Marie d’automne
Madame avait eu pitié. Entre deux Sean Penn, qui avaient au moins l’avantage de m’introduire confortablement entre les bras langoureux de Morphée, mais également l’inconvénient majeur de me valoir quelques regards cuisants à mon réveil. Est-ce que ma technique avait été percée à jour ? Est-ce qu’un ronflement égaré avait eu raison de son entreprise d’éducation de ma conscience à la cinéphilie ? Est-ce que c’était mon anniversaire ? Allez savoir … Toujours est-il que soudain arriva la suggestion que nul astrologue n’avait su prévoir et qui me laissa muet de surprise et les yeux humides de gratitude. « Regarde ce que j’ai trouvé. Julien Duvivier, 1959, avec Paul Meurisse et Danièle Darieux. Ca a l’air bien, tu ne crois pas ? Ca te tente pour après le dîner ? »
« Julien qui ? » fis-je dans une vague tentative de sauver les apparences, mais le coup m’avait pris par surprise. Aune possibilité de mûrir une autre réponse. L’avait-elle prémédité ? Honnêtement, aujourd’hui j’en doute. Mais ce jour là ce fut la première impression qui me submergea l’occiput.
Madame avait eu pitié. Entre deux Sean Penn, qui avaient au moins l’avantage de m’introduire confortablement entre les bras langoureux de Morphée, mais également l’inconvénient majeur de me valoir quelques regards cuisants à mon réveil. Est-ce que ma technique avait été percée à jour ? Est-ce qu’un ronflement égaré avait eu raison de son entreprise d’éducation de ma conscience à la cinéphilie ? Est-ce que c’était mon anniversaire ? Allez savoir … Toujours est-il que soudain arriva la suggestion que nul astrologue n’avait su prévoir et qui me laissa muet de surprise et les yeux humides de gratitude. « Regarde ce que j’ai trouvé. Julien Duvivier, 1959, avec Paul Meurisse et Danièle Darieux. Ca a l’air bien, tu ne crois pas ? Ca te tente pour après le dîner ? »
« Julien qui ? » fis-je dans une vague tentative de sauver les apparences, mais le coup m’avait pris par surprise. Aune possibilité de mûrir une autre réponse. L’avait-elle prémédité ? Honnêtement, aujourd’hui j’en doute. Mais ce jour là ce fut la première impression qui me submergea l’occiput.
Du tac au tac et sans l’ombre d’une hésitation, comme si la suite avait déjà été écrite et déjà posément réfléchie, encore qu’aucune nuance de victoire ne vint alors colorer sa réponse, Madame me répondit que c’était « Duvivier, tu sais bien. David Golder, les Don Camillo, Pépé le Moko … Un Noir et Blanc grand public des années cinquante. »
Le coup de grâce était porté et le reste ne fut que formalité : « Oh oui, ça a l’air pas mal », « Alors à table et on le branche vite », « Qu’est-ce qu’on mange ? », « Des pâtes au saumon », « Humm », … Une descente à pique avec tous les atouts maître en main : il n’y a qu’à poser les cartes une à une et regarder les plis s’empiler. Qu’est-ce que vous voulez faire ?!...
C’est ainsi que débuta la projection de Marie-Octobre. Et même depuis le canapé habitué à accueillir mon décubitus, je compris bien vite que le marchand de sable s’était trouvé une occupation pressante et que la fonction baillogène que je m’étais depuis beau temps entraîné à localiser à la vitesse de l’éclair dans les Sean Penn qui faisaient notre pitance depuis quelques semaines, avait, pour quelqu’obscure raison, été omise lors de la conception de ce film. Avait-elle seulement et inventée à l’époque ? Probablement. Mais elle n’avait pas encore atteint le degré de performance qu’on lui connaît aujourd’hui. Fonction naissante d’un cinéma encore chargé d’histoire ; pas de l’Histoire historique, mais du désir de raconter une histoire ; une histoire avec un début, un milieu, un suspens, une fin. Bien sûr, il n’y avait ni John Wayne ni Cary Grant. Mais manifestement il était possible de faire sans.
Un groupe d’anciens résistants est réuni par son ancienne égérie pour un dîner que chacun aborde comme une plaisante réunion de famille au cours de laquelle sera célébrée la mémoire du chef du réseau, mort sous les balles allemande responsables de la dissolution du groupe. Les convives ainsi que la domestique (Victorine / Jeanne Fusier-Gir) sont tout au plaisir de ces retrouvailles. L’un est devenu prêtre (Père Yves Le Guen / Paul Guers) et arbore une soutane convaincante. Un autre a fait carrière comme inspecteur du fisc (Etienne / Noël Roquevert). D’autres encore possèdent qui un cabaret de streep tease (Carlo Bernardi / Lino Ventura), qui une clinique d’accouchement florissante (Robert / Daniel Ivernel), qui une imprimerie (Antoine / Serge Reggiani), qui un négoce de viande (Lucien / Paul Frankeur), une serrurerie (Léon / Robert Dalban), ou un cabinet d’avocat d’Assises (Julien / Bernard Blier).
A l’issue du repas la conversation prend un tour inattendu révélant la vraie raison de cette réunion voulue par Marie-Octobre (Danielle Darrieux) assistée de François (Paul Meurisse) : il s’agit en réalité de démasquer le traître qui aurait vendu le réseau à l’occupant et qui serait responsable de la mort de son chef. Passant de l’incrédulité à la suspicion généralisée, le groupe se scinde, éclate, se reconstitue, par alliances successives et mouvantes au gré de la direction que prennent les regards. Presque chacun se révèle avoir eu un mobile potentiel à trahir, se voit l’obligation de répondre aux accusations de ses pairs, de prouver sa bonne foi et sa fidélité. Des ressorts cachés sont mis à jour. Des faiblesses, des lâchetés, se dévoilent, se jugent mutuellement, se pardonnent. Jusqu’à Marie-Octobre qui se voit soupçonnée. Le jeu de la vérité se développe ainsi tout au long du film, dans le huis clos de cette maison qui a vu la fin du réseau et dont Marie-Octobre est restée propriétaire, gardienne d’un temple laïc à la mémoire du chef assassiné, de retournement en rebondissement, jusqu’à son aboutissement tragique.
Dans une ambiance de théâtre filmé, des figures du cinéma français des années 50 et 60 se rejoignent pour un premier jet de ce dont Robert Hossein reprendra quelques années plus tard, en le transposant à peine dans un monde de truands, sous le titre du Jeu de la Vérité. Malgré cette atmosphère lourde de soupçon et de culpabilité, on est presque amusé de voir Lino Ventura, ancien catcheur d’origine italienne passé au monde du spectacle, endosser le rôle d’un ancien catcheur d’origine italienne passé au monde du spectacle. En tant qu’acteur chargé d’exprimer au mieux les dédales de l’âme humaine pour Lino, en tant que patron de cabaret de streep tease chargé d’exposer au mieux les dédales du corps humain pour Carlo. On s’amuse également d’observer combien chacun peaufine le caractère qu’il campait et camperait ensuite dans une multitude de films, comme si chacun de ces acteurs quasi culte était ici, non pas la caricature, mais l’essence de lui-même. Et le plus amusant est peut-être justement que malgré ce risque de caricature, le film fonctionne sans aucune peine. Certains ont beau s’emparer du travers déclamatif que la scène théâtrale sait si souvent engendrer, l’impression générale de sobriété et de naturel demeure malgré tout intacte.
L’image, quant à elle, est d’une clarté que seul le noir et blanc a la capacité de rendre. La lumière est à la fois douce et précise. On retrouve bien par endroits des ombres portées équivoques qui rappellent que l’éclairage du plateau était à l’évidence assurée par des projecteurs multiples que l’éclairage naturel supposé de la pièce n’aurait pu assurer. Mais outre que la densité de l’histoire fait simplement négliger de telles distractions, pour celui qui les remarque, ces petites imperfections ne font en fait qu’humaniser encore une scène où brûle la comédie des rapports entre la noblesse et la trahison, entre la fidélité et la tolérance, entre la vengeance et la justice, entre la peur et le remord. La précision du trait reste l’essentiel, partant des acteurs, traversant la mise en scène, et se projetant dans cette netteté parfois presque picturale de l’image finalement bien plus proche d’un dessin à la mine que d’un tableau de peinture.
Et quand s’éteignit l’écran et que le silence se fit pour n’être interrompu qu’après quelques minutes par un « Ca t’a plu ? » vaguement inquiet, je me dis qu’après tout, chacun ses petits travers, et qu’on peut bien passer à Madame sa passion pour Sean Penn quand elle sait dénicher du fin fond des archives des morceaux de bravoure de cet acabit là.
Le coup de grâce était porté et le reste ne fut que formalité : « Oh oui, ça a l’air pas mal », « Alors à table et on le branche vite », « Qu’est-ce qu’on mange ? », « Des pâtes au saumon », « Humm », … Une descente à pique avec tous les atouts maître en main : il n’y a qu’à poser les cartes une à une et regarder les plis s’empiler. Qu’est-ce que vous voulez faire ?!...
C’est ainsi que débuta la projection de Marie-Octobre. Et même depuis le canapé habitué à accueillir mon décubitus, je compris bien vite que le marchand de sable s’était trouvé une occupation pressante et que la fonction baillogène que je m’étais depuis beau temps entraîné à localiser à la vitesse de l’éclair dans les Sean Penn qui faisaient notre pitance depuis quelques semaines, avait, pour quelqu’obscure raison, été omise lors de la conception de ce film. Avait-elle seulement et inventée à l’époque ? Probablement. Mais elle n’avait pas encore atteint le degré de performance qu’on lui connaît aujourd’hui. Fonction naissante d’un cinéma encore chargé d’histoire ; pas de l’Histoire historique, mais du désir de raconter une histoire ; une histoire avec un début, un milieu, un suspens, une fin. Bien sûr, il n’y avait ni John Wayne ni Cary Grant. Mais manifestement il était possible de faire sans.
Un groupe d’anciens résistants est réuni par son ancienne égérie pour un dîner que chacun aborde comme une plaisante réunion de famille au cours de laquelle sera célébrée la mémoire du chef du réseau, mort sous les balles allemande responsables de la dissolution du groupe. Les convives ainsi que la domestique (Victorine / Jeanne Fusier-Gir) sont tout au plaisir de ces retrouvailles. L’un est devenu prêtre (Père Yves Le Guen / Paul Guers) et arbore une soutane convaincante. Un autre a fait carrière comme inspecteur du fisc (Etienne / Noël Roquevert). D’autres encore possèdent qui un cabaret de streep tease (Carlo Bernardi / Lino Ventura), qui une clinique d’accouchement florissante (Robert / Daniel Ivernel), qui une imprimerie (Antoine / Serge Reggiani), qui un négoce de viande (Lucien / Paul Frankeur), une serrurerie (Léon / Robert Dalban), ou un cabinet d’avocat d’Assises (Julien / Bernard Blier).
A l’issue du repas la conversation prend un tour inattendu révélant la vraie raison de cette réunion voulue par Marie-Octobre (Danielle Darrieux) assistée de François (Paul Meurisse) : il s’agit en réalité de démasquer le traître qui aurait vendu le réseau à l’occupant et qui serait responsable de la mort de son chef. Passant de l’incrédulité à la suspicion généralisée, le groupe se scinde, éclate, se reconstitue, par alliances successives et mouvantes au gré de la direction que prennent les regards. Presque chacun se révèle avoir eu un mobile potentiel à trahir, se voit l’obligation de répondre aux accusations de ses pairs, de prouver sa bonne foi et sa fidélité. Des ressorts cachés sont mis à jour. Des faiblesses, des lâchetés, se dévoilent, se jugent mutuellement, se pardonnent. Jusqu’à Marie-Octobre qui se voit soupçonnée. Le jeu de la vérité se développe ainsi tout au long du film, dans le huis clos de cette maison qui a vu la fin du réseau et dont Marie-Octobre est restée propriétaire, gardienne d’un temple laïc à la mémoire du chef assassiné, de retournement en rebondissement, jusqu’à son aboutissement tragique.
Dans une ambiance de théâtre filmé, des figures du cinéma français des années 50 et 60 se rejoignent pour un premier jet de ce dont Robert Hossein reprendra quelques années plus tard, en le transposant à peine dans un monde de truands, sous le titre du Jeu de la Vérité. Malgré cette atmosphère lourde de soupçon et de culpabilité, on est presque amusé de voir Lino Ventura, ancien catcheur d’origine italienne passé au monde du spectacle, endosser le rôle d’un ancien catcheur d’origine italienne passé au monde du spectacle. En tant qu’acteur chargé d’exprimer au mieux les dédales de l’âme humaine pour Lino, en tant que patron de cabaret de streep tease chargé d’exposer au mieux les dédales du corps humain pour Carlo. On s’amuse également d’observer combien chacun peaufine le caractère qu’il campait et camperait ensuite dans une multitude de films, comme si chacun de ces acteurs quasi culte était ici, non pas la caricature, mais l’essence de lui-même. Et le plus amusant est peut-être justement que malgré ce risque de caricature, le film fonctionne sans aucune peine. Certains ont beau s’emparer du travers déclamatif que la scène théâtrale sait si souvent engendrer, l’impression générale de sobriété et de naturel demeure malgré tout intacte.
L’image, quant à elle, est d’une clarté que seul le noir et blanc a la capacité de rendre. La lumière est à la fois douce et précise. On retrouve bien par endroits des ombres portées équivoques qui rappellent que l’éclairage du plateau était à l’évidence assurée par des projecteurs multiples que l’éclairage naturel supposé de la pièce n’aurait pu assurer. Mais outre que la densité de l’histoire fait simplement négliger de telles distractions, pour celui qui les remarque, ces petites imperfections ne font en fait qu’humaniser encore une scène où brûle la comédie des rapports entre la noblesse et la trahison, entre la fidélité et la tolérance, entre la vengeance et la justice, entre la peur et le remord. La précision du trait reste l’essentiel, partant des acteurs, traversant la mise en scène, et se projetant dans cette netteté parfois presque picturale de l’image finalement bien plus proche d’un dessin à la mine que d’un tableau de peinture.
Et quand s’éteignit l’écran et que le silence se fit pour n’être interrompu qu’après quelques minutes par un « Ca t’a plu ? » vaguement inquiet, je me dis qu’après tout, chacun ses petits travers, et qu’on peut bien passer à Madame sa passion pour Sean Penn quand elle sait dénicher du fin fond des archives des morceaux de bravoure de cet acabit là.
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