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7 décembre 2008

Le plus grand chapiteau du monde (The greatest show on earth)

De la sciure dans les veines

De retour dans son occupation favorite de dépoussiérage de sa mémoire, Tonton Sylvain, ce brave homme, ne pouvait pas rater l'occasion du passage de ce film de 1952 sur son satellite personnel. Une projection un peu nocturne, certes, mais on n'est pas à ça près quand on est investi d'une mission de cette envergure. D'autant que la chose est signée de Cecil B. DeMille, un monument d'Hollywood, et se présente comme une de ces interminables et spectaculaires sagas dont le Maître était coutumier. De plus, avec un Oscar à la clé, Tonton aurait eu bien mauvaise grâce à manquer l'évènement et l'opportunité de compléter sa collection d'avis autorisés. En avant donc pour l'aventure et pour « Sous le plus grand chapiteau du monde », ou « The greatest show on earth » pour les initiés à la langue de Bernard Shaw.

Affiches USA (movieposterdb.com)
L'histoire est assez simple. Un cirque monumental est sur la sellette au départ de sa tournée annuelle à la limite de ses possibilités financières. Mais le directeur, Brad Braden (Charlton Heston), tient bon face aux financiers et la tournée démarre avec l'argument de l'engagement du Grand Sebastian (Cornel Wilde), une vedette du trapèze volant à la réputation sulfureuse. Comme prévu, les dames de la troupe sont en émoi. Néanmoins s'engage une rivalité entre Sebastian et Holly (Betty Hutton), une consœur accessoirement petite amie de Braden, qui se voit retirer par celui-ci la glorieuse piste centrale pour raisons promotionnelles. La compétition tourne au drame quand Sebastian tombe en pleine représentation en tentant une voltige inédite et en sort handicapé d'un bras. Holly en éprouve une telle culpabilité qu'elle s'écarte de Braden pour se rapprocher de Sebastian qu'elle convainc de rester dans le cirque à un poste d'intendance. Parallèlement, Angel (Gloria Grahame) lui dispute alternativement Braden et Sebastian, suscitant la jalousie de son compagnon Klaus (Lyle Bettger), le dresseur d'éléphants pour qui elle officie. C'est justement cette jalousie qui pousse Klaus à participer au braquage de la caisse du cirque, braquage qui causera un spectaculaire accident de train au cours duquel Braden, grièvement blessé, n'est sauvé que par l'intervention de Sebastian et d'un clown (James Stewart) qui se révèle être un chirurgien en fuite, tandis qu'Holly sauve le cirque lui-même en le relevant de ses ruines.

Affiches Australie (movieposterdb.com)

Autant dire que le scénario tient sur un timbre poste, s'appuyant sur des ressorts d'un classicisme éprouvé : une histoire de couples en recomposition sous l'effet du doute et de la culpabilité ; l'honnêteté et la conviction en sa fonction allant jusqu'au sacrifice de soi-même ; la puissance du dépassement de soi et de l'abnégation face à l'adversité ; un petit brin de jalousie et ses conséquences néfastes ; la force des valeurs et des bons sentiments. Pour le piment, on ajoute bien une petite touche d'appât du gain et de mauvais garçons, mais on sent bien que le cœur n'y est pas, qu'il s'agit d'un piment très doux, et que l'essentiel est ailleurs.

Affiches Allemagne (movieposterdb.com)

Même la scène de la catastrophe ferroviaire, toute spectaculaire qu'elle soit, ne parvient pas à dépasser le statut d'intermède autant dramatique que ludique dans une trame d'une autre dimension.

Affiche Belgique (movieposterdb.com)

Il suffit d'ailleurs d'écouter la voix de Cecil B. DeMille en narrateur introduisant la première minute du film pour réaliser où se situe le centre du sujet. Et pour ceux qui n'auraient pas compris, d'observer le casting peuplé d'une myriade d'artistes de cirque dans leurs propres rôles. Tourné sans « les locaux » d'un vrai géant du cirque américain, Ringling Brothers, Barnum and Bailey, et ne manquant jamais de faire apparaître la référence à son identité, alimenté par toute une série d'anecdotes saisies par le réalisateur dont on dit qu'il a préparé son tournage en suivant deux mois de la tournée du vrai Barnum, le film est avant tout une présentation de la magie et du spectacle du cirque. L'histoire n'est qu'un fil conducteur entre des numéros reproduits par leurs auteurs réels. Contrastant avec la réalité de la piste à laquelle se mêlent les comédiens, les vues du public sur les gradins ont quelque chose de figé, l'occasion de fixer quelques attitudes éphémères. On y croise d'ailleurs quelques visages connus qui n'ont d'autre fonction que celle de faire valoir par une apparition de quelques secondes au milieu d'une foule : Bing Crosby, William Boyd, Bob Hope, Diana Lynn, ...

Affiche France (moviepsterdb.com)

Une fois posée cette trame, il ne reste plus dès lors qu'à se laisser emporter ou non par le charme de la présentation, selon sa sensibilité, un œil sur toute une série de performances, un autre sur les coulisses, en suivant distraitement l'histoire qui sert de toile de fond. La qualité des acteurs n'a ainsi finalement que peu d'importance, même si Charlton Heston, dont il s'agit ici du premier rôle principal, et James Stewart, qu'on reconnaît à peine sous son maquillage permanent, sortent du lot. Et il faut bien avouer une certaine dextérité du réalisateur à mêler son histoire conductrice aux numéros de piste. Même si l'histoire est relativement basique, on finit facilement par se prendre au jeu sans réelle frustration ni sentiment de décalage.

Affiches Espagne (movieposterdb.com)

On dira ce qu'on voudra, mais le Hollywood de ces années là, savait prendre un sujet et en faire un spectacle intéressant même à partir d'un support aussi sommaire. Pas de quoi porter au firmament une étoile incandescente à chaque fois, mais de quoi sortir Tonton Sylvain de son lit pour aller rêvasser avec plaisir devant un écran nocturne en tout cas. On peut demander davantage au cinéma, certes, mais on peut tout autant se satisfaire de cette récréation avant de replonger, le coeur apaisé dans des oeuvres plus austères. Et ça, ça ne manque pas ; mais c'est une autre histoire.
Affiche Grande Bretagne (movieposterdb.com)

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4 décembre 2008

Peter Ibbetson

Hathaway, fameux Surréaliste

Etonnant objet que ce film d'Henry Hathaway de 1935 ! A creuser dans les vieilleries, on parvient bien souvent à tomber sur des pépites oubliées dont seuls les spécialistes conservent un souvenir. Mais à ce point, la chose est suffisamment rare pour être soulignée. Des oeuvres touchantes ou amusantes sombrant sous une poussière indue, tout cela est relativement fréquent pour peu qu'on ne craigne pas de se tâcher les manches. Mais à ce niveau d'originalité, voilà qui est peu banal.


Affiche France (wikipedia.fr)

L'histoire est l'adaptation du premier roman de George du Maurier, le grand-père de Daphnée. Elle débute par l'enfance parisienne bourgeoise d'un enfant anglais jusqu'à son rapatriement à Londres dans la famille de sa mère à la mort de celle-ci qui le laisse orphelin. George du Maurier avait lui-même vécu cette enfance parisienne du milieu du 19ème siècle avant de suivre un chemin tout différent de son héros.

Ainsi, le jeune Gogo vit auprès de sa mère malade dans une bucolique banlieue parisienne. La maison mitoyenne est occupée par d'autres anglais, dont la jeune Mimsey, du même âge que lui, avec qui il partage les jeux et les disputes de leur âge. La mort de la mère de Gogo les surprend justement lors d'un de ces différents qui les oppose à propos du partage d'un tas de planches dont chacun veut alimenter son propre projet. Malgré la proposition de la mère de Mimsey d'héberger Gogo, son oncle maternel vient le chercher pour le conduire à Londres sans accepter de voir la déchirure que représente la séparation entre les deux enfants. Gogo doit alors abandonner son surnom, son prénom de Pierre, et jusqu'au patronyme de son père français, pour adopter le nom de jeune fille de sa mère, seule liberté qu'on lui accorde, et devenir Peter Ibbetson.

Quelques années plus tard, Peter (Gary Cooper) est un jeune architecte apprenant son métier dans le cabinet de Mr Slade (Donald Meek) qui, malgré sa cécité, reconnaît en son protégé un talent prometteur. Il reconnaît aussi une faille en ce jeune homme solitaire, une insatisfaction profonde qui le pousse à la démission, laquelle est refusée par Mr Slade qui le pousse à prendre un congé à Paris accepté plus par respect que par enthousiasme.


Affiche USA (notrecinema.com)

Ce voyage est l'occasion d'une rencontre avec Agnès (Ida Lupino), une gardienne de musée, à qui Peter fait visiter les lieux de son enfance. Ainsi, ce qui devait ouvrir les yeux du jeune homme sur les plaisirs qu'il se refusait devient une sorte de pèlerinage ramenant à la conscience de Peter le souvenir de Mimsey et la raison de son insatisfaction permanente.

Dès son retour à Londres, Mr Slade envoie Peter en province, en mission auprès du Duc (John Halliday) et de la Duchesse (Ann Harding) of Towers qui souhaitent l'intervention d'un architecte pour rénover leurs écuries. Il est bien spécifié que ce-dernier, devant séjourner dans leur demeure pour y diriger les travaux, devra être un gentleman.

Il apparaît rapidement que c'est la Duchesse Mary qui est responsable de ce projet, tandis que son mari se consacre essentiellement à l'élevage et au dressage des chevaux. Peter et Mary, dont les idées diffèrent sur le projet, se querellent dès le premier jour, manquant de peu la rupture. C'est finalement lui qui a gain de cause, et les travaux débutent sous sa direction et la supervision de Mary. Leurs personnalités s'apprécient progressivement, se rapprochent, jusqu'à réaliser qu'ils ont curieusement vécu simultanément le même rêve dont ils sont tous deux les acteurs. Peu avant la fin des travaux, le Duc, qui a observé ce rapprochement même platonique, met les pieds dans le plat et somme Mary et Peter de s'expliquer. Lors de la discussion, les deux réalisent qu'ils sont les Mimsey et Gogo de leur enfance que le hasard a fait se retrouver. Peter, tout à son caractère entier, confirme de plus son attachement à Mary. La dispute tourne mal et le Duc est tué avec l'arme dont il visait les jeunes gens.

Peter est arrêté, jugé, et condamné à la prison à vie. Mais du fond de la prison où il survit miraculeusement à une rixe qui le laisse paralysé, et du fond de son château où elle entame une vie de recluse, Peter et Mary réalisent qu'ils peuvent continuer à communiquer et à se retrouver par leurs rêves communs, lesquels peuplent ainsi de plus en plus leur quotidien par un lien dans lequel ils se plongent jusqu'à en faire leur unique raison de vivre, jusqu'à la mort.

Le film est nettement tranché en trois parties séparées par des espaces de plusieurs années résumées en quelques panneaux écrits à l'écran. Chacune des parties est émaillée de rappels en allusions plus ou moins discrètes aux périodes antérieures, par la reprise de quelque dialogue, le retour fugace de quelque personnage secondaire, ou celui de lieux symptomatiques. Ainsi tout un jeu se déroule autour d'un mot d'enfant maugréant « pour toujours », et évoluant tout au long du film en des situations diverses. Ainsi également de la répétition d'un anodin tic verbal d'un personnage de la première partie qui sert de rappel récurrent de l'attention et du souvenir dans la suite de l'histoire. Mais le plus spectaculaire est le basculement, après la mort du Duc, d'un univers de réalité à un univers de rêve ; et particulièrement la façon dont sont traitées ces séquences oniriques, filmées d'une manière à peine différentes et séparées par une transition à peine marquée avec les séquences de réalité, tout cela sans que jamais le doute ne s'installe sur leur nature. L'image est à peine différente sans être pourtant la même. Quelques lueurs nimbées de lumière rasante dans un rare brouillard sont là pour orienter l'attention. Mais encore plus l'évolution travaillée de la lumière : la photographie claire, lumineuse, classique des séquences d'enfance, se transforme progressivement à mesure que le film avance en un jeu d'ombres et de contrastes confinant dans les scènes de prison en une photographie de contrastes purs à la Cocteau ou à la Bunuel. Le retour d'une photographie de pleine lumière, quasiment d'une exposition de film d'aventure et de grands espaces, ne se retrouve plus alors que dans les scènes de rêve les plus heureuses, liant ainsi de manière plus que transparente rêve et enfance heureuse, heureuse jusqu'à la chute brutale de la fin de l'enfance. Le procédé est d'ailleurs annoncé dès la visite de Peter à Paris, retour sur les lieux de l'enfance dans une lumière chaude quasi méridionale.

Le passage au rêve est également marqué par une rupture de cohérence dans les repères d'espace et de temps. Les incohérences, les anachronismes, se multiplient en tout sauf en ce qui concerne les deux rêveurs. Procédé simple et finalement attendu, mais qui s'annonce subrepticement dès la mort du Duc, alors qu'on est en pleine réalité : Mary et Peter, penchés sur le corps sans vie de la victime, sont surpris par les coups, qu'on suppose être l'arrivée des domestiques alertés par la détonation, coups sur une porte qu'on vient de quitter grande ouverte dans le plan précédent ; surpris, ils lèvent le regard dans la direction qu'on imagine être celle du bruit, mais justement à 90 degrés de la direction de la porte. Comment dans un tel souci du détail, une telle erreur, double en l'occurrence, pourrait-elle être autre chose que volontaire et symbolique du tourbillon d'onirisme à venir ? Un exemple de ce luxe de détails qui valide l'impossibilité d'une erreur de ce calibre : le dernier plan filme à distance et presque en ombre chinoise la main tendue vers le ciel de Peter qui s'éteint, dont on distingue à peine qu'il porte au doigt la bague qui sert d'allégorie à la communication onirique qu'il a entretenue avec Mary ; la caméra n'est en rien centrée sur la bague et ce n'est qu'au second visionnage qu'on l'aperçoit, mais une fois qu'elle est repérée, on n'imagine plus que ce plan pouvait avoir un autre but que de la montrer.

Le film fourmille d'ailleurs de détails de cet ordre, de rappels ou d'allusions quasiment subliminaux, dignes des fresques symboliques à la Tennessee Williams de « Soudain l'été dernier » quoique sur un mode moins psychanalytique. Il est ici question d'émotion, de poésie, loin de toute tentation analytique. Hathaway est un lettré, un conteur, qui regarde une oeuvre pour ce qu'elle peut transmettre, pas un torturé qui se sert de l'oeuvre qu'il crée pour s'y regarder et se comprendre lui-même. Et ce qu'il a à dire parle d'un amour fou, du même Amour Fou qui fera écrire André Breton qui verra, et les surréalistes avec lui, « Peter Ibbetson » comme une oeuvre exemplaire de leur sensibilité.

On comprend de plus l'intérêt d'Hathaway, dont on sait la prédilection pour les problématiques bibliques, pour cette histoire. L'ensemble peut en effet être regardé comme une allégorie de la chute, au sens religieux, de l'éviction d'Adam et Eve du Jardin d'Eden, et des affres de leur passage terrestre avant d'en retrouver l'entrée. La chute, sortie brutale de l'enfance insouciante par la disparition de la mère de Gogo, est accompagnée, davantage que par l'intervention d'un médecin, par celle d'une religieuse en prière, par l'appel à un prêtre, par une voisine agenouillée, tandis que Gogo qui était le centre de tous les regards devient subitement presque transparent au regard des autres, sauf à celui de Mimsey dont il est lui-même le seul univers. Et c'est toute leur vie qui consistera dès lors en la reconstruction de ce monde blessé en une entité unique, cristalline, brillante comme le diamant de cette bague dont Peter avoue qu'elle contient tout leur univers. Toute la vie vue comme un voyage chaotique d'un paradis à un autre.

Il serait trop long de poursuivre l'analyse détaillée de tous les recoins de ce film étonnant que les suppléments du DVD de chez Wild Side Video se chargent de largement introduire et commenter. Qu'il s'agisse des choix de distribution, de la mise en perspective dans la carrière du réalisateur ou dans l'histoire des studios, de la qualité du découpage, ... des angles multiples sont empruntés et éclairent abondamment. Juste néanmoins de quoi mettre en appétit. Le décryptage des choix de cadrage, d'une sobriété mais en même temps d'une densité étonnante, reste par exemple dans un silence qui laisse sur sa faim. Un sujet de thèse pour un étudiant en cinéma ? Pourquoi pas !

(Egalement publié sur Cinemaniac.fr)


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