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22 octobre 2009

Underwater! (La Vénus des mers chaudes)

Le faux espoir d'un bain de jouvence

Les antiquités du cinéma prennent souvent moins de rides qu'on pourrait le croire. « Le petit Lord Fauntleroy » ou « Le mouron rouge » vous plongent en quelques minutes dans un bain de nostalgie se muant rapidement en un doux bain de jouvence. « La Vénus des mers chaudes », de son vrai nom « Underwater! », est pour sa part une excellente illustration de cette règle, dans la mesure où elle fait figure d'exception, de ces exceptions qui sont supposées venir confirmer la dite règle.

Le film vit le jour en 1955, sous la direction de John Sturges. Juste histoire de se fixer les idées, c'est au même John Sturges qu'on devra, deux ans plus tard, « Les sept mercenaires ». Du lourd donc, pourrait-on dire. A la production on trouve Howard Hughes, et sur les planches Jane Russell, celle-la même pour qui Hughes, ingénieur de formation, avait quelques années plus tôt, inventé un soutien-gorge spécial destiné à rehausser encore son anatomie déjà avantageuse.

Le cadre historique étant ainsi dressé, on peut simplement ajouter pour mémoire que si le film date de 1955 et se déroule à Cuba, un peu à terre mais pour l'essentiel en mer le long de ses côtes, la révolution castriste n'interviendra sur l'ile que quatre ans plus tard.

Dominique Quesada (Gilbert Roland) et Johnny Gray (Richard Egan) sont deux plongeurs qui explorent les côtes cubaines. Découvrant une épave de galion espagnol, ils se mettent en tête de la fouiller et d'en extraire un trésor potentiel. Renseignement pris auprès de l'Université de La Havane, l'épave se confirme être celle d'un navire perdu contenant un fastueux trésor, en particulier une statue de la Vierge grandeur nature en or massif. Reste à convaincre Théresa (Jane Russell), l'épouse de Johnny et filleule de Dominique, de gager leurs biens pour investir dans l'aventure. Ses réticences initiales conduisent Dominique à embarquer dans l'affaire une jeune conquête, Gloria (Lori Nelson), qui se trouve avoir été abandonnée dans le port de La Havane à bord d'un voilier dont son protecteur indélicat lui a laissé la propriété en s'enfuyant devant ses créanciers. Une fois Théresa finalement convaincue de faire plaisir à son mari, les deux couples peuvent alors se lancer dans l'aventure, accompagnés par le Père Cannon (Robert Keith), un prêtre archéologue de l'Université.

Les plongées se déroulent de manière rapidement fructueuse et sans difficulté notable si ce ne sont les visites intempestives du bateau de Rico Herrera (Joseph Calleia), un pêcheur de requins qui ne croit manifestement pas à la couverture qu'ils lui servent de scientifiques en campagne d'exploration géologique sous-marine.

Lorsque la découverte du trésor se confirme et que le groupe remonte un lot de lingots d'or, la confrontation avec les malandrins se précise. Parallèlement, la fin de la fouille est perturbée par divers incidents de plongée et finalement par la rupture de la coque du galion, dont la partie contenant la statue précieuse convoitée tombe dans un précipice sous-marin la rendant dès lors inaccessible.

Globalement, l'histoire est largement survolée, sans appesantissement notable sur quelque subtilité que ce soit. Bien au contraire, le film est manifestement d'abord l'argument à présentation de multiples séquences de plongée sous-marine libre avec bouteille, encore largement méconnue, dans un décor de fonds tropicaux. Il est ensuite l'argument à filmer la plastique abondamment oestrogénique de Jane Russell dans une large collection de maillots de bain aux pointes effilées. L'ensemble est traité avec une note humoristique gentillette qui finit de reléguer l'histoire au magasin des accessoires.

Parler du jeu des acteurs paraît dans ce contexte relever de la gageure tant la question semble simplement hors de propos. Gilbert Roland en fait des tonnes dans le genre séducteur andaloux, moustache linéaire en avant, manches roulées jusqu'à la racine des deltoïdes, canotier penché sur le front, sourire imperturbable, professionnel du mambo, et guitariste à ses heures. Richard Egan fait pâle figure à côté malgré ses biceps musculeux à faire craindre en permanence pour la survie des manches de ses chemisettes, son ratelier de publicité pour dentifrice, sa voix caverneuse de mâle-comme-on-n-en-fait-plus. Lori Nelson est tellement absente qu'on en oublie simplement vite qu'elle est là. Les pirates cubains sont à l'avenant, avec une petite subtilité de répartition des rôles entre le chef, roublard comme un Rapetou et goguenard, le matelot sourd-muet inexpressif, et le mécanicien bougon. Reste Jane Russell, à qui on n'en demandait pas tant, et qui se pique pourtant pour une raison obscure de chercher un peu de crédibilité qui, par contraste, semble la qualifier d'office pour l'Académie Française, ou pour l'équivalent anglo-saxon qu'on voudra. Non, finalement, le seul à réellement faire l'acteur avec un minimum de sérieux est encore Robert Keith.

Côté technique, les décors sont soit naturel dans une ambiance essentiellement aquatique tropicale, soit d'un kitch d'opérette assez distrayant. Inutile de chercher le raccord entre l'aspect extérieur du petit voilier du groupe et l'aspect intérieur de la cabine aux dimensions de hall de gare. La lumière est traitée comme quantité négligeable si ce n'est sa luminosité dans les rares scènes d'extérieur à terre. Les scènes à bord, même sur le pont, sont manifestement pour la plupart tournées en studio dans un éclairage artificiel basique. Les rares scènes de navigation, quasiment à chaque changement de plan, proposent des changements de tonalité de couleur difficilement attribuables à un vieillissement hétérogène de la pellicule. Même les plans larges du bateau sur fond majestueux de coucher de soleil sombrent dans un rouge sanguin du plus bel effet émétisant. Les prises sous-marines ont pour elles l'excuse de la nouveauté, … mais c'est probablement la seule.

La mise en scène, de son côté, ne se pose pas de question superflue. Pas de mouvement de caméra excessif, pas d'angle de prise de vue acrobatique, pas de traveling ingénieux. On doit en venir au sujet du tournage sous-marin, alors on se concentre sur le sujet, en remplissant rapidement le reste du film de quelques shootages express pour faire liaison. On a du mal à retrouver la patte du John Sturges des « Sept mercenaires », du « Vieil homme et la mer », de « Règlement de comptes à OK Corral », …

Au bout du compte, parti pour un bain de jouvence, Tonton Sylvain, votre serviteur, bien en peine d'étancher ici sa soif de vieillerie, se rue alors sur sa zapette pour brancher compulsivement TCM et d'avaler tout cru « Témoin à abattre », de la même année et avec Edward G. Robinson. Mais ça, c'est une toute autre histoire !


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Land of the Pharaohs (La terre des Pharaons)

Curiosité sur le Nil

Pas grand chose à se mettre sous la dent en ce week-end du 15 Août. Et puis soudain, posé comme par hasard au milieu de pas grand chose, on tombe sur une pépite déterrée par une chaine du satellite, « Land of the Pharaohs » (La terre des Pharaons), pondu par Howard Hawks en 1955. Avec en plus William Faulkner à l'écriture et Dimitri Tiomkin à la musique … excusez du peu ! Alors, même s'il fait beau dehors, on se laisse tenter, c'est humain, qu'est-ce que vous voulez.

Le Pharaon Khuru (Jack Hawkins), de retour d'une de ses campagnes guerrières, décide de se faire ériger un tombeau à sa mesure, à l'inviolabilité renforcée après le pillage des tombes de ses prédécesseurs. Khuru, toujours épaulé par son Premier Ministre Hamar (Alex Minotis), embauche pour cela Vashtar (James Robertson Justice), un architecte prisonnier dont il avait pu apprécier les capacités dans une bataille où il avait affronté des fortifications conçues par Vashtar. Afin de convaincre Vashtar et malgré le sort qui lui est promis de mourir après la construction du tombeau pour préserver le secret de son accès, il s'engage à libérer son peuple soumis en esclavage. Vashtar accepte finalement le marché et la supervision des travaux. L'âge avançant, il devra secondairement accepter l'aide de son fils Senta (Dewey Martin) qui sera alors également soumis à la même perspective funeste que lui-même.

La construction de la pyramide débute donc dès qu'est promulgué le décret royal de mobilisation des bras et des ressources de l'Egypte pour ce projet. La population entame les travaux dans l'enthousiasme et l'allégresse, lesquels retombent néanmoins après quelques années de dur labeur. Pharaon doit alors trouver de nouvelles ressources pour continuer les travaux et lance une campagne d'impôts sur les provinces de l'empire. La province de Chypre affirme ne pas pouvoir supporter le tribut demandé et envoie en remplacement la Princesse Nellifer (Joan Collins). Après une rebuffade initiale, Pharaon tombe sous le charme de la belle Princesse et en fait sa seconde épouse.

Mais lorsque Nellifer réalise que le fabuleux trésor du Pharaon est en fait un viatique pour sa « seconde vie », destiné à l'accompagner dans la tombe, elle ourdit un complot contre Khuru et sa première épouse, visant à se positionner en régente du jeune fils du Pharaon.

On avait l'habitude des peplums mettant en scène l'histoire antique, ou fréquemment aussi l'histoire biblique. Les temps modernes nous avaient habitués également à un détournement vers l'horreur, quitte à la traiter sur un mode de comédie, autour de quelque histoire de momie. Mais il faut bien avouer qu'on - c'est-à-dire cette vieille baderne de Tonton Sylvain – n'avait pas coutume de voir le genre servir de toile de fond à un quasi polar, pour ne pas dire un film noir. D'où la surprise devant cette étrangeté datant pourtant de 1955.

Car si le fond visuel baigne dans le kitsch de la reconstitution d'une Egypte fantasmée, il faut bien avouer que l'histoire est ailleurs et que le vieil Howard nous ballade durant la plus grande partie du film dans une histoire dont on ne comprend finalement l'intérêt que dans les dernières scènes. On rigole tout du long sur les décors et les costumes de pacotille, sur l'historicité suspecte des personnages et des évènements, sans se douter que l'animal nous mène ailleurs, sur le terrain de la cupidité, de la jalousie, de la duplicité, plus familier à la noirceur des rues sombres de Dashiel Hammet ou de Raymond Chandler qu'au soleil cuisant de Cecil B. DeMille.

Non pas qu'à l'issue de cette bascule on se retrouve face à un monument de la psychologie ou du cinéma qui nous fasse revoir de fond en comble notre conception du monde, non pas que l'intrigue une fois révélée se trouve être d'une profondeur révolutionnaire, mais simplement la découverte nous abandonne dans le plaisir d'une surprise que le simple fait de la déstabilisation qu'elle produit oblige à une relecture entière du film dès la dernière image close. Et ce n'est certainement pas si banal.

Est-ce la raison de l'emploi pour certains rôles clés d'acteurs qu'on n'aurait jamais attendu à cet endroit ? Est-ce en préparation à cette déstabilisation qu'il est fait appel à Joan Collins pour une Nellifer difficilement crédible ou à Dewey Martin qui l'est encore moins en Senta, pour des personnages qu'on sent définitivement plus à l'aise aux bords de la Tamise ou de l'Hudson que sur les berges du Nil ? Ce serait bien là une espièglerie du vieil Howard qu'il ne faudrait pas en être autrement surpris.

Au bout du compte, coincé dans la carrière du réalisateur entre « Les hommes préfèrent les blondes » et « Rio bravo », « La terre des Pharaons », seule tentative pléplumesque de Hawks, rivalise difficilement avec ses voisins. Il jouit néanmoins d'une originalité qui mérite le détour sans pour autant devoir trop longuement encombrer les pages des anthologies du cinéma.


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My Winnipeg (Winnipeg mon amour)

La fourche du Manitoba

Comment décrire cette étrangeté pondue par Guy Maddin en 2007 qu'est « My Winnipeg » (Winnipeg mon amour) ?

Peut-être en avouant tout de suite que Tonton Sylvain, quoique parfois partant pour des aventures inattendues, ne se serait sans doute pas lancé sur l'affaire si le hasard d'un DVD qui traînait par là et la promesse de Madame faite à un copain d'en lire et d'en commenter le contenu ne lui avaient substantiellement forcé la main. Autrement dit, et plus simplement, littéralement fait comme un rat, Tonton n'avait plus d'autre choix que de s'avaler la chose sous peine de … mais c'est une autre affaire. Bref, le DVD s'engouffrait dans le lecteur, la télé commençait à afficher l'image en noir et blanc d'une vieille femme râleuse, et Tonton se préparait à son premier bâillement, le dos vaguement vautré dans une confortable pile de larges coussins.

Ce n'est que 1h20 plus tard que Tonton réalisa que son premier bâillement n'était finalement jamais arrivé et qu'il était une heure indue.

Entre temps, Guy Maddin avait pris le contrôle de la situation, un peu comme dans « La quatrième dimension », cette vieille série des années 50 dont le début de chaque épisode présentait un écran brouillé et une voix off prévenant de ne pas changer les réglages du téléviseur mais qu'une force extérieure en avait pris les commandes.

A vrai dire, cet épisode est à ce jour ma seule expérience maddinienne, aussi je suis bien incapable de dire si le vécu de cette projection tient au film lui-même ou au style propre au réalisateur. Encore que la lecture de commentaires de quelques aficionados de l’auteur tendrait à faire pencher pour la seconde hypothèse.

De fait, sous des dehors obscurs et hermétiques, la forme est proprement stupéfiante. Si on se demandait s’il était possible de rédiger de la poésie avec un langage d’images, on se trouverait là devant la réponse absolument affirmative. Car il y a dans ce film quelque chose de captivant sans qu’il ait l’air d’y toucher. Le découpage erratique, les images vaguement floues et parasitées comme celles d’une mauvaise caméra de surveillance, la voix off permanente de Guy Maddin déclamant un texte aux allures de monologue intérieur, l’entremêlement d’images d’archives et de scènes filmées, les petits bouts de la petite histoire, les reconstitutions de scènes de l’enfance, le visage permanent de cette vielle mère, les allers-retours entre un passé intime et un présent douloureux, la plainte inassouvie contre une ville que rien ne prédestinait à faire naître un attachement si puissant, la valse hésitation entre un désir de fuite et une impossibilité du détachement, … on n’en finit pas de disséquer chacun des plans, chacune des images, chacun des mots des 80 minutes du film. Mais de les disséquer après coup, tant l’instant du visionnage reste entier, monolithique, opaque à autre chose que la fascination. Et c’est bien là la force de la chose : embarquer le spectateur le plus rétif sans espoir de sortie avant la dernière image qui opère alors comme une sonnerie de réveil. « Hein, quoi, comment … ? Ah, c’est fini ?! Il est quelle heure, au fait ? »

Que le fond n’ait rien de bien palpitant n’est d’ailleurs que bien secondaire dans l’affaire : l’attachement / répulsion de Maddin pour sa ville natale et cité de son enfance qu’il tente désespérément de fuir sans parvenir à la quitter. Sur la vague trame d’un voyageur dans un train de nuit qui fait ses premiers tours de roue au départ de Winnipeg alors que le voyageur se remémore tout ce qui le retient ou le pousse à s’éloigner de cette ville, on passe en revue les principales particularités de la ville, le froid, la neige, les bâtiments publics, les évènements marquants de son histoire, tout autant que les principales étapes de la vie du jeune homme et de sa famille. La grande grève, l’évasion des chevaux de leurs écuries pétrifiés dans les glaces des mois durant après s’être jetés dans le fleuve, la piscine municipale à trois bassins superposés, la fourche des rivières, le chien de la famille, la mère actrice de série télé, la sœur championne d’athlétisme, le frère mort à l’adolescence, … Le tout dans un entremêlement de sujets, d’images d’archives ou de reconstitution. Guy Maddin ne filme pas tant la ville que « sa ville ». Même pas sa ville telle qu’il la voit, d’ailleurs, mais bien plutôt telle qu’il la ressent, qu’il la vit, qu’il s’en nourrit, qu’il s’en pétrit. La voix off exclusive n’est pas un descriptif, elle est un monologue, une longue page de journal intime, une longue introspection du réalisateur au travers du filtre de cette ville dont il s’est progressivement construit, pour le meilleur et pour le pire.

Pour le meilleur et pour le pire, de cette ville maternelle comme de cette ascendance maternelle, aussi captivantes que repoussantes l’une que l’autre, aussi présentes et comme en écho l’une de l’autre. La voix du narrateur se fait l’expression de la ville et la seule autre voix du film est celle de la mère, comme pour souligner l’effet de pendant, au travers d’un film par ailleurs muet. Non pas seulement muet au sens qu’il ne rend aucune autre voix, mais au sens des films d’avant l’invention du parlant, quand les séquences étaient, comme ici, séparées de cartons présentant une parole écrite ou un commentaire intermédiaire. Les deux voix se répondent, sans le savoir, dans la construction du narrateur, dans ce qui le construit, dans l’étrangeté qui le construit, l’étrangeté de cette double parole tellement présente qu’elle en efface toute autre voix, étrangeté qui fait apparaître les cartons rédigés en français en contreplan d’un texte dit en anglais. Bien sûr la ville comme le réalisateur sont canadiens et pétris de cette double culture, mais l’étrangeté demeure de cette superposition à l’image de celle de cette mère-ville et de cette mère-femme.

Etrangeté qui ne prend fin qu’avec la fin du film et la sortie de Tonton de son coma hypnotique, avant qu’il ne se jette sur son écritoire pour en décrire les charmes troublants.

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13 octobre 2009

Taking Woodstock (Woodstock Hotel)

Le choc des civilisations

Ce n’est pas un scoop, mais le film d’Ang Lee, « Taking Woodstock » (« Woodstock Hotel » pour les amateurs de VF), sorti en 2009 et présenté à Cannes puis à Deauville la même année, n’est pas un film musical. Et quiconque s’attendra à visionner un concert mythique en sera pour son temps perdu. Par contre, si on recherche une vision nostalgique sur une époque à l’occasion de la préparation du fameux concert, on en aura pour son argent, et bien plus. Tonton Sylvain, lui, ne savait pas trop à quoi s’attendre, alors pas vraiment de risque d’être déçu. Mais question plongée dans une époque révolue de quand Tonton n’avait pas ses cheveux blancs, que la « liberté sans entrave » avait un sens, que le sens de la responsabilité n’avait que la limite qu’on voulait bien lui donner, que la notion de plaisir n’était ni l’alpha ni l’oméga de l’égoïsme, que l’insouciance n’était ni une innocence ni une indécence, que la peur du lendemain semblait une préoccupation de dinosaure, que « carpe diem » n’avait de latin que son étymologie oubliée au profit d’une pratique libérée, … alors là, la cueillette est à des années lumière de la déception.

Le film présente l’histoire, basée sur des faits réels et sur les souvenirs du principal protagoniste, de l’organisation du festival de musique pop de Woodstock durant l’été 1969. Elliot Tiber (Demetri Martin) est un jeune décorateur dont les affaires ne tournent pas fort à New-York, et qui a bien du mal à résister aux appels à l’aide en forme de jérémiades permanentes de ses parents, Jake (Henry Goodman) et Sonia (Imelda Staunton) Teichberg, juifs polonais immigrés, qui tentent d’éviter la faillite du El Monaco, le motel qu’ils possèdent à White Lake, une petite ville des environs de la mégapole. Il rejoint donc ses parents à l’approche de la saison estivale et donne un coup de main à la remise en état du motel pour accueillir les rares visiteurs, espère-t-on appâtés par un coup de peinture, une vague piscine, quelques panneaux dérisoirement prometteurs.

Comme chaque année dans la petite communauté paysanne et commerciale dont il s’est fait désigner président de la Chambre de Commerce locale, il tente d’organiser un petit évènement culturel sensé attirer le chaland, en forme de festival de bouts de ficelles, entre un phono qui fait passer sa collection de disques dans les haut-parleurs plantés au bord de la piscine et une pièce de théâtre d’avant-garde menée par une bande d’allumés payant ainsi le loyer de la grange qui les héberge. Le désastre semble se concrétiser, quand Elliot apprend l’abandon par la ville voisine du festival de musique qui se préparait et qu’il décide de reprendre le projet. Mais la faune qui débarque alors pour négocier et organiser les choses met la ville en émoi. Devant l’enjeu, d’abord financier, puis progressivement libertaire, Elliot tient bon néanmoins, au risque de se brouiller avec la population locale. Lorsque les spectateurs finissent par se présenter, se muant rapidement en une véritable marée, Elliot, dans un premier temps dépassé par les évènements, découvre tout un monde qui lui était étranger avant de s’y fondre entièrement.

Que dire, sinon que si Epinal était aux USA, Ang Lee en serait l’édile. Les images devenues légendaires de l’époque défilent les unes après les autres, les unes en même temps que les autres. Tous les clichés mythiques de la fin des années 60 se succèdent, se mêlent, se bousculent, comme un choc de civilisation, un choc entre une civilisation qui s’épuise et une civilisation qui se croit en train de naître. Le tout sous la douce et discrète férule de Michael Lang (Jonathan Groff), un jeune producteur aux allures du George Berger du « Hair » de Milos Forman.

Car c’est bien lui le personnage central de l’histoire, personnage discret, à peine montré si ce n’est aux instants clés, sorte de passeur d’un monde à l’autre, genre de gourou qui ne dit pas son nom, qui ouvre les pistes sons avoir l’air d’y toucher, qui rassure le voyageur qui tente de s’aventurer sur les pistes ainsi ouvertes. Avec un visage angélique, la tignasse savamment négligée du chanteur des Who, le regard sûr de lui et tout de douceur, la posture indéracinable et le regard fixant l’horizon, le verbe calme et rare, le sourire désarmant, jusqu’au départ au galop sur un cheval indien tel un cavalier solitaire de western morrissien, tout en lui renvoie à un statut d’initiateur, au sens de celui qui fait et entraîne les initiés sur le chemin de la vérité. Image quasi christique comme pouvait l’être George Berger dont il reprend la défroque.

Dès lors, les autres personnages ne sont que comme les apôtres et les élèves de ce nouveau Messie, laïquement baptisés, même hors la présence de l’archange, par la baignade dans l’étang qui jouxte le motel. La religion de la douceur, du flower power, dont l’encens a des accents de marie-jeanne, se libère et prend possession de l’ancien monde, de ses jeunes et de ses vieux, de ses forces de l’ordre, de ses conventions qui s’écroulent. Les mafiosi sont prestement remis à leur place qui est n’importe où sauf en ce nouveau monde. Le service d’ordre est assuré par un improbable travesti (Vilma -Liev Schreiber-) qui tient son calme et sa dextérité de son passage dans le corps des marines.

Bien sûr, certains restent en dehors de ce mouvement, mais avec le seul choix qui leur reste : l’accompagner avec bienveillance, tel Max Yasgur (Eugene Levy) qui loue son terrain pour le festival, et en tirer profit même de leur position extérieure, ou le rejeter et se trouver simplement exclus de fait de la marche du monde. Nul anathème, nulle réprobation, juste le constat de l’auto-exclusion des rétifs.

Evidemment, dans une telle ambiance, les dérapages ne sont pas bien loin. L’initiation d’Elliot aux charmes du voyage chimique sous les auspices d’un couple illuminé (Paul Dano et Kelli Garner) dans un minibus Wolkswagen décoré de tentures indiennes est sans doute à ranger dans ce chapitre tant sa mise en scène se complait dans les effets de distorsion cannabique et d’ouverture des sens, tant elle exploite une symbolique transparente de pluie lavant les nouveaux initiés des poussières de leur ancienne vie. Si on voulait reprocher quelque chose de « too much » au film, ce serait sûrement dans ce type de scènes qu’on irait piocher avec raison, encore qu’elles ne sont pas majoritaires, loin de là.

Coté reconstitution, le film ne semble pas commettre de grave fausse note. Les illustrations musicales sont effleurées, jamais mises en avant, en cohérence avec le projet du scénario qui vise à rendre l’ambiance d’une époque plutôt qu’à en faire la chronique documentée et détaillée. Il y a bien sûr là quelque chose de frustrant aux oreilles nostalgiques, mais le projet est là, et Ang Lee s’y tient bien.

Dès lors, difficile de trouver à décrier le résultat autrement que sur quelques détails quand on se laisse embarquer aussi allègrement dans les filets du réalisateur. Et après tout, c’est bien agréable de se sentir plonger dans un tel bain de nostalgie aux effluves de liberté et d’espérance.

Que l’avenir de cet épisode ait finalement montré les limites de l’utopie ne change rien à l’affaire. Tonton est grimpé sur son nuage et on peut s’accrocher pour le faire descendre.


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6 octobre 2009

The informant

Le nec le plus ultra

On aimerait avoir des choses à raconter à propos d’un film de Steven Soderbergh. On aimerait se dire « Je l’ai vu en avant-première au Festival du Film Américain de Deauville 2009, et ça valait le déplacement ». On aimerait pouvoir décortiquer le film, son sujet, son traitement, sa mise en scène, la performance des acteurs, la dextérité du scénariste ou celle du réalisateur. Et puis voilà que tout tombe à plat. Bien sûr on a vu sur scène un scénariste hilare, Scott Z. Burns, et un Soderbergh plus vrai que nature, en clown triste déguisé en Gil et Georges de la pellicule, costume impeccable et lunettes d’écailles. Mais ça intéresse qui de savoir qu’on est l’homme qui a vu l’ours ? Les gens sont bien plus intéressés par un avis éclairé sur le film que par les aventures deauvillaises d’un quidam, fut-il Tonton Sylvain en personne. Pas vrai ? Alors puisqu’il faut bien dire quelque chose, allons-y. Mais d’abord un petit résumé de l’affaire.

Mark Whitacre (Matt Damon) est chef de service dans une entreprise de chimie, basé dans l’usine de Decatur, une ville moyenne de l’Illinois. C’est un prototype de la classe moyenne, avec des rêves de maison de campagne, de confort domestique, une épouse à mise en plis et rangs de perles (Melanie Linskey), une famille proprette. Il collectionne les voitures dans son garage sans en faire plus étalage que cela.

Tout commence quand il découvre dans son entreprise une série de pratiques commercialement déloyales tenant à des ententes illicites avec la concurrence de manière à fausser le marché, et c’est même lui qui est chargé de mettre au point ces ententes. Pour des raisons mi-honnêtes mi-carriéristes, il décide finalement de s’ouvrir de ces pratiques à un agent du FBI, l’agent Brian Shepard (Scott Bakula), en s’imaginant être le chevalier blanc par qui un grand ménage dans son entreprise passera, ce qui devrait lui valoir reconnaissance et promotion. Il s’offre même à être la taupe du FBI dans ce juteux business.

Mais les choses ne tournent pas tout à fait comme prévu, et Matt se retrouve pris au piège de son double jeu. Pire, on lui découvre progressivement une personnalité à la fois naïve et manipulatrice.

Malgré le point de départ basé sur le livre de Kurt Eichenwald racontant des faits réels datant des années 90, Soderbergh prend résolument le parti de traiter les choses sur un mode de légèreté, de comédie, voire de burlesque. Et le résultat ne déshonorerait pas la filmographie des frères Coen tant il est à l’image de ce qu’avait pu être « Burn after reading ». La quasi-intégralité de ce que ce vieux ronchon de Tonton Sylvain avait pu, en son temps, écrire à ce sujet pourrait s’appliquer à « The informant » sans grande difficulté. Les retardataires pourront s’en convaincre en y jetant un œil, toute publicité mise à part, bien entendu. Sur un sujet pas si éloigné que ça, le « Michael Clayton » de Tony Gilroy avait à l’inverse choisi un parti pris dramatisant et obscur opposé qu’on en vient presque à regretter malgré les préventions de l’époque.

A la lecture de la presse, il semble politiquement correct de souligner néanmoins la prestation de Matt Damon, acteur aux mille visages et aux multiples capacités d’interprétation, allant ici jusqu’à prendre 15 kilos pour entrer dans la peau du personnage. Comme si, depuis la prise de poids de De Niro interprétant Al Capone, le fait de grossir pour un rôle était devenu le nec le plus ultra de la performance artistique. Tonton n’avait pas adhéré aux mèches platine de Brad Pitt dans « Burn after reading », pourquoi le ferait-il davantage pour les bourrelets de Matt Damon dans « The informant » ? A la seule différence près qu’ici, le personnage est discrètement plus complexe, oeuvrant sur un terrain psychopathologique de candeur et de naïveté parfois proche de celui d’un Forrest Gump de la classe moyenne (il faut bien essayer de trouver un petit point positif, même si « Forrest Gump » n’a jamais été un film de chevet de la Sylvain Etiret Company). Et Matt Damon est un bon acteur ; il parvient à faire vivre de manière relativement sobre dans son genre cet hurluberlu de Mark Whitacre.

Quoi qu’il en soit, le film est tellement centré sur le personnage de Matt Damon que les autres acteurs ont du mal à tirer leur épingle du jeu, voire simplement à exister. Paradoxalement, c’est justement une des difficultés du film : vouloir faire jouer à un as de la retenue un rôle de cabotin, soutenu par un scénario et une mise en scène entièrement tournés sur lui et ne lui demandant rien d’autre que d’en faire des tonnes. Comment tenir la distance ? Comment ne pas flairer l’erreur de casting malgré la performance et les kilos ?

Car c’est bien là le défaut de ce film, la balance mal contrôlée entre le too much et le crédible, entre le nec le plus ultra et le nec plus ultra.
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25 septembre 2009

Cold souls

Paul Giamatti tel qu’en lui-même

Et si l'âme était un organe comme un autre ? Un organe qu'on pourrait prélever, greffer, échanger ? Un organe qui pourrait se stocker, faire l'objet d'un trafic ? C'est par ce genre de questions que le Festival du Film Américain de Deauville 2009 a choisi de cueillir à froid le spectateur avec le premier film présenté en compétition, « Cold souls », un film de 2009 de Sophie Barthes. Ca sent au choix le burlesque ou la prise de tête. Incapable de se décider entre les deux options, Tonton Sylvain se gratte la tête et se présente avec ses doutes dans la file d'attente. Quelques instants plus tard, la séance commence. Tonton cesse de se torturer le cuir chevelu.

Paul Giamatti (lui-même) est un comédien new-yorkais en plein travail de répétition sur « Oncle Vania » de Tchekov. Son travail, et le couple qu'il forme avec son épouse Claire (Emily Watson), sont perturbés par ce qu'il est convenu d'appeler une crise existentielle. On aurait dit autrefois des états d'âme. A la lecture d’un article du New-Yorker signalé par son metteur en scène, il apprend l'existence d'une entreprise, Cold Souls, qui se propose de libérer ses clients de leur âme et d'en assurer le stockage. Intrigué, il se rend dans l'entreprise et rencontre son directeur, le Dr Flintstein (David Strathairn), pour plus d'information. Finalement tenté, il se laisse convaincre et laisse son âme en dépôt dans le coffre fourni par Cold Souls, ne restant qu'avec les 5% résiduels nécessaires à la survie du corps.

Paul est rapidement étonné par les effets de cette ablation, voire impressionné par son changement d'attitudes. Plus d'idées noires, certes, mais un détachement, une certaine froideur qui finissent par le faire revenir sur son choix. Sur la proposition du Dr Flintstein, et pour éviter de retrouver son humeur morose, il accepte que lui soit alors greffée l'âme d'un autre, choisie sur catalogue, celle d'un poète russe, importée plus ou moins légalement via une greffe temporaire sur une passeuse, Nina (Dina Kozun), lien entre Cold Souls et son partenaire russe.

A nouveau déçu par cette implantation, Paul revient vers le Dr Flintstein pour retrouver son âme personnelle. Mais l'opération est annulée lorsque Paul découvre que son coffre est vide et que son âme a été dérobée par Nina puis greffée, malgré le refus qu'il avait exprimé lors de son extraction, à Sveta (Katheryn Winnick), une jeune et ambitieuse comédienne de série télé en Russie.

S'en suit une sorte de course poursuite de Paul cherchant à récupérer son âme.

Je me souviens, alors que j'étais étudiant, d'un curieux auto-stoppeur allemand entre deux âges, que j'avais embarqué en pleine nuit Porte d'Orléans alors que je rentrais vers ma banlieue. Il me disait, dans un anglais approximatif, aller vers Bordeaux et que je le rapprocherais toujours un peu. Soudain, voyant sur mon pare-brise le faux caducée qu'affectionnent les étudiants en médecine, il se tourna vers moi en me demandant si j'étais psychiatre. Malgré ma réponse négative, il me confia qu’il allait à Bordeaux pour se chercher. Et voilà que 25 ans plus tard réapparaît mon chevelu teuton sur l’écran noir de « Cold souls » : Paul Giamatti se cherche, et, peut-être faute d’avoir pensé à pousser une pointe du côté de Bordeaux, cette quête le mène jusqu’en Russie.

La première surprise réside dans le fait que Paul Giamatti interprète un personnage qui porte son nom. Il n’y a, dans cette histoire surréaliste, manifestement aucun recouvrement historique avec la réalité physique de l’acteur. C’est que la réalité doit être cherchée ailleurs, et sans doute dans le fait que courir après son âme perdue est vue par l’auteur, Sophie Barthes, comme une activité universellement humaine et non une fiction romanesque.

Je ne suis pas assez calé en Tchekovologie pour cerner en quoi le travail sur Oncle Vania se relie à cette histoire d’âme. Je laisse ce point à des commentateurs plus érudits que moi.

Quoi qu’il en soit, Paul se trouve engager dans une recherche que les bons traités appellent quête identitaire. Qui suis-je, que fais-je, où vais-je, et certains diraient « dans quel état j’erre ». La réponse est habituellement spéculative. Ici, elle est expérimentale : retirons l’âme et voyons ce qui se passe. Et naturellement, ce qui se passe, c’est qu’on veut la récupérer. Ce n’est pas tant qu’on la trouve particulièrement radieuse ou simplement sereine, mais on y est tout bêtement habituée. Elle n’est peut-être pas terrible, mais au moins on la connaît pour l’avoir longtemps pratiquée. Comme cette dernière dent qui reste, inutile et douloureuse, sur la mâchoire d’un vieillard, et qu’il a une telle résistance à accepter qu’on lui extraie. Elle le fait souffrir, et bouge sur sa base, elle s’infecte sans arrêt, mais c’est la sienne, c’est le dernier vestige de ce qu’il a été et de ce qu’il est encore à ses yeux. Si toute l’âme du vieillard réside dans cette dernière dent, on peut bien comprendre que celle de Paul puisse être dans ce miséreux caillou en forme de poix chiche qu’il défend avec tant d’obstination.

Et dans cette quête, dans cette reconstruction de son âme, il faut bien avouer que Paul a besoin d’aide. Comme l’intuitent toutes les sectes, nul ne peut se construire sans l’intervention extérieure d’un maître à penser, d’un exemple, d’un guru, d’un passeur. En l’occurrence, c’est la fonction de Nina que d’être cette passeuse qui permet à l’homme de trouver, ici de retrouver, son identité dans le monde. Loin des locaux aseptisés de « Cold Souls » ou l’âme s’égare malgré tout, c’est au contact du cambouis, de la boue, de la rudesse dont témoigne la qualité de l’image de la partie russe du film, que peut se trouver confortée une âme vacillante, malgré tout indéracinable dans ses 5% résiduels.

C’est à ces considérations que le film convie le spectateur. Réflexion amusante à défaut d’être originale. Car on ne compte plus les ouvrages dissertant sur le mal de vivre, la nécessité de se construire et de se reconstruire, l’importance de l’autre dans la maturation de soi, … Malgré tout, l’exercice est ludique, surtout quand il est bien mené.

A ce jeu, Paul Giamatti (le vrai) se montre à son avantage. Surtout dans la première partie du film où les états d’âme ont leur plus grande place. Son interprétation d’un homme sans âme, littéralement, est drôle et inspirée, tout à la fois montrant ce qui change et ce qui reste inchangé dans ce qu’ils ont de subtile intrication. La seconde partie du film le met un peu plus en difficulté, visiblement moins dans son élément avec la quête physique et aventureuse qu’avec l’aventure intérieure. David Strathairn n’est d’ailleurs pas en reste, dans un jeu simple et enjoué mais crédible de psychiatre muté en industriel. Dina Kozun et Katheryn Winnick sont peut-être un cran en dessous, mais quelle importance tant tout tourne autour de Giamatti ?

La réalisation est sobre, loin des artifices techniques qu’on aurait pu craindre du traitement d’un tel sujet aux portes du fantastique. On a déjà signalé la rupture de rythme entre les deux parties du film, et c’est sans doute le principal défaut d’un film par ailleurs indubitablement attachant.

Se précipitant en fin de projection, Tonton Sylvain, négligeant pour quelques instants son grattage capillaire, se dirige alors d’un pas décidé vers le comptoir de Mamie Crêpes. Parce que c’est pas tout ça, mais y’en a qu’il faut qu’ils mangent. Non mais quand même !



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15 septembre 2009

World's greatest dad

Comédis-moi tout

A nouveau un film en compétition au Festival du Film Américain de Deauville 2009. La récolte continue dans le cinéma indépendant qui aurait eu peu de chance de s'exprimer au sein des grands studios. Ce coup-ci, c'est au tour d'un dénommé Bobcat Goldthwait de présenter son « World's greatest dad ».

Affiche USA (movieposterdb.com)

Lance Clayton (Robin Williams) est un petit professeur de poésie dans un collège qui a un peu de mal à assumer l'échec de sa vocation d'écrivain dont les manuscrits lui sont systématiquement renvoyés. Il vit seul avec son fils Kyle (Daryl Sabara), un ado du type odieux casse-pieds véhément et indécrottable. Il a une relation discrète avec Claire (Alexie Gilmore), belle jeune femme professeur d'art du collège. De son côté, Kyle n'a qu'un seul copain, un gamin plutôt sympa dont on se demande ce qui peut bien le lier à cet obsédé quérulent de Kyle qui rejette toutes les tentatives d'approche de son père comme de quiconque.

Mais les choses changent subitement, quand Kyle trouve la mort lors d'un jeu sexuel solitaire. Lorsque son père le découvre, outre la douleur, Lance perçoit l'indignité de la situation et décide de maquiller l'accident en suicide. Il va jusqu'à rédiger une lettre d'adieu dans le genre qu'aurait pu écrire son fils. Pour une obscure raison, l'émotion gagne le collège, les enseignants comme les élèves, qui passent d'un rejet de Kyle à un souvenir ému, variant de la culpabilité à l'identification. Le psychologue appelé en renfort, le Dr Pentola (Tony V.), voit même dans la lettre de Kyle un moyen de sauver d'autres élèves d'un geste comparable. A force d'insistance, il parvient à soutirer à Lance le journal de Kyle pour compléter sa compréhension et sa stratégie d'aide aux élèves. Naturellement, ce crétin de Kyle n'a jamais aligné plus de trois mots, et c'est un faux que rédige son père qui est remis au psychologue. Mais ce faux a tant de succès qu'il est même publié, son aura conduisant Lance dans un talk show télévisé réputé et renforçant sa relation avec Claire qui commençait à battre de l'aile. Le collège va jusqu'à envisager de baptiser la bibliothèque de l'établissement du nom de Kyle.

Traité sur un ton de comédie, le sujet fondamental de toute cette histoire tourne autour de la frustration, de la reconnaissance, de l'acceptation de ses limites … Qu'est-ce que je raconte ? ! C'est un vaste n'importe quoi burlesque fait de caricatures juxtaposées. Les personnages sont caricaturaux jusqu'à l'absurde. Kyle est un ado en difficulté en permanence en quête de ses limites ? Non, c'est un petit con, comme on disait dans mon enfance quand on voulait dire qu'il n'y a vraiment rien à en tirer si ce n'est des ennuis, et qu'il ne vaut même plus l'effort qu'on pourrait faire pour l'en sortir, à imaginer qu'on en aie encore envie. Claire est une jolie jeune femme qui croit en la bonté et à toute une série de bons sentiments ? Non, c'est une cruche qui prend toute phrase au pied de la lettre. Le Dr Pentola est un psychologue à l'écoute des enfants ? Non, c'est un héros évangéliste qui veut sauver le monde même si le monde n'est pas en danger. And so on.

Non, d'ailleurs, pas tout à fait. Juste trois personnages ne sont pas dans la caricature extrême : Lance, le copain de Kyle, et dans une moindre mesure la vieille voisine de Lance. Du coup, par contraste, le minimum de complexité de leur capacité de penser et de se comporter les fait apparaître comme naviguant sur des sommets philosophico-psychologiques où l'ambivalence n'a rien d'un gros mot, où le doute n'est pas une maladie, où la gentillesse n'est pas une niaiserie.

Choix évident de mise en scène, ressort d'un comique du premier degré, Qui fonctionne par moments, il faut bien l'avouer. Pourquoi pas, après tout, il y a aussi des clients pour ça.

Mais que diable vient faire alors cette dernière scène d'un Lance qui se défait de tous ses vêtements si ce ne sont ses chaussettes avant de plonger dans la piscine du lycée dans une espèce d'extase libératrice après l'aveu de son forfait ? La brève image de Robin Williams à poil manquait peut-être au tableau complet du cahier des charges de ce qui doit faire un film réussi ? Allons donc ! Une scène un peu moins premier degré que l'ensemble du film, histoire de faire penser qu'on en avait sous le pied et que si on a vu le film à ce niveau c'est qu'on n'a plus qu'à le revoir pour y déceler des arguments plus profonds qu'il n'y paraît ? Admettons, mais je n'ai pas vraiment le courage de m'y recoller, même s'il y a sans conteste quelques bons moments. Alors si une bonne âme, au sortir de la projection, avait la bonté de revenir m'éclairer …
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The time traveler's wife (Hors du temps)

Le poids de la charge

Et hop, c'est parti pour un nouveau Festival du Film Américain de Deauville, le 35ème du nom en 2009. On ne peut pas dire que la météo soit clémente, après un été torride et un virage à 180 degrés la veille de l'ouverture, mais bon, si c'est pour rester enfermé toute la journée dans une salle de cinoche, dîtes moi un peu ce que ça peut faire ! Bien sûr, ça décoiffe un peu pour se rendre aux projections et ça éternue un peu dans les files d'attente. Et alors ? Quelqu'un s'intéresse à ce que je sois bien coiffé ? Et de toute façon, comme la grippe A va nous décimer sous peu, autant en profiter tout de suite et vivre une vie aventureuse au mépris du danger …

Affiche USA (movieposterdb.com)

C'est d'ailleurs bien ce qui arrive à ce pauvre Henry dont la palpitante existence nous est racontée dans le film d'ouverture du festival, « The time traveler's wife » (Hors du temps), de Robert Schwentke. Tout commence quand Henry a 6 ans et qu'il éprouve pour la première fois l'expérience involontaire du voyage dans le temps. Le malheur veut que cela lui arrive alors qu'il est sur la banquette arrière de la voiture conduite par sa mère, dont l'attention est détournée à la vue de son fils qui s'efface progressivement de la banquette en n'y laissant que ses vêtements, juste au moment où arrive en face le camion qu'elle ne peut éviter et qui va causer sa mort. Henry réapparaît quelques secondes plus tard sur le bas-côté, près de la voiture en flammes, aussi affolé qu'il est nu comme un vers. Sa seule réassurance vient de cet homme étrange qui le couvre d'une couverture et lui dit qu'il est lui-même Henry, bien plus âgé, venu du futur lui dire que tout ira bien pour lui malgré la mort de sa mère.

Quelques années plus tard, Henry s'est plus ou moins habitué à ces déplacements temporels intempestifs. Il rencontre alors Claire, une jeune femme qui l'aborde en lui disant le connaître. Elle lui explique alors qu'elle le connaît par les apparitions qu'il fait auprès d'elle régulièrement depuis qu'elle est enfant, ou du moins les apparitions qu'il va faire dans les années à venir. Rapidement séduit, Henry ne tarde pas à nouer une relation avec Claire, jusqu'à l'épouser. Le couple vit une vie entrecoupée des absences d'Henry pour cause de voyages temporels inopinés. Les difficultés viennent lorsque Claire fait plusieurs fausses-couches successives attribuées à une transmission génétique aux enfants qu'elle porte de la « tare » de leur père. Avec l'aide du Dr Kendrick (Stephen Tobolowsky), un généticien appelé en renfort, elle finit tout de même par mettre au monde une fille, Alba, dotée des mêmes pouvoirs que son père mais les maîtrisant néanmoins relativement.

Evidemment, les déplacements temporels d'Henry finissent par le mettre en face de sa propre mort, que l'ensemble de la famille va devoir affronter, chaque membre l'abordant de sa position particulière : Henry parce qu'il est directement en cause, Claire par une procuration active, Alba par son rôle de témoin mobile au travers du temps.

Affiche Allemagne (movieposterdb.com)

Si le voyage dans le temps a souvent été imaginé à l'écran, il l'a surtout été en en exploitant la veine aventurière. Depuis la simple exploration, jusqu'aux tentatives de modifications du passé pour corriger le présent, il a été un vaste terrain de jeu du fantastique ou de la science-fiction. Mais il n'avait à ma connaissance jamais été abordé sous cet angle intime. Sont ici d'ailleurs rapidement balayées en quelques phrases les tentations d'intervention sur le passé dont il est vite annoncé qu'elles sont vouées à l'échec. C'est que le sujet est manifestement ailleurs.

Et cet ailleurs est bien plutôt dans l'allégorie de ce qui traverse le temps dans la vie de chacun, de son corps à sa capacité de relation, de lien, d'émotion, de partage. De là la charge symbolique qui s'impose en tous les recoins du film, au double sens du mot « charge », celui du poids, de la densité, mais aussi celui de l'assaut, faisant de la charge symbolique comme une charge de cavalerie. La nudité d'Henry à chaque déplacement temporel comme une nouvelle naissance ; la couverture qui recouvre sa nudité aux moments essentiels de sa vie, après l'accident de voiture, lors de sa rencontre avec Claire, lors de sa mort, comme une récurrence de ce qui protège, qui donne sens à la vie malgré les tourbillons extérieurs ; le lit à baldaquin sans dais de la nuit de noce d'Henry et de Claire, comme rappel de l'imprévisibilité même au plus près de la construction du foyer ; la rencontre d'Henry adulte avec sa mère avant son accident, au cours de laquelle il conserve l'anonymat, comme acceptation du destin que rien ne peut changer si ce n'est l'affection qu'on peut y entretenir ; … les exemples sont innombrables.

Car tout tient dans le seul fait que si le voyage dans le temps existe, si l'on peut naviguer de part et d'autre de sa propre mort, la mort elle-même devient alors un simple épisode sans grande importance. Il suffit alors d'inverser les termes et de considérer que si la mort, pour douloureuse qu'elle soit, est vue comme une péripétie qui n'altère pas l'attachement, elle ne peut plus empêcher le retour éternel du disparu. Vieux rêve repeint de nouvelles couleurs : l'amour annulerait la mort. C'est à ce rêve que nous invite le film, nous renvoyant dans les paisibles prairies éternelles annoncées depuis que l'antiquité avait formalisé les Champs Elysées, reprenant déjà sans doute d'autres versions antérieures de la même image. Pas de mystère si les rencontres temporelles entre Henry et Claire se déroulent justement dans ce type de paysage.

Affiche Honk Kong (movieposterdb.com)

Et pour souligner encore le poids et la force de cet amour qui, lui seul, peut vaincre la mort, toute l'histoire s'écrit ici au féminin, supposé être le genre de l'entretien de la vie. C'est ainsi que la mort ne peut venir que de la coalition des pères, que les survivants ne peuvent être que des femmes entre elles (Claire, Alba, le double d'Alba venant du futur se préparer elle-même au décès du père), que la seule violence physique du film montre la correction qu'administre Henry vêtu en femme au sortir d'un de ses voyages à un indistinct loubard.

Daren Aronowsky, avec « The fountain », s'était, il y a quelques années, attaqué à un sujet comparable, cherchant la permanence de l'amour par la permanence de la vie. Ici le projet est inversé, comme en miroir, tout en visant un horizon semblable. Mais tout le monde n'est pas Aronowsky, tout le monde n'est pas Hugh Jackman, tout le monde n'est pas Rachel Weisz. Si Schwentke fait de son mieux, il semble se noyer dans tellement de symbolisme que d'une charge héroïque, il finit par faire sentir la charge de pesanteur. Les pistes sont souvent ébauchées, mais à peine traitées tant le sujet est vaste et s'occupe avec un nombre restreint d'entre elles. Mais peut-être peut-on voir cette technique de l'ébauche surabondante comme un choix en soi, comme un moyen de laisser le spectateur libre de découvrir de nouveaux prolongements, de nouvelles exégèses possibles.

Les choix techniques, aux yeux d'un simple spectateur, paraissent simples, sans trop d'effets spéciaux si ce n'est cette façon de faire disparaître Henry comme par gommage lors de ses départs temporels. On a vu ce qu'Aronowsky pouvait inventer d'images étonnantes dans un contexte semblable ; on imagine ce que Spielberg ou Lucas auraient pondu de scènes spectaculaires avec le même matériau. En tout cas, le choix est cohérent avec le projet évident de rester loin de l'aventure et de demeurer au plus près de ce que le quotidien presque banal peut être tout en se remplissant d'intensité intime.

Les acteurs cherchent visiblement à être au diapason de cet objectif, bien qu'avec des réussites variables. Etonnamment, les deux plus efficaces sur ce plan paraissent être les deux enfants interprétant Alba à 5 et 10 ans (Hailey et Tatum McCann). Le reste de la troupe donne un peu dans le surjeu. Pas tellement dans l'absolu, d'ailleurs, que relativement au choix de traitement du sujet. Eric Bana ne perd son expression d'urgence ou d'étonnement qu'à l'approche du décès d'Henry. Son père (Arliss Howard) en fait des tonnes dans le genre désespoir solitaire réfugié dans l'alcool. Rachel McAdams abuse un peu de son joli minois, mais finalement sans verser dans la caricature systématique, ce qui fait au bout du compte bien passer l'ensemble.

Alors quoi ? Un film intéressant à coup sûr. Peut-être un peu trop dense pour faire oublier ses manques ou son désir de trop en dire. Mais après tout, ne vaut-il pas mieux un peu de « trop » que de « pas assez » ?
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The open road

On the road again

Nouvelle avant-première au Festival du Film Américain de Deauville 2009, avec « The open road», un film pondu en 2008 par Michael Meredith. Autant la météo d'hier laissait planer un doute sur l'envie de se plonger dans « Shrink », autant celle d'aujourd'hui n'était pas plus tentante que ça et passer quelques heures sous cloche ne posait pas vraiment de problème. Et pardon aux aficionados de Kevin Spacey, mais voir Jeff Brigges dans ses œuvres est certainement plus à mon goût.

Affiche USA (movieposterdb.com)

Carlton Garett (Justin Timberlake) est un jeune et prometteur joueur de base-ball. Son père, Kyle (Jeff Bridges), est lui-même une ancienne gloire de ce sport, même s'il a depuis peu raccroché ses crampons. De toute façon, Kyle, personnage haut en couleur, n'a plus donné signe de vie depuis plusieurs années. Lorsque Katherine (Mary Steenburgen), la mère de Carlton doit subir une intervention cardiaque, elle refuse de signer l'autorisation d'opérer tant qu'elle n'aura pas revu Kyle, qu'elle missionne Carlton de ramener. Malgré ses préventions face à ce père absent, Carlton accepte mais se fait accompagner de Lucy (Kate Mara), une ancienne petite amie, afin de le soutenir.

S'en suit un road movie qui conduit le trio dans son retour vers Houston, entrecoupé des pitreries de Kyle, des explications entre le père et le fils, de la réconciliation de Carlton et Lucy.

On n'est certes pas dans la description apocalyptique d'une quelconque perversité psychologique. Pas d'orgie sanglante ou de macabre manipulation. Aucun code freudien ou dérivé n'est indispensable au décryptage. On a juste une histoire de famille, une histoire d'hésitation, de peur de l'engagement, d'adolescence inaboutie, de passage à l'âge adulte. Les deux hommes de l'affaire sont comme deux enfants qui mûrissent ensemble face à la réalité de la vie, quittant progressivement l'univers du jeu pour entrer dans celui de la responsabilité, responsabilité non pas subie mais sereinement acceptée. Et sur ce trajet, les femmes sont comme des passeuses. Non qu'elles les dirigent, mais elles leur ouvrent la voie avec une sorte de tranquille assurance.

Qu'ils le comprennent entièrement ou non est finalement secondaire, ils sentent progressivement l'évidence de cette voie ouverte devant eux et qu'elles ont simplement empruntée les premières. Tout tient finalement dans le dialogue entre Carlton et son grand-père, Amon (Harry Dean Stanton), sur les bancs de la salle d'attente du service de chirurgie : - Tu sais, il m'a fallu 82 ans pour me rendre compte de quelque chose. - Qu'est-ce que c'est ? - Je n'en sais rien … - Qu'est-ce que tu racontes ? - Non, ce n'est pas que je ne veux pas te dire, c'est que je ne trouve pas les mots pour le dire.

Tout est dit simplement, en peu de mots, au milieu des mille et unes péripéties d'une vie parfois triste mais le plus souvent porteuse en germes d'un bonheur qui demande juste à être ramassé. La peine n'est pas absente, mais la tendresse non plus, la lâcheté mais aussi le courage de dépasser ses doutes et ses appréhensions. On n'est pas dans de la grande philosophie, on est dans la sensibilité, la tendresse, C'est sans doute naïf, mais c'est frais et joyeux quand il faut.

A ce jeu là, les acteurs se font manifestement plaisir. Il y a bien quelques cabotineries chez Jeff Bridges, mais cela fait tellement partie du personnage de Kyle que c'est à peine si on s'en aperçoit. Justin Timberlake est un peu dans un excès qui, là, a moins sa place, mais pourquoi pas. Les deux femmes sont par ailleurs dans une sobriété plus nuancée qui fait plaisir à voir.

La réalisation est simple, pour ne pas dire dépouillée. Pas de grands effets, de travelling sophistiqué, de plan travaillé. Juste de l'image simple, de la narration claire, un découpage transparent. Bref, une mise en scène au service de l'histoire, pas au service de la performance. Tant pis si au passage Tonton Sylvain y perd ses rares galons de cinéphile, mais ça fait tellement de bien de se rafraîchir l'émotion et les neurones de temps à autre.
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The good heart

A votre bon cœur

Encore un joli moment au Festival du Film Américain de Deauville 2009 avec la présentation en compétition de « The good Heart », un film de 2009 de Dagur Kari qui signe non seulement la réalisation, mais aussi le scénario et qui cosigne la musique. Un petit film attachant dans une drôle d'ambiance américano-française tellement naturelle qu'elle ne se dit même pas et est encore moins expliquée.

Affiche USA (movieposterdb.com)

Lucas (Paul Dano) est un jeune SDF, d'une gentillesse proche de la simplicité, qui vit sous un pont à New York et qu'une tentative de suicide amène à un lit d'hôpital. Jacques (Brian Cox) est un patron de bar ronchon et solitaire que son cinquième infarctus conduit dans le lit d'hôpital mitoyen. A leur sortie, Jacques, qui n'est pas homme à laisser le destin et sa santé déclinante décider pour lui, propose à Lucas de l'embaucher, nourri et logé, pour le former en vue de prendre sa succession. Et de fait, c'est une formation à temps plein que conduit Jacques, guidant Lucas dans tous les petits secrets qui font le bon tenancier de bar : le nombre optimal de clients en même temps dans les locaux, la juste distance face aux clients, le bon moment pour débarrasser les verres, la bonne façon de préparer le café ...

Tout se passe bien jusqu'à ce que débarque April (Isild Le Besco), hôtesse de l'air licenciée pour cause de peur de l'avion, que Lucas décide de secourir et d'héberger, jusqu'à l'épouser sur un coup de tête. Jacques, qui avait d'autres plans pour l'avenir de Lucas et qui a des idées précises sur la place - ou plutôt l'absence de place - d'une femme dans un bar, finit par s'incliner à contre-cœur, à tolérer sa présence, jusqu'à presque l'apprécier.

Mais les infarctus se répètent, au point qu'une greffe cardiaque devient la seule solution pour Jacques. Dès lors, les jours s'écoulent dans l'attente du coup de téléphone qui l'informerait d'un cœur disponible. Jusqu'au renversement final.

C'est au fond une histoire toute simple de transmission, presque d'initiation, d'entraide et de solidarité, presque de filiation. Une histoire d'acceptation aussi, d'acceptation du destin, d'acceptation de l'autre, de reconnaissance, autant de ce que l'autre fait pour soi que de ce qu'il est réellement. C'est simple, c'est calme, c'est émouvant. C'est parfois un peu caricatural, raccourci, ne faisant qu'évoquer les chemins de traverse qui auraient été possibles. Mais ça touche au but, et c'est l'essentiel.

Le jeu est juste, sans emphase ni retenue, sans excès ou cabotinage. Peut-être un peu de surjeu dans l'interprétation par Paul Dano d'un Lucas un peu simplet jusque dans sa posture, mais c'est finalement un détail.

L'ambiance intime de ce bar d'habitués, comme on l'attendrait davantage d'un bistrot européen que d'un bar américain, sombre et vaguement crasseux, vieillot et manifestement habité d'un passé, de non-dits, à l'image de son propriétaire, finalement chaleureux sans en avoir l'air, fait immédiatement sentir son âme, son humanité même si elle est rugueuse.

Le petit mystère du film vient de ce qui motive ces références répétées à la France. Peut-être le souvenir du réalisateur islandais né à Paris, mais est-ce suffisant ? Pourquoi le choix du prénom de Jacques pour le patron du bar ? Pourquoi le choix d'Isild Le Besco pour le rôle d'April dont le prénom, malgré son accent, renvoie néanmoins à une origine anglo-saxonne ? Pourquoi du champagne comme première commande d'April entrant dans le bar ? Pourquoi la présence récurrente parmi les clients réguliers, d'un descendant de Jules Verne (Bill Buell) qui ne parvient pas à rédiger le livre qu'il aimerait écrire ? Sans doute y a-t-il là matière à décanter un petit peu. Le jeu des symboles, sur ce point comme sur d'autres, est trop apparent pour ne pas mériter attention, mais pas suffisamment limpide pour s'épuiser à la première lecture, et c'est aussi un des plaisirs d'un film qui fonctionne manifestement à plusieurs niveaux.
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Shrink

L’homme qui ne rétrécit pas

En compétition au Festival du Film Américain de Deauville 2009, c'est au tour de « Shrink », un film de Jonas Pate en 2009 d'entrer en lice. La présence Kevin Spacey au générique fait qu'on abandonne pour quelques instants le soleil enfin revenu pour aller s'enfermer encore une fois au lieu d'aller flemmarder sur la plage, mais il faut bien avouer que l'envie poussait plutôt vers la seconde option. Enfin, on est là pour le cinoche, alors cinochons mon brave.

Affiche USA (movieposterdb.com)

Henry Carter (Kevin Spacey) est un célèbre psychiatre d'Hollywood. (On fait progresser en passant sa connaissance de l'anglais en apprenant que « un psy » se dit « a shrink ». N'ayant volontairement pas lu le pitch du film avant de me rendre en séance, je pensais bêtement qu'on allait y rétrécir quelque chose …). Il est lui-même en assez mauvais état depuis le suicide de sa femme, dormant sur son canapé, ou au bord de sa piscine, tout habillé, fumant cigarette sur pétard, et inversement. Outre son livre à succès « Comment ne pas être triste », il a une collection de clients du show business, essentiellement du milieu du cinéma. Jusqu'à ce qu'il se voie confier le cas d'une jeune collégienne mal dans sa peau qui sèche l'école régulièrement depuis le décès de sa mère.

Le suivi de ses différents patients, d'abord bien cloisonné, finit par évoluer en une curieuse intrication des projets de chacun, …Le quotidien d'un psy n'est pas très drôle, surtout quand il doit remonter le moral d'un certain nombre d'olibrius qui finalement ne vont pas beaucoup plus mal que lui. Il a beau essayer de s'investir lors de chacune de ses séances, la douleur de son deuil, la lassitude, la vanité des choses, le rattrapent à toute allure. Au point que c'est son dealer d'herbe qui semble être le dernier confesseur qui le retient devant le gouffre. En fait, pas tout à fait le dernier. Car la jeune Jemma (Keke Palmer), la collégienne turbulente, fait aussi office de ballon d'oxygène. Et le travail de deuil dans lequel il l'accompagne se retourne vite en son propre travail de deuil à lui.

Qu'est-ce qu'on apprend de tout ça ? Qu'être psy ne sauve pas. Que la cure du client participe à la cure du médecin. Qu'il ne faut désespérer de rien. Qu'on peut trouver de l'aide de situations et de gens inattendus. Qu'il faut faire aussi attention à la qualité de l'herbe. Que dormir dans son lit est un signe de guérison. On a vu enseignements plus originaux dans le cinéma étatsunien. On passera sous l'anecdote les prestations ponctuelles de Robin Williams et d'Aaron Eckart (il m'a semblé que c'était lui). L'essentiel repose sur Kevin Spacey, omniprésent, sur le mode à la fois torturé et désabusé. Pas facile de faire les deux à la fois, mais il s'en sort finalement pas trop mal. La petite Jemma joue dans le même registre, avec une note supplémentaire de révolte. On frise le complexe. J'exagère, elle est parfois assez touchante.

Affiche Israel (movieposterdb.com)

La réalisation n'a rien de vraiment transcendant, ni de lassant non plus d'ailleurs. Elle fait son boulot, sans plus, sans fioriture, mais sans grosse catastrophe non plus. Autant dire qu'on l'oublie assez vite pour se concentrer sur l'histoire, qu'on s'empresse d'oublier aussi d'ailleurs.

Au bout du compte, un petit moment de détente pour qui s'intéresse à la vie privée de son psy, un doux moment de sieste pour les autres.
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Precious

La spirale du ghetto

Séquence émotion. Le 35ème Festival du Film Américain de Deauville a potentiellement dégotté sa Palme d'Or, ou ce qui en fait office ici. Témoin la réaction du public, débout et applaudissant des deux mains un réalisateur un peu timide, Lee Daniels, accompagné par le jury également debout m'a-t-on dit (je ne l'ai pas vu, masqué qu'il était par la foule) à la fin de la projection de « Precious », produit en 2009. Ce n'est pas commun. Mais je me souviens de la même réception du public pour « The fountain », il y a quelques années, qui ne s'était pourtant pas retrouvé en haut du palmarès, alors méfiance. Témoin également, l'opinion de Tonton Sylvain, qui vaut bien toutes les critiques du monde. On peut contester, mais fichtre, c'est mon avis, et comme disait l'autre, je le partage ! Et qu'au bout du compte, le film se hisse sur une marche annexe du podium confirme simplement que Tonton à le nez creux même s'il n'est pas devin …

Affiche USA (movieposterdb.com)

Precious (Gabourey Sidibe) est une ado noire de Harlem qui glande tranquille près du mur du fond de la classe, à l'abri derrière une obésité assez phénoménale (selon nos critères de la Vieille Europe s'entend). Ce n'est pas tellement que l'école lui pèse, c'est plutôt qu'elle a d'autres préoccupations. Outre les rêveries habituelles de collégiennes sur le prof de math, son quotidien est plutôt occupé par une situation familiale sordide : 16 ans et déjà mère d'une petite mongolienne élevée par la grand-mère de Precious ; un père qui la viole régulièrement sous les yeux de sa mère qu'il ne touche plus ; une mère (Mo' Nique) acariâtre qui passe ses journées devant la télévision en attendant les allocations sociales ; des reproches appuyés de violence physique quant à l'inutilité des études, et son inutilité à elle, en dehors de ce qu'elles justifient le versement des allocations ; les tâches ménagères qu'elle est seule à accomplir dans une ambiance à la Cosette ...

Les choses commencent à changer quand Precious tombe à nouveau enceinte et que la Principale du collège réalise qu'elle est de plus quasiment analphabète, bien qu'elle ait réussi à le masquer relativement efficacement jusque là. Prenant les choses en main, la Principale la renvoie du collège tout en l'inscrivant d'office dans une école alternative.

Le cours d'alphabétisation y est donné à temps plein. Il est assuré par Ms Rain (Paula Patton), une jeune femme dévouée qui ne s'en laisse pas compter, face à un groupe de jeunes filles du ghetto pas commodes à dompter.

Les choses dégénèrent encore pour Precious à l'accouchement de son second enfant, lorsque la violence de la réaction de sa mère la pousse à fuir le domicile avec son nouveau-né. Elle est alors prise sous l'aile de Mrs Rain qui l'héberge transitoirement le temps de lui trouver une place en foyer et un petit subside, avec l'aide de Mrs Weiss (Mariah Carey), une assistante sociale de la mairie qui suit la famille. Et comme si tout cela ne suffisait pas, Precious apprend lors du décès de son père qu'il avait le SIDA et qu'elle-même est découverte séropositive.

Privée des allocations qu'elle percevait, puis de toute ressource au décès de son mari, la mère de Precious tente de récupérer sa fille lors d'une rencontre qui les réunit avec Mrs Weiss. Cette réunion est l'occasion de poser au grand jour les ressorts de la mécanique infernale de la misère qui broie cette famille.

Dans sa petite intervention inaugurale, Lee Daniels annonçait un film parfois dur, mais demandait aussi à ce que les spectateurs ne se privent pas de rire librement à un film traversé d'humour. Un film dur, on s'en rend compte rapidement lorsque chaque nouvel épisode est l'occasion d'un nouveau tour de spirale dans le tourbillon du sordide. Traversé d'humour, pieux mensonge pour adoucir le choc. Les seuls traits lénifiants sont peut-être les quelques séquences rêvées de Precious s'inventant une autre vie, un autre corps, une autre couleur de peau. Car le film est bien un choc. On peut ne pas apprécier le cinéma social, je n'imagine pas qu'on puisse rester indifférent à cette histoire.

Le plus difficile n'est d'ailleurs pas tant dans l'accumulation de la misère que dans ce je-ne-sais-quoi qui ne fait pas douter un seul instant de son accent de vérité.

Car il y a paradoxalement quelque chose de frais dans cette histoire et dans la façon de la raconter, respectueuse de la souffrance, de la dignité, mais aussi des ambivalences de toute situation de violence ou de comportements défaillants. Et la forme n'y est pas pour rien, qui ne se laisse pas emporter dans la mode du pseudo-reportage, caméra à l'épaule. Il n'y a pas d'effet particulier (sinon les quelques séquences rêvées déjà mentionnées), on se dit qu'on aurait aussi bien pu filmer tout ça avec une vieille caméra Super8 et un bon magnétophone, tant ça crie de vérité, mais c'est bien un film, un vrai. Le verbiage du ghetto, annoncé dès le banc-titre de générique, n'y est sans doute pas pour rien. Et de façon paradoxale, cette avalanche de misère, par son effet même de « trop, c'est trop », au lieu de décrédibiliser le scénario, produit comme un effet anesthésiant : qu'est-ce qu'une nouvelle catastrophe va bien pouvoir ajouter comme peine ? La coupe est déjà pleine, alors autant prendre les choses les unes après les autres, sans s'en préoccuper davantage.

On est surpris, au bout de cette tourmente, qu'il puisse rester des survivants, mais on réalise alors subitement comment de l'enfance on est passé sans s'en apercevoir à un âge adulte déjà bardé de cicatrices, d'une expérience ahurissante.

Le risque de raconter une telle histoire est évidemment celui du misérabilisme, Mais justement, la mise en évidence des ambivalences, des ressorts sous-jacents, permet en grande partie d'éviter le piège, encore qu'incomplètement il est vrai.

Côté acteurs, on n'est pas dans la perfection. Les séquences rêvées de Precious sont d'une lourdeur souvent indigeste, à la hauteur du spectacle de patronage. Mais pour dire les choses simplement, on s'en fiche complètement. Mo' Nique et Paula Patton, dans deux registres différents, sont étonnantes. La première est d'une richesse dans l'interprétation qui plaisir à voir malgré le caractère antipathique du personnage. La seconde est un peu figée dans une courte panoplie d'expressions, mais en sachant l'exploiter à bon escient. Gabourey Sidice n'est sans doute pas la révélation du siècle, mais il faut avouer que son physique ingrat lui fournit une dimension particulière, par l'espèce de carapace protectrice qu'elle crée autour d'elle, par la limitation des expressions faciales qu'elle autorise sur un visage à ce point « enflé » et qui participe à l'impression de neutralité émotionnelle également protectrice. A noter par ailleurs les interventions d'une part de Mariah Carey en Mrs Weiss, dont j'ignorait personnellement ce talent d'actrice, et d'autre part de Lenny Kravitz (l'infirmier John) qui, par contre, ne marquera pas les mémoires.

On pourrait disserter des pages durant sur le détail de la mise en scène de telle ou telle scène, mais serait-ce bien utile ? Après tout, le film est là et parle suffisamment bien par lui-même.
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The messenger

L'arrière de l'avant

Nouveau compétiteur au Festival du Film Américain de Deauville 2009, avec « The messenger », un film pondu en 2009 par Oren Moverman. Encore un film sur la guerre d'Irak ? Oui et non. C'est bien le contexte général, mais ça pourrait aussi bien se situer dans celui de n'importe quelle guerre. Car le sujet n'est pas tant celui de la guerre que d'une des articulations entre le monde militaire et le monde civil en temps de guerre.

Le sergent Will Montgomery (Ben Foster) a été blessé au front et est affecté, pour ses derniers mois de service, à un poste non combattant sur le sol des Etats-Unis. Il est placé sous les ordres du capitaine Tony Stone (Woody Harrelson) dont il est l'unique subordonné. Leur mission : annoncer aux familles le décès des militaires tués au front. Devant le caractère trivial de la tâche pour qui est revenu médaillé du terrain, Will ravale sa rancœur, mais, en bon soldat, s'exécute. Sa tâche se révèle cependant moins évidente qu'il pouvait sembler. Stone lui en enseigne la codification précise, fruit de l'expérience, la ritualisation, mais aussi les pièges, les chausses trappes, les difficultés, les astuces, les échappatoires. Et surtout combien il faut aussi une certaine forme de courage pour l'accomplir correctement. Une des annonces qui leur incombe s'adresse à Olivia Pitterson (Samantha Morton) dont la réaction les intrigue. Tentant d'en savoir davantage, Will se rapproche progressivement d'elle, sous le regard réprobateur du capitaine Stone. Parallèlement, les deux hommes apprennent à se connaître et se lient d'amitié.

On peut dire ce qu'on veut de ce film, mais sûrement pas qu'il s'agit d'une histoire classique cent fois ressassée. Bien sûr, on a régulièrement vu les affres et la solitude du chef de corps devant la page blanche de la lettre à écrire aux parents d'un soldat mort. Mais la procédure a visiblement évolué depuis que John Wayne ou Clint Eastwood se chargeaient de l'affaire. Maintenant, la réactivité de la presse est telle qu'il faut à l'armée une vitesse d'exécution dans l'annonce qui prenne de vitesse les organes de presse, sous peine de voir les familles averties par le journal avant même l'annonce officielle. La sensibilité des civils semble avoir également évolué, de façon telle que l'annonce écrite ou téléphonique serait probablement prise pour une véritable insulte. On mesure toute la distance depuis les scènes décrites pour la seconde guerre mondiale ou celle du Vietnam. La prise en compte de la sensibilité des familles en arrive même à tourner à l'entreprise de protection de l'armée ou de ses émissaires : toute une stratégie et maintes précautions sont prises pour éviter de délivrer le message à la mauvaise personne, pour être certain qu'elle soit entendue même si les proches ne saisissent pas l'anglais, pour proposer dans une forme standardisée à laquelle ne peut échapper nul oubli un soutien psychologique réglementaire, …

Malgré cela, malgré ce cadrage pointilleux, on continue à sentir la sensibilité, l'humanité, la compréhension même sous la démarche quasi robotisée. Et c'est probablement vrai qu'il faut avoir le cœur accroché pour assumer le rôle de messager de ce genre de nouvelle. Surtout quand on est un soldat que rien n'a préparé à ce type de situation si ce n'est un vieux fond d'humanité.

Que dans ces circonstances on bascule aisément dans les vieux travers de ce que des décennies de réflexion sur la relation soignant-soigné ont largement identifié n'a rien de bien surprenant : transfert, contre-transfert, burn out, ambiguïté du contact physique, … Les choses sont bien décrites, parfois même explicitement dites. Avec le mérite de les extraire d'un contexte médical pour les faire apparaître dans la quotidienneté de la relation humaine. Difficile de savoir si le projet était de parler de cela et que le contexte de guerre fournissait un cadre utile, ou s'il était d'explorer une face méconnue de la tâche militaire et que la réflexion a été poussée jusqu'à ce point de rapprochement avec la pratique soignante. En tout cas le résultat est là, et il est assez expressif.

Pour faire bonne mesure, on ne s'épargne pas quelques clichés sur la condition militaire, sur la relation « entre mecs qui en voient de dures ». Les beuveries réparatrices, les bagarres solidarisantes, les filles à soldats comme génitalité en contrepoint du contact avec la mort, la solitude du soldat abandonné par sa compagne pendant qu'il est au front, le deuil du couple comparé au deuil tout court, … on balaye large dans la psychologie de la séparation.

Dans les rôles de taiseux qui savent encaisser sans perdre leur âme, il faut avouer que Ben Foster et Woody Harrelson sont loin d'être des mauvais choix. Face à eux, Samantha Morton n'a pas la tâche facile pour défendre son personnage, mais s'en sort honnêtement. A noter la prestation de Steve Buscemi dans le rôle d'un père recevant l'annonce du décès de son fils : une apparition, mais quelle apparition.

Le montage semble un peu se chercher, avec quelques tentatives de ce découpage saccadé qui devient à la mode - sans qu'on comprenne généralement bien l'utilité de générer de telles migraines chez le spectateur -, comme dans certaines des scènes d'annonces. Ce qu’on saisit bien, c’est la volonté de décrire ces missions d’annonce comme on aurait pu filmer des scènes de combat, mais ce qu’on saisit moins c’est la nécessité de le faire. En dehors de ces quelques accélérations, le montage reste finalement relativement sobre.

La mise en scène ne va pas dans l'originalité. Sans trop de fioriture, encore que peut-être avec une petite tendance à souligner le mélodrame, mais ça passe raisonnablement, au moins dans la première partie du film. Car il y a bien deux parties distinctes : la première concernant les aspects concrets du cadre, la seconde davantage centrée sur la relation entre Will et Olivia et sur l'évolution psychologique des personnages. Autant dire que la première partie est bien plus intéressante que la seconde qui s'étire un peu en longueur.

Finalement, même si on n'est pas dans le registre du chef d'œuvre qui marquera l'histoire du cinéma, et malgré le Grand Prix qui lui est finalement attribué à Deauville, on est malgré tout dans une tentative honnête de penser et d'aider à comprendre la réalité, en des termes simples, sensibles, parfois touchants, et ce n'est déjà pas si mal.


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District 9

ET or not ET

Présenté en avant-première au Festival du Film Américain de Deauville 2009, « District 9 » prend sur lui la section Science-fiction / Fantastique / Anticipation de la sélection. L'année dernière on avait eu « Hellboy », dans un autre genre, par un réalisateur mexicain. Cette année, c'est à un sud-africain, Neill Blomkamp, qu'on a confié la mission. Et pour faire bonne mesure, c'est Peter Jackson qui s'est collé à la production, « Le seigneur des Anneaux » constituant une bonne carte de visite devant l'audience du genre.

Affiche France (movieposterdb.com)

Wikus Van der Merwe (Sharlto Copley) est un petit employé de la société MNU qui a pour lui d'être marié à Tania (Ron Livingston), la fille du patron. Il se voit confier la tâche de gérer le transfert de toute la population d'extraterrestres que Johannesburg abrite depuis que leur vaisseau s'est immobilisé, vingt ans plus tôt, au-dessus de la ville et que, affamés et malades, ils y ont été recueillis pour raisons humanitaires. Malheureusement, passé le moment de la surprise du premier contact, les nouveaux arrivants ont vite été ressentis comme une charge par la population. Ils ont été parqués dans un camp de fortune rapidement devenu permanent et transformé avec le temps en bidonville, le District 9, cerné de murs, de grillages et de barbelés, et tenu par une bande de bandits Nigérians.

La MNU a à l'époque été chargée du transfert à l'humanité de la technologie extra-terrestre découverte sur le vaisseau, entreprise ayant finalement échoué lorsqu'on eut compris qu'elle ne fonctionnait que sous reconnaissance de l'ADN de son utilisateur. Devant cet échec, donc devant l'inutilité des réfugiés, et le rejet de la population, la ségrégation des extraterrestres est devenue une évidence, jusqu'à leur expulsion programmée vers un camp éloigné de la ville. Et c'est justement la tâche confiée à Wikus que d'assurer la vitrine légale de l'opération, épaulée par la force armée de la MNU commandée par Koobus (David James) chargée, elle, du plan plus contraignant et brutal de l'opération.

Affiche Italie (movieposterdb.com)

Lors de sa visite au District 9, Wikus rencontre un extraterrestre qui lui paraît vite différent de ses congénères, Christopher Johnson (Jason Cope), vivant avec son fils dans une cabane bourrée de matériel informatique de récupération. Perquisitionnant la cabane, il s'asperge le bras accidentellement d'un liquide suspect qui lui fait saisir le récipient pour analyse au laboratoire de la MNU.A l'issue de cette journée, Wikus ne tarde pas à ressentir d'étranges symptômes, amorce d'une transformation physique qui va le muer en paria pourchassé par la MNU et en allié objectif de Johnson.

Le film est à l'évidence une allégorie de l'immigration et, dans un contexte sud-africain, de la problématique du « développement séparé » de communautés ethniques différentes, ou apartheid qui a fait les heures sombres de l'Afrique du Sud. Le refus de l'intégration, l'exclusion, dont les deux faces du double visage fait de réglementation ou de répression brutale sont incarnées par le naïf Wikus ou le retors Koobus, forment l'arrière-plan permanent de l'histoire. On aborde les aspects de la propagande, de toutes les petites ou les grandes lâchetés du quotidien, bref de tout ce qui conduit et fait vivre une barbarie subreptice avant d'être au grand jour : déni, déshumanisation, respect du règlement, univers concentrationnaire, expérimentation médicale dévoyée, …

L'impression de réalisme, malgré la présence de personnages d'extra-terrestres particulièrement repoussants, est recherchée par le parti pris narratif en forme de reportage, mêlant des scènes scénarisées à de véritables images d'archives, et à des interventions tirées d'interviews dans la rue, façon radiotrottoir, détournées en modifiant simplement le contexte dans lequel elles ont été réellement enregistrées. La forme reportage est maintenue tout au long du film, avec une réalisation plus proche du reportage de journal télévisé que de fiction classique. Les images sont parfois sales, découpées, sautant à la manière des reportages en zone de troubles, caméra à l'épaule, dans une fausse continuité multipliant les plans d'une même scène. Les hors champs, les approximations volontaires de cadrage se succèdent, de même que le montage est saccadé, comme dans l'urgence.

Affiche USA (movieposterdb.com)

On est bien dans un film d'aventure qui se présente comme un document d'actualité, aux clés le plus souvent transparentes, mais parfois obscures. Que vient faire par exemple cette bande de Nigérians dans l'histoire ? On y voit bien quelques codes, depuis la métaphore de l'assimilation sociale en une véritable assimilation digestive. On imagine l'allusion à une oralité, tant de parole que d'alimentation, comme symétrique de la société sud-africaine attachée à l'écrit, et dans laquelle l'approche de l'assimilation est l'occasion de vomissements, un des premiers symptômes de Wikus après sa contamination. Est-ce pour montrer les difficultés de l'intégration dans les deux types de contexte ? Que le chef du gang de Nigérians le dirige depuis sa chaise roulante, il y a manifestement une tentative de second degré, mais de quoi ? Quel est le sens de cette promesse par Johnson de son retour « dans trois ans » pour revenir aider Wikus, avant son évasion vers le vaisseau mère puis vers sa propre planète ? D'autant que la promesse ne sera manifestement pas tenue, mention étant faîte en fin de film d'un camp extraterrestre contenant une population triple de celle mentionnée durant la période filmée. On doute qu'il s'agisse simplement de souligner le caractère pessimiste de la morale de l'histoire. Peut-être pour exprimer l'absence d'autre solution imaginable que de trouver un terrain d'entente entre les différentes populations. Peut-être par une sorte d'assimilation inversée, à la manière de Wikus devenant progressivement littéralement un membre de la population d'extraterrestres.

Au bout du compte, si le film est une belle tentative de révolte contre une plaie qui a minée pendant une longue période le quotidien de l'Afrique du Sud, s'il cherche à le dépasser pour en faire un problème partagé par de nombreux pays, il reste malgré tout alourdi par sa présentation et par une certaine obscurité.




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18 juillet 2009

The reader (Le liseur)

Le purin dans les yeux


Alors quoi ?! On voulait prouver qu’il était possible de faire verser une larme sur une nazi(e) ? OK, c’est fait. La belle affaire. Comme s’il était possible de s’insinuer sous le scalp d’un être humain, de regarder sa vie par ses yeux, de ressentir ses émotions, sans y trouver une partie de nous-même, tout bon et généreux que nous pensions être, sans se surprendre à ne pas y retrouver cette noirceur et cette antre du mal qu’on aimerait tant débusquer dans le crâne des pires monstres. Et alors ?

Affiche France (movieposterdb.com)

Alors, c’est là qu’il se tient, ce film de 2008 oscarisé en 2009, sur le bord de la fosse, les deux mains dans la boue, tentant de regarder le purin dans les yeux et de lui faire cracher son secret. Pour réapprendre à vivre après que le bourreau ait frappé et qu’il ait raté son coup. Et pour que le bourreau réapprenne à vivre après qu’il ait raté son coup. Sauf que pour le bourreau, qu’il aille se faire foutre.

Pour les amateurs de pitchs en trois mots, l’histoire raconte, dans l’Allemagne de l’après-guerre, la liaison entre un jeune lycéen et une ancienne gardienne de camp de concentration. Ayant perdu sa trace, il la retrouve et découvre son passé à l’occasion du procès qui la révèle au grand jour.

Pour les amateurs d’un peu plus de détails et que le fait de connaître l’histoire n’a jamais empêchés de voir un film :

Affiche Brésil (movieposterdb.com)

Michael Berg (David Kross / Ralph Fiennes) a 15 ans et est lycéen, dans l’Allemagne de 1958, quand sur le chemin du retour, il est pris d’un malaise et s’effondre sous une porte cochère. Il est secouru par Hanna Schmitz (Kate Winslet), belle jeune femme de 36 ans qui habite à l’étage, puis le remet sur pied et sur le chemin de son domicile. La cause du malaise est finalement diagnostiquée comme une scarlatine qui obligera Michael à rester éloigné du lycée pendant plusieurs mois. Il mettra ce temps à profit pour reprendre contact avec Hanna, d’abord simplement pour la remercier, puis pour construire une liaison. Cette aventure, initialement surtout physique, se colore rapidement d’un attachement amoureux. Lors de leurs rencontres, Hanna se plait en outre à lui faire lire à haute voix les livres les plus divers. On comprend progressivement, bien que Michael, lui, reste dans le plaisir de ces lectures, que la belle jeune femme ne sait ni lire ni écrire sans oser l’avouer à quiconque. La relation prend fin avec le déménagement de Hanna, partie sans laisser d’adresse.

Affiche Grèce (movieposterdb.com)

Michael poursuit ses études, toujours hanté par le souvenir de cette relation, et entre en faculté de droit, sous l’égide du Professeur Rohl (Bruno Ganz). Son cursus l’amène à suivre, avec son professeur et les autres étudiants de sa classe, un procès depuis les bancs du public. Il s’agit de la comparution d’un groupe de femmes accusées d’avoir été gardiennes de camp de concentration après la publication du livre de la seule rescapée, avec sa fille, de leurs agissements. Michael est effondré lorsqu’il réalise que l’une d’entre elles est Hanna.

Affiche Honk Kong (movieposterdb.com)

Hanna explique dans ses auditions, naïvement, comment elle a intégré les rangs de la SS alors qu’elle cherchait du travail et qu’on y offrait des postes de gardiennes. Elle explique comment son rôle impliquait de maintenir un minimum d’ordre dans le camp, et qu’il fallait bien faire de la place pour accueillir le flot continuel de nouvelles arrivantes. Elle explique que pendant que s’effondrait le toit en flamme de la bâtisse où elles avaient cantonnées les prisonnières, aucune des gardiennes n’en avait ouvert les portes de peur de laisser se disperser des détenues dans l’affolement. Se sentant prises au piège, les co-accusées, qui niaient les faits jusque là, se liguent contre elle et la décrivent comme leur responsable. La conviction des juges est emportée par l’aveu qu’elle fait d’avoir rédigé le rapport de « l’incident » à l’époque, aveu qu’elle présente, alors qu’on lui demande un échantillon de son écriture pour la comparer à celle du rapport, pour ne pas afficher la honte de son incapacité à lire et écrire. Michael n’ose pas intervenir devant l’horreur des faits qu’elle a reconnus et pour respecter son choix de masquer son analphabétisme. Hanna est condamnée à la prison à vie.

Affiche Israel (movieposterdb.com)

Rongé par cette histoire, Michael, devenu avocat, entreprend une correspondance avec Hanna par l’envoi de bandes magnétiques sur lesquelles il enregistre sa lecture de tous les romans de sa bibliothèque. Afin de lui pouvoir lui répondre, Hanna, dans sa cellule apprend seule à lire et écrire.

Affiche Roumanie (movieposterdb.com)

Par le jeu de remises de peine, arrive après 20 ans la perspective de la libération d’Hanna. La sachant seule, l’assistante sociale de la prison contacte Michael pour lui demander son aide pour la réinsertion. Michael accepte douloureusement et rend sa première visite à Hanna depuis leur séparation. Il reste néanmoins troublé par cette histoire, ce que ressent Hanna qui se suicide dans sa cellule le jour de sa libération, confiant à Michael le soin de remettre, en forme d’excuses, le peu d’argent qu’elle a mis de côté à la fille de la rescapée qui avait témoigné à son procès.

Affiche Mexique (movieposterdb.com)

Fin des détails pour les amateurs-que-le-fait-de-connaître-l’histoire-n’a-jamais-empêchés-de-voir-un-film.

Passons rapidement sur les questions de forme. La mise en scène de Stephen Daldry privilégie une narration entrecoupée d’allers et retour avec le Michael présent qui renoue des liens avec sa fille qui se sont distendus depuis son divorce, et qui s’apprête à lui raconter l’histoire de sa jeunesse. Le film se construit alors en trois parties bien séparées : l’aventure, le procès, l’emprisonnement. Il semblerait que ce découpage était moins présent dans le livre de Bernhard Schlink qui a servi de base au scénario, mais il n’y a pas là de quoi perdre le sens de l’histoire. On n’est pas abreuvé d’effets spéciaux spectaculaires. Tout au plus apparaît-il un soin particulier de reconstituer une époque, avec ses petits métiers, son mobilier, ses coutumes vestimentaires. Juste un petit amusement pour un film qui n’en comporte pas tant, avec ce qui semble être un code qui se répand de figurer les années 60 par l’usage immodéré de la cigarette (voir la série « Mad men » pour une caricature de la chose).

Affiche USA (movieposterdb.com)

Les acteurs font leur boulot. Le jeune Michael (David Kross), tout timide et naïf, découvrant la sensualité, est tout à fait honorable. Sa prestation dans le débat moral qui l’agite lors du procès est par contre un peu dans le surjeu de la jeunesse. Le Michael adulte (Ralph Fiennes) a un peu tendance à porter toute la misère du monde sur ses épaules, mais on ne le voit pas tant que ça à l’écran, finalement. Le Professeur Rohl met Bruno Ganz à son avantage, à la fois dans la sobriété et dans une large panoplie d’expressions. Mais Kate Winslet est sans conteste au dessus du lot, au moins dans les deux premières parties, même si c’est probablement sa performance grimée mimant l’avancée en âge dans la troisième partie qui lui a valu son oscar pour le rôle. Inutile d’enchaîner les adjectifs. Il suffit de dire qu’elle sait mettre dans son regard quelque chose du regard de Marlène Dietrich, Greta Garbo ou Uma Turman. C’est peut-être partial, mais bon, c’est comme ça que je le ressens.

Pour en revenir au fond, il faut bien avouer qu’il y a quelque chose de troublant à sentir une larme couler pendant la projection et à réaliser subitement qu’on est en train de pleurer pour une ancienne SS. Quelque chose qui vous rattrape entre l’empathie pour une situation émouvante et le retour d’une réalité affolante. Comme on se souvient combien étaient touchantes les images d’Hitler jouant avec son chien, et comme on se disait « Mais comment je peux penser à cette douceur et oublier ce qu’il y a derrière ? ».

Certes tous les engagements dans la SS, corps militaro-industriel, ne valaient pas adhésion à la doctrine du parti, parce qu’il fallait bien vivre. Certes on nous présente une erreur judiciaire, Hanna ne pouvant avoir rédigé le rapport qui lui vaut l’accusation de Responsable puisqu’elle est analphabète. Mais le plus douloureux est-il là que Hanna en écope pour 20 ans, ou que les autres qui se sont défossées sur elles n’en prennent que pour 4 ans et 3 mois, l’une pour 300 crimes reconnus, les autres pour complicité dans ces 300 crimes. On pleure bien sur une injustice, mais notre émotion nous est subrepticement volée pour la détourner en empathie pour la pauvre Hanna.

Devant des choix difficiles, certains vont vers la difficulté et pas les autres, le regard baissé vers l’immédiat rassurant quand le recul est trop effrayant. « Je gardais la porte, moi, c’est tout, je ne savais pas ce qui se passait derrière la porte », parole digne d’un gardien de camp ou d’un gardien de cave transformée en chambre de torture. Et qu’est-ce que vous voulez que je pense de leur sentiment de culpabilité ? Je m’en contre-fiche, voilà, c’est le mot. Il s’éteindra avec eux et voilà tout. Un cancéreux me parlant de sa tumeur me disait « Ca partira avec la bête ». Et en attendant que ça parte avec la bête, laissez moi m’occuper des cancéreux et envoyer au diable le sentiment de culpabilité des autres.

En attendant, il faut bien vivre, côtoyer à nouveau des bourreaux anonymes, remettre la main dans la fange même quand elle a failli vous avaler le bras. On n’est pas plus content que ça d’y replonger, mais elle est là et il faut bien faire avec. Au mieux, on peut se dire que si on comprenait comment elle se remplit sans arrêt, cette putain de fange, on pourrait peut-être ralentir le robinet à purin, et prier pour ne pas se voir un jour soi-même sortir de l’immonde tuyau et alimenter la fosse.
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