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24 octobre 2008

Vedettes du pavé (Sidewalks of London – Saint Martin’s Lane)

Vieilleries et curiosités

Au magasin des vieilleries et des curiosités, allez savoir ce qui vous pousse à choisir un film plutôt qu’un autre. Vous êtes là, à vous dire qu’à force d’avaler des histoires plus ou moins navrantes et des effets spéciaux au kilomètre, vous voudriez bien savoir ce qu’il y a dans le fait de projeter une image sur un écran qui capte autant votre attention. Et que ce ne serait pas du luxe de remonter aux sources de l’affaire plutôt que de continuer à gober stérilement le défilement des images. Alors, banco ! Retroussons nos manches, munissons-nous d’un bon plumeau, et hardi petit ! Y’a quoi sous cette pile ? Tiens, un Buster Keaton. Mouais, j’ai quand même pas trop envie aujourd’hui. Va savoir pourquoi … c’est comme ça. Et là, c’est quoi, ça ? « Vedettes du pavé » ? « Saint Martin’s Lane » pour la VO. Tiens, une curiosité, ça s’appelle aussi « Sidewalks of London ». Pourquoi pas. Et ça date de quand, cette antiquité ? 1938, eh ben c’est pas tout neuf, en effet. Par un certain Tim Whelan. Tu m’en diras tant ! Par contre, y’a du beau monde, dis donc : Charles Laughton, Vivien Leign, Rex Harrison … mazette ! Finalement, ça n’a pas l’air d’être le plus mauvais choix. Adjugé !

Affiche Italie (ebay.es)

L’histoire se passe à Londres, où des artistes de rue tentent de survivre en se produisant devant les terrasses des cafés et les files d’attente aux guichets des spectacles couverts. L’ambiance est bon enfant, chacun prenant son tour devant les attroupements, avec juste quelques accrocs de chapardage épisodique, mêlant artistes patentés et mendigots. Charles Staggers (Charles Laughton) est spécialisé dans la déclamation de poèmes. Libby (Vivien Leigh), danseuse sans affectation, est plus orientée vers des expédients cleptomanes dont elle profite dans une riche demeure inoccupée. Surprenant son manège, Charles la force à restituer un étui à cigarettes qu’elle avait subtilisé au client d’une gargote de rue, Harley Prentiss (Rex Harrison), compositeur de son état. Cette rencontre noue une relation amicale et platonique entre Charles et Libby qui, à la rue après la découverte de son squat, vient emménager sous son toit. De taquinerie en dispute, les deux en arrivent à l’idée d’un numéro commun auquel ils convient deux compagnons de galère.

DVD US (amazon.com)


La première présentation est un succès, devant Prentiss présent dans la file d’attente. Mais Libby réalise aussitôt le peu d’avenir de ce genre de prestation, et quitte le groupe pour voler de ses propres ailes sous la férule de Prentiss. Effondré par ce lâchage doublé des moqueries de Libby lorsqu’il lui déclare sa flamme, Charles quitte lui-même le spectacle et s’enfonce dans l’alcool et la clochardisation à mesure que Libby grimpe les marches du succès.


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Jusqu’au jour où le hasard les met à nouveau en présence, elle la Belle, lui le Clochard, pour aboutir à un large pardon qui permettra à Charles de reprendre sa place et ses déclamations sur les trottoirs de Londres.

Rien de vraiment grandiose dans cette histoire à l’eau de rose peuplée de sourires et de bons sentiments, mais juste une fraîcheur, un souffle gentiment désaltérant. Le plus étonnant est peut-être de voir Charles Laughton s’investir ainsi pour un petit film juste au sortir de sa prestation dans le très culte « Les Révoltés du Bounty » aux côtés de Clark Gable, et juste avant de s’engager dans « L’Auberge de la Jamaïque ». Vivien Leigh, quant à elle, entrera l’année suivante dans la légende avec le rôle de Scarlett dans « Autant en emporte le Vent ».

Au plan technique, le film date de 1938, et autant dire tout de suite que ça se voit. La lumière a quelque chose d’un autre âge, comme une approximation datant d’une époque de tâtonnement. Si les rares scènes de jour sont quasi systématiquement surexposées, les scènes de nuit font roder un gris lugubre s’il était voulu. La qualité de l’image semble avoir notablement souffert des outrages du temps. Il est difficile de savoir comment les choses se présentaient lors des projections de l’époque et si le piqué actuel tient à la prise de vue ou à la dégradation du support. En tout cas, on est bien plus proche de l’image et du son désastreux de « L’Auberge de la Jamaïque » que de ceux d’ « Autant en emporte le Vent ».

Le jeu des uns et des autres est très hétérogène comme on pouvait s’y attendre. Vivien Leigh est dans l’exagération qui la caractérise (m’expliquera-t-on un jour ce qu’on peut bien lui trouver ?). Rex Harrison est un dandy très british au regard enamouré si propre aux jeunes premiers de l’époque. Charles Laughton vole à des kilomètres au dessus du lot, même s’il n’a pas encore cette rondeur qui ne s’acquière qu’avec l’âge et qu’il étalera du « Procès Paradine » d’Alfred Hitchcock à « Panique à la Maison Blanche » d’Otto Preminger.

Et malgré tout, il reste au fond des yeux à l’issue de la projection comme un air de contentement, une lueur du plaisir qui ne s’en laisse pas compter par les imperfections techniques, une satisfaction d’avoir regardé défiler tout ce que la bonne volonté peut apporter aux raconteurs d’histoire, même les plus maladroits. Car de quoi s’agit-il ? De la confrontation entre l’ambition et le plaisir de vivre, entre les rêves de gloire et les rêves d’artistes. Pas d’une confrontation agressive, emportée, juste la juxtaposition de deux visions du monde : vivre pour faire ou faire pour vivre. Pas de hargne ou de colère là-dedans, tant les deux sont généralement mêlés, intriqués. Juste une séparation artificielle pour en montrer les limites respectives et les dilemmes de leurs enjeux. En d’autres temps, on aurait vu l’opposition entre un désir de « travailler plus pour gagner plus », et un objectif de « travailler plus pour apporter plus ». Bien sûr, comment apporter plus si c’est sans gagner par son labeur les conditions de sa dignité et de son confort ? Mais comment aussi apporter quoi que ce soit si le seul objectif est d’amasser aveuglément ? Séparation arbitraire tant l’ensemble est indissociable et solidaire. Et que cela soit dit le sourire au bord des lèvres, à près de 70 ans de distance, n’en est que plus touchant.

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