Madeleine Balboa
J’avais 25 ans et je prenais la série à son quatrième épisode. Stallone avait 39 ans et ça en faisait neuf qu’il s’était mis dans la peau de Rocky, d’abord en en assurant l’écriture et le rôle principal, puis rapidement en prenant aussi les rennes de la mise en scène. Il sortait tout juste du second volume de Rambo, et il était bien temps que quelqu’un me remonte le moral comme ces deux films ont su le faire à l’époque. Pas de prétention cinéphilique là dedans. J’avais juste besoin d’une cure de « vide ta tête », et ce drôle de type tout en muscles, la tête de l’emploi, le regard de chien battu, était alors sorti pour moi de nulle part. C’était à peine si j’en avais entendu parlé jusque là. Bizarre, non ? En tout cas, c’était à ce moment là qu’il était sorti de sa boite pour entrer dans la mienne, qu’il était venu me raconter qu’on pouvait bien prendre des coups mais qu’il était possible d’y survivre, qu’avec rien et beaucoup de volonté on pouvait soulever des montagnes.
J’avais 25 ans et je prenais la série à son quatrième épisode. Stallone avait 39 ans et ça en faisait neuf qu’il s’était mis dans la peau de Rocky, d’abord en en assurant l’écriture et le rôle principal, puis rapidement en prenant aussi les rennes de la mise en scène. Il sortait tout juste du second volume de Rambo, et il était bien temps que quelqu’un me remonte le moral comme ces deux films ont su le faire à l’époque. Pas de prétention cinéphilique là dedans. J’avais juste besoin d’une cure de « vide ta tête », et ce drôle de type tout en muscles, la tête de l’emploi, le regard de chien battu, était alors sorti pour moi de nulle part. C’était à peine si j’en avais entendu parlé jusque là. Bizarre, non ? En tout cas, c’était à ce moment là qu’il était sorti de sa boite pour entrer dans la mienne, qu’il était venu me raconter qu’on pouvait bien prendre des coups mais qu’il était possible d’y survivre, qu’avec rien et beaucoup de volonté on pouvait soulever des montagnes.
Affiche France (cinemovies.fr)
Pas très original, je sais. Mais c’est comme ça. Il était tombé au bon moment, c’est tout. En même temps qu’apparaissait Mac Gyver sur les petits écrans : « je fais tout avec un bout de ficelle et un canif ». Ca n’avait peut-être pas grand-chose à voir, sauf que … Sauf qu’entre l’entraînement héroïque de Rocky, faisant de la musculation avec des troncs d’arbres ou du punching-ball contre des pièces de viande, et Mac Gyver, fabriquant une bombe artisanale avec un paquet de lessive et une pièce de monnaie rouillée, mon monde torturé devenait soudain plus clair et plus simple. D’autres se seraient plongés dans Nietzsche ou Krishnamurti. Moi, ce fut Rocky, Rambo, et Mac Gyver. On n’est pas maître de la corde qui vous sort du trou ou de la main qui se tend. On la saisit et on dit merci.
Affiche USA (cinemovies.fr)
Je crois bien que c’est depuis ce temps que je n’ai plus jamais considéré qu’une chose soit impossible par manque de moyens, qu’il n’y aurait aucune façon de s’y prendre pour attendre son but avec les moyens disponibles. Parce que c’est dans sa nature d’être impossible, peut-être, oui. Mais si elle est possible, alors je dois pouvoir trouver un moyen à ma portée de la réaliser. Après tout, j’ai moi aussi un bon canif, un rouleau de ficelle, des bouts de bois à profusion, et un minimum de jugeote !
Allez savoir pourquoi je vous raconte tout ça ! En quoi ça peut bien intéresser quiconque, ma Stallone-Thérapie ? J’en sais fichtre rien. Ou peut-être que si, après tout. Peut-être pour dire comment le retour de Rocky sur les écrans m’a cueilli à froid, comme la résurgence d’un goût de madeleine dans un recoin de mémoire. Pour dire comme il ne va pas être facile de séparer le présent du souvenir, le film d’aujourd’hui de mon film à moi que je me suis fait dans ma tête à moi depuis le premier jour. On est toujours plus ou moins subjectif, je sais. Mais simplement, il y a des moments où c’est sûrement plus que moins.
« Rocky Balboa », le seul de la série à ne pas avoir de numéro, se déroule des années après l’épopée pugilistique de Rocky (Sylvester Stallone). L’ancien champion du monde poids lourds a depuis longtemps raccroché les gants. Sa femme, Adrian (Talia Shire), est morte depuis quelque temps, le laissant seul entre les visites au cimetière et le restaurant qu’il dirige et dans lequel il passe ses soirées à faire plaisir aux clients en leur racontant ses combats. Son fils (Milo Ventimiglia) a grandi, tentant de se faire un nom dans l’entreprise où il travaille, mi agacé par l’ombre persistante de ce père que personne n’a vraiment oublié, mi fier de porter son nom. Du passé, il reste encore Paulie (Burt Young), ex-manager et beau-frère, aujourd’hui peintre du dimanche aux heures creuses de son poste aux abattoirs. La vie ronronne ainsi, dans un semi oubli, jusqu’au jour où une chaîne de télévision a l’idée saugrenue d’imaginer un combat virtuel en forme de jeu vidéo entre Rocky et l’actuel tenant du titre mondial, Mason Dixon (Antonio Tarver), autant craint que mal-aimé du fait de sa domination insolente le privant de prétendant osant tenter la correction. La machine donnant Rocky vainqueur, germe l’idée d’un combat d’exhibition réel entre les deux hommes. Piqué au vif mais vaguement mal à l’aise, le plus jeune finit par accepter, tandis que Rocky y voit l’occasion de redonner du sens à sa vie, contre les avis unanimes de ses proches.
Dans les épisodes précédents, Rocky sortait de la misère à la force de ses poings, puis se maintenait au sommet à force de ténacité et de courage. L’adversité ne le ménageait pas, mais contre cette adversité se dressait une volonté tenace, une fierté inébranlable, un sentiment de la justice et de l’injustice. Le sort était comme un défi à relever, sur le parcours duquel se dressaient embûches et échecs. Hormis le premier opus dans lequel le mouvement partait du bas pour atteindre le sommet, tous les suivants poursuivaient un cycle irrémédiable fait de chute du piédestal, quelle qu’en soit la cause, puis de reconquête du sommet. Et cette ascension se déroulait selon un trajet immuable, un retour à la simplicité, à ce qu’un homme seul, muni de sa seule volonté et de ses mains nues, pouvait entreprendre contre des machines bien huilées bardées d’intelligence et de technologie. D’une certaine manière, Rocky, c’était la revanche de l’homme sur la machine, la revanche du cœur sur l’intelligence, la prééminence de l’intelligence du cœur sur celle de la raison. Chaque épisode débutait là où le précédant s’était arrêté, comme une immense saga cyclique que seul le temps pouvait lentement éroder.
Dans « Rocky Balboa », l’érosion du temps a justement achevé son œuvre. Ce n’est plus l’adversité qui vient tarauder Rocky, c’est le temps lui-même. C’est la mort d’Adrienne qui a entamé l’introduction de l’irrémédiable. C’est le vieillissement qui alourdit les traits de l’ancien boxeur. C’est l’âge de son propre fils qui tente de prendre son envol et lui reproche de lui couper l’élan. Et dans une dernière révolte, c’est contre ce temps impitoyable que se relève Rocky. Il n’y a plus vraiment de méchant, d’ennemi à corriger, si ce n’est cet ennemi intérieur fait de l’âge qui avance, du temps qui passe, de la lassitude qui s’installe, de la routine qui sclérose, du sens qui s’en va. Car quand la vie a tout entière été soutenue par ce sens du combat, ce sens de la lutte, que reste-t-il quand la lutte est finie ? Il y a dans ce Rocky vieillissant quelque chose du personnage de George C. Scott dans le « Patton » de Franklin J. Schaffner, quelque chose du vieux soldat qui recherche une dernière guerre, pas tant pour la gagner que pour se prouver qu’il est encore vivant, qui se ronge en lui-même à force de confort et d’honneurs.
Finalement, tout Rocky pourrait tenir en deux phrases, en deux citations. La première est une colère de Rocky contre son fils qui vient lui reprocher d’accepter le combat : «You, me, or nobody is gonna hit as hard as life. But it ain't how hard you hit; it's about how hard you can get hit, and keep moving forward. » (« Toi, moi, ou personne ne te cognera aussi dur que la vie. Mais la question n’est pas de savoir combien tu es capable de cogner ; elle est de savoir combien tu es capable d’encaisser, et de continuer à avancer »), en écho à un mot du coach de Dixon à son poulain : « The only kind of respect that matters is self-respect. » (« La seule sorte de respect qui compte, c’est le respect de soi-même »).
Mais, comme dans un dérapage mal contrôlé, vient alors l’idée que même ce pur respect de soi-même se valide par le pouvoir qu’on conquière sur les choses : « I think every guy should at one time try to name an animal or something. » (« Je pense que chacun à un moment devrait donner un nom à un animal ou à quelque chose »), explique Rocky au jeune Steps (James Francis Kelly III). Et c’est peut-être là la première faute du film. On était jusque là dans une espèce de lutte intérieure, dans un combat contre soi-même, pour un dépassement de soi face à l’inexorable du temps, et on dérive subrepticement vers une recherche de puissance, de succès, de domination.
Débutant dans une ambiance de nostalgie presque intimiste, le film tranche avec ses prédécesseurs. Rocky n’y est pas présenté d’emblée dans le feu de l’action. Bien au contraire, il a pris cette pâte, cette lenteur, cette lassitude qui ne s’acquièrent qu’avec la maturité. Même si les références sont légion aux premiers épisodes, la caméra reste sobre et presque timide. Les gestes sont mesurés, sans recherche d’effet, juste comme dans la vraie vie qui a rejoint l’ancien boxeur. L’ancienne fougue a fait place à une intériorité évoquant des pans entiers de « Copland » et on se dit que Stallone a réellement su changer de registre.
Ce n’est que progressivement que s’emballe le rythme. Plutôt même plus secondairement que progressivement. Et c’est peut-être là la seconde faute du film. La première partie, pour touchante qu’elle soit, est d’une durée telle que l’on est conduit à attendre de l’ensemble du film ce rythme posé et nostalgique. Quand arrive l’heure de la reprise de l’entraînement, on a alors du mal à sortir de cette espèce de lenteur pour entrer dans la vibration de l’effort. D’autant que, sans doute trop imprégné encore de la trame des épisodes antérieurs, on espère un entraînement enthousiasmant fait de progression dans la simple transformation d’un corps qui se transcende, qui s’ouvre et se transforme à mesure que l’effort en potentialise les achèvements, qui retrouve le chemin de la vérité par le retour aux sources de l’effort brut et sans artifice. Mais de tout cela, bien plus est suggéré que réellement montré. Et bien trop brièvement pour qu’on ait vraiment le temps de s’accommoder au nouveau rythme que s’installe. Déjà la troisième partie s’annonce, avec le combat proprement dit.
Comme antérieurement, seuls les premiers et le dernier round sont suivis en détail. Les reprises intermédiaires ne défilent que pour atteindre le clou du spectacle. Et dans ce nouveau monde, comme pour en souligner l’originalité, la caméra change du tout au tout, du moins en donne-t-elle l’impression. Le grain de l’image change subitement, passant d’une facture classique à un style évoquant davantage le numérique. Peut-être un œil plus averti sur le plan technique nuancerait-il différemment cette impression, mais aux yeux du spectateur moyen, la rupture est complète et abrupte. C’est sans doute là la troisième faute du film. On était emporté, malgré les difficultés du rythme, dans une histoire sur grand écran, dans l’ambiance d’un cinéma d’autrefois, et nous voilà propulsé malgré nous devant un reportage de télévision, devant un extrait de journal télévisé. Et la chute est brutale. L’histoire a beau continuer à se dérouler sur un tempo s’accélérant, rechercher encore l’émotion de l’effort et de la souffrance, on était dans l’action, et on bascule en dehors d’elle, à la regarder se tramer sur l’écran au bord duquel on se surprend à chercher les boutons du réglage. Il faut alors à nouveau quelques longues minutes pour réintégrer la position du spectateur entraîné par l’histoire, trop longues minutes compte tenu à nouveau de la disproportion consommée par la première partie.
Et pour en arriver à un final en demi teinte qui, s’il est cohérent avec le ton initial du film, avec le projet transparent d’une lutte intérieure, ne pouvait s’imaginer à l’époque révolue de la grandeur du héros. Après un voyage en forme de montagnes russes depuis la première image, il est vrai qu’une ultime surprise n’est plus pour surprendre, mais tout de même. On avait, malgré les ruptures et les bascules, fini par reprendre goût au Rocky d’autrefois, mais Stallone ne l’entendait pas de cette oreille et tenait bon à son projet de maturité. Pourquoi pas, c’est son œuvre après tout … Et puis zut, pas seulement ! C’est mon film aussi, celui de ma jeunesse, c’est ma madeleine à moi ! Pourquoi qu’on me l’a pas laissée intacte ?!
Bien sûr, la musique est toujours aussi enivrante, aussi puissante, reprise du premier opus, d’une présence que de décennies de « Grosses Têtes » sur RTL en ont maintenu l’aura et la familiarité. Bien sûr, et c’est exceptionnel dans une projection publique en exploitation commerciale, le spectacle était aussi dans la salle, avec applaudissements, cris d’encouragement tout au long du combat, dans une salle mêlant quadragénaires nostalgiques et gamins à capuche. De quoi faire oublier un temps les ronchonneries et les défauts.
Et pourtant, …
Allez savoir pourquoi je vous raconte tout ça ! En quoi ça peut bien intéresser quiconque, ma Stallone-Thérapie ? J’en sais fichtre rien. Ou peut-être que si, après tout. Peut-être pour dire comment le retour de Rocky sur les écrans m’a cueilli à froid, comme la résurgence d’un goût de madeleine dans un recoin de mémoire. Pour dire comme il ne va pas être facile de séparer le présent du souvenir, le film d’aujourd’hui de mon film à moi que je me suis fait dans ma tête à moi depuis le premier jour. On est toujours plus ou moins subjectif, je sais. Mais simplement, il y a des moments où c’est sûrement plus que moins.
« Rocky Balboa », le seul de la série à ne pas avoir de numéro, se déroule des années après l’épopée pugilistique de Rocky (Sylvester Stallone). L’ancien champion du monde poids lourds a depuis longtemps raccroché les gants. Sa femme, Adrian (Talia Shire), est morte depuis quelque temps, le laissant seul entre les visites au cimetière et le restaurant qu’il dirige et dans lequel il passe ses soirées à faire plaisir aux clients en leur racontant ses combats. Son fils (Milo Ventimiglia) a grandi, tentant de se faire un nom dans l’entreprise où il travaille, mi agacé par l’ombre persistante de ce père que personne n’a vraiment oublié, mi fier de porter son nom. Du passé, il reste encore Paulie (Burt Young), ex-manager et beau-frère, aujourd’hui peintre du dimanche aux heures creuses de son poste aux abattoirs. La vie ronronne ainsi, dans un semi oubli, jusqu’au jour où une chaîne de télévision a l’idée saugrenue d’imaginer un combat virtuel en forme de jeu vidéo entre Rocky et l’actuel tenant du titre mondial, Mason Dixon (Antonio Tarver), autant craint que mal-aimé du fait de sa domination insolente le privant de prétendant osant tenter la correction. La machine donnant Rocky vainqueur, germe l’idée d’un combat d’exhibition réel entre les deux hommes. Piqué au vif mais vaguement mal à l’aise, le plus jeune finit par accepter, tandis que Rocky y voit l’occasion de redonner du sens à sa vie, contre les avis unanimes de ses proches.
Dans les épisodes précédents, Rocky sortait de la misère à la force de ses poings, puis se maintenait au sommet à force de ténacité et de courage. L’adversité ne le ménageait pas, mais contre cette adversité se dressait une volonté tenace, une fierté inébranlable, un sentiment de la justice et de l’injustice. Le sort était comme un défi à relever, sur le parcours duquel se dressaient embûches et échecs. Hormis le premier opus dans lequel le mouvement partait du bas pour atteindre le sommet, tous les suivants poursuivaient un cycle irrémédiable fait de chute du piédestal, quelle qu’en soit la cause, puis de reconquête du sommet. Et cette ascension se déroulait selon un trajet immuable, un retour à la simplicité, à ce qu’un homme seul, muni de sa seule volonté et de ses mains nues, pouvait entreprendre contre des machines bien huilées bardées d’intelligence et de technologie. D’une certaine manière, Rocky, c’était la revanche de l’homme sur la machine, la revanche du cœur sur l’intelligence, la prééminence de l’intelligence du cœur sur celle de la raison. Chaque épisode débutait là où le précédant s’était arrêté, comme une immense saga cyclique que seul le temps pouvait lentement éroder.
Dans « Rocky Balboa », l’érosion du temps a justement achevé son œuvre. Ce n’est plus l’adversité qui vient tarauder Rocky, c’est le temps lui-même. C’est la mort d’Adrienne qui a entamé l’introduction de l’irrémédiable. C’est le vieillissement qui alourdit les traits de l’ancien boxeur. C’est l’âge de son propre fils qui tente de prendre son envol et lui reproche de lui couper l’élan. Et dans une dernière révolte, c’est contre ce temps impitoyable que se relève Rocky. Il n’y a plus vraiment de méchant, d’ennemi à corriger, si ce n’est cet ennemi intérieur fait de l’âge qui avance, du temps qui passe, de la lassitude qui s’installe, de la routine qui sclérose, du sens qui s’en va. Car quand la vie a tout entière été soutenue par ce sens du combat, ce sens de la lutte, que reste-t-il quand la lutte est finie ? Il y a dans ce Rocky vieillissant quelque chose du personnage de George C. Scott dans le « Patton » de Franklin J. Schaffner, quelque chose du vieux soldat qui recherche une dernière guerre, pas tant pour la gagner que pour se prouver qu’il est encore vivant, qui se ronge en lui-même à force de confort et d’honneurs.
Finalement, tout Rocky pourrait tenir en deux phrases, en deux citations. La première est une colère de Rocky contre son fils qui vient lui reprocher d’accepter le combat : «You, me, or nobody is gonna hit as hard as life. But it ain't how hard you hit; it's about how hard you can get hit, and keep moving forward. » (« Toi, moi, ou personne ne te cognera aussi dur que la vie. Mais la question n’est pas de savoir combien tu es capable de cogner ; elle est de savoir combien tu es capable d’encaisser, et de continuer à avancer »), en écho à un mot du coach de Dixon à son poulain : « The only kind of respect that matters is self-respect. » (« La seule sorte de respect qui compte, c’est le respect de soi-même »).
Mais, comme dans un dérapage mal contrôlé, vient alors l’idée que même ce pur respect de soi-même se valide par le pouvoir qu’on conquière sur les choses : « I think every guy should at one time try to name an animal or something. » (« Je pense que chacun à un moment devrait donner un nom à un animal ou à quelque chose »), explique Rocky au jeune Steps (James Francis Kelly III). Et c’est peut-être là la première faute du film. On était jusque là dans une espèce de lutte intérieure, dans un combat contre soi-même, pour un dépassement de soi face à l’inexorable du temps, et on dérive subrepticement vers une recherche de puissance, de succès, de domination.
Débutant dans une ambiance de nostalgie presque intimiste, le film tranche avec ses prédécesseurs. Rocky n’y est pas présenté d’emblée dans le feu de l’action. Bien au contraire, il a pris cette pâte, cette lenteur, cette lassitude qui ne s’acquièrent qu’avec la maturité. Même si les références sont légion aux premiers épisodes, la caméra reste sobre et presque timide. Les gestes sont mesurés, sans recherche d’effet, juste comme dans la vraie vie qui a rejoint l’ancien boxeur. L’ancienne fougue a fait place à une intériorité évoquant des pans entiers de « Copland » et on se dit que Stallone a réellement su changer de registre.
Ce n’est que progressivement que s’emballe le rythme. Plutôt même plus secondairement que progressivement. Et c’est peut-être là la seconde faute du film. La première partie, pour touchante qu’elle soit, est d’une durée telle que l’on est conduit à attendre de l’ensemble du film ce rythme posé et nostalgique. Quand arrive l’heure de la reprise de l’entraînement, on a alors du mal à sortir de cette espèce de lenteur pour entrer dans la vibration de l’effort. D’autant que, sans doute trop imprégné encore de la trame des épisodes antérieurs, on espère un entraînement enthousiasmant fait de progression dans la simple transformation d’un corps qui se transcende, qui s’ouvre et se transforme à mesure que l’effort en potentialise les achèvements, qui retrouve le chemin de la vérité par le retour aux sources de l’effort brut et sans artifice. Mais de tout cela, bien plus est suggéré que réellement montré. Et bien trop brièvement pour qu’on ait vraiment le temps de s’accommoder au nouveau rythme que s’installe. Déjà la troisième partie s’annonce, avec le combat proprement dit.
Comme antérieurement, seuls les premiers et le dernier round sont suivis en détail. Les reprises intermédiaires ne défilent que pour atteindre le clou du spectacle. Et dans ce nouveau monde, comme pour en souligner l’originalité, la caméra change du tout au tout, du moins en donne-t-elle l’impression. Le grain de l’image change subitement, passant d’une facture classique à un style évoquant davantage le numérique. Peut-être un œil plus averti sur le plan technique nuancerait-il différemment cette impression, mais aux yeux du spectateur moyen, la rupture est complète et abrupte. C’est sans doute là la troisième faute du film. On était emporté, malgré les difficultés du rythme, dans une histoire sur grand écran, dans l’ambiance d’un cinéma d’autrefois, et nous voilà propulsé malgré nous devant un reportage de télévision, devant un extrait de journal télévisé. Et la chute est brutale. L’histoire a beau continuer à se dérouler sur un tempo s’accélérant, rechercher encore l’émotion de l’effort et de la souffrance, on était dans l’action, et on bascule en dehors d’elle, à la regarder se tramer sur l’écran au bord duquel on se surprend à chercher les boutons du réglage. Il faut alors à nouveau quelques longues minutes pour réintégrer la position du spectateur entraîné par l’histoire, trop longues minutes compte tenu à nouveau de la disproportion consommée par la première partie.
Et pour en arriver à un final en demi teinte qui, s’il est cohérent avec le ton initial du film, avec le projet transparent d’une lutte intérieure, ne pouvait s’imaginer à l’époque révolue de la grandeur du héros. Après un voyage en forme de montagnes russes depuis la première image, il est vrai qu’une ultime surprise n’est plus pour surprendre, mais tout de même. On avait, malgré les ruptures et les bascules, fini par reprendre goût au Rocky d’autrefois, mais Stallone ne l’entendait pas de cette oreille et tenait bon à son projet de maturité. Pourquoi pas, c’est son œuvre après tout … Et puis zut, pas seulement ! C’est mon film aussi, celui de ma jeunesse, c’est ma madeleine à moi ! Pourquoi qu’on me l’a pas laissée intacte ?!
Bien sûr, la musique est toujours aussi enivrante, aussi puissante, reprise du premier opus, d’une présence que de décennies de « Grosses Têtes » sur RTL en ont maintenu l’aura et la familiarité. Bien sûr, et c’est exceptionnel dans une projection publique en exploitation commerciale, le spectacle était aussi dans la salle, avec applaudissements, cris d’encouragement tout au long du combat, dans une salle mêlant quadragénaires nostalgiques et gamins à capuche. De quoi faire oublier un temps les ronchonneries et les défauts.
Et pourtant, …
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