Par la Grace de Dieu
Un peu de détente n’a jamais fait de mal à personne, surtout quand elle fait sourire, simplement sourire. Rowan Atkinson s’est fait une spécialité de ce genre d’objectif, même s’il s’adonne aussi volontiers au burlesque. C’est que l’humour anglais a au moins deux faces : celle, extravertie, de Benny Hill, voire des Monthy Pithon, et celle, plus en demi-teinte, de George Bernard Shaw (quoi qu’irlandais). Ici, c’est un mélange dosé de ces deux aspects qui s’amuse à promener le spectateur. Surtout quand le dit spectateur ne s’attendait pas à tomber sur cette galéjade, traînaillant au matin d’une nuit d’insomnie sur quelques zapperies hasardeuses du satellite. Pas le plus mauvais moyen de se laisser surprendre par quelqu’archive inattendue, d’ailleurs.
Concocté en 2005 par un certain Niall Johnson, l’histoire nous entraîne sur les terres campagnardes d’un pasteur de la plus britannique province, après avoir rappelé en guise d’ouverture le procès, quelques années plus tôt, d’une jeune femme meurtrière sans l’ombre d’un remord. Le dit village est british jusqu’au bout de l’image qu’on peut s’en faire : pelouse grasse tondue épaisse, du vert dans tous les coins, juste interrompu par quelques plaisants cottages, une église de vieilles pierres grises sous un ciel gris, humide, et bas, des champs et des routes étroites bordés de murets de pierres grossières obstinément entassées. Quelques vieilles dames paroissiales font le siège du Révérend local après l’office concernant d’importantes questions de préséance au sein du Club Floral. Dans ce décor sans nuage si ce n’était ceux des cieux, le Révérend Walter Goodfellow (Rowan Atkinson) est à la tête de sa petite paroisse et tente de l’être à celle de sa petite famille. Malheureusement, son épouse, Gloria (Kristin Scott Thomas), étouffe dans ce paysage immuable de calme et de monotonie au point d’être au bord de succomber aux charmes extravertis de Lance (Patrick Swayze), son professeur de golf, sa fille Holly (Tamsin Egerton) pousse la révolte de sa jeunesse jusqu’à égarer quelques soutien-gorge au salon et à ramener à la maison des petits amis dont la variété des attifements ne le dispute qu’à leur multitude, et Peter (Toby Parkes), le jeune rejeton, est en but aux avanies des garnements de son école de par son ascendance cléricale. C’est dans ce petit univers que débarque Grace Hawkins (Maggie Smith), digne vieille dame embauchée comme employée de maison pour donner un coup de main salutaire à la gestion du foyer.
Souriante et bienveillante, Grace prend progressivement en main les difficultés qui se présentent. Le capharnaüm retrouve un peu d’ordre, les soutien-gorge retrouvent leur placard et leur pli repassé de frais, les repas sont prêts à l’heure et retrouvent une consistance qu’on avait fini par oublier, plus personne n’oublie d’aller chercher Peter à la sortie des classes. A l’étonnement de chacun, les petites misères du quotidien s’effacent sous l’action apaisante et discrète de cette grand-mère d’adoption, logée dans la chambre d’amis, avec pour tout paquetage une immense malle d’un autre âge.
Dans cette ambiance de sérénité en cours de reconstitution, même les tracas extérieurs semblent s’atténuer. Le chien d’un voisin acariâtre jappe toute la nuit et refuse à Gloria un repos nocturne réparateur ? En quelques jours, le chien s’est enfui en laissant son maître dans l’expectative. Le maître s’étonne de plus en plus ouvertement de la disparition de son animal ? En quelques jours, il est appelé pour un voyage improvisé en Australie. Les camarades de classe de Peter le harcèlent d’un peu trop près ? En quelques jours, ils voient se retourner contre eux les mauvais coups qu’ils fomentaient. Gloria est au bord du précipice extraconjugal ? Les défauts de son prince charmant lui apparaissent progressivement de plus en plus nettement. Le Révérend, tout à son activité paroissiale et à sa naïve bonhomie de bonnet de nuit, retrouve un humour qu’on ne lui soupçonnait plus.
Naturellement, passé le sentiment de surprise et de délivrance de ces divers tourments miraculeusement disparus, l’accumulation des soulagements finit par poser question aux moins naïfs, et les regards se tournent de plus en plus vers cette bonne Grace …
Pourquoi bouder son plaisir ? Bien sûr, ce n’est pas John Ford ou John Huston, mais est-ce qu’on ne se lasserait pas à manger des ortolans à chaque repas ? Est-ce qu’une bonne omelette avec juste ce qu’il faut de râpé du supermarché, un peu de sel, un peu de poivre, et trois feuilles de salade, n’épice pas de temps à autre une vie de gastronome ? Ou juste une sandwich sur le pouce, vous savez, un bout de camembert juste crémeux à l’inimitable odeur de pied entre deux tranches d’une baguette craquante et bien dense à peine sortie du four de boulanger de la rue Jean Jaurès, à côté de l’église, entre le Bar des Amis et la mercerie de Madame Lambert ? Pas besoin de se casser la tête et d’aller chercher un message complexe. Ou un message tout court d’ailleurs. Il suffit de se laisser bercer, de se laisser porter par une vague tranquille et sans prétention qui s’amuse à effleurer la rive. Et si le bonheur est dans le pré, il peut bien être aussi dans le presbytère. Ou pas loin en tout cas, même s’il lui faut de temps à autre un petit coup de pouce pour se manifester. C’est que la vie de femme de pasteur anglican semble bien morose après avoir mis au monde une progéniture turbulente, et qu’il n’est pas simple de rappeler à son devoir conjugal un Pierrot plus que lunaire déconnecté des réalités de ce bas monde. Mais les voies de Dieu sont impénétrables, et s’il faut passer pour le rapatrier sur terre par quelques petits ou gros écarts à la morale ordinaire, c’est finalement pour la bonne cause.
Il y a bien longtemps qu’on a perdu la veine de ces comédies douces et sans prétention où même un meurtrier en série peut vous tirer un sourire de tranquille connivence. Aucun « effets spéciaux », en tout cas aucun qui soit notable. Si un sein ou une cuisse se glisse dans un coin de l’écran, c’est par inadvertance. Le plus proche qu’on soit de la grivèlerie est cette histoire de soutien-gorge ou bien le strip-tease arrêté à temps d’un Patrick Swayze qui dénote dans le paysage tant il en fait trop dans ce monde de sobriété et de sourire en coin. Mais après tout, il est américain, dans la vie comme dans le rôle, alors on peut bien comprendre cette mentalité d’enfant mal dégrossi, qui confond émotion avec emphase, joie avec hystérie, amour avec fornication. Pauvre Lance qui ne sait plus où donner de la tête face à ces hurluberlus qui semblent ne pas savoir ce qu’ils veulent et vivent sûrement sur une autre planète.
Un peu de détente n’a jamais fait de mal à personne, surtout quand elle fait sourire, simplement sourire. Rowan Atkinson s’est fait une spécialité de ce genre d’objectif, même s’il s’adonne aussi volontiers au burlesque. C’est que l’humour anglais a au moins deux faces : celle, extravertie, de Benny Hill, voire des Monthy Pithon, et celle, plus en demi-teinte, de George Bernard Shaw (quoi qu’irlandais). Ici, c’est un mélange dosé de ces deux aspects qui s’amuse à promener le spectateur. Surtout quand le dit spectateur ne s’attendait pas à tomber sur cette galéjade, traînaillant au matin d’une nuit d’insomnie sur quelques zapperies hasardeuses du satellite. Pas le plus mauvais moyen de se laisser surprendre par quelqu’archive inattendue, d’ailleurs.
Concocté en 2005 par un certain Niall Johnson, l’histoire nous entraîne sur les terres campagnardes d’un pasteur de la plus britannique province, après avoir rappelé en guise d’ouverture le procès, quelques années plus tôt, d’une jeune femme meurtrière sans l’ombre d’un remord. Le dit village est british jusqu’au bout de l’image qu’on peut s’en faire : pelouse grasse tondue épaisse, du vert dans tous les coins, juste interrompu par quelques plaisants cottages, une église de vieilles pierres grises sous un ciel gris, humide, et bas, des champs et des routes étroites bordés de murets de pierres grossières obstinément entassées. Quelques vieilles dames paroissiales font le siège du Révérend local après l’office concernant d’importantes questions de préséance au sein du Club Floral. Dans ce décor sans nuage si ce n’était ceux des cieux, le Révérend Walter Goodfellow (Rowan Atkinson) est à la tête de sa petite paroisse et tente de l’être à celle de sa petite famille. Malheureusement, son épouse, Gloria (Kristin Scott Thomas), étouffe dans ce paysage immuable de calme et de monotonie au point d’être au bord de succomber aux charmes extravertis de Lance (Patrick Swayze), son professeur de golf, sa fille Holly (Tamsin Egerton) pousse la révolte de sa jeunesse jusqu’à égarer quelques soutien-gorge au salon et à ramener à la maison des petits amis dont la variété des attifements ne le dispute qu’à leur multitude, et Peter (Toby Parkes), le jeune rejeton, est en but aux avanies des garnements de son école de par son ascendance cléricale. C’est dans ce petit univers que débarque Grace Hawkins (Maggie Smith), digne vieille dame embauchée comme employée de maison pour donner un coup de main salutaire à la gestion du foyer.
Souriante et bienveillante, Grace prend progressivement en main les difficultés qui se présentent. Le capharnaüm retrouve un peu d’ordre, les soutien-gorge retrouvent leur placard et leur pli repassé de frais, les repas sont prêts à l’heure et retrouvent une consistance qu’on avait fini par oublier, plus personne n’oublie d’aller chercher Peter à la sortie des classes. A l’étonnement de chacun, les petites misères du quotidien s’effacent sous l’action apaisante et discrète de cette grand-mère d’adoption, logée dans la chambre d’amis, avec pour tout paquetage une immense malle d’un autre âge.
Dans cette ambiance de sérénité en cours de reconstitution, même les tracas extérieurs semblent s’atténuer. Le chien d’un voisin acariâtre jappe toute la nuit et refuse à Gloria un repos nocturne réparateur ? En quelques jours, le chien s’est enfui en laissant son maître dans l’expectative. Le maître s’étonne de plus en plus ouvertement de la disparition de son animal ? En quelques jours, il est appelé pour un voyage improvisé en Australie. Les camarades de classe de Peter le harcèlent d’un peu trop près ? En quelques jours, ils voient se retourner contre eux les mauvais coups qu’ils fomentaient. Gloria est au bord du précipice extraconjugal ? Les défauts de son prince charmant lui apparaissent progressivement de plus en plus nettement. Le Révérend, tout à son activité paroissiale et à sa naïve bonhomie de bonnet de nuit, retrouve un humour qu’on ne lui soupçonnait plus.
Naturellement, passé le sentiment de surprise et de délivrance de ces divers tourments miraculeusement disparus, l’accumulation des soulagements finit par poser question aux moins naïfs, et les regards se tournent de plus en plus vers cette bonne Grace …
Pourquoi bouder son plaisir ? Bien sûr, ce n’est pas John Ford ou John Huston, mais est-ce qu’on ne se lasserait pas à manger des ortolans à chaque repas ? Est-ce qu’une bonne omelette avec juste ce qu’il faut de râpé du supermarché, un peu de sel, un peu de poivre, et trois feuilles de salade, n’épice pas de temps à autre une vie de gastronome ? Ou juste une sandwich sur le pouce, vous savez, un bout de camembert juste crémeux à l’inimitable odeur de pied entre deux tranches d’une baguette craquante et bien dense à peine sortie du four de boulanger de la rue Jean Jaurès, à côté de l’église, entre le Bar des Amis et la mercerie de Madame Lambert ? Pas besoin de se casser la tête et d’aller chercher un message complexe. Ou un message tout court d’ailleurs. Il suffit de se laisser bercer, de se laisser porter par une vague tranquille et sans prétention qui s’amuse à effleurer la rive. Et si le bonheur est dans le pré, il peut bien être aussi dans le presbytère. Ou pas loin en tout cas, même s’il lui faut de temps à autre un petit coup de pouce pour se manifester. C’est que la vie de femme de pasteur anglican semble bien morose après avoir mis au monde une progéniture turbulente, et qu’il n’est pas simple de rappeler à son devoir conjugal un Pierrot plus que lunaire déconnecté des réalités de ce bas monde. Mais les voies de Dieu sont impénétrables, et s’il faut passer pour le rapatrier sur terre par quelques petits ou gros écarts à la morale ordinaire, c’est finalement pour la bonne cause.
Il y a bien longtemps qu’on a perdu la veine de ces comédies douces et sans prétention où même un meurtrier en série peut vous tirer un sourire de tranquille connivence. Aucun « effets spéciaux », en tout cas aucun qui soit notable. Si un sein ou une cuisse se glisse dans un coin de l’écran, c’est par inadvertance. Le plus proche qu’on soit de la grivèlerie est cette histoire de soutien-gorge ou bien le strip-tease arrêté à temps d’un Patrick Swayze qui dénote dans le paysage tant il en fait trop dans ce monde de sobriété et de sourire en coin. Mais après tout, il est américain, dans la vie comme dans le rôle, alors on peut bien comprendre cette mentalité d’enfant mal dégrossi, qui confond émotion avec emphase, joie avec hystérie, amour avec fornication. Pauvre Lance qui ne sait plus où donner de la tête face à ces hurluberlus qui semblent ne pas savoir ce qu’ils veulent et vivent sûrement sur une autre planète.
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