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25 septembre 2009

Cold souls

Paul Giamatti tel qu’en lui-même

Et si l'âme était un organe comme un autre ? Un organe qu'on pourrait prélever, greffer, échanger ? Un organe qui pourrait se stocker, faire l'objet d'un trafic ? C'est par ce genre de questions que le Festival du Film Américain de Deauville 2009 a choisi de cueillir à froid le spectateur avec le premier film présenté en compétition, « Cold souls », un film de 2009 de Sophie Barthes. Ca sent au choix le burlesque ou la prise de tête. Incapable de se décider entre les deux options, Tonton Sylvain se gratte la tête et se présente avec ses doutes dans la file d'attente. Quelques instants plus tard, la séance commence. Tonton cesse de se torturer le cuir chevelu.

Paul Giamatti (lui-même) est un comédien new-yorkais en plein travail de répétition sur « Oncle Vania » de Tchekov. Son travail, et le couple qu'il forme avec son épouse Claire (Emily Watson), sont perturbés par ce qu'il est convenu d'appeler une crise existentielle. On aurait dit autrefois des états d'âme. A la lecture d’un article du New-Yorker signalé par son metteur en scène, il apprend l'existence d'une entreprise, Cold Souls, qui se propose de libérer ses clients de leur âme et d'en assurer le stockage. Intrigué, il se rend dans l'entreprise et rencontre son directeur, le Dr Flintstein (David Strathairn), pour plus d'information. Finalement tenté, il se laisse convaincre et laisse son âme en dépôt dans le coffre fourni par Cold Souls, ne restant qu'avec les 5% résiduels nécessaires à la survie du corps.

Paul est rapidement étonné par les effets de cette ablation, voire impressionné par son changement d'attitudes. Plus d'idées noires, certes, mais un détachement, une certaine froideur qui finissent par le faire revenir sur son choix. Sur la proposition du Dr Flintstein, et pour éviter de retrouver son humeur morose, il accepte que lui soit alors greffée l'âme d'un autre, choisie sur catalogue, celle d'un poète russe, importée plus ou moins légalement via une greffe temporaire sur une passeuse, Nina (Dina Kozun), lien entre Cold Souls et son partenaire russe.

A nouveau déçu par cette implantation, Paul revient vers le Dr Flintstein pour retrouver son âme personnelle. Mais l'opération est annulée lorsque Paul découvre que son coffre est vide et que son âme a été dérobée par Nina puis greffée, malgré le refus qu'il avait exprimé lors de son extraction, à Sveta (Katheryn Winnick), une jeune et ambitieuse comédienne de série télé en Russie.

S'en suit une sorte de course poursuite de Paul cherchant à récupérer son âme.

Je me souviens, alors que j'étais étudiant, d'un curieux auto-stoppeur allemand entre deux âges, que j'avais embarqué en pleine nuit Porte d'Orléans alors que je rentrais vers ma banlieue. Il me disait, dans un anglais approximatif, aller vers Bordeaux et que je le rapprocherais toujours un peu. Soudain, voyant sur mon pare-brise le faux caducée qu'affectionnent les étudiants en médecine, il se tourna vers moi en me demandant si j'étais psychiatre. Malgré ma réponse négative, il me confia qu’il allait à Bordeaux pour se chercher. Et voilà que 25 ans plus tard réapparaît mon chevelu teuton sur l’écran noir de « Cold souls » : Paul Giamatti se cherche, et, peut-être faute d’avoir pensé à pousser une pointe du côté de Bordeaux, cette quête le mène jusqu’en Russie.

La première surprise réside dans le fait que Paul Giamatti interprète un personnage qui porte son nom. Il n’y a, dans cette histoire surréaliste, manifestement aucun recouvrement historique avec la réalité physique de l’acteur. C’est que la réalité doit être cherchée ailleurs, et sans doute dans le fait que courir après son âme perdue est vue par l’auteur, Sophie Barthes, comme une activité universellement humaine et non une fiction romanesque.

Je ne suis pas assez calé en Tchekovologie pour cerner en quoi le travail sur Oncle Vania se relie à cette histoire d’âme. Je laisse ce point à des commentateurs plus érudits que moi.

Quoi qu’il en soit, Paul se trouve engager dans une recherche que les bons traités appellent quête identitaire. Qui suis-je, que fais-je, où vais-je, et certains diraient « dans quel état j’erre ». La réponse est habituellement spéculative. Ici, elle est expérimentale : retirons l’âme et voyons ce qui se passe. Et naturellement, ce qui se passe, c’est qu’on veut la récupérer. Ce n’est pas tant qu’on la trouve particulièrement radieuse ou simplement sereine, mais on y est tout bêtement habituée. Elle n’est peut-être pas terrible, mais au moins on la connaît pour l’avoir longtemps pratiquée. Comme cette dernière dent qui reste, inutile et douloureuse, sur la mâchoire d’un vieillard, et qu’il a une telle résistance à accepter qu’on lui extraie. Elle le fait souffrir, et bouge sur sa base, elle s’infecte sans arrêt, mais c’est la sienne, c’est le dernier vestige de ce qu’il a été et de ce qu’il est encore à ses yeux. Si toute l’âme du vieillard réside dans cette dernière dent, on peut bien comprendre que celle de Paul puisse être dans ce miséreux caillou en forme de poix chiche qu’il défend avec tant d’obstination.

Et dans cette quête, dans cette reconstruction de son âme, il faut bien avouer que Paul a besoin d’aide. Comme l’intuitent toutes les sectes, nul ne peut se construire sans l’intervention extérieure d’un maître à penser, d’un exemple, d’un guru, d’un passeur. En l’occurrence, c’est la fonction de Nina que d’être cette passeuse qui permet à l’homme de trouver, ici de retrouver, son identité dans le monde. Loin des locaux aseptisés de « Cold Souls » ou l’âme s’égare malgré tout, c’est au contact du cambouis, de la boue, de la rudesse dont témoigne la qualité de l’image de la partie russe du film, que peut se trouver confortée une âme vacillante, malgré tout indéracinable dans ses 5% résiduels.

C’est à ces considérations que le film convie le spectateur. Réflexion amusante à défaut d’être originale. Car on ne compte plus les ouvrages dissertant sur le mal de vivre, la nécessité de se construire et de se reconstruire, l’importance de l’autre dans la maturation de soi, … Malgré tout, l’exercice est ludique, surtout quand il est bien mené.

A ce jeu, Paul Giamatti (le vrai) se montre à son avantage. Surtout dans la première partie du film où les états d’âme ont leur plus grande place. Son interprétation d’un homme sans âme, littéralement, est drôle et inspirée, tout à la fois montrant ce qui change et ce qui reste inchangé dans ce qu’ils ont de subtile intrication. La seconde partie du film le met un peu plus en difficulté, visiblement moins dans son élément avec la quête physique et aventureuse qu’avec l’aventure intérieure. David Strathairn n’est d’ailleurs pas en reste, dans un jeu simple et enjoué mais crédible de psychiatre muté en industriel. Dina Kozun et Katheryn Winnick sont peut-être un cran en dessous, mais quelle importance tant tout tourne autour de Giamatti ?

La réalisation est sobre, loin des artifices techniques qu’on aurait pu craindre du traitement d’un tel sujet aux portes du fantastique. On a déjà signalé la rupture de rythme entre les deux parties du film, et c’est sans doute le principal défaut d’un film par ailleurs indubitablement attachant.

Se précipitant en fin de projection, Tonton Sylvain, négligeant pour quelques instants son grattage capillaire, se dirige alors d’un pas décidé vers le comptoir de Mamie Crêpes. Parce que c’est pas tout ça, mais y’en a qu’il faut qu’ils mangent. Non mais quand même !



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15 septembre 2009

World's greatest dad

Comédis-moi tout

A nouveau un film en compétition au Festival du Film Américain de Deauville 2009. La récolte continue dans le cinéma indépendant qui aurait eu peu de chance de s'exprimer au sein des grands studios. Ce coup-ci, c'est au tour d'un dénommé Bobcat Goldthwait de présenter son « World's greatest dad ».

Affiche USA (movieposterdb.com)

Lance Clayton (Robin Williams) est un petit professeur de poésie dans un collège qui a un peu de mal à assumer l'échec de sa vocation d'écrivain dont les manuscrits lui sont systématiquement renvoyés. Il vit seul avec son fils Kyle (Daryl Sabara), un ado du type odieux casse-pieds véhément et indécrottable. Il a une relation discrète avec Claire (Alexie Gilmore), belle jeune femme professeur d'art du collège. De son côté, Kyle n'a qu'un seul copain, un gamin plutôt sympa dont on se demande ce qui peut bien le lier à cet obsédé quérulent de Kyle qui rejette toutes les tentatives d'approche de son père comme de quiconque.

Mais les choses changent subitement, quand Kyle trouve la mort lors d'un jeu sexuel solitaire. Lorsque son père le découvre, outre la douleur, Lance perçoit l'indignité de la situation et décide de maquiller l'accident en suicide. Il va jusqu'à rédiger une lettre d'adieu dans le genre qu'aurait pu écrire son fils. Pour une obscure raison, l'émotion gagne le collège, les enseignants comme les élèves, qui passent d'un rejet de Kyle à un souvenir ému, variant de la culpabilité à l'identification. Le psychologue appelé en renfort, le Dr Pentola (Tony V.), voit même dans la lettre de Kyle un moyen de sauver d'autres élèves d'un geste comparable. A force d'insistance, il parvient à soutirer à Lance le journal de Kyle pour compléter sa compréhension et sa stratégie d'aide aux élèves. Naturellement, ce crétin de Kyle n'a jamais aligné plus de trois mots, et c'est un faux que rédige son père qui est remis au psychologue. Mais ce faux a tant de succès qu'il est même publié, son aura conduisant Lance dans un talk show télévisé réputé et renforçant sa relation avec Claire qui commençait à battre de l'aile. Le collège va jusqu'à envisager de baptiser la bibliothèque de l'établissement du nom de Kyle.

Traité sur un ton de comédie, le sujet fondamental de toute cette histoire tourne autour de la frustration, de la reconnaissance, de l'acceptation de ses limites … Qu'est-ce que je raconte ? ! C'est un vaste n'importe quoi burlesque fait de caricatures juxtaposées. Les personnages sont caricaturaux jusqu'à l'absurde. Kyle est un ado en difficulté en permanence en quête de ses limites ? Non, c'est un petit con, comme on disait dans mon enfance quand on voulait dire qu'il n'y a vraiment rien à en tirer si ce n'est des ennuis, et qu'il ne vaut même plus l'effort qu'on pourrait faire pour l'en sortir, à imaginer qu'on en aie encore envie. Claire est une jolie jeune femme qui croit en la bonté et à toute une série de bons sentiments ? Non, c'est une cruche qui prend toute phrase au pied de la lettre. Le Dr Pentola est un psychologue à l'écoute des enfants ? Non, c'est un héros évangéliste qui veut sauver le monde même si le monde n'est pas en danger. And so on.

Non, d'ailleurs, pas tout à fait. Juste trois personnages ne sont pas dans la caricature extrême : Lance, le copain de Kyle, et dans une moindre mesure la vieille voisine de Lance. Du coup, par contraste, le minimum de complexité de leur capacité de penser et de se comporter les fait apparaître comme naviguant sur des sommets philosophico-psychologiques où l'ambivalence n'a rien d'un gros mot, où le doute n'est pas une maladie, où la gentillesse n'est pas une niaiserie.

Choix évident de mise en scène, ressort d'un comique du premier degré, Qui fonctionne par moments, il faut bien l'avouer. Pourquoi pas, après tout, il y a aussi des clients pour ça.

Mais que diable vient faire alors cette dernière scène d'un Lance qui se défait de tous ses vêtements si ce ne sont ses chaussettes avant de plonger dans la piscine du lycée dans une espèce d'extase libératrice après l'aveu de son forfait ? La brève image de Robin Williams à poil manquait peut-être au tableau complet du cahier des charges de ce qui doit faire un film réussi ? Allons donc ! Une scène un peu moins premier degré que l'ensemble du film, histoire de faire penser qu'on en avait sous le pied et que si on a vu le film à ce niveau c'est qu'on n'a plus qu'à le revoir pour y déceler des arguments plus profonds qu'il n'y paraît ? Admettons, mais je n'ai pas vraiment le courage de m'y recoller, même s'il y a sans conteste quelques bons moments. Alors si une bonne âme, au sortir de la projection, avait la bonté de revenir m'éclairer …
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The time traveler's wife (Hors du temps)

Le poids de la charge

Et hop, c'est parti pour un nouveau Festival du Film Américain de Deauville, le 35ème du nom en 2009. On ne peut pas dire que la météo soit clémente, après un été torride et un virage à 180 degrés la veille de l'ouverture, mais bon, si c'est pour rester enfermé toute la journée dans une salle de cinoche, dîtes moi un peu ce que ça peut faire ! Bien sûr, ça décoiffe un peu pour se rendre aux projections et ça éternue un peu dans les files d'attente. Et alors ? Quelqu'un s'intéresse à ce que je sois bien coiffé ? Et de toute façon, comme la grippe A va nous décimer sous peu, autant en profiter tout de suite et vivre une vie aventureuse au mépris du danger …

Affiche USA (movieposterdb.com)

C'est d'ailleurs bien ce qui arrive à ce pauvre Henry dont la palpitante existence nous est racontée dans le film d'ouverture du festival, « The time traveler's wife » (Hors du temps), de Robert Schwentke. Tout commence quand Henry a 6 ans et qu'il éprouve pour la première fois l'expérience involontaire du voyage dans le temps. Le malheur veut que cela lui arrive alors qu'il est sur la banquette arrière de la voiture conduite par sa mère, dont l'attention est détournée à la vue de son fils qui s'efface progressivement de la banquette en n'y laissant que ses vêtements, juste au moment où arrive en face le camion qu'elle ne peut éviter et qui va causer sa mort. Henry réapparaît quelques secondes plus tard sur le bas-côté, près de la voiture en flammes, aussi affolé qu'il est nu comme un vers. Sa seule réassurance vient de cet homme étrange qui le couvre d'une couverture et lui dit qu'il est lui-même Henry, bien plus âgé, venu du futur lui dire que tout ira bien pour lui malgré la mort de sa mère.

Quelques années plus tard, Henry s'est plus ou moins habitué à ces déplacements temporels intempestifs. Il rencontre alors Claire, une jeune femme qui l'aborde en lui disant le connaître. Elle lui explique alors qu'elle le connaît par les apparitions qu'il fait auprès d'elle régulièrement depuis qu'elle est enfant, ou du moins les apparitions qu'il va faire dans les années à venir. Rapidement séduit, Henry ne tarde pas à nouer une relation avec Claire, jusqu'à l'épouser. Le couple vit une vie entrecoupée des absences d'Henry pour cause de voyages temporels inopinés. Les difficultés viennent lorsque Claire fait plusieurs fausses-couches successives attribuées à une transmission génétique aux enfants qu'elle porte de la « tare » de leur père. Avec l'aide du Dr Kendrick (Stephen Tobolowsky), un généticien appelé en renfort, elle finit tout de même par mettre au monde une fille, Alba, dotée des mêmes pouvoirs que son père mais les maîtrisant néanmoins relativement.

Evidemment, les déplacements temporels d'Henry finissent par le mettre en face de sa propre mort, que l'ensemble de la famille va devoir affronter, chaque membre l'abordant de sa position particulière : Henry parce qu'il est directement en cause, Claire par une procuration active, Alba par son rôle de témoin mobile au travers du temps.

Affiche Allemagne (movieposterdb.com)

Si le voyage dans le temps a souvent été imaginé à l'écran, il l'a surtout été en en exploitant la veine aventurière. Depuis la simple exploration, jusqu'aux tentatives de modifications du passé pour corriger le présent, il a été un vaste terrain de jeu du fantastique ou de la science-fiction. Mais il n'avait à ma connaissance jamais été abordé sous cet angle intime. Sont ici d'ailleurs rapidement balayées en quelques phrases les tentations d'intervention sur le passé dont il est vite annoncé qu'elles sont vouées à l'échec. C'est que le sujet est manifestement ailleurs.

Et cet ailleurs est bien plutôt dans l'allégorie de ce qui traverse le temps dans la vie de chacun, de son corps à sa capacité de relation, de lien, d'émotion, de partage. De là la charge symbolique qui s'impose en tous les recoins du film, au double sens du mot « charge », celui du poids, de la densité, mais aussi celui de l'assaut, faisant de la charge symbolique comme une charge de cavalerie. La nudité d'Henry à chaque déplacement temporel comme une nouvelle naissance ; la couverture qui recouvre sa nudité aux moments essentiels de sa vie, après l'accident de voiture, lors de sa rencontre avec Claire, lors de sa mort, comme une récurrence de ce qui protège, qui donne sens à la vie malgré les tourbillons extérieurs ; le lit à baldaquin sans dais de la nuit de noce d'Henry et de Claire, comme rappel de l'imprévisibilité même au plus près de la construction du foyer ; la rencontre d'Henry adulte avec sa mère avant son accident, au cours de laquelle il conserve l'anonymat, comme acceptation du destin que rien ne peut changer si ce n'est l'affection qu'on peut y entretenir ; … les exemples sont innombrables.

Car tout tient dans le seul fait que si le voyage dans le temps existe, si l'on peut naviguer de part et d'autre de sa propre mort, la mort elle-même devient alors un simple épisode sans grande importance. Il suffit alors d'inverser les termes et de considérer que si la mort, pour douloureuse qu'elle soit, est vue comme une péripétie qui n'altère pas l'attachement, elle ne peut plus empêcher le retour éternel du disparu. Vieux rêve repeint de nouvelles couleurs : l'amour annulerait la mort. C'est à ce rêve que nous invite le film, nous renvoyant dans les paisibles prairies éternelles annoncées depuis que l'antiquité avait formalisé les Champs Elysées, reprenant déjà sans doute d'autres versions antérieures de la même image. Pas de mystère si les rencontres temporelles entre Henry et Claire se déroulent justement dans ce type de paysage.

Affiche Honk Kong (movieposterdb.com)

Et pour souligner encore le poids et la force de cet amour qui, lui seul, peut vaincre la mort, toute l'histoire s'écrit ici au féminin, supposé être le genre de l'entretien de la vie. C'est ainsi que la mort ne peut venir que de la coalition des pères, que les survivants ne peuvent être que des femmes entre elles (Claire, Alba, le double d'Alba venant du futur se préparer elle-même au décès du père), que la seule violence physique du film montre la correction qu'administre Henry vêtu en femme au sortir d'un de ses voyages à un indistinct loubard.

Daren Aronowsky, avec « The fountain », s'était, il y a quelques années, attaqué à un sujet comparable, cherchant la permanence de l'amour par la permanence de la vie. Ici le projet est inversé, comme en miroir, tout en visant un horizon semblable. Mais tout le monde n'est pas Aronowsky, tout le monde n'est pas Hugh Jackman, tout le monde n'est pas Rachel Weisz. Si Schwentke fait de son mieux, il semble se noyer dans tellement de symbolisme que d'une charge héroïque, il finit par faire sentir la charge de pesanteur. Les pistes sont souvent ébauchées, mais à peine traitées tant le sujet est vaste et s'occupe avec un nombre restreint d'entre elles. Mais peut-être peut-on voir cette technique de l'ébauche surabondante comme un choix en soi, comme un moyen de laisser le spectateur libre de découvrir de nouveaux prolongements, de nouvelles exégèses possibles.

Les choix techniques, aux yeux d'un simple spectateur, paraissent simples, sans trop d'effets spéciaux si ce n'est cette façon de faire disparaître Henry comme par gommage lors de ses départs temporels. On a vu ce qu'Aronowsky pouvait inventer d'images étonnantes dans un contexte semblable ; on imagine ce que Spielberg ou Lucas auraient pondu de scènes spectaculaires avec le même matériau. En tout cas, le choix est cohérent avec le projet évident de rester loin de l'aventure et de demeurer au plus près de ce que le quotidien presque banal peut être tout en se remplissant d'intensité intime.

Les acteurs cherchent visiblement à être au diapason de cet objectif, bien qu'avec des réussites variables. Etonnamment, les deux plus efficaces sur ce plan paraissent être les deux enfants interprétant Alba à 5 et 10 ans (Hailey et Tatum McCann). Le reste de la troupe donne un peu dans le surjeu. Pas tellement dans l'absolu, d'ailleurs, que relativement au choix de traitement du sujet. Eric Bana ne perd son expression d'urgence ou d'étonnement qu'à l'approche du décès d'Henry. Son père (Arliss Howard) en fait des tonnes dans le genre désespoir solitaire réfugié dans l'alcool. Rachel McAdams abuse un peu de son joli minois, mais finalement sans verser dans la caricature systématique, ce qui fait au bout du compte bien passer l'ensemble.

Alors quoi ? Un film intéressant à coup sûr. Peut-être un peu trop dense pour faire oublier ses manques ou son désir de trop en dire. Mais après tout, ne vaut-il pas mieux un peu de « trop » que de « pas assez » ?
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The open road

On the road again

Nouvelle avant-première au Festival du Film Américain de Deauville 2009, avec « The open road», un film pondu en 2008 par Michael Meredith. Autant la météo d'hier laissait planer un doute sur l'envie de se plonger dans « Shrink », autant celle d'aujourd'hui n'était pas plus tentante que ça et passer quelques heures sous cloche ne posait pas vraiment de problème. Et pardon aux aficionados de Kevin Spacey, mais voir Jeff Brigges dans ses œuvres est certainement plus à mon goût.

Affiche USA (movieposterdb.com)

Carlton Garett (Justin Timberlake) est un jeune et prometteur joueur de base-ball. Son père, Kyle (Jeff Bridges), est lui-même une ancienne gloire de ce sport, même s'il a depuis peu raccroché ses crampons. De toute façon, Kyle, personnage haut en couleur, n'a plus donné signe de vie depuis plusieurs années. Lorsque Katherine (Mary Steenburgen), la mère de Carlton doit subir une intervention cardiaque, elle refuse de signer l'autorisation d'opérer tant qu'elle n'aura pas revu Kyle, qu'elle missionne Carlton de ramener. Malgré ses préventions face à ce père absent, Carlton accepte mais se fait accompagner de Lucy (Kate Mara), une ancienne petite amie, afin de le soutenir.

S'en suit un road movie qui conduit le trio dans son retour vers Houston, entrecoupé des pitreries de Kyle, des explications entre le père et le fils, de la réconciliation de Carlton et Lucy.

On n'est certes pas dans la description apocalyptique d'une quelconque perversité psychologique. Pas d'orgie sanglante ou de macabre manipulation. Aucun code freudien ou dérivé n'est indispensable au décryptage. On a juste une histoire de famille, une histoire d'hésitation, de peur de l'engagement, d'adolescence inaboutie, de passage à l'âge adulte. Les deux hommes de l'affaire sont comme deux enfants qui mûrissent ensemble face à la réalité de la vie, quittant progressivement l'univers du jeu pour entrer dans celui de la responsabilité, responsabilité non pas subie mais sereinement acceptée. Et sur ce trajet, les femmes sont comme des passeuses. Non qu'elles les dirigent, mais elles leur ouvrent la voie avec une sorte de tranquille assurance.

Qu'ils le comprennent entièrement ou non est finalement secondaire, ils sentent progressivement l'évidence de cette voie ouverte devant eux et qu'elles ont simplement empruntée les premières. Tout tient finalement dans le dialogue entre Carlton et son grand-père, Amon (Harry Dean Stanton), sur les bancs de la salle d'attente du service de chirurgie : - Tu sais, il m'a fallu 82 ans pour me rendre compte de quelque chose. - Qu'est-ce que c'est ? - Je n'en sais rien … - Qu'est-ce que tu racontes ? - Non, ce n'est pas que je ne veux pas te dire, c'est que je ne trouve pas les mots pour le dire.

Tout est dit simplement, en peu de mots, au milieu des mille et unes péripéties d'une vie parfois triste mais le plus souvent porteuse en germes d'un bonheur qui demande juste à être ramassé. La peine n'est pas absente, mais la tendresse non plus, la lâcheté mais aussi le courage de dépasser ses doutes et ses appréhensions. On n'est pas dans de la grande philosophie, on est dans la sensibilité, la tendresse, C'est sans doute naïf, mais c'est frais et joyeux quand il faut.

A ce jeu là, les acteurs se font manifestement plaisir. Il y a bien quelques cabotineries chez Jeff Bridges, mais cela fait tellement partie du personnage de Kyle que c'est à peine si on s'en aperçoit. Justin Timberlake est un peu dans un excès qui, là, a moins sa place, mais pourquoi pas. Les deux femmes sont par ailleurs dans une sobriété plus nuancée qui fait plaisir à voir.

La réalisation est simple, pour ne pas dire dépouillée. Pas de grands effets, de travelling sophistiqué, de plan travaillé. Juste de l'image simple, de la narration claire, un découpage transparent. Bref, une mise en scène au service de l'histoire, pas au service de la performance. Tant pis si au passage Tonton Sylvain y perd ses rares galons de cinéphile, mais ça fait tellement de bien de se rafraîchir l'émotion et les neurones de temps à autre.
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The good heart

A votre bon cœur

Encore un joli moment au Festival du Film Américain de Deauville 2009 avec la présentation en compétition de « The good Heart », un film de 2009 de Dagur Kari qui signe non seulement la réalisation, mais aussi le scénario et qui cosigne la musique. Un petit film attachant dans une drôle d'ambiance américano-française tellement naturelle qu'elle ne se dit même pas et est encore moins expliquée.

Affiche USA (movieposterdb.com)

Lucas (Paul Dano) est un jeune SDF, d'une gentillesse proche de la simplicité, qui vit sous un pont à New York et qu'une tentative de suicide amène à un lit d'hôpital. Jacques (Brian Cox) est un patron de bar ronchon et solitaire que son cinquième infarctus conduit dans le lit d'hôpital mitoyen. A leur sortie, Jacques, qui n'est pas homme à laisser le destin et sa santé déclinante décider pour lui, propose à Lucas de l'embaucher, nourri et logé, pour le former en vue de prendre sa succession. Et de fait, c'est une formation à temps plein que conduit Jacques, guidant Lucas dans tous les petits secrets qui font le bon tenancier de bar : le nombre optimal de clients en même temps dans les locaux, la juste distance face aux clients, le bon moment pour débarrasser les verres, la bonne façon de préparer le café ...

Tout se passe bien jusqu'à ce que débarque April (Isild Le Besco), hôtesse de l'air licenciée pour cause de peur de l'avion, que Lucas décide de secourir et d'héberger, jusqu'à l'épouser sur un coup de tête. Jacques, qui avait d'autres plans pour l'avenir de Lucas et qui a des idées précises sur la place - ou plutôt l'absence de place - d'une femme dans un bar, finit par s'incliner à contre-cœur, à tolérer sa présence, jusqu'à presque l'apprécier.

Mais les infarctus se répètent, au point qu'une greffe cardiaque devient la seule solution pour Jacques. Dès lors, les jours s'écoulent dans l'attente du coup de téléphone qui l'informerait d'un cœur disponible. Jusqu'au renversement final.

C'est au fond une histoire toute simple de transmission, presque d'initiation, d'entraide et de solidarité, presque de filiation. Une histoire d'acceptation aussi, d'acceptation du destin, d'acceptation de l'autre, de reconnaissance, autant de ce que l'autre fait pour soi que de ce qu'il est réellement. C'est simple, c'est calme, c'est émouvant. C'est parfois un peu caricatural, raccourci, ne faisant qu'évoquer les chemins de traverse qui auraient été possibles. Mais ça touche au but, et c'est l'essentiel.

Le jeu est juste, sans emphase ni retenue, sans excès ou cabotinage. Peut-être un peu de surjeu dans l'interprétation par Paul Dano d'un Lucas un peu simplet jusque dans sa posture, mais c'est finalement un détail.

L'ambiance intime de ce bar d'habitués, comme on l'attendrait davantage d'un bistrot européen que d'un bar américain, sombre et vaguement crasseux, vieillot et manifestement habité d'un passé, de non-dits, à l'image de son propriétaire, finalement chaleureux sans en avoir l'air, fait immédiatement sentir son âme, son humanité même si elle est rugueuse.

Le petit mystère du film vient de ce qui motive ces références répétées à la France. Peut-être le souvenir du réalisateur islandais né à Paris, mais est-ce suffisant ? Pourquoi le choix du prénom de Jacques pour le patron du bar ? Pourquoi le choix d'Isild Le Besco pour le rôle d'April dont le prénom, malgré son accent, renvoie néanmoins à une origine anglo-saxonne ? Pourquoi du champagne comme première commande d'April entrant dans le bar ? Pourquoi la présence récurrente parmi les clients réguliers, d'un descendant de Jules Verne (Bill Buell) qui ne parvient pas à rédiger le livre qu'il aimerait écrire ? Sans doute y a-t-il là matière à décanter un petit peu. Le jeu des symboles, sur ce point comme sur d'autres, est trop apparent pour ne pas mériter attention, mais pas suffisamment limpide pour s'épuiser à la première lecture, et c'est aussi un des plaisirs d'un film qui fonctionne manifestement à plusieurs niveaux.
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Shrink

L’homme qui ne rétrécit pas

En compétition au Festival du Film Américain de Deauville 2009, c'est au tour de « Shrink », un film de Jonas Pate en 2009 d'entrer en lice. La présence Kevin Spacey au générique fait qu'on abandonne pour quelques instants le soleil enfin revenu pour aller s'enfermer encore une fois au lieu d'aller flemmarder sur la plage, mais il faut bien avouer que l'envie poussait plutôt vers la seconde option. Enfin, on est là pour le cinoche, alors cinochons mon brave.

Affiche USA (movieposterdb.com)

Henry Carter (Kevin Spacey) est un célèbre psychiatre d'Hollywood. (On fait progresser en passant sa connaissance de l'anglais en apprenant que « un psy » se dit « a shrink ». N'ayant volontairement pas lu le pitch du film avant de me rendre en séance, je pensais bêtement qu'on allait y rétrécir quelque chose …). Il est lui-même en assez mauvais état depuis le suicide de sa femme, dormant sur son canapé, ou au bord de sa piscine, tout habillé, fumant cigarette sur pétard, et inversement. Outre son livre à succès « Comment ne pas être triste », il a une collection de clients du show business, essentiellement du milieu du cinéma. Jusqu'à ce qu'il se voie confier le cas d'une jeune collégienne mal dans sa peau qui sèche l'école régulièrement depuis le décès de sa mère.

Le suivi de ses différents patients, d'abord bien cloisonné, finit par évoluer en une curieuse intrication des projets de chacun, …Le quotidien d'un psy n'est pas très drôle, surtout quand il doit remonter le moral d'un certain nombre d'olibrius qui finalement ne vont pas beaucoup plus mal que lui. Il a beau essayer de s'investir lors de chacune de ses séances, la douleur de son deuil, la lassitude, la vanité des choses, le rattrapent à toute allure. Au point que c'est son dealer d'herbe qui semble être le dernier confesseur qui le retient devant le gouffre. En fait, pas tout à fait le dernier. Car la jeune Jemma (Keke Palmer), la collégienne turbulente, fait aussi office de ballon d'oxygène. Et le travail de deuil dans lequel il l'accompagne se retourne vite en son propre travail de deuil à lui.

Qu'est-ce qu'on apprend de tout ça ? Qu'être psy ne sauve pas. Que la cure du client participe à la cure du médecin. Qu'il ne faut désespérer de rien. Qu'on peut trouver de l'aide de situations et de gens inattendus. Qu'il faut faire aussi attention à la qualité de l'herbe. Que dormir dans son lit est un signe de guérison. On a vu enseignements plus originaux dans le cinéma étatsunien. On passera sous l'anecdote les prestations ponctuelles de Robin Williams et d'Aaron Eckart (il m'a semblé que c'était lui). L'essentiel repose sur Kevin Spacey, omniprésent, sur le mode à la fois torturé et désabusé. Pas facile de faire les deux à la fois, mais il s'en sort finalement pas trop mal. La petite Jemma joue dans le même registre, avec une note supplémentaire de révolte. On frise le complexe. J'exagère, elle est parfois assez touchante.

Affiche Israel (movieposterdb.com)

La réalisation n'a rien de vraiment transcendant, ni de lassant non plus d'ailleurs. Elle fait son boulot, sans plus, sans fioriture, mais sans grosse catastrophe non plus. Autant dire qu'on l'oublie assez vite pour se concentrer sur l'histoire, qu'on s'empresse d'oublier aussi d'ailleurs.

Au bout du compte, un petit moment de détente pour qui s'intéresse à la vie privée de son psy, un doux moment de sieste pour les autres.
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Precious

La spirale du ghetto

Séquence émotion. Le 35ème Festival du Film Américain de Deauville a potentiellement dégotté sa Palme d'Or, ou ce qui en fait office ici. Témoin la réaction du public, débout et applaudissant des deux mains un réalisateur un peu timide, Lee Daniels, accompagné par le jury également debout m'a-t-on dit (je ne l'ai pas vu, masqué qu'il était par la foule) à la fin de la projection de « Precious », produit en 2009. Ce n'est pas commun. Mais je me souviens de la même réception du public pour « The fountain », il y a quelques années, qui ne s'était pourtant pas retrouvé en haut du palmarès, alors méfiance. Témoin également, l'opinion de Tonton Sylvain, qui vaut bien toutes les critiques du monde. On peut contester, mais fichtre, c'est mon avis, et comme disait l'autre, je le partage ! Et qu'au bout du compte, le film se hisse sur une marche annexe du podium confirme simplement que Tonton à le nez creux même s'il n'est pas devin …

Affiche USA (movieposterdb.com)

Precious (Gabourey Sidibe) est une ado noire de Harlem qui glande tranquille près du mur du fond de la classe, à l'abri derrière une obésité assez phénoménale (selon nos critères de la Vieille Europe s'entend). Ce n'est pas tellement que l'école lui pèse, c'est plutôt qu'elle a d'autres préoccupations. Outre les rêveries habituelles de collégiennes sur le prof de math, son quotidien est plutôt occupé par une situation familiale sordide : 16 ans et déjà mère d'une petite mongolienne élevée par la grand-mère de Precious ; un père qui la viole régulièrement sous les yeux de sa mère qu'il ne touche plus ; une mère (Mo' Nique) acariâtre qui passe ses journées devant la télévision en attendant les allocations sociales ; des reproches appuyés de violence physique quant à l'inutilité des études, et son inutilité à elle, en dehors de ce qu'elles justifient le versement des allocations ; les tâches ménagères qu'elle est seule à accomplir dans une ambiance à la Cosette ...

Les choses commencent à changer quand Precious tombe à nouveau enceinte et que la Principale du collège réalise qu'elle est de plus quasiment analphabète, bien qu'elle ait réussi à le masquer relativement efficacement jusque là. Prenant les choses en main, la Principale la renvoie du collège tout en l'inscrivant d'office dans une école alternative.

Le cours d'alphabétisation y est donné à temps plein. Il est assuré par Ms Rain (Paula Patton), une jeune femme dévouée qui ne s'en laisse pas compter, face à un groupe de jeunes filles du ghetto pas commodes à dompter.

Les choses dégénèrent encore pour Precious à l'accouchement de son second enfant, lorsque la violence de la réaction de sa mère la pousse à fuir le domicile avec son nouveau-né. Elle est alors prise sous l'aile de Mrs Rain qui l'héberge transitoirement le temps de lui trouver une place en foyer et un petit subside, avec l'aide de Mrs Weiss (Mariah Carey), une assistante sociale de la mairie qui suit la famille. Et comme si tout cela ne suffisait pas, Precious apprend lors du décès de son père qu'il avait le SIDA et qu'elle-même est découverte séropositive.

Privée des allocations qu'elle percevait, puis de toute ressource au décès de son mari, la mère de Precious tente de récupérer sa fille lors d'une rencontre qui les réunit avec Mrs Weiss. Cette réunion est l'occasion de poser au grand jour les ressorts de la mécanique infernale de la misère qui broie cette famille.

Dans sa petite intervention inaugurale, Lee Daniels annonçait un film parfois dur, mais demandait aussi à ce que les spectateurs ne se privent pas de rire librement à un film traversé d'humour. Un film dur, on s'en rend compte rapidement lorsque chaque nouvel épisode est l'occasion d'un nouveau tour de spirale dans le tourbillon du sordide. Traversé d'humour, pieux mensonge pour adoucir le choc. Les seuls traits lénifiants sont peut-être les quelques séquences rêvées de Precious s'inventant une autre vie, un autre corps, une autre couleur de peau. Car le film est bien un choc. On peut ne pas apprécier le cinéma social, je n'imagine pas qu'on puisse rester indifférent à cette histoire.

Le plus difficile n'est d'ailleurs pas tant dans l'accumulation de la misère que dans ce je-ne-sais-quoi qui ne fait pas douter un seul instant de son accent de vérité.

Car il y a paradoxalement quelque chose de frais dans cette histoire et dans la façon de la raconter, respectueuse de la souffrance, de la dignité, mais aussi des ambivalences de toute situation de violence ou de comportements défaillants. Et la forme n'y est pas pour rien, qui ne se laisse pas emporter dans la mode du pseudo-reportage, caméra à l'épaule. Il n'y a pas d'effet particulier (sinon les quelques séquences rêvées déjà mentionnées), on se dit qu'on aurait aussi bien pu filmer tout ça avec une vieille caméra Super8 et un bon magnétophone, tant ça crie de vérité, mais c'est bien un film, un vrai. Le verbiage du ghetto, annoncé dès le banc-titre de générique, n'y est sans doute pas pour rien. Et de façon paradoxale, cette avalanche de misère, par son effet même de « trop, c'est trop », au lieu de décrédibiliser le scénario, produit comme un effet anesthésiant : qu'est-ce qu'une nouvelle catastrophe va bien pouvoir ajouter comme peine ? La coupe est déjà pleine, alors autant prendre les choses les unes après les autres, sans s'en préoccuper davantage.

On est surpris, au bout de cette tourmente, qu'il puisse rester des survivants, mais on réalise alors subitement comment de l'enfance on est passé sans s'en apercevoir à un âge adulte déjà bardé de cicatrices, d'une expérience ahurissante.

Le risque de raconter une telle histoire est évidemment celui du misérabilisme, Mais justement, la mise en évidence des ambivalences, des ressorts sous-jacents, permet en grande partie d'éviter le piège, encore qu'incomplètement il est vrai.

Côté acteurs, on n'est pas dans la perfection. Les séquences rêvées de Precious sont d'une lourdeur souvent indigeste, à la hauteur du spectacle de patronage. Mais pour dire les choses simplement, on s'en fiche complètement. Mo' Nique et Paula Patton, dans deux registres différents, sont étonnantes. La première est d'une richesse dans l'interprétation qui plaisir à voir malgré le caractère antipathique du personnage. La seconde est un peu figée dans une courte panoplie d'expressions, mais en sachant l'exploiter à bon escient. Gabourey Sidice n'est sans doute pas la révélation du siècle, mais il faut avouer que son physique ingrat lui fournit une dimension particulière, par l'espèce de carapace protectrice qu'elle crée autour d'elle, par la limitation des expressions faciales qu'elle autorise sur un visage à ce point « enflé » et qui participe à l'impression de neutralité émotionnelle également protectrice. A noter par ailleurs les interventions d'une part de Mariah Carey en Mrs Weiss, dont j'ignorait personnellement ce talent d'actrice, et d'autre part de Lenny Kravitz (l'infirmier John) qui, par contre, ne marquera pas les mémoires.

On pourrait disserter des pages durant sur le détail de la mise en scène de telle ou telle scène, mais serait-ce bien utile ? Après tout, le film est là et parle suffisamment bien par lui-même.
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The messenger

L'arrière de l'avant

Nouveau compétiteur au Festival du Film Américain de Deauville 2009, avec « The messenger », un film pondu en 2009 par Oren Moverman. Encore un film sur la guerre d'Irak ? Oui et non. C'est bien le contexte général, mais ça pourrait aussi bien se situer dans celui de n'importe quelle guerre. Car le sujet n'est pas tant celui de la guerre que d'une des articulations entre le monde militaire et le monde civil en temps de guerre.

Le sergent Will Montgomery (Ben Foster) a été blessé au front et est affecté, pour ses derniers mois de service, à un poste non combattant sur le sol des Etats-Unis. Il est placé sous les ordres du capitaine Tony Stone (Woody Harrelson) dont il est l'unique subordonné. Leur mission : annoncer aux familles le décès des militaires tués au front. Devant le caractère trivial de la tâche pour qui est revenu médaillé du terrain, Will ravale sa rancœur, mais, en bon soldat, s'exécute. Sa tâche se révèle cependant moins évidente qu'il pouvait sembler. Stone lui en enseigne la codification précise, fruit de l'expérience, la ritualisation, mais aussi les pièges, les chausses trappes, les difficultés, les astuces, les échappatoires. Et surtout combien il faut aussi une certaine forme de courage pour l'accomplir correctement. Une des annonces qui leur incombe s'adresse à Olivia Pitterson (Samantha Morton) dont la réaction les intrigue. Tentant d'en savoir davantage, Will se rapproche progressivement d'elle, sous le regard réprobateur du capitaine Stone. Parallèlement, les deux hommes apprennent à se connaître et se lient d'amitié.

On peut dire ce qu'on veut de ce film, mais sûrement pas qu'il s'agit d'une histoire classique cent fois ressassée. Bien sûr, on a régulièrement vu les affres et la solitude du chef de corps devant la page blanche de la lettre à écrire aux parents d'un soldat mort. Mais la procédure a visiblement évolué depuis que John Wayne ou Clint Eastwood se chargeaient de l'affaire. Maintenant, la réactivité de la presse est telle qu'il faut à l'armée une vitesse d'exécution dans l'annonce qui prenne de vitesse les organes de presse, sous peine de voir les familles averties par le journal avant même l'annonce officielle. La sensibilité des civils semble avoir également évolué, de façon telle que l'annonce écrite ou téléphonique serait probablement prise pour une véritable insulte. On mesure toute la distance depuis les scènes décrites pour la seconde guerre mondiale ou celle du Vietnam. La prise en compte de la sensibilité des familles en arrive même à tourner à l'entreprise de protection de l'armée ou de ses émissaires : toute une stratégie et maintes précautions sont prises pour éviter de délivrer le message à la mauvaise personne, pour être certain qu'elle soit entendue même si les proches ne saisissent pas l'anglais, pour proposer dans une forme standardisée à laquelle ne peut échapper nul oubli un soutien psychologique réglementaire, …

Malgré cela, malgré ce cadrage pointilleux, on continue à sentir la sensibilité, l'humanité, la compréhension même sous la démarche quasi robotisée. Et c'est probablement vrai qu'il faut avoir le cœur accroché pour assumer le rôle de messager de ce genre de nouvelle. Surtout quand on est un soldat que rien n'a préparé à ce type de situation si ce n'est un vieux fond d'humanité.

Que dans ces circonstances on bascule aisément dans les vieux travers de ce que des décennies de réflexion sur la relation soignant-soigné ont largement identifié n'a rien de bien surprenant : transfert, contre-transfert, burn out, ambiguïté du contact physique, … Les choses sont bien décrites, parfois même explicitement dites. Avec le mérite de les extraire d'un contexte médical pour les faire apparaître dans la quotidienneté de la relation humaine. Difficile de savoir si le projet était de parler de cela et que le contexte de guerre fournissait un cadre utile, ou s'il était d'explorer une face méconnue de la tâche militaire et que la réflexion a été poussée jusqu'à ce point de rapprochement avec la pratique soignante. En tout cas le résultat est là, et il est assez expressif.

Pour faire bonne mesure, on ne s'épargne pas quelques clichés sur la condition militaire, sur la relation « entre mecs qui en voient de dures ». Les beuveries réparatrices, les bagarres solidarisantes, les filles à soldats comme génitalité en contrepoint du contact avec la mort, la solitude du soldat abandonné par sa compagne pendant qu'il est au front, le deuil du couple comparé au deuil tout court, … on balaye large dans la psychologie de la séparation.

Dans les rôles de taiseux qui savent encaisser sans perdre leur âme, il faut avouer que Ben Foster et Woody Harrelson sont loin d'être des mauvais choix. Face à eux, Samantha Morton n'a pas la tâche facile pour défendre son personnage, mais s'en sort honnêtement. A noter la prestation de Steve Buscemi dans le rôle d'un père recevant l'annonce du décès de son fils : une apparition, mais quelle apparition.

Le montage semble un peu se chercher, avec quelques tentatives de ce découpage saccadé qui devient à la mode - sans qu'on comprenne généralement bien l'utilité de générer de telles migraines chez le spectateur -, comme dans certaines des scènes d'annonces. Ce qu’on saisit bien, c’est la volonté de décrire ces missions d’annonce comme on aurait pu filmer des scènes de combat, mais ce qu’on saisit moins c’est la nécessité de le faire. En dehors de ces quelques accélérations, le montage reste finalement relativement sobre.

La mise en scène ne va pas dans l'originalité. Sans trop de fioriture, encore que peut-être avec une petite tendance à souligner le mélodrame, mais ça passe raisonnablement, au moins dans la première partie du film. Car il y a bien deux parties distinctes : la première concernant les aspects concrets du cadre, la seconde davantage centrée sur la relation entre Will et Olivia et sur l'évolution psychologique des personnages. Autant dire que la première partie est bien plus intéressante que la seconde qui s'étire un peu en longueur.

Finalement, même si on n'est pas dans le registre du chef d'œuvre qui marquera l'histoire du cinéma, et malgré le Grand Prix qui lui est finalement attribué à Deauville, on est malgré tout dans une tentative honnête de penser et d'aider à comprendre la réalité, en des termes simples, sensibles, parfois touchants, et ce n'est déjà pas si mal.


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District 9

ET or not ET

Présenté en avant-première au Festival du Film Américain de Deauville 2009, « District 9 » prend sur lui la section Science-fiction / Fantastique / Anticipation de la sélection. L'année dernière on avait eu « Hellboy », dans un autre genre, par un réalisateur mexicain. Cette année, c'est à un sud-africain, Neill Blomkamp, qu'on a confié la mission. Et pour faire bonne mesure, c'est Peter Jackson qui s'est collé à la production, « Le seigneur des Anneaux » constituant une bonne carte de visite devant l'audience du genre.

Affiche France (movieposterdb.com)

Wikus Van der Merwe (Sharlto Copley) est un petit employé de la société MNU qui a pour lui d'être marié à Tania (Ron Livingston), la fille du patron. Il se voit confier la tâche de gérer le transfert de toute la population d'extraterrestres que Johannesburg abrite depuis que leur vaisseau s'est immobilisé, vingt ans plus tôt, au-dessus de la ville et que, affamés et malades, ils y ont été recueillis pour raisons humanitaires. Malheureusement, passé le moment de la surprise du premier contact, les nouveaux arrivants ont vite été ressentis comme une charge par la population. Ils ont été parqués dans un camp de fortune rapidement devenu permanent et transformé avec le temps en bidonville, le District 9, cerné de murs, de grillages et de barbelés, et tenu par une bande de bandits Nigérians.

La MNU a à l'époque été chargée du transfert à l'humanité de la technologie extra-terrestre découverte sur le vaisseau, entreprise ayant finalement échoué lorsqu'on eut compris qu'elle ne fonctionnait que sous reconnaissance de l'ADN de son utilisateur. Devant cet échec, donc devant l'inutilité des réfugiés, et le rejet de la population, la ségrégation des extraterrestres est devenue une évidence, jusqu'à leur expulsion programmée vers un camp éloigné de la ville. Et c'est justement la tâche confiée à Wikus que d'assurer la vitrine légale de l'opération, épaulée par la force armée de la MNU commandée par Koobus (David James) chargée, elle, du plan plus contraignant et brutal de l'opération.

Affiche Italie (movieposterdb.com)

Lors de sa visite au District 9, Wikus rencontre un extraterrestre qui lui paraît vite différent de ses congénères, Christopher Johnson (Jason Cope), vivant avec son fils dans une cabane bourrée de matériel informatique de récupération. Perquisitionnant la cabane, il s'asperge le bras accidentellement d'un liquide suspect qui lui fait saisir le récipient pour analyse au laboratoire de la MNU.A l'issue de cette journée, Wikus ne tarde pas à ressentir d'étranges symptômes, amorce d'une transformation physique qui va le muer en paria pourchassé par la MNU et en allié objectif de Johnson.

Le film est à l'évidence une allégorie de l'immigration et, dans un contexte sud-africain, de la problématique du « développement séparé » de communautés ethniques différentes, ou apartheid qui a fait les heures sombres de l'Afrique du Sud. Le refus de l'intégration, l'exclusion, dont les deux faces du double visage fait de réglementation ou de répression brutale sont incarnées par le naïf Wikus ou le retors Koobus, forment l'arrière-plan permanent de l'histoire. On aborde les aspects de la propagande, de toutes les petites ou les grandes lâchetés du quotidien, bref de tout ce qui conduit et fait vivre une barbarie subreptice avant d'être au grand jour : déni, déshumanisation, respect du règlement, univers concentrationnaire, expérimentation médicale dévoyée, …

L'impression de réalisme, malgré la présence de personnages d'extra-terrestres particulièrement repoussants, est recherchée par le parti pris narratif en forme de reportage, mêlant des scènes scénarisées à de véritables images d'archives, et à des interventions tirées d'interviews dans la rue, façon radiotrottoir, détournées en modifiant simplement le contexte dans lequel elles ont été réellement enregistrées. La forme reportage est maintenue tout au long du film, avec une réalisation plus proche du reportage de journal télévisé que de fiction classique. Les images sont parfois sales, découpées, sautant à la manière des reportages en zone de troubles, caméra à l'épaule, dans une fausse continuité multipliant les plans d'une même scène. Les hors champs, les approximations volontaires de cadrage se succèdent, de même que le montage est saccadé, comme dans l'urgence.

Affiche USA (movieposterdb.com)

On est bien dans un film d'aventure qui se présente comme un document d'actualité, aux clés le plus souvent transparentes, mais parfois obscures. Que vient faire par exemple cette bande de Nigérians dans l'histoire ? On y voit bien quelques codes, depuis la métaphore de l'assimilation sociale en une véritable assimilation digestive. On imagine l'allusion à une oralité, tant de parole que d'alimentation, comme symétrique de la société sud-africaine attachée à l'écrit, et dans laquelle l'approche de l'assimilation est l'occasion de vomissements, un des premiers symptômes de Wikus après sa contamination. Est-ce pour montrer les difficultés de l'intégration dans les deux types de contexte ? Que le chef du gang de Nigérians le dirige depuis sa chaise roulante, il y a manifestement une tentative de second degré, mais de quoi ? Quel est le sens de cette promesse par Johnson de son retour « dans trois ans » pour revenir aider Wikus, avant son évasion vers le vaisseau mère puis vers sa propre planète ? D'autant que la promesse ne sera manifestement pas tenue, mention étant faîte en fin de film d'un camp extraterrestre contenant une population triple de celle mentionnée durant la période filmée. On doute qu'il s'agisse simplement de souligner le caractère pessimiste de la morale de l'histoire. Peut-être pour exprimer l'absence d'autre solution imaginable que de trouver un terrain d'entente entre les différentes populations. Peut-être par une sorte d'assimilation inversée, à la manière de Wikus devenant progressivement littéralement un membre de la population d'extraterrestres.

Au bout du compte, si le film est une belle tentative de révolte contre une plaie qui a minée pendant une longue période le quotidien de l'Afrique du Sud, s'il cherche à le dépasser pour en faire un problème partagé par de nombreux pays, il reste malgré tout alourdi par sa présentation et par une certaine obscurité.




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