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30 juin 2008

Alexandre (Alexander)

D'Alexandrie Code

Qui a bien pu voir dans Platoon une simple fresque épique sur la guerre du Vietnam ? Oliver Stone est un peu trop intello pour s'en tenir à une épopée à grand spectacle.

Affiche France (cinemovies.fr)

Qui verrait "Alexandre" comme un genre de "Lawrence d'Arabie" s'en tiendrait à la surface des choses. Mais que la surface soit clinquante ou terne, c'est bien sous la mer que se cache l'Atlantide. Et pourtant, qui a cherché à plonger un peu sous le rafiot qu'Oliver Stone nous met devant les yeux pour regarder ce qui se cache sur les fonds marins qu'il survole ? J'ai lu beaucoup de commentaires sur ce film, qui vantent ou décrient la véracité historique, le peplum hollywoodien, le choix des acteurs, le jeu plus ou moins net ou charismatique de l'un ou de l'autre, ... Comme si Oliver Stone était Ridley Scott. Mais Stone est plus un genre de Costa Gavras qu'un émule de Cecil B. De Mille. Cherchez le politique et vous trouverez Stone ! On peut aimer ou pas, être d'accord avec lui ou non, mais ce n'est que là qu'on le rencontrera.

Affiche Allemagne (cinemovies.fr)
Mais comme un film uniquement politique n'est guère plus marrant que la lecture du Capital, en habiller la trame de quelques sur-couches plus ludiques en rend la lecture un peu moins austère. Quand Michael Moore fait du reportage il peut être plus direct : "Bowling for Columbine" dit les choses en direct, sans fioriture. Oliver Stone, lui, fait du cinéma. Alors on a droit en prime à un peplum en jupettes, une reconstitution historique (fidèle ou pas), un couplet sur l'homosexualité, un chapitre sur la solitude des visionnaires, un peu de sexe à l'afghane, une pincée sur l'amour maternel abusif, un soupçon d'intrigue de cours, l'exotisme des forêts indiennes et des déserts de perse, ...

Affiche USA (outnow.ch)



*** L'histoire ***

Inutile de redire l'histoire en détails. Les plus tentés pourront se référer aux autres avis qui la décrivent avec moultes précisions. Juste un petit résumé suffira ici au propos.

Alexandre, fils d'un roi réunificateur de la Grèce, prend son envol politique en partant à l'assaut de Darius, roi babylonien tenu pour responsable d'avoir attenté au pouvoir hellène de son père. En chemin, se construit l'idée que l'unification de l'ensemble des peuples conquis par son armée sous une autorité unique conduira à une ère de paix et de prospérité pour tous. La confrontation a lieu non loin de Babylone, scène dans laquelle Darius apparaît à l'écran pour la première fois : un chef, jeune et svelte, dont le visage effilé est mangé en bas par une longue barbe brune et en haut par un keffieh d'époque. Darius est défait et s'enfuit vers l'est, jusque dans les contreforts himalayens et les montagnes afghanes où Alexandre le poursuit et découvre son corps abandonné par ses derniers acolytes. Alexandre épousera même une femme afghane, belle et rebelle, mariage qui accélèrera sa perte. Mais la machine est lancée, et Alexandre continue à mener son armée vers l'est jusqu'en Inde où l'épuisement et la maladie ont raison du moral des troupes. Alexandre isolé capitule de son rêve et accepte de ramener ses hommes vers l'ouest. Il meurt à son retour à Babylone.


Affiche USA (outnow.ch)



*** Le film ***

Beaucoup de choses ont été dites sur la petite histoire du film, ses à côtés, les vertus et les failles du scénario, du casting, de la réalisation. Globalement, contrairement à beaucoup, je trouve le film honnête. On se laisse prendre au jeu. On peut voir ça comme un film d'aventure de bonne tenue, marqué de quelques longueurs et d'un jeu d'acteurs parfois un peu emphatique. C'est long si on regarde sa montre à la sortie, mais le temps passe vite sans qu'on s'en rende trop compte pendant qu'on est dans la salle. Et après tout, c'est la loi du genre. Mais le propos n'est pas là.

*** Le dessous des cartes ***

Faisons juste une petite substitution d'époque après tout assez transparente (j'ai même presque honte de proposer cette lecture tellement elle me parait sauter aux yeux) : Et si que l'histoire se déroulait de nos jours ... Reprenons l'histoire avec cet éclairage.

Le centre du monde civilisé est déstabilisé par un attentat contre le symbole de son pouvoir. Le potentat local crie vengeance. Son père avait lui-même connu l'auteur du crime et, plus que la personne du chef, c'est son héritage, l'idée même de la nation qui porte et apporte la civilisation, qui en est ainsi agressé. L'agresseur est un barbu enturbanné du désert, d'allure ascétique mais issu d'un monde d'or et le luxe, qu'il va falloir aller traquer vers l'orient. C'est en Afghanistan que le barbu finit ses jours, poursuivi par les soldats du monde civilisé. Au passage, l'Afghanistan sauvage épouse le chef de la civilisation. Et c'est dans la cité du désert où se sont mêlés les ors les plus brillants et les desseins les plus noirs que s'implante l'armée du monde libre.

Ca y est ? Les choses deviennent plus claires ?

Et si qu'Alexandre s'appelait George W.
Et si que son papa s'appelait aussi George.
Et si que Darius s'appelait Oussama (la ressemblance est quand même frappante sur le premier gros plan de Darius).
Et si que Babylone s'appelait Bagdad (sauf erreur, la Bagdad d'aujourd'hui est bâtie sur les ruines de la Babylone de l'antiquité).

Oussama, fils des ors, du luxe, et du sable d'Arabie, prend pied en Afghanistan et de là organise l'attentat contre le centre névralgique du monde libre que papa George a bâti et dont fiston George vient de prendre les rênes. Outre qu'il faut aller traquer l'adversaire à l'orient, où son quartier général s'effondre et passe aux mains de nouveaux chefs qui épousent les valeurs du monde libre, le combat contre le mal doit en extraire jusqu'aux racines partout où elles s'étendent. Bagdad est dans ce cas. Bagdad est investi, et son pouvoir remplacé par l'esprit du monde libre.

Là s'arrête la transposition antique des évènements récents connus. Le reste est le propos d'Oliver Stone, sa vision de ce qui découlera de cet enchaînement.

Darius/Oussama ne peut gagner contre les efforts légitimes du monde libre d'occident à se délivrer de ses agresseurs. Il finit par tomber sous la traque. Mais dans son élan, le monde libre va trop loin. Il s'implante où il n'a pas de légitimité. Certes l'Afghanistan l'a épousé, mais au bout d'un temps, qui voudra encore mourir pour Kaboul ? L'occident porte la civilisation à Bagdad, mais y apporte-t-il la paix ? Et les conquérants de Bagdad supporteront-ils longtemps de rester loin de chez eux ? Les troupes d'Alexandre/George W. ne rêvent plus que d'une chose : retrouver leur terre natale pour y cultiver un lopin de terre. C'est bien beau d'apporter la civilisation au monde, mais même les héros finissent un jour par être fatigués.

La première défaite d'Alexandre est contre les éléphants de l'Inde, contrée atteinte comme par hasard mais qui n'avait pas de lien avec le pouvoir de Darius. La vraie défaite d'Alexandre est la perte de l'adhésion de ses soldats qui perdent le feu sacré qui les faisait accompagner Alexandre dans son rêve d'unification du monde. La défaite de George W. serait de se lancer à l'assaut d'un rêve civilisateur mondial et de perdre le soutien de ses partisans plus attachés à la protection de leur lopin de monde libre et au châtiment de ses agresseurs.

On peut adhérer ou non à la vision d'Oliver Stone, on peut choisir un camp ou un autre. On peut aimer ou non le style de Stone, être fan ou las de peplums ou des apparitions d'Anthony Hopkins. Mais ce qu'il serait dommage de faire, ce serait de passer à côté du fond du propos d'un auteur engagé dans son époque et dont la réflexion peut nous aider à décrypter le monde qui nous entoure. Le reste relève de nos propres choix. C'est dans des exercices de ce genre que le cinéma politique trouve ses lettres de noblesse.

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