Madame la baronne a dit ...
- Encore avec tes vieilleries ? T’as pas peur de devenir soulant, à la longue ?
- Ben, euh, peut-être… Mais c’est que j’aime mieux causer de choses intéressantes que de …
- Que de quoi ? Attention à ce que tu vas dire. Y’a des gens qui écoutent, tu sais.
- Que de … rien, je ne veux blesser personne …
- Comment ça, « Que de rien » ? Parce que c’est « rien » quand on parle d’autre chose que de John Ford ou Erich Von Stroheim ? Ben avec ça, si tu ne veux blesser personne, c’est un bon début !
- Mais non, enfin. J’ai pas du tout dit ça …
- Et t’as dit quoi alors ?
- Ben, que je ne veux rien dire qui …
- Comment ça tu ne veux rien dire ? Et même en ne voulant rien dire, tu arrives à faire bondir les gens. Qu’est-ce que ça serait si tu voulais dire quelque chose !
- Mais non ! Mais si ! Non, pas si, mais non … Oh, tu m’embrouilles, tiens …
- C’est de ma faute, maintenant ! C’est la meilleure !
- Tiens, dis-moi plutôt pourquoi je serais soulant avec mes antiquités du cinoche ? Tu sais même pas de quel film je voulais causer …
- Oh, pas dûr ! Encore un truc oublié depuis des lustres. T’as vraiment rien à dire sur Gaspard Ulliel ? Là au moins t’aurais des lecteurs. Ou sur Brad Pitt ? Ou même Ratatouille, tiens, Ratatouille, c’est pas trop dans le rayon drame psychologique, ça, Ratatouille, tu pourrais en dire un mot, non ?
- T’as pas tort, c’est vrai. Mais bon, t’as pas raison non plus.
- Et c’est reparti la prise de tête … T’es indécrotable ! Alors c’était quoi, ta merveille des alpages ?
- Tu veux vraiment savoir ?
- Ben autant qu’on s’en débarasse tout de suite, comme ça tu pourras peut-être t’intéresser à autre chose ensuite …
- Faut de la santé pour te raconter des trucs, toi … J’ai plus envie, tiens.
- Allez, fais pas ta chochotte. Après tout, c’est vrai que, de temps en temps, tu tombes sur un truc bien.
- Ah, tu vois, je te le fais pas dire !
- Ouais … j’ai dit « de temps en temps ». Alors, tu racontes ou je me mets à genoux ?
- J’en demande pas tant.
- Comme tu veux, mais t’as tort … Bon, allez, raconte …
- …
- S’il te plait …
- Bon, ça va,je vais quand même te dire, mais c’est bien parce que c’est toi …
- A la bonne heure, sacripan.
- Alors voilà. Ca s’appelle « The scarlet pimpernel », ou « Le mouron rouge », en VF. Ca date de 1934, par un dénommé Harold Young.
- Ca commence fort.
- Si ça ne t’intéresse pas, j’arrête.
- Mais non, je te taquine. Alors, par un certain Harold Young ?
- Oui, un illustre inconnu de la réalisation. Je serais bien en peine de citer un autre de ses films. Mais par contre, pour ce film là, il a dû mettre tout ce qu’il savait faire. Il faut dire qu’il se retrouvait avec sous ses ordres Leslie Howard, Merle Oberon et Nigel Bruce. Du lourd, quand même, non ?
- D’accord, je t’accorde ça. Si j’étais née en 1910, c’est vrai que Leslie Howard m’aurait fait craquer …
- Ah, tu vois …
- Bon, et ça cause de quoi ?
- Ah, tu vois que ça commence à t’intéresser ! Ca se passe pendant la Révolution Française. Le nobles sont pourchassés et passent à la guillotine par grapes entières. Leur seule chance de salut est souvent de s’enfuir à l’étranger. Et pour les faire sortir de France, il y a un clandestin, qui se fait appeler Le Mouron Rouge, qui les aide à passer en Angleterre. Il les prend en charge, éventuellement en les faisant s’évader de prison, et les conduit en lieu sûr, en leur donnant les moyens de s’installer outre-manche.
- Dans le genre des réseaux de résistance qui faisaient passer les gens en zone libre, en Espagne, puis en Angleterre, pendant la guerre.
- Exactement, sauf que là, je te rappelle que le film date de 1934, et qu’il leur fait traverser la Manche directement. Prémonitoire, non ? D’autant plus que c’est l’adaptation d’un roman publié en 1904, d’une certaine Baronne Emmuska Magdalena Rosalia Maria Josepha Barbara Orczy, une émigrée hongroise, ça en jête, non ? Et vu le nombre de suites au roman et d’adaptations pour l’écran, j’ai l’impression que tout ça a eu un certain succès chez les grand-bretons du début du siècle.
- Elle avait l’air de savoir de quoi elle parlait, la baronne, dis-donc.
- C’est aussi mon impression, mais en fait j’en sais rien. En tout cas, ça lui donne un vernis de crédibilité. C’est le plus important, non ? En tout cas, on comprend vite que le fameux Scarlet Pimpernel est en fait Sir Percy Blakeney (Leslie Howard) qui, sous couvert d’une habileté certaine au déguisement, et avec l’aide de toute une bande d’amis conjurés parlant comme lui couramment le français, a entrepris de faire quitter le pays au plus possible de nobles promis à l’échafaud. On comprend également vite que ses accointances avec la France tiennent à son épouse française, Marguerite (Merle Oberon). En dehors de ses complices, nul, même en Angleterre, ne connaît ses activités secrètes, pas même sa femme dont, tout en en demeurant épris, il ne peut pardonner l’attitude qu’elle a eu avant de le rejoindre en dénonçant quelque marquis aux révolutionnaires. Aux yeux de tous, il préfère passer pour un dandy écervelé et futile, plus préoccupé de mode et de frivolités mondaines que de politique. Au point de se faire une petite notoriété dans la bonne société d’une mauvaise poésie narquoise de son crû : « We seek him here, we seek him there. Those Frenchies seek him everywhere. Is he in heaven ? Is he in hell? That damned elusive Pimpernel ? »
- Un genre de Zorro, quoi. Ou d’agent secret.
- Un peu ça, sauf que c’est un agent secret autonome, qui agit sans le montrer à son suzerain, le Prince de Galles (Nigel Bruce), dont il fréquente assidument la cours.
- J’imagine que les français ne le laissent pas faire comme ça …
- Ben, pas vraiment. Ils essaient par tous les moyensde découvrir son identité. C’est d’ailleurs la mission prioritaire de Chauvelin (Raymond Massey), qui fait office d’ambassadeur officieux des nouvelles autorités françaises en Angleterre. En plus, pour forcer l’odieux du personnage, il tente de faire chanter Marguerite, dont il ignore pourtant la proximité avec Sir Percy, et sous pretexte de sa trahison passée, pour obtenir une piste vers sa cible.
- Ca se corse, dis donc !
- Ben oui, c’est là que les choses s’accélèrent. Même si Chauvelin n’obtient pas l’identité du Scarlet Pimpernel, il trouve néanmoins le moyen de le piéger lors de sa prochaine incursion en France. De son côté, Marguerite réalise à la fois l’identité de son mari et le piège que lui tend Chauvelin, et entreprend un voyage de sauvetage.
- J’imagine que tout le monde se retrouve sur place et que les fils s’emmèlent.
- Tout juste. C’est plein de rebondissements à tiroirs et sous-tiroirs, avec une fin dans la brume dans le genre « Ile au Trésor » ou « Auberge de la Jamaïque ». Pas mal, hein ?
- Surtout, ne me dis pas la fin.
- Non, non, j’arrête là. Alors, ça te parait si tarte que ça, mon antiquité ?
- Ben, l’histoire peut-être pas. Encore qu’il faut sûrement être fan de films en costumes. Pour le reste, faut voir. Ca dépend sûrement de comment c’est fait.
- Ben évidemment que ça dépend. Tu crois que je n’y avais pas pensé, peut-être. Mais si ça dépend, ça veut dire aussi que ça peut valoir le coup.
- Bon, OK. Allons-y. Alors, c’est quoi qui t’a plu, alors.
- D’abord les images. Le noir et blanc d’époque, vaguement flou, je sais bien que c’est une affaire de goût, mais moi ça me fait frissonner. Ca a un vieux goût de nostalgie qui sent la naphtaline, le chèvrefeuille, la poussière déposée sur un vieux coffre en bois qu’on découvre au fond d’un grenier un après-midi d’été quand on a dix ans pendant les vacances à la campagne. Un peu comme l’odeur de vieux papier jauni qui te fouette les narines quand t’ouvres un vieux bouquin resté fermé pendant cinquante ans. Tu vois ce que je veux dire ?
- Bien sûr que je vois. Ca se mélange comme rien avec un goût de tartine grillée et de confiture de fraise. C’est vrai que ça fait du bien dans la mémoire, mais c’est pas un peu juste comme argument pour un film ?
- Evidemment. Mais bon, ça rajoute au plaisir, alors pourquoi le négliger.
- OK. Va pour la nostalgie et la tartine de chèvrefeuille …
- Ensuite, y’a les acteurs. Leslie Howard d’abord. Je ne sais pas comment faisait ce type pour mettre à la fois une telle sincérité, une telle douceur, un tel naturel dans son regard et dans son jeu. Je ne connais que Wilfrid Hyde-White pour y parvenir aussi bien. Il n’y a sûrement plus grand monde pour se rappeler ce nom, mais je suis certain que n’importe qui le reconnaît au premier coup d’œil. Quelque chose de très anglais comme on les imagine dans les meilleures situations, sans jamais un mot plus haut que l’autre, un sourire en permanence au bord des lèvres. Pas le genre de sourire carnassier, non, celui d’un affectueux grand-père qui te pardonne tout, quoi qu’il arrive. Tu vois ça ? Et ben, Leslie Howard, c’est le même, avec en plus les épaules pour se colletiner des textes plus lourds. Des fois, ça tombe un peu à plat, avec quelque chose d’un peu théâtral, comme dans « Autant en emporte le vent », mais des fois c’est nickel, comme dans « Pygmalion », ou ici.
- Eh ben … tu vas pas te faire que des copains à propos d’ « Autant en emporte le vent ».
- Ah ! Tu vois bien que je peux aussi être critique même sur un classique.
- Ca va. Adjugé. Et ensuite ? Y’a que lui au générique ?
- Non, mais c’est quand même le must du casting. Nigel Bruce est pas mal non plus, dans un genre pas très différent. Avec une petite tonalité comique qui joue bien sur son aspect rondouillard. Merle Oberon n’est pas inoubliable. Pour le coup, elle est encore bien dans le ton du muet, mais bon, ça passe. D’autant qu’elle n’a pas tant de scènes à jouer que ça. Raymond Massey, avec son physique anguleux à la Sacha Pitoëff, semble s’être fait une spécialité des rôles de sournois et de traître. Il est en plein dans son registre et s’y tient bien à l’aise, en forçant à peine le trait tant son physique parle pour lui. Un peu quand même, mais là aussi, ça passe comme ça. Et puis, y’a la réalisation …
- Ah, quand même !
- Ben oui, quand même. Je te faisais un peu languir, c’est tout. La mise en scène, en fait, est très classique. Rien de très original, mais pas grand chose à redire non plus. Les costumes sont peut-être un peu exagérés et les maquillages un peu trop parlants, comme si on ne pouvait pas encore compter sur le son pour expliquer le caractère des personnages ou la tonalité des scènes. Mais c’est vrai que c’est un travers encore fréquent des films de l’époque. La fin du muet n’est pas si lointaine après tout. Mais on sent que l’idée est là. Quand le maquillage n’est pas en cause, c’est l’éclairage qui se charge de la dramatisaton. Le visage de Chauvelin, éclairé en contre-plongée dans la pénombre de l’auberge, est comme une annonce de l’« Auberge de la Jamaïque » dans des scènes quasi identiques. Les scènes d’extérieur, avec poursuite à cheval ou cavalcade en diligence, ne sont vraiment pas loin du naturel, avec à peine de cette impression d’accéléré qui semblait être la norme de ce genre de passage à l’époque.
- Rien d’exceptionnel ou d’inventif, mais de bonne facture, quoi …
- Comme tu dis. Mais ce qui m’épate le plus, c’est l’aspect prémonitoire que je disais tout à l’heure. Je sais bien que ce n’est pas très cinéphile comme appréciation, mais quand même. Même on sent bien l’incompréhension persistante des anglais pour cette persécution des aristocrates dans la France révolutionnaire (des américains n’auraient sûrement pas fait le même film avec la même histoire au départ). Même si on entend bien le fair play des relations internationnales dans la bouche du Prince de Galles qui tient à conserver un lien diplomatique même officieux par le biais d’un ambassadeur de l’ombre, toléré à la cours s’il n’y est pas invité officiellement, et qui répond aux exilés qui lui demandent davantage d’aide que, malheureusement, un pays a le droit de perpétrer toutes les horreurs sur son sol dès lors que c’est sous l’égide de son gouvernement officiel. Mais on sent bien également la confiance et l’admiration pour le redresseur de torts qui se lève et s’écarte du droit lorsque le droit s’écarte de la justice. Pour revenir au cinéma, il y a là quelque chose de très westernien, dans ce côté Robin des Bois, ou Jesse James version Henry King …
- Et vlan. Même avec un film d’époque, tu arrives à nous parler de western ! C’est quelque chose, ça ! Là, je décroche. Tu diras ce que tu voudras, mais une chose à la fois. Passe encore pour ton magasin des antiquités, mais si tu te mets à me redire que tout est dans tout, et inversement, et qu’au bout du compte on trouve un western, promis, je te balance un Antonini sur le lecteur de DVD avec interdiction de s’endormir avant la fin !
- Nooon … Pas Antonioni ….
- Encore avec tes vieilleries ? T’as pas peur de devenir soulant, à la longue ?
- Ben, euh, peut-être… Mais c’est que j’aime mieux causer de choses intéressantes que de …
- Que de quoi ? Attention à ce que tu vas dire. Y’a des gens qui écoutent, tu sais.
- Que de … rien, je ne veux blesser personne …
- Comment ça, « Que de rien » ? Parce que c’est « rien » quand on parle d’autre chose que de John Ford ou Erich Von Stroheim ? Ben avec ça, si tu ne veux blesser personne, c’est un bon début !
- Mais non, enfin. J’ai pas du tout dit ça …
- Et t’as dit quoi alors ?
- Ben, que je ne veux rien dire qui …
- Comment ça tu ne veux rien dire ? Et même en ne voulant rien dire, tu arrives à faire bondir les gens. Qu’est-ce que ça serait si tu voulais dire quelque chose !
- Mais non ! Mais si ! Non, pas si, mais non … Oh, tu m’embrouilles, tiens …
- C’est de ma faute, maintenant ! C’est la meilleure !
- Tiens, dis-moi plutôt pourquoi je serais soulant avec mes antiquités du cinoche ? Tu sais même pas de quel film je voulais causer …
- Oh, pas dûr ! Encore un truc oublié depuis des lustres. T’as vraiment rien à dire sur Gaspard Ulliel ? Là au moins t’aurais des lecteurs. Ou sur Brad Pitt ? Ou même Ratatouille, tiens, Ratatouille, c’est pas trop dans le rayon drame psychologique, ça, Ratatouille, tu pourrais en dire un mot, non ?
- T’as pas tort, c’est vrai. Mais bon, t’as pas raison non plus.
- Et c’est reparti la prise de tête … T’es indécrotable ! Alors c’était quoi, ta merveille des alpages ?
- Tu veux vraiment savoir ?
- Ben autant qu’on s’en débarasse tout de suite, comme ça tu pourras peut-être t’intéresser à autre chose ensuite …
- Faut de la santé pour te raconter des trucs, toi … J’ai plus envie, tiens.
- Allez, fais pas ta chochotte. Après tout, c’est vrai que, de temps en temps, tu tombes sur un truc bien.
- Ah, tu vois, je te le fais pas dire !
- Ouais … j’ai dit « de temps en temps ». Alors, tu racontes ou je me mets à genoux ?
- J’en demande pas tant.
- Comme tu veux, mais t’as tort … Bon, allez, raconte …
- …
- S’il te plait …
- Bon, ça va,je vais quand même te dire, mais c’est bien parce que c’est toi …
- A la bonne heure, sacripan.
- Alors voilà. Ca s’appelle « The scarlet pimpernel », ou « Le mouron rouge », en VF. Ca date de 1934, par un dénommé Harold Young.
- Ca commence fort.
- Si ça ne t’intéresse pas, j’arrête.
- Mais non, je te taquine. Alors, par un certain Harold Young ?
- Oui, un illustre inconnu de la réalisation. Je serais bien en peine de citer un autre de ses films. Mais par contre, pour ce film là, il a dû mettre tout ce qu’il savait faire. Il faut dire qu’il se retrouvait avec sous ses ordres Leslie Howard, Merle Oberon et Nigel Bruce. Du lourd, quand même, non ?
- D’accord, je t’accorde ça. Si j’étais née en 1910, c’est vrai que Leslie Howard m’aurait fait craquer …
- Ah, tu vois …
- Bon, et ça cause de quoi ?
- Ah, tu vois que ça commence à t’intéresser ! Ca se passe pendant la Révolution Française. Le nobles sont pourchassés et passent à la guillotine par grapes entières. Leur seule chance de salut est souvent de s’enfuir à l’étranger. Et pour les faire sortir de France, il y a un clandestin, qui se fait appeler Le Mouron Rouge, qui les aide à passer en Angleterre. Il les prend en charge, éventuellement en les faisant s’évader de prison, et les conduit en lieu sûr, en leur donnant les moyens de s’installer outre-manche.
- Dans le genre des réseaux de résistance qui faisaient passer les gens en zone libre, en Espagne, puis en Angleterre, pendant la guerre.
- Exactement, sauf que là, je te rappelle que le film date de 1934, et qu’il leur fait traverser la Manche directement. Prémonitoire, non ? D’autant plus que c’est l’adaptation d’un roman publié en 1904, d’une certaine Baronne Emmuska Magdalena Rosalia Maria Josepha Barbara Orczy, une émigrée hongroise, ça en jête, non ? Et vu le nombre de suites au roman et d’adaptations pour l’écran, j’ai l’impression que tout ça a eu un certain succès chez les grand-bretons du début du siècle.
- Elle avait l’air de savoir de quoi elle parlait, la baronne, dis-donc.
- C’est aussi mon impression, mais en fait j’en sais rien. En tout cas, ça lui donne un vernis de crédibilité. C’est le plus important, non ? En tout cas, on comprend vite que le fameux Scarlet Pimpernel est en fait Sir Percy Blakeney (Leslie Howard) qui, sous couvert d’une habileté certaine au déguisement, et avec l’aide de toute une bande d’amis conjurés parlant comme lui couramment le français, a entrepris de faire quitter le pays au plus possible de nobles promis à l’échafaud. On comprend également vite que ses accointances avec la France tiennent à son épouse française, Marguerite (Merle Oberon). En dehors de ses complices, nul, même en Angleterre, ne connaît ses activités secrètes, pas même sa femme dont, tout en en demeurant épris, il ne peut pardonner l’attitude qu’elle a eu avant de le rejoindre en dénonçant quelque marquis aux révolutionnaires. Aux yeux de tous, il préfère passer pour un dandy écervelé et futile, plus préoccupé de mode et de frivolités mondaines que de politique. Au point de se faire une petite notoriété dans la bonne société d’une mauvaise poésie narquoise de son crû : « We seek him here, we seek him there. Those Frenchies seek him everywhere. Is he in heaven ? Is he in hell? That damned elusive Pimpernel ? »
- Un genre de Zorro, quoi. Ou d’agent secret.
- Un peu ça, sauf que c’est un agent secret autonome, qui agit sans le montrer à son suzerain, le Prince de Galles (Nigel Bruce), dont il fréquente assidument la cours.
- J’imagine que les français ne le laissent pas faire comme ça …
- Ben, pas vraiment. Ils essaient par tous les moyensde découvrir son identité. C’est d’ailleurs la mission prioritaire de Chauvelin (Raymond Massey), qui fait office d’ambassadeur officieux des nouvelles autorités françaises en Angleterre. En plus, pour forcer l’odieux du personnage, il tente de faire chanter Marguerite, dont il ignore pourtant la proximité avec Sir Percy, et sous pretexte de sa trahison passée, pour obtenir une piste vers sa cible.
- Ca se corse, dis donc !
- Ben oui, c’est là que les choses s’accélèrent. Même si Chauvelin n’obtient pas l’identité du Scarlet Pimpernel, il trouve néanmoins le moyen de le piéger lors de sa prochaine incursion en France. De son côté, Marguerite réalise à la fois l’identité de son mari et le piège que lui tend Chauvelin, et entreprend un voyage de sauvetage.
- J’imagine que tout le monde se retrouve sur place et que les fils s’emmèlent.
- Tout juste. C’est plein de rebondissements à tiroirs et sous-tiroirs, avec une fin dans la brume dans le genre « Ile au Trésor » ou « Auberge de la Jamaïque ». Pas mal, hein ?
- Surtout, ne me dis pas la fin.
- Non, non, j’arrête là. Alors, ça te parait si tarte que ça, mon antiquité ?
- Ben, l’histoire peut-être pas. Encore qu’il faut sûrement être fan de films en costumes. Pour le reste, faut voir. Ca dépend sûrement de comment c’est fait.
- Ben évidemment que ça dépend. Tu crois que je n’y avais pas pensé, peut-être. Mais si ça dépend, ça veut dire aussi que ça peut valoir le coup.
- Bon, OK. Allons-y. Alors, c’est quoi qui t’a plu, alors.
- D’abord les images. Le noir et blanc d’époque, vaguement flou, je sais bien que c’est une affaire de goût, mais moi ça me fait frissonner. Ca a un vieux goût de nostalgie qui sent la naphtaline, le chèvrefeuille, la poussière déposée sur un vieux coffre en bois qu’on découvre au fond d’un grenier un après-midi d’été quand on a dix ans pendant les vacances à la campagne. Un peu comme l’odeur de vieux papier jauni qui te fouette les narines quand t’ouvres un vieux bouquin resté fermé pendant cinquante ans. Tu vois ce que je veux dire ?
- Bien sûr que je vois. Ca se mélange comme rien avec un goût de tartine grillée et de confiture de fraise. C’est vrai que ça fait du bien dans la mémoire, mais c’est pas un peu juste comme argument pour un film ?
- Evidemment. Mais bon, ça rajoute au plaisir, alors pourquoi le négliger.
- OK. Va pour la nostalgie et la tartine de chèvrefeuille …
- Ensuite, y’a les acteurs. Leslie Howard d’abord. Je ne sais pas comment faisait ce type pour mettre à la fois une telle sincérité, une telle douceur, un tel naturel dans son regard et dans son jeu. Je ne connais que Wilfrid Hyde-White pour y parvenir aussi bien. Il n’y a sûrement plus grand monde pour se rappeler ce nom, mais je suis certain que n’importe qui le reconnaît au premier coup d’œil. Quelque chose de très anglais comme on les imagine dans les meilleures situations, sans jamais un mot plus haut que l’autre, un sourire en permanence au bord des lèvres. Pas le genre de sourire carnassier, non, celui d’un affectueux grand-père qui te pardonne tout, quoi qu’il arrive. Tu vois ça ? Et ben, Leslie Howard, c’est le même, avec en plus les épaules pour se colletiner des textes plus lourds. Des fois, ça tombe un peu à plat, avec quelque chose d’un peu théâtral, comme dans « Autant en emporte le vent », mais des fois c’est nickel, comme dans « Pygmalion », ou ici.
- Eh ben … tu vas pas te faire que des copains à propos d’ « Autant en emporte le vent ».
- Ah ! Tu vois bien que je peux aussi être critique même sur un classique.
- Ca va. Adjugé. Et ensuite ? Y’a que lui au générique ?
- Non, mais c’est quand même le must du casting. Nigel Bruce est pas mal non plus, dans un genre pas très différent. Avec une petite tonalité comique qui joue bien sur son aspect rondouillard. Merle Oberon n’est pas inoubliable. Pour le coup, elle est encore bien dans le ton du muet, mais bon, ça passe. D’autant qu’elle n’a pas tant de scènes à jouer que ça. Raymond Massey, avec son physique anguleux à la Sacha Pitoëff, semble s’être fait une spécialité des rôles de sournois et de traître. Il est en plein dans son registre et s’y tient bien à l’aise, en forçant à peine le trait tant son physique parle pour lui. Un peu quand même, mais là aussi, ça passe comme ça. Et puis, y’a la réalisation …
- Ah, quand même !
- Ben oui, quand même. Je te faisais un peu languir, c’est tout. La mise en scène, en fait, est très classique. Rien de très original, mais pas grand chose à redire non plus. Les costumes sont peut-être un peu exagérés et les maquillages un peu trop parlants, comme si on ne pouvait pas encore compter sur le son pour expliquer le caractère des personnages ou la tonalité des scènes. Mais c’est vrai que c’est un travers encore fréquent des films de l’époque. La fin du muet n’est pas si lointaine après tout. Mais on sent que l’idée est là. Quand le maquillage n’est pas en cause, c’est l’éclairage qui se charge de la dramatisaton. Le visage de Chauvelin, éclairé en contre-plongée dans la pénombre de l’auberge, est comme une annonce de l’« Auberge de la Jamaïque » dans des scènes quasi identiques. Les scènes d’extérieur, avec poursuite à cheval ou cavalcade en diligence, ne sont vraiment pas loin du naturel, avec à peine de cette impression d’accéléré qui semblait être la norme de ce genre de passage à l’époque.
- Rien d’exceptionnel ou d’inventif, mais de bonne facture, quoi …
- Comme tu dis. Mais ce qui m’épate le plus, c’est l’aspect prémonitoire que je disais tout à l’heure. Je sais bien que ce n’est pas très cinéphile comme appréciation, mais quand même. Même on sent bien l’incompréhension persistante des anglais pour cette persécution des aristocrates dans la France révolutionnaire (des américains n’auraient sûrement pas fait le même film avec la même histoire au départ). Même si on entend bien le fair play des relations internationnales dans la bouche du Prince de Galles qui tient à conserver un lien diplomatique même officieux par le biais d’un ambassadeur de l’ombre, toléré à la cours s’il n’y est pas invité officiellement, et qui répond aux exilés qui lui demandent davantage d’aide que, malheureusement, un pays a le droit de perpétrer toutes les horreurs sur son sol dès lors que c’est sous l’égide de son gouvernement officiel. Mais on sent bien également la confiance et l’admiration pour le redresseur de torts qui se lève et s’écarte du droit lorsque le droit s’écarte de la justice. Pour revenir au cinéma, il y a là quelque chose de très westernien, dans ce côté Robin des Bois, ou Jesse James version Henry King …
- Et vlan. Même avec un film d’époque, tu arrives à nous parler de western ! C’est quelque chose, ça ! Là, je décroche. Tu diras ce que tu voudras, mais une chose à la fois. Passe encore pour ton magasin des antiquités, mais si tu te mets à me redire que tout est dans tout, et inversement, et qu’au bout du compte on trouve un western, promis, je te balance un Antonini sur le lecteur de DVD avec interdiction de s’endormir avant la fin !
- Nooon … Pas Antonioni ….
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