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29 septembre 2008

Invisible invaders

L’Histoire en marche

C’est amusant de voir à quel point peuvent être différents deux films sortis pourtant à des dates si proches l’une de l’autre. Et cela indépendamment du genre qui n’a évidemment rien de comparable. Mais sortir d’un William Wyler de 1958 tel que « The big Country », et tomber sur un Edward L. Cahn de 1959 comme « Invisible invaders », est une expérience à vous scotcher sur place et pendant les 70 minutes du film, le regard rivé à l’écran, un sourire béat au coin des lèvres. Il est probable que ce brave Mr Cahn n’avait pas anticipé cet effet sur le spectateur d’aujourd’hui et qu’il aurait préféré un tout autre accueil, mais les choses sont ainsi. En plus, on a engrangé depuis quelques autres séquelles du genre, de « La Guerre des mondes » à « La Nuit des Morts Vivants », alors difficile de rester neutre et virginal devant cet « Invisible Invaders ».

C’est que Edward L. Cahn n’est pas le premier venu, un prolifique cinéaste de Hollywood dont la carrière s’est étendue de 1931 à 1962, avec la fabrication de 124 films de genre (polar, science-fiction, horreur, western). Après une période d’abattage durant les années de guerre et un break de 1951 (un seul film) à 1955 (2 films), sa carrière repart en trombe jusqu’à l’apothéose de 1961 marquée par la réalisation de pas moins de 11 films dans la même année.

En se donnant un peu de peine, on peut même lire sur le personnage quelques analyses biographiques dont la très intéressante livraison de Gary Westfahl. Sans aller cependant jusqu’à suivre Gary sur les pentes escarpées de la psychanalyse du réalisateur au travers de son œuvre, on peut tout de même prendre un plaisir non négligeable à la vision de ce fragment qu’il nous a laissé, cet « Invisible Invaders ».

L’histoire s’ouvre sur la manipulation pensive de quelques tubes à essais par le Dr Karol Noymann (John Carradine) et l’irruption d’une violente explosion qui détruit ses installations et met un terme à sa vie. S’en suit une âpre discussion entre le Dr Adam Penner (Philip Tonge), son responsable et ami, et le Général Stone (Paul Langton), le chef du Pentagone pour qui il travaille. Durant cette discussion, Penner annonce son renoncement à poursuivre ses recherches et sa collaboration avec l’armée. Il emmène dans sa démission sa fille Phyllis (Jean Byron) et son ami, le Dr John Lamont (Robert Hutton). Peu après les obsèques de Noymann, Adam Penner reçoit à son domicile la visite inattendue d’un extraterrestre. Ayant emprunté le corps du défunt, il vient lui faire part du prochain envahissement de la Terre si l’ensemble des nations ne fait pas, sous 24 heures, acte de rédition auprès des envahisseurs qui ont déjà pris pied sur la Lune, rendus invisibles par leur maîtrise d’une technologie inconnue sur terre.

Malheureusement, le délai est trop court pour permettre à Penner, aidé de Phyllis et de Lamont, de convaincre le monde de la catastrophe imminente. A l’heure fixée, les morts se relèvent partout sur la terre, mus par les envahisseurs qui les habitent, et les destructions se multiplient. Le Général Stone charge Penner de trouver une parade scientifique et met à sa disposition les installations protégées contre toute attaque même nucléaire d’un laboratoire militaire secret, avec l’aide du Major Bruce Jay (John Agar). Dans leur bunker, Penner, sa fille, Lamont, et Jay travaillent d’arrache-pied et multiplient les tentatives vaines. Il arrivent néanmoins à se saisir d’un corps habité par un envahisseur afin de tester sur lui une ultime technique inventée presque par hasard. La manœuvre étant couronnée de succès, ils font une sortie hors du bunker et lancent la contre-offensive. Ils parviennent de plus à briser le brouillage radio imposé par l’adversaire et à transmettre les éléments de leur succès à Stone qui peut alors étendre l’offensive à l’échelle mondiale et sauver la Terre.

Comment dire à quel point il est rafraîchissant de se retrouver face à ce monument de kitsch et de naïveté ? Il suffit probablement de se donner la seule peine de regarder, même distraitement, la première scène du film, la manipulation suivie d’explosion de ses tubes à essai par le Dr Noymann. Il suffit juste de cela. Le décrire serait indiscutablement le trahir tant il y a dans cette seule et simple scène comme un résumé de l’ensemble de la réalisation, de son sérieux contre les vents et les marées du petit budget, de la conviction toute professionnelle de John Carradine d’habiter la peau du personnage, de sa blouse de laboratoire tirée à quatre épingles disparaissant dans une épaisse fumée évocatrice de catastrophe scientifique, de la voix off qui plante pendant ce temps le décor de l’histoire d’une voix de ténor et sur un ton dont seuls les américains ont le secret. Un secret transmis de générations en générations jusqu’à nos jours. Vous savez, cette voix du Télé Achat qui finit la présentation par un inénarrable « Buy it. Now ! ». Juste cette scène, pas plus, et en moins d’une minute le spectateur est capté, rapté, scotché, hypnotisé jusqu’à la fin du film. Du grand art, du très grand art !

Bien sûr, on est à des galaxies de ce que les effets spéciaux d’aujourd’hui nous balancent dans les yeux. On est comme sur les bancs à assister à la représentation de fin d’année de l’école des enfants. Vous savez, quand les gamins montent sur les planches sous la direction d’une institutrice bien intentionnée qui fait avec les moyens du bord. Une soucoupe volante passe ? Pas de problème : une casserole à l’envers au bout d’un filin suspendu à une armoire, et l’affaire est dans le sac. Un cavalier qui surgit hors de la nuit ? Pas de quoi s’affoler : un balai recouvert de papier crépon fournira un merveilleux destrier. Une foule qui descend la colline ? La même scène à trois personnages répétée 5 fois fera d’un coup 15 personnes en marche : la foule quoi. Un avion s’écrase ? Après tout, ils ont ça dans les archives de l’armée. Pourquoi aller chercher plus loin ? Qu’en fait, l’avion filmé touche le sol au niveau d’une vaste croix blanche peinte au sol pour lui indiquer où ce crash d’entraînement devait avoir lieu n’a bien sûr aucune importance. Qui s’en soucie, pris dans le fil de l’action ? De toute façon, tout est à l’avenant, alors, perdu dans la masse, personne n’y voit rien à redire. Et puis au fond, ça change quoi ? L’art, en particulier celui du cinéma, n’est-il pas plus beau lorsqu’il suggère que quand il montre ? On pourra bien sûr pinailler sur le « suggère », mais allons donc ! Argutie d’érudit ! « Suggère », vous dis-je !

De plus, les effets spéciaux – si l’on peut dire – ne sont pas le seul point fort de l’opus. Le maquillage est à lui seul un chef d’œuvre du genre. Prenez une poudre blanche bien mate pour un teint blafard cadavérique, soulignez les traits de larges coups de pinceau charbonneux, sans oublier les cernes naturellement, agrémentez d’une estafilade dessinée au pinceau gras largement dégoulinant, et vous obtenez pour un coup modique un zombie plus vrai que nature. Il fallait juste y penser. Et se faire ensuite chiper l’idée par Carlos Romero à l’affût d’un bon tuyau pour « La Nuit des Morts Vivants ». Le tour est joué, il n’y a plus qu’à breveter.

On n’en finirait pas de disserter sur les mérites de « Invisible invaders » et des talents méconnus de mise en scène de Edward L. Cahn, sur son art du casting et de la direction d’acteur, sur la constance et la bonne volonté de cohortes entières de comédiens, de techniciens, qui, pendant que quelques voltigeurs se piquaient de marquer de leur empreinte la postérité, constituaient les troupes à pied d’un cinéma qui ne rechignait pas à la tâche. Il y a dans ce genre de film quelque chose de touchant de la vérité d’une époque, pas de l’époque de l’histoire qui est racontée, mais de celle de l’histoire du cinéma.

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Charlie

L’Evangile Selon Charlie

On connaissait jusque là un Charlie sans visage qui servait de moteur secret à trois Drôles de Dames. Nicole Garcia nous propose de compléter notre panoplie d’un Charlie moteur muet de six drôles de mecs. Puissance de l’enfance dont l’énergie contenue permet de passer de trois à six marionnettes ? Nicole Garcia a beau prétendre que le titre de son film est un résidu de titre provisoire qu’il lui a finalement paru inutile de remanier et qu’il ne faut pas y voir davantage malice, que le « selon » ne doit surtout pas s’entendre comme celui de l’Evangile selon Saint X ou Y, elle évite soigneusement de nous révéler le pourquoi de « Charlie ». Et pourtant, le titre de ce dernier opus en révèle probablement bien plus qu’il n’y parait sur l’intention du film présenté le 20 Août 2006, en présence de la réalisatrice et de deux de ses acteurs, en avant première commerciale après les quelques corrections apportées suite à l’accueil un peu frais de sa présentation festivalière cannoise.

Mathieu (Patrick Pineau), paléo-anthropologue de renom, vient passer quelques jours, sous le prétexte d’animation d’un séminaire, dans sa ville natale, fuie depuis longtemps. En réalité, le voyage a pour objet de reprendre contact avec Pierre (Benoît Magimel), son ancien collaborateur qui a déserté le CNRS pour un poste de professeur de Sciences-Nat’ dans le lycée local. L’accueil de la célébrité incombe à Jean-Louis Bertagnat (Jean-Pierre Bacri), le maire désabusé et miné d’ennui de la somnolente cité côtière. Entre autres gamins, Pierre a dans sa classe un jeune Charlie (Ferdinand Martin) de 11 ans, soumis aux tensions conjugales de ses parents, témoin muet de l’infidélité de son père, Serge (Vincent Lindon). Dans les croisements de leurs destins, vient se prendre Joss (Benoît Poelvoorde), minable fripouille profitant de sa liberté conditionnelle pour monter un piteux larcin. Enfin, et quasiment déconnecté des parcours des autres personnages si ce n’est par la géographie, Adrien (Arnaud Valois), jeune tennisman en proie au doute, déroule les mêmes journées comme une relecture révoltée de sa carrière potentielle et des abandons qu’elle lui impose. Les fils de ces sept destinées se tissent durant quelques heures en un écheveau serré sous l’œil presqu’amusé de la caméra.

De l’aveu même de Nicole Garcia, le scenario est construit autour des retrouvailles de deux personnages masculins après l’absence de l’un des deux, autour de la confrontation de leurs regards plus que de leurs discours. La référence affichée renvoie à la tradition du western, à ces univers de mâles où la profondeur de l’émotion transpire de celle du regard plus que de celle des mots. Les silences infinis, les non-dits explicites, la pudeur de la retenue dont le moindre relâchement est susceptible de libérer une violence purificatrice, tels qu’ « Il était une fois dans l’Ouest » ou « Les sept Mercenaires » les ont iconisés, sont ouvertement convoqués dans la genèse de « Selon Charlie ». Les autres personnages ne seraient que le résultat d’une broderie comblant les blancs de ces non-dits, développant l’histoire autour de cette rencontre centrale. Charlie, seul personnage d’enfant, serait comme l’œil de la caméra, le point de ralliement de ces vies qui se croisent, le centre de gravité par lequel le spectateur - et l’auteur – entre(nt) en contact avec cet univers d’hommes qui taisent l’essentiel, qui vivent leurs contradictions dans le silence et la solitude de leur position de virilité. Charlie, c’est le regard du réalisateur. Nicole Garcia conclut ainsi une de ses interventions : « Charlie, c’est moi ».

Les femmes, de leurs postes en périphérie de l’histoire, demeurent à l’écart apparent de cette solitude où les destins des hommes se tissent, sans que ceux-ci réalisent que, du bord de la toile, ce sont bien elles qui retiennent les extrémités des brins du tissu, c’est bien vers elles que convergent tous les écheveaux. Ou dit dans un renversement, c’est bien dans leurs mains que se joignent les fils qui commandent les mouvements de toutes ces mâles marionnettes.

Pourtant d’entrée, le décor est planté. Jean-Louis Bertagnat se tient, devant des caméras de journalistes, au centre d’un carré de crocus, et interroge les techniciens : On les voit bien, mes pensées ? A l’autre bout du film, l’exposé anthropologique de Mathieu tente de mettre à jour le mode de vie et les motivations de l’homme préhistorique qu’il a dégagé de sa gangue de glace, jusqu’à ce que sa conclusion lapidaire vienne éclairer le film : Finalement, peut-être marchait-il simplement vers la lumière. Et, autre scène clé, c’est l’un des paradoxes de l’âme que de chercher cette lumière en s’enfonçant plus profondément dans l’obscurité d’une tempête : si Pierre abandonne le monde de Mathieu, le monde des hommes, des vrais, c’est en quête d’un sens et comme absorbé par un aveuglant tourbillon de neige.

Dès lors, tout est dit. De ce qu’on croyait être une histoire de destins croisés, il faudra lire un destin pensé. Dans ce qu’on s’était laissé vendre comme un voyage en terre d’aventure masculine, il faudra reconstruire les différentes facettes d’un destin unique : il ne s’agira pas d’observer des hommes se débattre face à l’adversité ou la fatalité, il ne sera question que de l’interrogation d’une femme, Nicole Garcia, disséquant ce qu’elle observe de la position d’un homme, en déclinant les tranches de section sous le costume de personnages isolés dans leur cohérence spécifique. Charlie est ainsi bien plus qu’un point de ralliement, qu’un centre focal, bien plus qu’un personnage même dont il n’a que l’apparence de l’existence. Il est le prisme par lequel l’âme masculine se décompose en un spectre d’émotions séparées. Il est le révélateur par lequel chacune de ces pseudo-vies est séparée du corps unique qu’elle compose, et le moteur par lequel elles se recomposent en un emboîtement mystérieux.

Pris dans la tourmente des choix, entre la tentation de ses envies et la frustration de ses possibles, Jean-Louis Bertagnat balance d’une option à l’autre, d’une attitude à l’autre, du courage à la lâcheté, de la lâcheté au courage, en permanence au bord du choix du renoncement, de la démission. Tentant de ménager à la fois chèvre et chou, refusant de choisir entre les deux, il se réfugie dans la solution de l’ennui, de l’aigreur, dont seule l’acceptation de l’acte du choix, tout compte fait, saura le sortir. Cette capacité au choix, cette droiteur sans état d’âme, c’est justement celle qu’il envie en Mathieu dont l’incapacité à l’hésitation le prive de cette part de tendresse abandonnée à l’enfance passée. Au contraire, Pierre tient tout entier dans le doute et la démission. Là où Pierre, au volant de sa voiture, doit être guidé par Charlie qui lui indique « A gauche » pour la route à prendre vers le lieu de la révélation de la faille qui le sape, Mathieu, dans la scène suivante, indique lui-même au chauffeur de taxi « A gauche » pour se rendre à sa maison natale où l’attend la confrontation douloureuse et stoïque au passé d’une enfance dont ses choix ont imposé la mise à l’écart.

Et dans l’espace entre les certitudes et le doute permanent, entre la virilité sur son piédestal et l’indécision confinant au renoncement, se tient toute une humanité qui cherche sa voie avec les moyens du bord : Joss se bricolant l’espoir d’une impossible réinsertion, Serge tentant d’échapper à la sinistrose du quotidien en allant vérifier si l’herbe est effectivement plus verte dans le harem du voisin. Mais dans cette humanité, l’absolu n’existe pas, la réalité vous retient et vous ramène du fantasme et des rêves de gloire ou d’ailleurs à la vérité de votre vie, certes triviale, mais finalement concrète et bien vivante. La différence entre cet espace de l’humain et ces extrêmes d’absolu, c’est le passage à l’acte, c’est le fait de « sauter le pas », c’est le geste d’Adrien qui s’élance dans une chute en acceptant, si ce n’est en souhaitant, qu’elle puisse être sans retour. Mais même ainsi, la marche est bien haute et le retour imposé ne peut être exclu. A ceci près que le retour se fait alors les bagages chargés de l’expérience du choix. Et qu’on sort enfin de l’enfance et de l’univers des magies toutes puissantes pour entrer dans l’âge adulte où le bonheur ne dépend plus d’un quelconque absolu mais se construit malgré tout dans l’acceptation de l’adversité.

Charlie, s’il est cette énergie décomposante et recomposante, s’il est ce prisme et cette force de cohésion, s’il est ce supplément d’âme qui fait passer de l’enfant à l’adulte, pourrait simplement glisser à l’oreille de chacun des six personnages ce vers de Shakespeare dans Richard III que Nicole Garcia présente comme ayant été un autre titre envisagé pour son film : « Demain dans la bataille, pense à moi ». Parole quasi christique si proche du « Ne craignez plus » de Jésus à ses apôtres. Et par là même, est-on si loin de cet Evangile selon Saint X que récusait la réalisatrice dans son introduction ? Est-il si étonnant que Charlie, conduisant Pierre à sa révélation, le devance et l’attende justement sur les marches d’une église, au pied de l’ogive du portail surmonté d’une croix, Christ ramassé descendu de sa croix pour montrer aux hommes la voie de la prise de conscience et du passage à l’âge adulte ? Est-il si surprenant sous cet angle que celui qui est attendu sur les marches de l’église porte justement le nom de Pierre ?

Mais faut-il aller jusque là dans la recherche de la pensée de Nicole Garcia ? Ou faut-il s’arrêter en chemin et se contenter d’un regard sur l’émotion qu’elle transmet et sur les moyens de cette émotion ? Car si le scenario mérite tant d’attention, c’est bien aussi qu’il est porté par une mise en place efficace. Peu de mots, peu de discours, c’était l’intention annoncée. Et malgré cet a priori, le message est presque transparent, le filet puissant qui retient l’attention sur le mystère de cette vie qui se décline à l’écran. Certes les scènes de groupe confinent parfois à un certain fouillis tant la réalisatrice est manifestement plus à l’aise avec les ambiances intimistes à quelques personnages, mais lorsque l’action se recentre se développe le talent de filmer. La visite de Mathieu dans sa maison d’enfance brille de sobriété, tout peuplée qu’elle est à la fois de silence et de non-dits lourds de sens. L’image y est, comme dans la plupart des scènes essentielles, baignées d’une lumière presque picturale. Jusqu’à la virée nocturne d’Adrien où la lumière sale et l’impression de couleurs artificiellement outrées renforcent le sentiment de malaise devant les errances du personnage. La froideur clinique de la lumière de la scène de la révélation à Pierre de son infortune à la fois souligne la dureté du retour à la réalité et n’est pas sans évoquer certaines parties du « Déjeuner sur l’Herbe » de Manet, voire de la « Naissance du Monde » de Courbet. Le cadrage manifestement soigné laisse peu de place à des images différentes d’un découpage horizontal en 2/3 – 1/3. Et ce parfois presque au prix d’une ébauche de lassitude faisant comme attendre le moment où une faute d’inattention laissera échapper un plan différent. Mais lassitude toute transitoire, vite rattrapée par l’ambiance qui reprend par la main vers le fil de l’histoire.

La vraie question qui reste posée est finalement, outre les qualités esthétiques et l’intérêt qu’on peut porter à la préoccupation de Nicole Garcia pour l’âme masculine, le passage à l’âge adulte, voire la métaphore religieuse, concerne finalement le fondement du choix de traitement : fallait-il à ce point disséquer le propos au risque de le rendre confus par la multiplicité des approches, ou ne pouvait-on pas conserver le propos initial d’un film épuré à deux visages ?

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28 septembre 2008

Aliens vs. Predator - Requiem

Les prébendes aux orties

J’ai honte. J’ai très honte. J’ai encore plus honte que je ne saurais dire. Pourtant je sais dire que j’ai honte. Mais comment dire à quel point ? Peut-être simplement en le disant. Alors voilà : j’ai honte. C’est basique, primaire, élémentaire, minime, minuscule, limité, ridicule, sommaire, petit, voire lilliputien. Peut-être. Sans doute. Mais c’est ainsi : j’ai honte.
Affiche France (cinemovies.fr)

« De quoi, fichtre diantre, mon pauvre Sylvain, avez-vous tant honte ? », me direz-vous, soudain submergés d’une curiosité malsaine. « D’avoir gaspillé 9 euros cinquante », vous répondrai-je, toute honte bue (et par les temps qui courent, il ne faut pas lésiner sur ce qui peut être encore bu tout de suite, avant que ça ne devienne interdit). Oui, d’avoir jeté aux orties le montant d’une place de cinéma pour me gaver d’un sombre plat indigeste. Dire que pendant ce temps là, il y en a qui travaillent plus pour gagner plus, et que moi je glande au cinoche pour gaspiller. C’est pas Dieu possible. Si Dieu existe, naturellement …

Affiche USA (cinemovies.fr)

Vous insisteriez : « Allons donc, cher ami ! A n’en point douter, vous en faîtes un peu trop. Vous ne pouvez, assurément, vous heurter la conscience aux boutoirs des navets. Vous ne pouvez vous faire grief d’une inconséquence qui eut imposé, pour être telle, que vous en sachassiez par avance la nature ». Certes, et vous seriez bien bons de me faire cette grâce. Mais, voyez-vous, le mal est fait, et nulle consolation ne pourra le défaire. Mais fi de vaines paroles, je vous laisse finalement juges du drame, et de mon déshonneur d’avoir ingurgité « Aliens vs Predator 2 ». Vous commencez à saisir l’ampleur de la catastrophe ? Laissez-moi, néanmoins, vous en narrer l’intrigue.

Affiche Lithuanie (cinemovies.fr)

A bord d’un vaisseau spatial, l’équipage d’étrangers du genre Predator est décimé par l’éclosion d’une colonie du genre Alien. Le vaisseau alors à la dérive dévie de sa route pour s’abattre sur une forêt des USA où des Aliens (Tom Woodruff Jr.) survivants commencent à décimer la population d’un village tout proche. Depuis sa planète à lui, un individu du genre Predator (Ian Whyte) réalise le sort de ses congénères et saute dans son vaisseau à lui pour aller venger ses collègues. Il arrive ainsi su Terre et se met en quête des Aliens. Il n’en veut pas particulièrement aux terriens, mais n’hésite pas à en occire quelques-uns au passage qui se trouvent sur sa route.

Affiche Japon (cinemovies.fr)

Les terriens du village, de leur côté, mettent un certain temps à comprendre la nature du danger. On ne saura d’ailleurs pas, tout au long du film, s’ils comprennent bien la nature de ce combat sidéral, ou s’ils ne voient que les ravages créés dans leur quotidien par l’irruption d’extra-terrestres variés.

Afin qu’au spectateur rien n’échappe du cataclysme subi par les terriens, l’histoire se centre sur quelques personnages. Tout d’abord le shérif Morales (John Ortiz), qui fait ce qu’il peut, et qui peut peu. Il se trouve que le shérif est plus ou moins copain avec Dallas (Steven Pasquale), un ancien détenu qui vient juste d’être libéré et qui remet les pieds en ville. Celui-ci se trouve avoir un jeune frère, Ricky (Johnny Lewis), qui livre des pizzas pour subsister et payer ses études. Le jour du drame, il a justement livré des pizzas chez Jesse (Kristen Hager), la fille de sa classe dont il a secrètement le béguin et qui est surprise de le trouver dans ce rôle. Les invités, autres ados de l’école, dont Dale (David Paetkau), le Jules de la donzelle, s’en prennent à lui et le molestent.

Aidé de son frère repris de justice, Ricky part à la recherche des clés de sa voiture qui lui ont été prises durant la rixe et jetées dans les égouts. Et c’est dans les égouts qu’ils tombent, incrédules, sur les premières traces d’activité des Aliens. Le lendemain, Jesse, qui a un vague remord, largue Dale et vient draguer outrageusement Ricky, pour l’attirer le soir même vers la piscine de l’école déserte où elle a visiblement coutume de conduire ses conquêtes pour passer à l’acte.

A un autre bout de la ville, une jeune femme militaire, Kelly (Reiko Aylesworth), rentre en permission auprès de son mari et de sa fille Molly (Ariel Gade). La petite en veut visiblement à Maman de ses absences prolongées et n’est que d’une docilité relative.

Tout bascule lorsque le Predator, engageant la bagarre contre un groupe d’Aliens qu’il a repéré dans la centrale électrique locale, fait sauter les plombs de toute la région et plonge la ville dans le noir. Simultanément, Molly alerte sa maisonnée en voyant des monstres dans le jardin, ce qui conduit son père à une sinistre fin alors que la mère et l’enfant s’échappent en claquant des dents. Encore simultanément, Ricky et sa nouvelle copine se font agresser au bord de la piscine par Jules jaloux et ses copains avant que tout le monde soit pris à partie par une bande d’Aliens qui croquent quelques uns des jeunes gens. Toujours simultanément, Dallas qui se trouve être avec le shérif Morales subit la panne d’éclairage et observe la ville commencer à se précipiter sur les routes pour former d’immenses bouchons parmi lesquels les Aliens commencent à faire des dégâts. Les trois groupes se retrouvent par hasard dans une armurerie, qui pour s’y abriter, qui pour se fournir en matériel, et tout le monde s’en va vers le centre ville après avoir contacté par radio la Garde Nationale qui y envoie des troupes qui seront pourtant vite décimées.

La suite est le récit des péripéties diverses de la tentative d’échappée du groupe au milieu de la vaste bagarre entre le Predator et les Aliens qui se multiplient apparemment aussi vite que le vengeur les dégomme.

Pour rester un tant soit peu honnête, on doit à la vérité de reconnaître que les aficionados de la bagarre de rue par temps plombé et conditions nocturnes trouveront sont trop de peine quelques scènes dignes de les rassasier. Pour les amateurs d’autres genres, la cueillette risquera cependant de se révéler plus frugale. Les amoureux des monstres sidéraux sont bien sûr mis en appétit, mais leurs héros sont le plus souvent filmés dans des coins sombres laissant deviner plus leur silhouette que le détail de leur anatomie. La vitesse de défilement des plans lors des scènes d’action, pour le rythme qu’elle tente de donner, et y réussit le plus souvent, n’aide cependant pas à fixer dans la rétine les subtilités de la morphologie des deux espèces d’extra-terrestres. Il est manifestement fait sur ce plan appel à la mémoire supposée acquise des épisodes précédents tant de la série des « Alien » que de celle des « Predator ».

Les acharnés des films gore trouveront également quelques miettes pour distraire leur appétit, mais tellement parcimonieusement dispersées qu’on frôle à vrai dire la disette. Les inconditionnels de l’émotion et de la larmichette resteront de leur côté sur leur faim profonde, comme ceux qu’attire une intrigue complexe aux ressorts multiples et à la psychologie retorse. De fait, la psychologie des personnages est réduite à l’essentiel, juste suffisante pour faire la différence entre les différents personnages et une collection de jonquilles fraîchement cueillies. Manifestement, il était admis que l’action était tellement suffisante à l’intérêt du film que le seul obstacle imaginé à sa compréhension était de pouvoir distinguer les personnages entre eux. Quelques schémas bien tranchés de personnalités aisément identifiables suffisant à cet objectif, on se contenta de les ébaucher à grands traits avant de ne plus y revenir et de s’y tenir fermement.

Sans entrer dans une analyse détaillée de chaque séquence de l’œuvre, qu’il suffise de souligner à quel point la mise en scène est au diapason de cet objectif de prééminence des scènes d’action telles que susditement caractérisées. Nulle fioriture parasite ne vient détourner l’attention de cet unique objectif. Là où, on l’imagine, un plan serré risquait de dévoiler quelque défaillance de la prise de vue ou de l’intrique, il est immédiatement baigné dans une pénombre quasi nocturne laissant au spectateur tout le loisir d’imaginer l’action plus que de proprement la suivre. On serait presque, à cet égard, tenté de percevoir ici comme une illégitime filiation pour les films expérimentaux qui avaient autrefois exploré les rigueurs du concept du cinéma sans image. Même s’il est vrai qu’une telle parenté parait objectivement davantage naître du désir désespéré du commentateur de ne pas rester muet devant cet impressionnant spectacle que d’une volonté réellement consciente du réalisateur. Le jeu des acteurs est enfin d’une telle simplicité tournant à l’exercice de patronage qu’on peine à imaginer une absence de volonté à cet état de faits. Encore que la réalité se soit souvent avérée bien plus étonnante que l’imagination dans ce domaine.

Comment, dès lors, expliquer cette impression de manque au sortir de la projection ? Ce sentiment de gaspillage de prébendes laborieusement acquis ? N’y a-t-il vraiment et à ce point rien à sauver de cette œuvre étonnante de naïveté ? Est-ce là la source de la honte initialement annoncée ? Qui pourrait le dire ?
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L’ange des maudits (Rancho notorious)

Les perles de poussière

Un avantage du cinéma, c’est qu’on n’arrête jamais de se laisser surprendre par des perles inattendues. Bien sûr, il faut pour cela garder un œil ouvert par lequel, inévitablement, passent bon nombre de fadaises. Mais quand on tombe sur l’oiseau, on ne regrette subitement plus rien des tièdes brouets qu’on a dû ingurgiter pour en arriver là. Il faut aussi de temps à autre se replonger dans un fond aujourd’hui centenaire, y tremper les mains parfois jusqu’aux coudes, pour en ressortir une pépite souvent poussiéreuse étonnamment oubliée. Quelques repères aident évidemment épisodiquement à orienter le tâtonnement, bien qu’il n’y ait jamais réellement de certitude. Ainsi, si un jour un heureux hasard fait venir ensemble Marlène Dietrich, Mel Ferrer, Fritz Lang, et Arthur Kennedy, on se dit rapidement qu’on est sans doute tombé sur quelque chose. Si le tout est rangé dans la catégorie western, on a bien un petit temps de surprise avant de se dire qu’après tout, on pourrait jeter un œil. Et quand le titre apparaît après un bon coup de plumeau, « Rancho notorious » en VO, ou « L’ange des maudits » en VF, daté de 1952, on se dit qu’on ne s’est pas donné tout ce mal pour rien, et on s’installe face à l’écran, prêt à une plongée surprise.


Affiches USA (moviepsterdb.com)

L’histoire raconte le parcours de Vern Haskell (Arthur Kennedy) dont la fiancée, Beth Forbes (Gloria Henry), est assassinée à une semaine des noces par un bandit de passage. Criant vengeance, Vern se lance à sa poursuite. Il découvre le corps du complice du bandit, qui lui indique avant de mourir leur destination, le Chuch-a-Luck ranch, sans autre précision si ce n’est que c’est un havre pour hors-la-loi entre deux méfaits. C’est muni de ce seul indice que Vern poursuit alors sa quête durant laquelle il peaufine son habileté au tir et recueille des informations sur la tenancière du ranch, Altar Keane (Marlène Dietrich), une fille de bar ayant fait fortune au jeu de Chuck-a-Luck, et sur son compagnon, Frenchy Fairmont (Mel Ferrer), à la réputation de tireur le plus rapide de l’Ouest.


Affiche Australie (movieposterdb.com)

Il finit par trouver la piste de Frenchy, sous les verrous après une algarade de saloon, parvient à se faire emprisonner dans la même cellule et à gagner sa confiance. Les deux s’évadent ensemble et Frenchy emmène son acolyte au fameux Chuch-a-Luck ranch où ils rejoignent Altar Keane et toute une bande de mauvais garçons hébergés là en échange de 10% de leurs butins. Faisant mine de partager leurs penchants, Vern continue alors son enquête sur place pour identifier l’assassin de Beth parmi tous ces malfrats, allant même jusqu’à séduire Altar pour tromper sa vigilance et en apprendre à son insu une information capitale.


Affiche France (movieposterdb.com)

Comment décrire cet étrange objet qui tient autant du western que du film noir ? Tout au long du film, on ne peut s’empêcher de se dire que le film fonctionne à plusieurs niveaux, comme si Fritz Lang avait pris un parti a priori d’utiliser les codes du western, mais pour raconter une histoire qui n’entre pas dans les rails habituels du far west.

Affiches Espagne (movieposterdb.com)

D’ailleurs, si les acteurs choisis pour les seconds rôles sont des habitués du genre, avec un Jack Elam ou un Frank Ferguson sans surprise, on ne peut pas en dire autant des premiers rôles. Mel Ferrer, avec sa distinction de dandy british, est bien loin de l’image qu’on se fait d’un cow-boy roi du pistolet. Arthur Kennedy porte sur sa physionomie tant de personnages de gangsters qu’on a du mal à ne pas se demander quand il va enfin enfiler son costume de flanelle et son feutre au son d’une sirène de voiture de police. Seule parmi les trois, Marlène Dietrich parvient à enfiler la peau de l’ex-fille de bar, peut-être grâce à quelque chose entre une dignité et une gouaille naturelles.


Affiche Argentine (movieposterdb.com)

La musique elle-même est d’une tonalité indéniablement « western », mais avec un style récitatif inhabituel des paroles dont le refrain est repris à de nombreuses reprises dans le courant du film. Au bout du compte, la chanson du générique, répétant qu’il s’agit d’une histoire de haine, de meurtre et de vengeance (« A tale of Hate, Murder, and Revenge »), finit par devenir lancinante et parfois envahissante.

Affiches Italie (movieposterdb.com)
Malgré tout, on se laisse absorber dans cette histoire, et c’est aussi cela qui fait un étonnement du film. Les codes sont là, ou presque. Il ne manque peut-être que les thèmes de la religion et de la patrie pour en faire un western classique au sens de John Ford ou de Howard Hawk. Mais il règne une ambiance étrange de décalage qui retient l’attention. Il serait étonnant qu’elle tienne à une maîtrise aléatoire du genre par Fritz Lang. On pense bien vite à un phénomène de genre de « Johnny Guitar », sorti à la même époque (1954), où Nicholas Ray se sert ouvertement du western pour traiter autre chose.

Affiche Belgique (movieposterdb.com)
Là, derrière un habillage de chevaux et de pistolets, Fritz Lang se plonge en réalité dans les tourments de l’âme d’un homme blessé, dans les affres de la haine, de la violence, de la vengeance. Contrairement à la trame classique qui ferait probablement que le coupable serait abattu par le vengeur avant que l’histoire finisse sur une cicatrisation par onguent de bons sentiments, il y a là une confiance étonnante dans l’institution, dans la police, dans la justice. Et c’est finalement comme par accident que survient le dénouement.

Affiche Suède (movieposterdb.com)
La place du trio femme / compagnon / séducteur n’est par ailleurs pas un classique du genre mais tient bien davantage du film policier ou du film noir de années 50. De même pour le travail sur la duplicité, celle de Vern qui est un autre visage de l’obstination admirable, face à la sincérité et à la franchise d’Altar Keane qui pose d’emblée les règles d’une ligne de conduite et qui s’y tient. Et c’est lorsqu’enfin ces règles sont violées presque à son insu que se noue le drame. Comme si la confrontation entre le bon droit de Vern et la marge sociale dans laquelle évolue Altar ne pouvait trouver de résolution que dans la violence d’un dilemme explosif et délétère.

Affiche Allemagne (movieposterdb.com)
Comme souvent, les noms des personnages ne sont pas innocents. Celui de Vern, Haskel, qui prend une dimension très explicite dès qu’on en réarrange l’orthographe en Ask Hell, celui qui fait alliance avec l’enfer, un genre de Dark Vador qui plonge du côté sombre de la force, même avec les intentions les plus justes au départ. De même celui d’Altar Keane, dès lors qu’on comprend qu’ « Altar » désigne en anglais l’autel sur lequel se donne la communion, et que Keane, ré-écrit « Keen » désigne quelque chose d’aigu, de pointu, de très bon, aussi bien qu’une lamentation. Il y a ainsi d’emblée dans cette femme, malgré sa façon de vivre, quelque chose de droit, de sincère, de pur. La rencontre de Vern et d’Altar est finalement une lutte du bien contre le mal, mais d’un bien teinté de mal contre un mal teinté de bien. On comprend alors que les destins de chacun étaient noués dès le départ, scellés dans le marbre d’une destinée tragique, et que la réplique d’Altar à Vern : « Je voudrais que tu partes et que tu reviennes il y a dix ans » n’est pas un simple effet de style mais une prière désespérée contre la fatalité inexorable de la vie.

Quand je vous disais qu’on trouve des perles sous la poussière …

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Les amateurs

Les filles, mode d’emploi

Tomber dessus par hasard, c’est un des miracles des petits matins d’insomnie et des chaînes cinéma du satellite. Tomber dessus sans se faire mal - et sans l’abîmer non plus, naturellement – ça devient un peu plus rare, et selon les chaînes, parfois tourner à l’exceptionnel. Mais ça arrive, alors autant en profiter. Espérer découvrir ainsi un chef-d’œuvre méconnu serait peut-être beaucoup demander, mais bon, un petit truc sympa qu’on n’aurait jamais pensé à regarder spontanément et que seul le désoeuvrement fait lascivement entamer, pourquoi pas.

Affiche France (cinemovies.fr)

Cette nuit là, j’avais ouvert le poste plein d’espoir sur la deuxième moitié de « La Chinoise » de Godard, et à la fin je n’avais toujours pas retrouvé le sommeil. Pas le moindre bâillement. C’est dire le caractère rebelle de mon insomnie, parfois. Un petit coup de zapette, et surprise ! Pascal Légitimus. Tiens, why not après tout. Un petit tour sur la fonction Programme et me voilà muni d’un minimum d’info : à un moment ou à un autre, on devrait voir arriver Jalil Lespert et Lorànt Deutsch, dans un film de 2003 de Martin Valente.

L’histoire ? Pas bien compliqué et vite rattrapée même si on a manqué le début. En reconstruisant un peu. En gros, deux copains d’une cité de banlieue, Djamel, dit JP (Jalil Lespert), et Christophe, dit Chris (Lorànt Deutsch), sont pour l’un employé dans un petit supermarché et pour l’autre chômiste. JP a une sœur, Malika (Barbara Cabrita), qui plait bien à Chris, qui lui, a une cousine, Maya (Sara Martins), qui branche bien JP. Mais les deux belles font, elles, des études et naviguent dans un milieu plus cultivé, avec des préoccupations plus « étudiantes ».

Comment attirer l’attention des belles quand on se sent si petit face à ces dames inaccessibles. A cœur vaillant, rien d’impossible ! Et voilà nos compères imaginant les stratagèmes les plus naïfs pour séduire les élues, d’abord hautaines, puis progressivement attendries par tant d’efforts et de bonne volonté. C’est qu’ils mettent le paquet, les deux courageux. Surtout Chris, le moins timide, qui se documente. Ces filles là, elles aiment la culture, alors on va se mettre à leur portée. Leur montrer qu’on n’est pas des gros nuls de cité et qu’on aussi de la sensibilité et des neurones.

Un vieux Barbara Cartland en guise de mode d’emploi de la sensibilité féminine, les voilà lancés sur la piste de la promotion intellectuelle. Le théatre ! C’est ça ! Ca, ça devrait les brancher ! Top là ! Y a Brittanicus à la MJC, et on a même des places gratuites, si on les invitait ? Ouais, mais pour que ce soit crédible, il faut qu’on connaisse un peu aussi. Banco, allons d’abord pour une séance d’apprentissage. On les invitera après.

Djamel reste, lui, imprégné d’idées plus classiques. Les filles, ça aime les sorties et les grosses voitures. Et le voilà qui emprunte la BMW d’un copain pour aller impressionner la belle. Mais les filles ont besoin d’autre chose que ça, et ça, c’est pas dans le manuel. Maya refuse l’offrande et le geste tourne en penaude déconfiture.

Là-dessus se greffent deux ramifications à l’histoire. D’une part Monsieur Meinau (François Berléand), le patron du supermarché où travaille JP, est persuadé que JP est un fils né d’une relation de jeunesse avec une ancienne vendeuse du magasin, et n’a de cesse de le prendre sous son aile. D’autre part, Jimmy (Pascal Légitimus), le fameux copain à la BMW, est en fait un truand de banlieue au grand cœur, petit roi du quartier.

Or la BMW est fauchée à JP lors du braquage de la banque où Chris fait un remplacement de vigile (Lorànt Deutsch, taillé dans une allumette, en vigile, fallait la trouver celle-là !). Et voilà nos deux pieds nickelés qui se montent la tête à penser qu’on va les accuser du casse et qui s’enfuient à la campagne pour éviter la maréchaussée, qui, de son côté, n’avait pourtant jamais douté du contraire. La cavale rurale et le retour des acolytes valent leur pesant de cacahuètes.

Avec ces ingrédients là, et en laissant mijoter à feu doux, ça nous donne une petite comédie tout à fait sympathique. Le feu doux permet de maintenir une douce fraîcheur que je n’avais pas retrouvée depuis un certain temps. Sans prétention et sans ostentation. Pas d’effets spéciaux, pas de cavalcade en voiture (en fait, juste une petite, juste pour dire) (en fait, aussi une deuxième, mais qui dure cent mètres et se finit dans un poteau … ça c’est du grand spectacle !). Pas de grands sentiments, juste des bons sentiments. Pas de grands éclats de rires, juste des sourires tranquilles et sans arrière-pensée. Pas de faux message, juste une simplicité et une naïveté bien intentionnée.

Lorànt Deutsch est dans son registre habituel et Jalil Lespert est touchant à souhait. François Berléand en fait toujours un peu trop, mais ici c’est juste dosé et pas au premier plan. Les deux donzelles sont mignonnes et pas cabotines. Robert Rollis fait une apparition pour le fun dans un dialogue à couper au couteau … Et puis aussi une apparition de Dominique Frot (la sœur de Catherine ; je ne la connaissais pas ; c’est dingue comme elle ressemble à sa soeurette).

A la fin, je n’avais toujours pas sommeil, mais ça m’était devenu complètement égal. Après tout, c’était peut-être aussi bien, non ?

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Mogambo

Les femmes et Dieu

Remake de « Red Dust », un film de 1932 avec déjà Clark Gable dans le rôle principal et aux prises avec Jean Harlow et Mary Astor, qui se déroulait dans la moiteur de la jungle malaisienne, « Mogambo » se déroule quant à lui en Afrique de l’est, Victor Fleming (celui de « Autant en emporte le vent » et du « Magicien d’Oz ») étant remplacé aux manettes en 1953 par un John Ford sortant de « Rio Grande » et de « L’Homme Tranquille ». Il est probablement difficile aujourd’hui d’imaginer l’impact de ces images tournées sur place (même si différentes équipes s’étaient partagées entre l’Ouganda, la Tanzanie, le Kenya, le Congo, … et les studios de Borehamwood en Angleterre), en décors naturels et en Technicolor, sur un public américain et européen encore peu habitué aux voyages et à leurs compte rendus filmés. Huit ans plus tôt, l’Europe était encore à feu et à sang - c’est quoi, huit ans ? Il y a huit ans, Chirac était déjà Président depuis 4 ans et Sarkozy préparait son retour ; Zidane était déjà champion du monde depuis un an – et ne connaissait des paysages et de la faune d’Afrique que ce que lui en racontaient les troupes coloniales et ce qu’elle en voyait derrière les grilles du zoo de Vincennes ou de quelques cirques.

Difficile pour un non pratiquant de savoir la signification de « mogambo » en swahili tant l’information semble classifiée top secret sur internet, grevée de pièges et de fausses pistes. Il semblerait que la MGM ait à l’époque privilégié le sens de « passion », mais qu’au moins deux autres significations soient possibles : « grand gorille » ou « parler ». Saura-t-on jamais ? A moins qu’un swahilophone généreux accepte de dénouer un jour ce secret si bien gardé. Ou à moins que les trois traductions soient également valides, liées par une racine commune qu’il resterait à interpréter. En attendant, la question reste en suspens.

Quoi qu’il en soit, l’histoire raconte la rencontre entre Victor Marswell (Clark Gable), chasseur professionnel établi en Afrique de l’est à la tête d’une petite entreprise fournissant des animaux exotiques aux zoos de par le monde et les services d’un guide avec logistique pour amateurs de safaris sportifs, photographiques, ou scientifiques. Il y prospère dans un campement de brousse au bord du fleuve avec son associé John Brown-Pryce (Philip Stainton), leur contremaître Leon Boltchak (Eric Pohlmann), et toute une troupe d’employés locaux. Un jour débarque dans le camp une jeune femme, Eloise « Honey Bear » Kelly (Ava Gardner), venant rejoindre son Maharadja d’ami qui entre-temps a dû regagner ses Indes natales. Coincée là en attendant le prochain bateau, Honey, délurée mais ignorante des choses de l’Afrique, noue avec Marswell une relation sentimentale non exempte de quelques bourrades. Après quelques jours, arrive le bateau qui doit la reconduire à la ville avec les prises de Marswell destinées à ses clients. Simultanément débarque du bateau un couple, Donald Nordley (Donald Sinden), un anthropologue venant vérifier sur le terrain une théorie qu’il a élaboré concernant les gorilles, et son épouse Linda (Grace Kelly), toute en distinction et bonne tenue. Mais une panne du bateau fait rapidement revenir Honey au campement.

Frappé de fièvre, Donald doit garder la chambre, laissant Linda face aux entreprises de séduction toujours aussi bourrues mais efficaces de Marswell face à une Honey soudain délaissée. Après guérison de Nordley, décision est donc prise, le bateau n’étant pas rapidement réparable, de monter une expédition en camion et canoë vers le pays des gorilles, et d’en profiter pour déposer en chemin Honey à un point de passage des transports qui pourront la conduire au Caire. Le trajet est l’occasion d’un approfondissement de la relation entre Marswell et Linda, à la fois sous le regard aveugle et innocent de Nordley et sous les piques et allusions répétées de Honey. Il est aussi l’occasion d’une halte dans un village amical sous les auspices du Père Joseph (Denis O’Dea), un missionnaire aimable, puis d’une autre, dans un village en pleine révolte indigène contraignant le groupe à renoncer à y déposer Honey comme prévu. L’expédition se poursuit néanmoins jusque sur les terres des gorilles, et jusqu’à la découverte par Nordley des relations entre sa femme et Marswell. Dans une prise de conscience générale de la réalité des passions et des sentiments de chacun, les relations se réaménagent enfin pour un dénouement heureux.

Comme d’habitude chez John Ford, le traitement de l’histoire principale se déroule sur un fond caricatural permettant de définir un décor, une trame, suffisamment clairs pour en gommer les aspérités. Les archétypes sont nets et tranchés, soulignés à l’envi par tous les moyens disponibles, du discours à la posture ou à la tenue vestimentaire. L’attention n’est alors retenue par rien d’autre que par les quelques personnages principaux autour desquels l’histoire se déploie réellement. Elle est par contre soutenue par des intermèdes de respiration, ici consacrés aux grands espaces africains ou à leur faune sauvage là où les westerns consacrent les grands espaces de l’ouest et leurs autochtones plus ou moins sauvages. Quelques entorses cependant à la technique habituelle du réalisateur : la touche d’humour potache n’est pas confiée à un seul personnage mais se répartit plutôt entre Eloise et quelques uns des animaux des enclos autour du camp de Marswell ; la fameuse John Ford Stock Company, ce groupe de comédiens fétiches, habitué à travailler avec le réalisateur, n’a apparemment pas de représentant ici, probablement du fait du faible nombre de personnages du scénario.
Mais outre la patte du réalisateur, ses tics et ses manies, outre l’exotisme des décors, vendu et survendu par les studios à la sortie du film, restent une histoire, et une confrontation, quasi intimiste malgré la vaste toile de fond africaine, entre une série de monstres sacrés du cinéma.

L’histoire, qu’est-ce qu’elle nous raconte ? L’histoire d’un vieux célibataire baroudeur pris entre deux femmes. L’une qui a fait son éducation dans la jungle des bas quartiers, qui ne connaît pas le détail de ce qu’une bonne éducation lui aurait inculqué mais qui a une connaissance de la vie, de ses coups bas, de ses traîtrises. L’autre qui est comme un pur produit de la bonne société, bien mariée, bien polie, bien tirée à quatre épingles même au milieu de la jungle, mais qui se ballade au travers de la vie comme ballottée sur un rafiot incontrôlé en jetant un regard de dédain sur manants restés sur la rive. L’une est la femme d’expérience, l’autre est l’image de la femme sur papier glacé. L’une est la chaleur, la sueur, le vent, l’autre est la glace qui vernisse le papier, la sécheresse du ton, la brise qui s’effraie des vagues. Deux images fantasmées de la femme. L’une de chair et de sang, l’autre de distance inatteignable. Et au milieu de ces deux images, ce pauvre mâle qui fait ce qu’il peut pour se donner bonne figure mais qui ne sait plus vraiment où donner de la tête. Tantôt vers l’animal, tantôt vers le spectre. Tantôt vers celle qui vous veux, tantôt vers celle que l’on voudrait. Et comme rien n’est simple, ce n’est pas que face à sa propre incertitude que se retrouve Adam, c’est aussi face à la guérilla que se mènent les deux faces d’Eve.

Les signes se multiplient tout au long du film pour caractériser d’abondance chacune. Eloise remet en usage le piano mécanique silencieux depuis trente ans, se trémousse aux chants des employés africains, cheveux noirs lâchés, tenue de terrain crottée jusqu’aux fesses ou déshabillé vaporeux. Linda, chignon noué serré, tenue impeccable, rigidité collé monté ne laissant qu’en de brèves occasion se briser une glace épaisse. Le combat est d’ailleurs sans issue, toute trêve exclue même lorsqu’Eloise tente un rapprochement : la vestale est sur son piédestal et ne compte pas en descendre. Eloise prend les armes du terrain de combat, celles de l’amour physique, allusions graveleuses en tête. Linda en reste à la réponse sociale, n’y répondant que par l’appel aux mâles pour qu’ils mettent bon ordre aux perturbations. Eloise qui, même si elle confond allègrement un rhinocéros et un kangourou, marche du même pas que la panthère enfermée dans sa cage, patauge avec un éléphanteau espiègle, qui malgré sa frayeur lorsqu’un léopard traverse sa tente n’en subit qu’un regard négligent. Linda qui, à peine livrée à elle-même, ne découvre la jungle que pour s’y retrouver au contraire sous l’attaque d’un fauve, être prise dans un vent qui pourrait aussi bien être le souffle d’Eloise, qui s’alarme d’une fièvre qui laisse tout autre de marbre. Chacune ainsi chargée de ses attributs mène alors son combat, symbole contre symbole, fantasme contre fantasme.

Et dans les effluves de ce combat, passe quasiment inaperçu le tournant du courant. Prête à s’avouer vaincue et à rendre les armes, Eloise au moment de croiser une modeste chapelle se couvre sobrement la tête et met un genou à terre. La confession qui suit à l’oreille paternelle du Père Joseph n’est plus alors que formalité redondante. Le vent a déjà commencé à tourner. Eloise n’est soudain plus seule dans la bagarre. Dieu a choisi son camp, le camp de l’humanité face à celui du papier glacé. Marswell, le grand chasseur blanc, pourra toujours continuer à se donner des airs de braconnier, de grand mâle en chasse, sa liberté se résume dorénavant à l’apparence des choses, à cette liberté de l’animal pris au piège mais qui l’ignore encore. Il fallait bien ce niveau d’intervention pour faire basculer la bataille entre des protagonistes de ce gabarit. Quel autre choix que de s’en remettre au jugement de Dieu, qui entre ange et démon, fait le choix du démon ? Encore que le démon n’était peut-être pas du côté sulfureux et l’ange du côté de la blanche colombe.

Incidemment, on reconnaît bien la tentation de John Ford de s’appuyer et de traiter des valeurs étatsuniennes, quitte à risquer l’iconoclastie. Ailleurs, et dans nombre de ses westerns, les valeurs de la nation, de la liberté, de la civilisation, de la famille. Ici celles de la rédemption, de la justice, de Dieu vécu non dans ses œuvres miraculeuses mais dans ses interventions naturelles quasi inaperçues dans le quotidien le plus immédiat.

Bien sûr, même s’il se déroule dans les profondeurs de l’Afrique, le film reste une affaire de blancs. La population locale est en permanence reléguée au rang de décor, caricaturée dans sa polygamie, sa férocité ou son silence craintif, ses accoutrements bariolés. L’époque encore coloniale de la réalisation ne laissait aucune place à une vision élargie de l’Afrique à autre chose qu’un terrain de jeu pour blancs. Vu d’aujourd’hui, le cadre a fatalement quelque chose de frustrant obligeant à se replonger dans un contexte qui ne connaissait pas nos préventions et nos aspirations actuelles. Petit exercice de mémoire, ou d’oubli, indispensable pour rester immergé dans le cours de l’histoire.
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Little children

Les enfants ne sont pas où l’on croit

Dans sa grande saga du Cinéma Etasunien Festivalisé à Deauville 2006, la Sylvain Etiret Company est heureuse de vous présenter ce soir, dans la série Film d’Auteur Intimiste, une œuvre de Todd Field, soutenue par Kate Winslet et Patrick Wilson, « Little Children ». (A ne naturellement pas confondre avec « Chicken Little », américain aussi, mais boxant dans une autre catégorie … Désolé, je n’ai pas pu m’en empêcher).

L’histoire est somme toute relativement simple. Une petite ville des USA vit le retour chez sa mère (Phyllis Somerville) de Ronald James McGorvey (Jackie Earle Haley), à sa sortie de prison, après qu’il y ait purgé sa peine pour exhibitionnisme. Le quartier est en plein émoi à l’idée de ce que la proximité de ce pervers amènera d’insécurité dans les esprits sensibles des pauvres enfants du secteur. C’est que le coin est peuplé de mères de famille oisives dont l’essentiel des occupations tourne autour de la promenade des enfants, la station au square, et les commérages sur le banc pendant que les marmousets découvrent balançoires, pelouses et autres bacs à sable. Parmi la bande de commères en question, Sarah Pierce (Kate Winslet), délaissée par son mari, Richard (Gregg Edelman), se tient un peu à l’écart, participant au groupe mais ne parvenant pas à s’y trouver réellement à l’aise. Jusqu’au jour ou débarque dans le square Brad Adamson (Patrick Wilson), un papa-poule qui fait office de nounou pendant qu’il est officiellement en train de préparer son examen de droit et que son épouse Kathy (Jennifer Connelly) se consacre à entretenir les finances de la maison. Rapidement, ces deux éléments décalés dans l’ambiance générale se réfugient dans une complicité qui ne va pas tarder à tourner à la liaison torride sous couvert de l’amitié des bambins respectifs. De son côté, Brad est cornaqué par Larry Hedges (Noah Emmerich), un ancien policier mis sur la touche pour cause de bavure, et qui s’est donné comme mission de tarabuster McGorvey et d’attiser les braises de l’animosité contre lui dans le voisinage.

Autour d’une construction assez banale et relativement attendue, le film parvient à conserver l’attention de bout en bout, ponctué qu’il est de rebondissements qui surviennent dès qu’on commence à se demander si tout cela n’est pas un peu long. Et malgré cette aimantation de l’attention, il parvient néanmoins, tour de force ultime, à procurer l’impression d’une durée qui dépasse largement les 1h37 de la projection. Faut-il considérer cela comme un succès ou un défaut du film ? A voir. Offrir la sensation au spectateur d’un spectacle du double de sa durée réelle, pour le prix d’une place normale, sans vraiment générer d’ennui, et en ne consommant qu’1h37 de sa durée de vie, donc en lui permettant d’utiliser les 1h37 restantes à d’autres activités, ce n’est après tout peut-être pas le signe d’un mauvais placement. Mais brisons-là de ces considérations prosaïques et annexes, et revenons-en au sujet qui nous occupe.

Avant d’en arriver au fond, signalons encore, pour les amateurs de luxure, quelques scènes mettant en valeur la sympathique nudité de Kate Winslet, ainsi qui la mécanique pelvienne de Patrick Wilson pour laquelle je suis tout prêt à imaginer qu’elle puisse émouvoir quelques cœurs sensibles. N’étant pour ma part pas doté des hormones adéquates, je m’en tiendrai néanmoins sur ce point au stade de la supposition.

Pour en revenir à nos moutons, la Middle Class américaine est décidément une source inépuisable de découverte de l’âme humaine, de ses heurs, de ses malheurs, de ses travers. Aujourd’hui, nous examinerons la psychologie de la femme au foyer, la surprotection infantile, le délire de masse, la solitude, le besoin de rédemption, le bovarisme. Vaste programme, isn’t it ?

Comment entrer dans cette description sans se lancer dans la rédaction d’une thèse ? Comment l’entreprendre sans se frotter au jugement de valeur ? Comment ne pas aborder les rapports étroits, complexes, et contradictoires, entre le puritanisme et le piédestal délirant imposé à l’enfance, entre le comportement de foule panurgienne et la foi en l’accomplissement d’une autonomie individuelle, entre la recherche illusoire de la sécurité et l’entretien complaisant d’une peur panique, entre la confusion de la justice et de la vengeance et la désagrégation de l’humain, entre la culpabilité et la rédemption, entre des fanatismes socialement intégrés et la schizophrénie d’une sexualité crainte / désirée / masquée / exhibée / … ?

Comment ne pas réaliser à quel point cet embrouillamini relève de comportements infantiles qui ne vivent le monde qu’en blanc ou noir, en bons ou méchants, en rêve ou cauchemar. Si l’âge adulte est justement celui de l’abandon d’une vison magique et naïve du monde et de l’acquisition d’une capacité à construire sereinement sa voie au milieu de la multitude des déclinaisons de gris qui peuplent l’univers, comment regarder encore cette Amérique là comme autre chose qu’une vaste cours d’école désertée par ses surveillants. Les petits enfants du titre, les Little Children dont il est question, ne sont certainement pas ces gamins omniprésents au détour de chaque plan du film. Ils siègent au sommet de la hiérarchie d’une société qui se croit adulte et qui n’est en fait qu’un rêve de gosse. Quoi d’étonnant quand, par hasard, une de ces âmes pures commence à percevoir la vanité et la dangereuse futilité de ce cadre de pensée, quand elle ébauche un mouvement qui devrait la sortir de l’enfance, si elle en reste malgré tout imprégnée telle une Emma Bovary tentant de fuir sa condition et se précipitant dans l’illusion d’un autre absolu. Quoi d’étonnant si Sarah Pierce est justement dans le film une brillante exégète de Flaubert et d’Emma ?

C’est en tout cas sur la voie de cette prise de conscience que nous emmène Todd Fields. Et dire qu’il conserve un quelconque espoir dans le fait que cette prise de conscience réussisse à déplacer la montagne qui empierre le chemin d’une évolution de cette société semble à 10000 lieues de sa vision désespérée. La castration de toute velléité demeure irrémédiablement au bout d’une route qui ne mène à rien d’autre qu’à un retour sur elle-même, ou tout espoir s’abolit en un plongeon dans l’immobilisme où le temps même n’a plus ni prise ni intérêt et peut dès lors cesser d’exister. La fin du film est de ce point de vue d’une cruauté symbolique parfaite.

Mais si c’est bien cela, le fond de notre affaire, ne faut-il pas opérer un petit retour sur image et voir dans cette impression d’ennui, de lenteur, de banalité, de construction attendue, le préliminaire justement à cet abandon dans lequel Todd Fields baisse les bras devant l’impossibilité de la tâche ? N’est-ce pas justement par ces symptômes que le mal est finalement pleinement reconnu ? Probablement … Et probablement qu’à sa seconde lecture, le même film prendrait une dimension échappant largement au primo-spectateur.
(Egalement publié sur Cinemaniac.fr)
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Funuke show some love, you losers ! (Funuke domo, kanashimi no ai wo misero)

Les aventures de la famille Dujapon

Un petit tour au festival 2008 du film asiatique de Deauville, et me voilà embringué dans une projection que je n’aurais probablement pas choisie de ma propre initiative. Mais, bon, on sait ce que c’est, les festivals. On est là, alors on se laisse faire, on n’ose pas refuser. En plus, on vous glisse une invitation entre les doigts. Alors qu’est-ce que vous voulez dire ? Par dessus le marché, il fait un temps de chien, un froid de canard, une lumière entre chien et loup, … Bref, pas moyen d’y couper. Alors allons-y, pourquoi pas, après tout. Ca s’appelle comment, déjà ? « Funuke Show Some Love, You Losers! » … Et ça veut dire quoi ? En VO, ça donne « Funuke domo, kanashimi no ai wo misero ». Ah bon. D’un certain Yoshida Daihachi dont c’est la première réalisation. Soit. On est là pour découvrir, non ? Et ça a été présenté à Cannes en 2007, et à Marrakech, et à Warsovie … Ben alors, là, j’ai du retard à rattraper, on dirait. Allez, ça suffit maintenant. Elle commence, cette séance ?

Un chat trainaille au milieu d’une jolie route de campagne. Un camion s’approche à vive allure. Les freins crissent subitement. Une longue trainée sanglante tatoue la chaussée. Changement de décor. On est à l’enterrement de Monsieur et Madame Wago dont on apprend qu’ils ont été écrasés par le camion en voulant sauver le chat qu’ils ne connaissaient pas. Et qu’ils n’aimaient d’ailleurs pas particulièrement les chats. Les voisins sont réunis dans la maison familiale où la cérémonie se tient autour du fils Shinji (Nagase Masatoshi), de sa femme Machiko (Nagasaku Hiromi), de sa petite sœur Kiyomi (Satsukawa Aimi). Sa femme est si maladroite en tentant de consoler tout le monde qu’elle parvient à déclencher une crise d’asthme chez la sœur avant de se faire envoyer bouler par son mari. Arrive la grande sœur Sumika (Sato Eriko) en provenance de Tokyo qui commence par demander de l’argent pour payer le taxi avant d’offrir un chat en peluche à la petite sœur qui manque de défaillir encore. La belle-sœur se fait à nouveau rabrouer par son mari en tentant de s’interposer entre les deux sœurs devant cette maladresse.

On comprend ainsi progressivement l’accumulation de contentieux au sein de cette pauvre famille entre une sœur ainée égocentrique qui n’a depuis toujours qu’une seule obsession : devenir actrice, et qui ne recule devant aucune manipulation, aucune colère, aucune violence, aucun excès pour y arriver, un frère, ou plutôt un demi-frère, qui s’acharne depuis toujours à vouloir apaiser toutes les tensions familiales, et une jeune sœur sur qui repose le péché originel d’avoir raconté l’histoire de la grande, acariatre et égocentrique, dans un manga de sa production dont la victoire à un concours pour publication a projeté les affres de la famille dans le déshonneur de la place publique. Pour compléter le tableau, la belle-sœur, ex-enfant trouvée, se greffe sur la famille par le concours d’un agence matrimoniale sollicitée par le frère dans le cadre d’un mariage platonique dont on ignore la motivation.

Une fois le décor planté, il ne reste plus qu’à faire vivre tout ce petit monde durant quelques semaines éprouvantes pendant lesquelles le passé refait surface, tente plus ou moins de se régler et de solder ses comptes. Et dans ce jeu de massacre, malheur aux faibles, qui ne sont d’ailleurs pas ceux qu’on croit.

La première évidence est la référence directe et pour tout dire explicite à la bande dessinée, ici la bande dessinée nippone ou manga. Les spécialistes excuseront mes approximations à ce propos tant mon ignardise est grande sur le sujet. Il n’en reste pas moins que la séquence de clôture qui découpe l’écran en une page d’album de BD est largement plus qu’allusive. Quelques plans naturalistes outrés sont autant d’évocations évidentes. Pour n’en citer qu’un, dans les suites immédiates de l’accident initial, la petite sœur en contre-plongée, auprès d’une main amputée au poignet gisant sur le macadam et tenant encore une cigarette toujours fumante, ne laisse planer aucun doute sur l’inspiration. Les amateurs se feront sans doute une joie de découvrir les autres plans du même accabit. Sans compter les scènes où la chose est tellement apparente qu’elle est soulignée au sein même du film par une copie de la même scène sous une forme dessinée.

La seconde évidence, et mon inculture nippone m’empêche de déterminer s’il s’agit d’une caractéristique du manga en général, de l’une de ses tendances en particulier, ou plus généralement s’il faut le relier au genre « bande dessinée », est le côté monolytique et caricatural des personnages et des caractères. Il y a bien quelques revirements de trajets, mais ils ont cette soudaineté et ce côté entier de la magie du saut entre deux cases disjointes tout en tentant de figurer une continuité.

La troisième évidence est l’extrème transparence des personnages, leur caractère prévisible et sans surprise. J’exagère peut-être un peu : la surprise vient quand même lorsqu’on se dit « Non, il ne va quand même pas faire ça ! » et que si, il le fait. La première fois, on se trouve intelligent, la seconde, on se le redit, la troisième on se dit que c’est quand même téléphoné, la quatrième que ça devient lassant, et à partir de la cinquième, on rentre dans la surprise. Un genre de surprise de répétition, comme il y a un comique de répétition.

Mais il n’y a pas que cela dans cette transparence. Il y a le fait que « nous » voyions la transparence, que nous, occidentaux, a prori éloignés des codes, des références, de la culture asiatique, ayons cette capacité à entrer dans la psychologie et les réactions des personnages. Comment se fait-il que les ressorts psychologiques que nous avons appris à décoder à coup de Moi, de Sur-moi, de refoulé, d’Œdipe, aient autant de valeur explicative des comportements de l’autre bout du monde qu’ils pourraient en avoir à notre porte ? Comment se fait-il que, au prix modique du gommage de rares facteurs locaux (la couleur de la boite aux lettres du village, l’alphabet utilisé lors de l’écriture, la hauteur des tables, le volant à droite dans les automobiles), on a aussi bien l’impression de regarder une histoire se déroulant en plein Périgord ? On aurait appelé ça « La horse » et on y aurait mis Gabin quelque part que ça n’aurait pas vraiment détonné. Oui, d’où vient cette sensation de proximité ? Du fait que le monde japonais tel qu’il est décrit se serait tellement imprégné des codes de l’occident en quelques années qu’il s’y serait définitivement fondu ? Du fait que nous ne retiendrions que les éléments que nous comprenons et que nous négligerions ceux que nous ne comprenons même pas comme étant des codes propres ? Du fait que le petit médecin viennois aurait mis à jour une théorie explicative universelle ? Du fait que le film serait destiné à l’export et donc utiliserait nos propres codes pour nous le rendre compréhensible ? Allez savoir. Un peu de tout ça, peut-être.

Tout cela est bel et bon, soit, mais au delà de la découverte, que reste-t-il de ce film ? Euh … La forme manga ? Non, ça j’ai déjà dit. Des jolies images bien filmées et bien cadrées ? C’est un peu pareil, non ? Définir un cadre et y mettre des images correctes, c’est un peu un minimum pour une bande dessinée. Un peu d’inventivité dans la forme ? Cest vrai que ce n’est pas ordinaire, même si ça n’est guère révolutionnaire non plus, de présenter les scènes d’échange de courrier de la façon employée. Des actrices pulpeuses ? C’est vrai que la grande sœur a quelques attraits, essentiellement dans sa moitié supérieure. Les jambes sont par contre un véritable message de propagande contre l’anorexie. Ils jouent bien, au moins, tous ces acteurs ? Eh bien, si on accepte d’entrer dans le moule de l’exagération de la bande dessinée, on peut sans doute dire qu’ils sont dans le tempo. Seul le frère reste dans une certaine sobriété qui finalement ne nuit quand même en rien. La belle-sœur est sans doute un cas particulier : elle parvient à se fondre dans la forme demandée tout en gardant une fraicheur presque crédible tant est touchante sa bonne volonté naïve et sincère. Un exploit dans le contexte.

Quant au fond, à l’histoire elle-même, à ses ressorts, que dire ? Disons que dans un monde réel difficile par ses contraintes matérielles, certains se réfugient dans une espèce de rêverie fantasmatique, chez l’une le dessin, chez une autre l’écriture d’un courrier confinant au courrier du cœur et les rêves de gloire, chez la troisième le rêve de la famille idéale et la confection de poupées de chiffons, alors que d’autres portent au premier degré le poids des responsabilités et la charge de garder les pieds sur terre. Au résultat, on se demande laquelle est réellement la stratégie la plus efficace. C’est un peu codé ? Peut-être, mais il faut bien que je laisse quelque surprise pour le spectateur qui sera malgré tout tenté par les aventures de la pauvre famille Dujapon …
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Angels in the outfield

Les anges aussi tatent de la bate

Dans sa série consacrée à Janet Leigh, la Sylvain Etiret Company est heureuse de présenter à son auguste public « Angels in the Outfield ». En 1951, les films de studio à Hollywood savaient proposer quelques perles restées dans les annales, mais sans négliger des productions primesautières d’un niveau tout à fait convenable. En l’occurrence, les comédies de l’époque savaient divertir sans avoir à railler avec l’acidité d’aujourd’hui les travers des contemporains. On riait ou on souriait, simplement, sans que nul n’ait l’impression que l’on pouvait se moquer de lui.


Affiche USA (movieposterdb.fr)
Jusqu’à il y a peu, il y avait longtemps que cette veine comique semblait s’être éteinte, et de l’avoir redécouverte rend sans doute en partie compte du succès récent de « Bienvenue chez les Ch’tis ». Si cette simple constatation pouvait donner un peu de grain à moudre à la génération présente de professionnels de l’écran, on n’aurait sûrement pas perdu son temps. Et pourtant, ce n’était pas le bout du monde de se lancer sur cette piste : il suffisait de piocher dans le vaste fonds de l’époque et de se nourrir de nombre d’exemples rafraîchissants qui faisaient les beaux jours de la série B. Bref, « Angels in the Outfield » est de ce monde là, un monde de délassement sans arrière-pensée, tout simplement. Un petit aperçu du sujet ? No problem.

Aloysius 'Guffy' McGovern (Paul Douglas), le coach d’une équipe de baseball en déroute dans les classements se fait remarquer essentiellement pour son caractère irascible. Jennifer Paige (Janet Leigh), une journaliste locale, s’intéresse au sujet et met les mauvais résultats du club sur le compte du caractère de l’entraîneur et de l’ambiance délétère qu’il crée autour de lui. Guffy en vient même aux mains avec Fred Bayles (Keenan Wynn), un journaliste sportif de radio qui le raille sans cesse. Or il se trouve qu’un orphelinat de la ville est mené par Sister Edwitha (Spring Byington), une religieuse fan de baseball qui conduit ses pupilles sur les gradins du stade toutes les semaines. Parmi les enfants, Bridget White (Donna Corcoran), une fillette au coeur innocent, en arrive à souhaiter qu’un ange gardien vienne aider son équipe dans sa traversée du désert.

C’est ainsi qu’à la fin d’une journée éprouvante, et encore plein de colère, Guffy se retrouve seul sur la pelouse du stade, maugréant comme à l’accoutumée, quand une voix vient le sermonner et lui proposer un marché : s’il parvient à se tenir tranquille et à faire cesser ses emportements, toute une équipe d’anges gardiens, tous ex-champions de baseball, se tiendra dorénavant sur le terrain aux côtés des joueurs de l’équipe et tentera de remettre le club sur les rails du championnat. Au match suivant, Bridget est à nouveau sur les gradins et commente, dans sa tranquille innocence, l’intervention sur le terrain des anges qu’elle est la seule à voir. La nouvelle se répand rapidement parmi la presse, attestée par le revirement des résultats du club et par le changement d’attitude du coach qui ne répond subitement plus aux provocations.

Cherchant un moyen de vengeance, Bayles porte l’affaire non seulement sur la place publique mais également devant un tribunal sportif présidé par Arnold P. Hapgood (Lewis Stone) en contestant la santé mentale de l’entraîneur. De son côté, Jennifer se rapproche de Guffy et lui apporte son soutien avant de succomber à son charme bourru. Le seul autre soutien leur vient de Bridget qui reste ferme sur ce qu’elle voit sur le terrain. Les liens qui se tissent entre les trois conduisent même le couple à envisager l’adoption de la fillette. Le tribunal sportif finit par se déclarer incompétent en matière d’anges et le championnat se poursuit jusqu’à la finale, match décisif qui peut offrir la victoire au club de Guffy. C’est pourtant le moment que choisissent les anges pour cesser d’intervenir et laisser l’équipe et l’entraîneur seuls maîtres de leur destin.

Clarence Brown, en 1951, est loin d’être un inconnu de la réalisation. Il n’est qu’à un an de la fin de sa carrière qu’il clôturera avec « Plymouth Adventure », mais s’était illustré à la fois par de nombreuses nominations aux Oscars pour lui-même et pour avoir dirigé une bonne dizaine d’acteurs ayant remporté la statuette dans l’un de ses films. Juste pour mémoire, l’animal avait commis une « Anna Karenine » avec Greta Garbo, et « The white cliffs of Dover ». Il y a des pedigrees pires que ça, non ?! Et c’est bien une des surprises de « Angels in the Outfield » : qu’un réalisateur de ce gabarit se soit retrouvé aux manettes d’un petit film, sympathique mais sans prétention. Œuvre alimentaire ou délassement d’artiste ? Allez savoir.

En tout cas, il n’y a pas de doute que, quelle que soit la motivation, la mise en scène est carrée, soignée, sans fioriture mais efficace. Les plans sont simples, vifs sans être hystériques, alertes sans être parkinsoniens. Les effets spéciaux sont simplement absents, là où on serait aujourd’hui abreuvé de scènes oniriques ou d’anges en vol compact. Les chérubins sont simplement suggérés par la chute d’une plume qui vient d’on ne sait où. Et c’est bien suffisant pour que l’argument soit limpide.

Les acteurs se donnent un peu de mal pour rendre la fable crédible mais sans tomber dans un faux quotidien absurde : la fable reste une fable et il vaut après tout bien mieux lui conserver des accents d’irréalité pour en sauvegarder le caractère étonnant. Si Janet Leigh, elle, est d’un enthousiasme accessible à chacun, Paul Douglas ne se donne qu’à moitié cette peine, mais quelle importance ? … Peut-être un peu quand même, et c’est vrai qu’il dénote un peu dans la simplicité ambiante. C’est vrai que le chauffeur de taxi aux prises avec cet illuminé discutant dans le vide donne un peu dans un burlesque rehaussé par une accélération du défilement de l’image. Mais tout cela est largement compensé par le reste du film, bien plus dans le fait de raconter une histoire que d’en faire un spectacle trépidant.

La jeune Donna Corcoran est simplement dans le sur-jeu attendu d’un enfant, d’où l’acceptation aisée de son personnage. Keenan Wynn n’y va pas non plus de main morte avec son personnage de reporter hargneux, mais finalement ça n’est pas plus mal dans le contexte. Et cette impression de « presque réalité » est encore appuyée par les apparitions en inserts de vraies personnalités du baseball de l’époque comme Joe Di Maggio, ou comme Bing Crosby alors propriétaire d’un club célèbre. Dans ce contexte, on est presque surpris de la prestation de Bruce Bennett en joueur vieillissant, dont le contraste avec le jeu des autres personnages apporte une impression de sobriété soulignant l’émotion de ses interventions.

Dans l’ambiance, le plaisir apparent de Lewis Stone à incarner avec sa prestance coutumière un juge dépassé par les évènements et se réfugiant derrière un jugement de Salomon, fait passer sans histoire le trio d’ecclésiastiques manifestement bien plus intimidé par la caméra que par l’enjeu de leur intervention dans le récit.

Et au bout du compte, que reste-t-il ? Une gentille comédie, une distraction qui ne pense pas à mal, une fable sur la tolérance, la tempérance, la providence, et sur la confiance en ce que l’être le plus acariâtre peut recéler de potentialités d’évolution. Tout ça au milieu de bons sentiments servis par un jeu de contrastes entre des personnages issus d’une certaine réalité et d’autres dans la comédie du récit. Bref une comédie légère au point d’en être parfois un peu datée. Et avec en prime le plaisir de se laisser embarquer dans la nostalgie les choses simples. Pas si mal, non ?
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12 hommes en colère (12 angry men)

Les 12 mercenaires

Affiche France 1957 (allocine.fr)

Un jour, enfant, j’ai rêvé que je serai un justicier, qui défendrait le pauvre et le faible, la veuve et l’orphelin. Que j’aurai une telle force, une telle habileté, que rien ne me résisterait et que je transformerai le monde pour en faire un lieu d’honneur et de justice. Que les méchants n’auraient qu’à bien se tenir parce que leur temps serait révolu. Et puis j’ai lentement réalisé que ma panoplie de Batman était loin d’être suffisante.



Affiche France 2008 (allocine.fr)

Un jour, quelques années plus tard, j’ai rêvé que je serai un grand philosophe, dont la puissance et la clarté de la pensée illuminerait le monde d’une telle évidence qu’elle emporterait l’adhésion de tout un chacun, même des plus incultes, des plus retors, des plus vils. Qu’il ne sera bientôt plus d’aucune utilité de disposer d’une force physique quelconque, d’une armée même sommaire, tant le message de ma pensée ne pourrait que fédérer le monde dans une dynamique commune sur le chemin de la tolérance, de l’honnêteté, de la justice, de la paix, de l’harmonie entre les peuples et entre les hommes. Et puis j’ai lentement réalisé que ma panoplie de Spinoza était loin d’être suffisante.

Affiche USA (cinemovies.fr)

Un autre jour, quelques années plus tard, j’ai rêvé que je serai un grand politique, un syndicaliste charismatique, dont la force de conviction le ferait écouté par le monde entier, pauvres ou riches, grands ou petits, faibles ou puissants, et le rendrait capable de mener les combats les plus désespérés afin de redresser les torts les plus odieux. Qu’il entraînerait les foules dans son sillage d’humanité sur le chemin du respect, de la concorde, de la justice encore. Et puis j’ai lentement réalisé que mes panoplies de Gandhi et de Martin Luther King étaient loin d’être suffisantes.

Un autre jour encore, quelques années plus tard, j’ai rêvé que je serai un homme de science, un médecin illustre et généreux, qui par la force de son action, de sa pensée, de ses découvertes, et sans même attirer les regards sur sa personne, poserait une des pierres angulaires de la construction de l’humanité et la scellerait pour l’éternité du ciment de sa capacité à soulager la souffrance des humbles et à faire participer les puissants à la sauvegarde de cette construction. Et puis j’ai lentement réalisé que mes panoplies de Marie Curie, de Pasteur, et d’Albert Schweitzer étaient loin d’être suffisantes.

Et puis est arrivé un OVNI, un drôle de type du genre cyclope, avec un objectif au milieu du front, qui voulait faire son premier film.

Et pour un premier film, c’est un premier film ! Sidney Lumet, en 1957, n’avait pas d’expérience de la caméra de cinéma, mais il se lança dans le projet, adaptant une histoire en noir et blanc et avec l’aide de Reginald Rose, l’auteur la pièce, et s’adjoignant comme co-producteur les services d’Henri Fonda dont ce sera d’ailleurs la seule excursion dans le domaine de la production. Malgré son succès mitigé aux USA à l’époque de sa sortie, le film a depuis longtemps gagné ses galons de film culte.

Le film s’ouvre sur la fin des débats du procès d’un jeune hispano-américain. Face au jury, le juge, un rien désabusé, rappelle que le meurtre au premier degré (avec préméditation) de son père, dont est accusé le garçon, lui vaudra obligatoirement la peine capitale s’il en est reconnu coupable, et que toute décision du jury doit, pour être valide, être prise à l’unanimité. Les jurés assistants sont excusés et le jury constitué de douze hommes se retire dans une salle de délibération qui sera fermée à clé. Le premier juré tente un peu d’organisation et lance un premier tour de table. L’unanimité est manquée d’une seule voix, celle du juré n°8 (Henri Fonda), qui souligne que compte tenu de la portée de leur vote, il souhaite que la discussion ne soit pas escamotée par une décision trop vite unanime. S’engage alors un âpre débat ponctué de votes de réévaluation.

Outre l’introduction et la scène de sortie, dont la durée totale ne doit pas excéder trois minutes, l’intégralité du film est constitué du huis clos de la délibération, dans la salle fermée, avec de rares escapades dans les lavabos attenants, et quatre ouvertures brèves de la porte permettant à l’huissier d’apporter ou de reprendre des pièces à conviction que le jury souhaite étudier. Les jurés, écrasés de chaleur malgré la présence d’un ventilateur dont ils ne comprendront le fonctionnement que tardivement, ne sont connus que par leurs numéros, de 1 à 12, et pour la plupart par leurs professions. Seuls deux d’entre eux se présenteront l’un à l’autre par leurs noms (les jurés 8 – Mr Davis (architecte) / Henri Fonda et 9 – Mr McCradle (le vieil homme) / Joseph Sweeney) à leur séparation sur les marches du palais. La quasi totalité du film est donc consacrée à leur débat, aux renversements d’opinions au cours de la discussion, partant de la position d’un homme seul contre tous, jusqu’à l’acquittement de l’accusé. C’est d’ailleurs dans la manière dont s’opère cette évolution que réside l’intérêt du film et non dans un quelconque suspens d’allure policière. C’est dans la confrontation des personnalités, de leurs valeurs, de leurs psychologies, de leurs convictions, de leurs préjugés, que se construit la narration et la tension.
Chaque juré est représentatif d’un type de comportement. Tous sont manifestement des gens ordinaires et honnêtes, simplement selon les cas prisonniers de tel ou tel comportement ou préjugé. Chacun est prêt à honnêtement faire son devoir de citoyen convoqué à examiner les actes d’un autre, mais avec chacun une capacité propre à s’extraire ou non de ses propres routines, de ses a priori personnels, de ses convictions forgées avant ou durant le procès. La remise en cause de ces certitudes, l’obligation de puiser les arguments de conviction dans des retranchements les plus enfouis, la nécessité d’expliquer ce qui paraissait spontanément évident mais que la confrontation met en évidence comme des raccourcis de pensée fragiles, ne vont d’ailleurs pas sans réactions, oscillant entre l’amusement et la colère, entre le rire et la violence, entre l’abattement et l’enthousiasme.

Bien sûr, ce débat suit une trame judiciaire, reprend les arguments de culpabilité ou d’innocence, réexamine les zones de certitudes et celles de doute concernant l’histoire du jeune homme et du crime qui a été commis. Des pièces à conviction sont examinées, des scenarii sont chronométrés, des indices sont évoqués. Et sur ce plan, des approximations quant au déroulement réel d’un procès peuvent bien apparaître : l’ébauche de contre-enquête effectuée par le juré n°8 et la production de sa part, durant la délibération du jury, d’une pièce à conviction nouvelle, est à l’évidence une monstruosité juridique. Mais tous ces éléments n’en deviennent que presque anecdotiques tant le sujet tient plus dans le déroulement de la confrontation que dans ce qui lui fait support. Et sur cette trame se battit un questionnement plus particulier concernant la notion même de réalité, de certitude, ou, transposés en termes juridiques, de doute légitime. En quoi une preuve est-elle une preuve ? Comment savons-nous qu’elle n’est pas biaisée ? Sur quelles bases pouvons-nous accepter un témoignage comme crédible ou en réfuter la fiabilité, même sans remettre en cause la bonne foi de celui qui le produit ? Comment passons-nous de la suspicion à la preuve ? De la crédibilité à la certitude ? Le « Cette situation est-elle possible ? » est-il suffisant pour écarter la possibilité que la situation inverse soit certaine ? Quel degré de certitude faut-il atteindre pour pouvoir parler de certitude ?

On est ainsi à la fois dans l’interrogation psychologique et dans la trame judiciaire, à l’intérieur du cadre de la relation sociale et de ses conséquences en termes de justice, des excès qui ont pu se traduire, sur un plan parallèle, par l’impossibilité ressentie de pouvoir condamner un acte dès lors qu’on avait pu mettre à jour des explications au comportement jugé. Le fait que l’accusé vivait depuis l’enfance dans un climat de violence sous les coups réguliers de son père doit-il faire répondre différemment à la question de sa responsabilité dans le geste qu’on lui impute ? N’y a-t-il pas confusion entre une tentative de réponse par l’explication du geste et une réponse à la simple question posée de la réalité de ce geste ?

En soutien de cette construction, Lumet s’appuie pour l’essentiel sur un panel d’acteurs aux capacités d’expression étonnantes de naturel et de simplicité. Tout au plus le jeu du juré n°3 (Lee J. Cobb) s’échappe-t-il parfois dans quelques exagérations. Le reste de la troupe frappe par sa sobriété et son aisance. Le huis clos autorise peut-être là à citer les autres participants : Martin Balsam (Juré n°1, l’entraineur de base-ball universitaire), John Fiedler (Juré n°2, l’employé modeste), E.G. Marshall (Juré n°4, le courtier en bourse), Jack Klugman (Juré n°5, de la même extraction sociale que l’accusé), Ed Binns (Juré n°6, le peintre en bâtiment), Jack Warden (Juré n°7, le commercial fan de base-ball), Ed Begley (Juré n°10, le patron de garages), George Voskovec (Juré n°11, l’horloger immigrant d’Europe de l’est), Robert Webber (Juré n°12, le créatif de publicité).

Bien entendu, on n’échappe pas à quelques codes plus ou moins explicites. Henri Fonda est le seul à porter un costume blanc, le costume du « chevalier blanc » de qui vient le redressement de ce qui aurait pu être une injustice, sa profession d’architecte le positionnant d’emblée comme l’artisan de la construction du débat. Son premier allié est naturellement le vieil homme, le juré n°9, porteur de cette sagesse qui peut être vue comme le privilège de l’âge. Le seul personnage à ne jamais ôter sa veste de costume est le juré n°5, E. G. Marshall, le courtier en bourse, lieu de la raison objective, seul rempart contre l’émotion … et contre la transpiration dans cette ambiance lourde et caniculaire où chacun souffre rapidement d’une sudation ruisselante. Sans doute pourrait-on rechercher d’autres artifices encore, mais le propos du film est tellement clair que le décodage des non-dits n’est ici finalement que de peu d’utilité. Peut-être simplement une remarque sur l’image enfin, qui subit un traitement tout particulier, écrasant progressivement les distances, les profondeurs de champ, à mesure que le film progresse, et cela ouvertement de la part du réalisateur qui explique avoir utilisé de objectifs différents au long du film afin d’obtenir par cet effet un renforcement de la proximité du spectateur avec les personnages et l’évolution de leur état d’esprit.

Au registre des codes, cependant, une question concernant le nom des personnages, reste ici sans réponse, mais qui ordinairement dévoile une intention sous-jacente quand elle est résolue. Pourquoi les jurés n°8 et 9 s’appellent-ils Davis et McCradle ? Quelle est la référence à laquelle ces noms doivent se raccrocher ? Mystère … jusqu’à ce qu’un spectateur perspicace s’en mêle.

(Egalement publié sur Cinemaniac.fr)

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