole. Il rejoint donc ses parents à l’approche de la saison estivale et donne un coup de main à la remise en état du motel pour accueillir les rares visiteurs, espère-t-on appâtés par un coup de peinture, une vague piscine, quelques panneaux dérisoirement prometteurs.

Comme chaque année dans la petite communauté paysanne et commerciale dont il s’est fait désigner président de la Chambre de Commerce locale, il tente d’organiser un petit évènement culturel sensé attirer le chaland, en forme de festival de bouts de ficelles, entre un phono qui fait passer sa collection de disques dans les haut-parleurs plantés au bord de la piscine et une pièce de théâtre d’avant-garde menée par une bande d’allumés payant ainsi le loyer de la grange qui les héberge. Le désastre semble se concrétiser, quand Elliot apprend l’abandon par la ville voisine du festival de musique qui se préparait et qu’il décide de reprendre le projet. Mais la faune qui débarque alors pour négocier et organiser les choses met la ville en émoi. Devant l’enjeu, d’abord financier, puis progressivement libertaire, Elliot tient bon néanmoins, au risque de se brouiller avec la population locale. Lorsque les spectateurs finissent par se présenter, se muant rapidement en une véritable marée, Elliot, dans un premier temps dépassé par les évènements, découvre tout un monde qui lui était étranger avant de s’y fondre entièrement.

Que dire, sinon que si Epinal était aux USA, Ang Lee en serait l’édile. Les images devenues légendaires de l’époque défilent les unes après les autres, les unes en même temps que les autres. Tous les clichés mythiques de la fin des années 60 se succèdent, se mêlent, se bousculent, comme un choc de civilisation, un choc entre une civilisation qui s’épuise et une civilisation qui se croit en train de naître. Le tout sous la douce et discrète férule de Michael Lang (Jonathan Groff), un jeune producteur aux allures du George Berger du « Hair » de Milos Forman.

Car c’est bien lui le personnage central de l’histoire, personnage discret, à peine montré si ce n’est aux instants clés, sorte de passeur d’un monde à l’autre, genre de gourou qui ne dit pas son nom, qui ouvre les pistes sons avoir l’air d’y toucher, qui rassure le voyageur qui tente de s’aventurer sur les pistes ainsi ouvertes. Avec un visage angélique, la tignasse savamment négligée du chanteur des Who, le regard sûr de lui et tout de douceur, la posture indéracinable et le regard fixant l’horizon, le verbe calme et rare, le sourire désarmant, jusqu’au départ au galop sur un cheval indien tel un cavalier solitaire de western morrissien, tout en lui renvoie à un statut d’initiateur, au sens de celui qui fait et entraîne les initiés sur le chemin de la vérité. Image quasi christique comme pouvait l’être George Berger dont il reprend la défroque.

Dès lors, les autres personnages ne sont que comme les apôtres et les élèves de ce nouveau Messie, laïquement baptisés, même hors la présence de l’archange, par la baignade dans l’étang qui jouxte le motel. La religion de la douceur, du flower power, dont l’encens a des accents de marie-jeanne, se libère et prend possession de l’ancien monde, de ses jeunes et de ses vieux, de ses forces de l’ordre, de ses conventions qui s’écroulent. Les mafiosi sont prestement remis à leur place qui est n’importe où sauf en ce nouveau monde. Le service d’ordre est assuré par un improbable travesti (Vilma -Liev Schreiber-) qui tient son calme et sa dextérité de son passage dans le corps des marines.

Bien sûr, certains restent en dehors de ce mouvement, mais avec le seul choix qui leur reste : l’accompagner avec bienveillance, tel Max Yasgur (Eugene Levy) qui loue son terrain pour le festival, et en tirer profit même de leur position extérieure, ou le rejeter et se trouver simplement exclus de fait de la marche du monde. Nul anathème, nulle réprobation, juste le constat de l’auto-exclusion des rétifs.

Evidemment, dans une telle ambiance, les dérapages ne sont pas bien loin. L’initiation d’Elliot aux charmes du voyage chimique sous les auspices d’un couple illuminé (Paul Dano et Kelli Garner) dans un minibus Wolkswagen décoré de tentures indiennes est sans doute à ranger dans ce chapitre tant sa mise en scène se complait dans les effets de distorsion cannabique et d’ouverture des sens, tant elle exploite une symbolique transparente de pluie lavant les nouveaux initiés des poussières de leur ancienne vie. Si on voulait reprocher quelque chose de « too much » au film, ce serait sûrement dans ce type de scènes qu’on irait piocher avec raison, encore qu’elles ne sont pas majoritaires, loin de là.

Coté reconstitution, le film ne semble pas commettre de grave fausse note. Les illustrations musicales sont effleurées, jamais mises en avant, en cohérence avec le projet du scénario qui vise à rendre l’ambiance d’une époque plutôt qu’à en faire la chronique documentée et détaillée. Il y a bien sûr là quelque chose de frustrant aux oreilles nostalgiques, mais le projet est là, et Ang Lee s’y tient bien.

Dès lors, difficile de trouver à décrier le résultat autrement que sur quelques détails quand on se laisse embarquer aussi allègrement dans les filets du réalisateur. Et après tout, c’est bien agréable de se sentir plonger dans un tel bain de nostalgie aux effluves de liberté et d’espérance.

Que l’avenir de cet épisode ait finalement montré les limites de l’utopie ne change rien à l’affaire. Tonton est grimpé sur son nuage et on peut s’accrocher pour le faire descendre.


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6 octobre 2009

The informant

Le nec le plus ultra

On aimerait avoir des choses à raconter à propos d’un film de Steven Soderbergh. On aimerait se dire « Je l’ai vu en avant-première au Festival du Film Américain de Deauville 2009, et ça valait le déplacement ». On aimerait pouvoir décortiquer le film, son sujet, son traitement, sa mise en scène, la performance des acteurs, la dextérité du scénariste ou celle du réalisateur. Et puis voilà que tout tombe à plat. Bien sûr on a vu sur scène un scénariste hilare, Scott Z. Burns, et un Soderbergh plus vrai que nature, en clown triste déguisé en Gil et Georges de la pellicule, costume impeccable et lunettes d’écailles. Mais ça intéresse qui de savoir qu’on est l’homme qui a vu l’ours ? Les gens sont bien plus intéressés par un avis éclairé sur le film que par les aventures deauvillaises d’un quidam, fut-il Tonton Sylvain en personne. Pas vrai ? Alors puisqu’il faut bien dire quelque chose, allons-y. Mais d’abord un petit résumé de l’affaire.

Mark Whitacre (Matt Damon) est chef de service dans une entreprise de chimie, basé dans l’usine de Decatur, une ville moyenne de l’Illinois. C’est un prototype de la classe moyenne, avec des rêves de maison de campagne, de confort domestique, une épouse à mise en plis et rangs de perles (Melanie Linskey), une famille proprette. Il collectionne les voitures dans son garage sans en faire plus étalage que cela.

Tout commence quand il découvre dans son entreprise une série de pratiques commercialement déloyales tenant à des ententes illicites avec la concurrence de manière à fausser le marché, et c’est même lui qui est chargé de mettre au point ces ententes. Pour des raisons mi-honnêtes mi-carriéristes, il décide finalement de s’ouvrir de ces pratiques à un agent du FBI, l’agent Brian Shepard (Scott Bakula), en s’imaginant être le chevalier blanc par qui un grand ménage dans son entreprise passera, ce qui devrait lui valoir reconnaissance et promotion. Il s’offre même à être la taupe du FBI dans ce juteux business.

Mais les choses ne tournent pas tout à fait comme prévu, et Matt se retrouve pris au piège de son double jeu. Pire, on lui découvre progressivement une personnalité à la fois naïve et manipulatrice.

Malgré le point de départ basé sur le livre de Kurt Eichenwald racontant des faits réels datant des années 90, Soderbergh prend résolument le parti de traiter les choses sur un mode de légèreté, de comédie, voire de burlesque. Et le résultat ne déshonorerait pas la filmographie des frères Coen tant il est à l’image de ce qu’avait pu être « Burn after reading ». La quasi-intégralité de ce que ce vieux ronchon de Tonton Sylvain avait pu, en son temps, écrire à ce sujet pourrait s’appliquer à « The informant » sans grande difficulté. Les retardataires pourront s’en convaincre en y jetant un œil, toute publicité mise à part, bien entendu. Sur un sujet pas si éloigné que ça, le « Michael Clayton » de Tony Gilroy avait à l’inverse choisi un parti pris dramatisant et obscur opposé qu’on en vient presque à regretter malgré les préventions de l’époque.

A la lecture de la presse, il semble politiquement correct de souligner néanmoins la prestation de Matt Damon, acteur aux mille visages et aux multiples capacités d’interprétation, allant ici jusqu’à prendre 15 kilos pour entrer dans la peau du personnage. Comme si, depuis la prise de poids de De Niro interprétant Al Capone, le fait de grossir pour un rôle était devenu le nec le plus ultra de la performance artistique. Tonton n’avait pas adhéré aux mèches platine de Brad Pitt dans « Burn after reading », pourquoi le ferait-il davantage pour les bourrelets de Matt Damon dans « The informant » ? A la seule différence près qu’ici, le personnage est discrètement plus complexe, oeuvrant sur un terrain psychopathologique de candeur et de naïveté parfois proche de celui d’un Forrest Gump de la classe moyenne (il faut bien essayer de trouver un petit point positif, même si « Forrest Gump » n’a jamais été un film de chevet de la Sylvain Etiret Company). Et Matt Damon est un bon acteur ; il parvient à faire vivre de manière relativement sobre dans son genre cet hurluberlu de Mark Whitacre.

Quoi qu’il en soit, le film est tellement centré sur le personnage de Matt Damon que les autres acteurs ont du mal à tirer leur épingle du jeu, voire simplement à exister. Paradoxalement, c’est justement une des difficultés du film : vouloir faire jouer à un as de la retenue un rôle de cabotin, soutenu par un scénario et une mise en scène entièrement tournés sur lui et ne lui demandant rien d’autre que d’en faire des tonnes. Comment tenir la distance ? Comment ne pas flairer l’erreur de casting malgré la performance et les kilos ?

Car c’est bien là le défaut de ce film, la balance mal contrôlée entre le too much et le crédible, entre le nec le plus ultra et le nec plus ultra.
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