Le 32ème festival du film américain de Deauville, en 2006, avait prévu un hommage à Sidney Lumet à l’occasion de la sortie de « Find me guilty ». Mais, même si le film avait été présent et présenté, cela avait été sans la présence du réalisateur et la cérémonie d’hommage avait été repoussée. Résultat, on s’était contenté (et c’était déjà bien …) d’une rétrospective d’une série de ses films. Par contre, l’hommage retentait sa chance en 2007 pour cette 33ème édition à l’occasion de la sortie de « 7h58 ce samedi-là », ou « Before the devil knows you’re dead » pour les amateurs de VO. Et là, bingo ! Sidney est bien là. Alors cérémonie, médaille souvenir, discours, … tout est là aussi. Bref, même si la petite demi-heure de congratulation n’a que peu d’intérêt, c’est l’occasion de remettre les choses dans leur contexte. Et surtout de faire languir un peu en attendant le film tant attendu.
Affiche France (cinemovies.fr)
L’histoire raconte les malheurs de la famille Hanson, à partir de l’heure fatidique de 7h58 du matin, heure à laquelle un braquage dans la bijouterie familiale tourne mal, avec la mort à la fois du cambrioleur et de Madame Hanson mère qui ouvrait exceptionnellement le magasin elle-même ce matin -là. On apprend assez vite que le braquage a en fait été organisé par Andy (Philipp Seymour Hoffman), le fils aîné de la famille en pleins problèmes à la fois conjugaux avec sa femme Gina (Marisa Tomei) et financiers, avec la complicité du second fils, Hank (Ethan Hawke), qui se débat avec des problèmes comparables. Mais autant Andy est du genre Cadre Executif à cravate et costard, sûr de lui et du caractère invulnérable de son plan, autant Hank est perclus de doute, d’hésitation, de sentiment de culpabilité, et se laisse entraîner par l’assurance d’Andy.
Affiche USA (cinemovies.fr)
Devant la tournure des évènements, chacun réagit à sa façon, Hank en paniquant, Andy en tentant d’organiser les choses. La panique de Hank est d’autant plus justifiée qu’il était censé opérer seul et qu’il s’est adjoint par faiblesse les services d’un petit loubard dont la veuve, Chris (Aleksa Palladino), tente de tirer profit de l’occasion en le faisant chanter. Malgré ce qu’il croyait être un esprit puissant d’organisation, Andy perd progressivement prise sur de plus en plus de choses, jusqu’à être découvert par son propre père (Albert Finney) en deuil. Bref, ce qui s’annonçait comme une petite arnaque bien gentille et sans risque devient un tourbillon qui emporte tous les personnages dans une descente en vrille apparemment sans limite.
Qu’est-ce que vous voulez ? Lumet, c’est Lumet, et puis c’est tout. Le film est léché, net, sans bavure. C’est bien fait, et ça se regarde sans trop d’histoires. Par contre, de là à ressentir passer le vent du génie, à frissonner sous le bonheur de la surprise, il y a largement plus que le pas qui sépare « 12 hommes en colère » de « Serpico ». Il y a quelques temps que la mode de la narration linéaire est passée, et Lumet s’est mis dans l’air du temps. Il y a du flash back, du flash forward, du flash now, … tant qu’on peut en souhaiter. Bien sûr, on pourrait sans doute en faire plus, mais plus ce serait trop. Déjà que là … Evidemment, pour les esprits revêches aux allers-retours qui n’aiment rien tant qu’une bonne histoire racontée dans l’ordre, il y a un cap un peu difficile à passer : le moment de laisser se faire oublier cette pénible mode qui oblige à se concentrer sur ce qu’on ne comprend pas à mesure que ce qu’on aurait pu comprendre défile et qu’on prend du retard sur la marche des évènements. Tant pis si ça fait vieux jeu, mais après tout, je n’ai plus 20 ans. Ca donne l’impression de vouloir égarer le spectateur grâce à la forme faute de pouvoir le faire par l’histoire elle-même. Quel aveu d’impuissance ! Comment voulez-vous appâter le chaland avec ça, en lui donnant l’impression qu’il est lent dans sa tête, alors que c’est simplement la façon de raconter quelque chose de relativement simple qui est en cause ? Pourtant l’histoire aurait bien mérité mieux. Mais bon, c’est la mode, alors pourquoi pas ?
Il y a du sang, du sexe, de la drogue, de l’argent, bref à peu près tout ce qu’on peut demander. Il ne resterait que le jeu, et encore, peut-être qu’en y regardant de plus près, on en trouverait quand même aussi. Alors pourquoi ça coince ? Pourquoi est-ce qu’on se dit qu’il y a quelque chose qui manque ? Quelque chose qui faisait le souffle du Lumet des grands jours ? Allez savoir … Peut-être que c’est justement le « too much », le fait qu’il y a justement tous les ingrédients de la recette. Comme si le réalisateur avait eu une recette en main et qu’il l’avait suivie à la lettre, sans se poser de question, donc sans nous poser de question. Sans surprise, sans inspiration, sans cet écart à la règle qui fait qu’on se dit « Tiens, y’a quelque chose, là ».
Prenez le sexe, par exemple, si je puis me permettre. Il est présent dès l’introduction, à tous les sens du terme : scène d’ouverture et scène de sexe acté le plus crûment qui soit. Passé ce moment initial, il n’y aura plus de sexe efficace sauf en cachette, coupablement, « adultèrement ». Hank ne fait qu’introduire le sujet avant que tout le reste du film ne fasse que présenter sa sortie, piteuse et impuissante. Dire que c’est un film sur l’impuissance tient tout le sujet en un seul mot. Et pourtant, ce n’est plus que presque rien tant, comme on l’a vu, la forme est elle-même déjà un aveu d’impuissance. Je ne sais d’ailleurs pas comment la commission de censure étatsunienne, ou quel que soit son nom, ou comment les ligues de vertu prendront les scènes les plus directes du film. On est manifestement loin de l’époque où le début de l’ébauche d’un sein faisait trembler l’écran. Et entre nous, ça aurait quand même été dommage de rater la plastique de Marisa Tomei, mais bon …
Reste le jeu des acteurs à se mettre sous la dent. Pour qui apprécie les prestations de Philipp Seymour Hoffman, celle est honorable. Pour les moins fans qui ne parviennent pas à rêver dans son sillage, on reste un peu sur sa faim. Il y a bien sûr chez lui plus qu’une parenté avec la technique d’un Paul Newman dans « Luke la main froide ». Quelque chose de l’intériorisation du vécu d’un personnage devant permettre de le rendre vivant et crédible avec l’ensemble de son contexte même non évoqué à l’écran. Je ne sais pas s’il a fait ses classes à l’Actors Studio, mais on en sent la touche à pleines narines. On peut craquer ou rester hermétique au genre, et c’est surtout cela qui va conditionner l’adhésion à cette histoire. Quoi qu’il en soit, qu’on aime ou pas, il est tout de même difficile de nier ici le talent. Et à côté de lui, les autres comédiens ont du coup un peu de mal à tenir la distance. Mais comme il mange l’essentiel de l’écran, les autres restent un peu dans une toile de fond finalement protectrice.
Comment s’étonner après ça d’un petit sentiment de malaise partagé par l’humeur de la salle, quand la lumière revient, à l’écoute du contraste entre l’ovation pour le réalisateur avant la projection et les applaudissements polis en fin de spectacle ?
(Egalement publié sur Cinemaniac.fr)
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