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6 octobre 2009

The informant

Le nec le plus ultra

On aimerait avoir des choses à raconter à propos d’un film de Steven Soderbergh. On aimerait se dire « Je l’ai vu en avant-première au Festival du Film Américain de Deauville 2009, et ça valait le déplacement ». On aimerait pouvoir décortiquer le film, son sujet, son traitement, sa mise en scène, la performance des acteurs, la dextérité du scénariste ou celle du réalisateur. Et puis voilà que tout tombe à plat. Bien sûr on a vu sur scène un scénariste hilare, Scott Z. Burns, et un Soderbergh plus vrai que nature, en clown triste déguisé en Gil et Georges de la pellicule, costume impeccable et lunettes d’écailles. Mais ça intéresse qui de savoir qu’on est l’homme qui a vu l’ours ? Les gens sont bien plus intéressés par un avis éclairé sur le film que par les aventures deauvillaises d’un quidam, fut-il Tonton Sylvain en personne. Pas vrai ? Alors puisqu’il faut bien dire quelque chose, allons-y. Mais d’abord un petit résumé de l’affaire.

Mark Whitacre (Matt Damon) est chef de service dans une entreprise de chimie, basé dans l’usine de Decatur, une ville moyenne de l’Illinois. C’est un prototype de la classe moyenne, avec des rêves de maison de campagne, de confort domestique, une épouse à mise en plis et rangs de perles (Melanie Linskey), une famille proprette. Il collectionne les voitures dans son garage sans en faire plus étalage que cela.

Tout commence quand il découvre dans son entreprise une série de pratiques commercialement déloyales tenant à des ententes illicites avec la concurrence de manière à fausser le marché, et c’est même lui qui est chargé de mettre au point ces ententes. Pour des raisons mi-honnêtes mi-carriéristes, il décide finalement de s’ouvrir de ces pratiques à un agent du FBI, l’agent Brian Shepard (Scott Bakula), en s’imaginant être le chevalier blanc par qui un grand ménage dans son entreprise passera, ce qui devrait lui valoir reconnaissance et promotion. Il s’offre même à être la taupe du FBI dans ce juteux business.

Mais les choses ne tournent pas tout à fait comme prévu, et Matt se retrouve pris au piège de son double jeu. Pire, on lui découvre progressivement une personnalité à la fois naïve et manipulatrice.

Malgré le point de départ basé sur le livre de Kurt Eichenwald racontant des faits réels datant des années 90, Soderbergh prend résolument le parti de traiter les choses sur un mode de légèreté, de comédie, voire de burlesque. Et le résultat ne déshonorerait pas la filmographie des frères Coen tant il est à l’image de ce qu’avait pu être « Burn after reading ». La quasi-intégralité de ce que ce vieux ronchon de Tonton Sylvain avait pu, en son temps, écrire à ce sujet pourrait s’appliquer à « The informant » sans grande difficulté. Les retardataires pourront s’en convaincre en y jetant un œil, toute publicité mise à part, bien entendu. Sur un sujet pas si éloigné que ça, le « Michael Clayton » de Tony Gilroy avait à l’inverse choisi un parti pris dramatisant et obscur opposé qu’on en vient presque à regretter malgré les préventions de l’époque.

A la lecture de la presse, il semble politiquement correct de souligner néanmoins la prestation de Matt Damon, acteur aux mille visages et aux multiples capacités d’interprétation, allant ici jusqu’à prendre 15 kilos pour entrer dans la peau du personnage. Comme si, depuis la prise de poids de De Niro interprétant Al Capone, le fait de grossir pour un rôle était devenu le nec le plus ultra de la performance artistique. Tonton n’avait pas adhéré aux mèches platine de Brad Pitt dans « Burn after reading », pourquoi le ferait-il davantage pour les bourrelets de Matt Damon dans « The informant » ? A la seule différence près qu’ici, le personnage est discrètement plus complexe, oeuvrant sur un terrain psychopathologique de candeur et de naïveté parfois proche de celui d’un Forrest Gump de la classe moyenne (il faut bien essayer de trouver un petit point positif, même si « Forrest Gump » n’a jamais été un film de chevet de la Sylvain Etiret Company). Et Matt Damon est un bon acteur ; il parvient à faire vivre de manière relativement sobre dans son genre cet hurluberlu de Mark Whitacre.

Quoi qu’il en soit, le film est tellement centré sur le personnage de Matt Damon que les autres acteurs ont du mal à tirer leur épingle du jeu, voire simplement à exister. Paradoxalement, c’est justement une des difficultés du film : vouloir faire jouer à un as de la retenue un rôle de cabotin, soutenu par un scénario et une mise en scène entièrement tournés sur lui et ne lui demandant rien d’autre que d’en faire des tonnes. Comment tenir la distance ? Comment ne pas flairer l’erreur de casting malgré la performance et les kilos ?

Car c’est bien là le défaut de ce film, la balance mal contrôlée entre le too much et le crédible, entre le nec le plus ultra et le nec plus ultra.

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