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3 juillet 2008

The Island

I-Land, le Monde du Moi

La bande annonce m’avait tapé dans l’œil avant la projection de La Guerre des Mondes, et peut-être que c’est à cause de ce cocard que je n’y avais pris qu’un plaisir mitigé. En tout cas, ça faisait donc un bon mois que je patientais pour pouvoir voir en vrai ce que ça pouvait donner. Qu’est-ce qui m’avait attiré ? Je ne sais pas trop. Peut-être ces images d’une nature idyllique qui renvoyaient à un passage de ce bon vieux Soleil Vert. Peut-être à cette ambiance froide et maîtrisée en écho à celle de Bienvenue à Gattaca. Peut-être à tout cet attroupement de types en uniforme blanc et bleu déambulant dans un univers apparemment aussi clos et lisse que dans Cosmos 1999. Allez savoir. En tout cas, j’étais pressé de voir le résultat.

Si j’avais été moins ignare, j’aurais su en voyant le nom du réalisateur dans quel voyage j’allais entrer. Pour moi et mon inculture, Michael Bay n’évoquait pas grand-chose. On m’aurait dit Bad Boys ou Armageddon, j’aurais un peu mieux imaginé la suite. Mais bon, j’aurais pu mieux lire l’affiche après tout. J’avais bien repéré Ewan Mac Gregor (que j’ai mis des années à distinguer de Kiefer Sutherland, c’est pour dire …- mais je ne suis quand même encore pas certain de les différencier au premier coup d’œil-) et ça m’amusait de le voir dans autre chose que la Guerre des Etoiles (et que dans 24 heures Chrono … non, je plaisante). Quant à la petite blonde qui va avec, il parait qu’elle était dans Lost in Translation (les ceusses qui l’on vu ont l’air d’avoir apprécié la prestation), mais pour moi, c’était juste une petite mignonne de circonstance. Et puis après tout, on peut être content d’arriver sur une bonne circonstance. Enfin bref, l’état d’esprit était donc à la découverte, sans trop d’a priori.

Le cinoche était plein comme un œuf. Mon voisin de droite avait du mal à ne pas déborder de mon côté de l’accoudoir (ça s’est quand même tassé après quelques minutes quand il a fini son sachet de chips). De l’autre côté du couloir à ma gauche, un Casanova de récré faisait le beau devant une bande de copines. Il avait retiré ses baskets et laissait reposer ses petons dans leurs magnifiques chaussettes orange sur les accoudoirs du fauteuil de devant où une donzelle enamourée s’appliquait à ne pas en paraître incommodée. Dès la lumière éteinte, un couple de retardataires est arrivé et s’est immédiatement perdu dans le noir. Le type à ouvert son portable pour que la lumière de son écran puisse servir de point de repère à sa copine. Manifestement, elle devait regarder ailleurs. Il lui a lancé un « Ici » murmuré pour accompagner un petit balancement de la loupiote. Pas de réponse. Quelques secondes plus tard, même chose en moins murmuré. Quelques secondes plus tard, idem avec quelques rumeurs dans la salle. Au balancement suivant, le « Ici » était repris en cœur par au moins trois rangées, suivi d’une cavalcade de pas tentant vainement la furtivité. La belle avait retrouvé son Roméo emportablé. Ambiance. La lumière du générique pouvait enfin arriver.

*** L’histoire ***

Le générique fait défiler un paysage de rêve le long d’une côte déserte et ensoleillée où un yacht luxueux ballade un couple. Soudain un choc fait dessaler le passager que des nageurs anonymes entraînent vers le fond. En plein cauchemar de noyade, Lincoln Six Echo (Ewan McGregor) se réveille au matin dans sa chambre futuriste sans un meuble de trop. Tout est lisse et froid. Genre labo ou bloc opératoire. Un écran mural défilant lui délivre quelques messages. Le pipi matinal est aussi l’occasion d’un message signalant un écart de la chimie du liquide qu’il sera bon de corriger. L’habillage est tiré d’un tiroir magique où les multiples exemplaires du même uniforme laissent un choix très relatif. Tiens, ça cloche dans le tiroir à chaussures : il manque une chaussure gauche. Mais bon, une broutille.

La sortie de la chambre, dont la serrure murale de la porte est activée au passage du bracelet de poignet, donne dans un couloir qu’arpentent déjà une série de congénères en uniformes semblables. Direction la cafeteria où le menu du matin est déjà limité par le résultat de l’analyse d’urine du réveil. La serveuse est un genre de gendarme que LSE ne parvient pas à faire fléchir. Heureusement, Jordan Deux Delta (Scarlett Johansson), une copine, passe à proximité dans le même uniforme mais elle, elle sait y faire avec le gendarme. Leçon de séduction pour LSE pour qui elle dégote un peu du bacon qui lui avait été refusé. On sent bien que ces deux là ne sont pas loin d’être plus que des relations de cantine. Un cerbère en noir vient faire un peu la police en freinant la « proximité » entre les deux qui en étaient déjà à se toucher la main. Sex in the city !

Un grand écran mural annonce le gagnant du jour de la loterie quotidienne permettant à un des habitants du lieu de quitter la cité pour « l’île », dernier endroit préservé de la contamination générale qui a pollué la terre et qui a contraint les hommes à vivre dans cet univers clos et aseptisé. Le gagnant est félicité par ses congénères avant d’être pris en charge par le service d’intendance et de disparaître de la colonie.

LSE rejoint son poste de travail, sur une chaîne genre usine mais toujours dans la même ambiance labo-blouse-blanche-tout-est-nickel. On papote entre collègues qui ne savent pas plus que lui ce qu’ils fabriquent, mais qui le font sans se poser de question. Alors que lui, LES, il aimerait bien en savoir un peu plus. Il sort du moule et se débrouille même pour se dégoter en douce une clé du circuit d’intendance. Dans ce secteur qui lui est normalement interdit, il s’est fait un copain, McCord (Steve Buscemi), qui entretient quelques tuyauteries et avec qui il bavarde en secret. Son attitude lui vaut d’ailleurs d’être convoqué chez le Dr Merrick (Sean Bean) qui s’enquiert de son attitude, de ses cauchemars, ses questionnements, un genre papa-psy qui régente ses ouailles.

Un jour arrive où, dans le circuit d’intendance, LSE découvre un papillon. Grain de sable qui va enrayer toute la mécanique. D’où vient ce papillon alors que l’ensemble de la terre a été contaminé et que toute vie y est devenue impossible ? C’est en cherchant par lui-même la réponse à cette question que LSE commence à soulever le voile de la vérité. Il réalise que les gagnants de la loterie ne partent pas vers une île enchanteresse mais sont assassinés. Comme justement sa copine JDD vient d’être choisie, il n’y a plus une seconde à perdre et il l’entraîne dans une cavale qui les fait arriver à l’air libre. Parvenant à retrouver la trace de McCord, ils apprennent enfin de lui la clé du mystère : les habitants de leur cité sont en fait des clones de « vraies » personnes du monde réel à qui ils servent de pièces détachées quand le besoin survient. Ils sont maintenus en isolement et bonne condition par une équipe de gardiens et d’intendance sous la direction de Merrick. De son côté, Merrick prend les grands moyens pour rattraper les fugitifs et engage Albert Laurent (Djimon Hounsou) et son équipe de mercenaires super-équipés hyper-pros méga-froids pour les récupérer.

Fin de la première partie

La course-poursuite s’engage qui va mener les deux clones sur les traces de leurs « propriétaires », Tom Lincoln pour lui et Sarah Jordan pour elle. Ca court, ça vole, ça tombe, ça pétarade, ça explose, ça tire, ça cogne, … la routine quoi (je le fais bref, mais ça dure suffisamment pour contenter n’importe quel amateur du genre). LSE finit par prendre l’identité de son proprio et retourner sous ce couvert à la cité pour sauver ses copains.

Fin de la deuxième partie

Tout le monde se retrouve donc au point de départ et la confrontation tourne à la bataille au sommet entre l’armée de Merrick, le boss en tête, et l’armée de LSE (composée de lui et de JDD), Lincoln en tête. Là, en gros, LSE casse tout et libère ses potes qui sortent enfin à l’air libre.

Fin de la troisième partie

*** Et Alors ? ***

L’argument principal, bien sûr, tourne autour du clonage. Hollywood ne pouvait pas rester en dehors d’un débat de ce type. Comme le gros du débat concerne la distinction entre clonage thérapeutique et clonage reproductif, la première question est de savoir si cette distinction est possible. Autrement dit, peut-on cultiver une partie d’être vivant sans en cultiver le tout ? Et si on cultive le tout, peut-on cultiver un corps sans conscience (sans « âme ») ou la conscience est-elle indissociable de l’existence du corps ? Ici, les positions sont posées nettement : la réponse à ces deux questions serait un Non formel, et c’est de là que le film démarre.

Quoi que les « vrais » humains aient envie d’en penser en se mettant les oeillères les plus serrées, les clones ne peuvent fournir un foie ou un poumon de qualité que si une conscience donc une personnalité les anime. L’argument est encore surligné par l’utilisation des clones femelles mises enceintes pour la reproduction directe. Tout cela donnant une ambiance de production en batterie où on hésite devant le comportement des humains chargés de l’exploitation entre les voir comme des agriculteurs faisant de l’élevage, de la récolte de produits, et les voir comme des gardiens de camp de concentration qui ont appris à ne plus voir de caractère humain en la foule qu’ils gardent. Et pourtant, même dans ce monde de batterie, une identité apparaît, une personnalité se crée, un Moi émerge. Dans un milieu tellement isolé consacré au Moi des clients propriétaires de leurs clones vient se glisser subrepticement le Moi du clone. C’est le pays du Moi, le « I Land », the Island.

Cette naissance du Moi des clones, après que leur créateur en ait façonné le corps, passe par une révolte, et par l’association de deux individus, mâle et femelle, qui s’opposent à leur créateur, s’enfuient de la terre idyllique où tout était simple à qui ne se posait pas de question, se découvrent en tant que sexes différents. Adam et Eve d’une nouvelle Humanité, c’est à la Genèse de leur histoire qu’on assiste. Et pour bien clarifier la référence, le premier être vivant qu’ils rencontrent en sortant de la cité n’est autre qu’un serpent.

Libérateur de ce monde d’esclaves qu’il éveille à la conscience, Lincoln Six Echo fait suite à cet autre Lincoln, cet Abraham Lincoln qui mit fin à l’esclavage aux USA. Et si Lincoln est Abraham, sa compagne ne peut être que Sarah (Jordan Deux Delta étant le clone de Sarah Jordan). Outre son caractère d’initiateur d’une lignée et d’une nation, Abraham est aussi celui qui renverse les faux dieux, qui brise les idoles inutiles et embarrassantes. Il défie même le seul Dieu qu’il accepte en refusant de lui sacrifier son fils.

Mais Lincoln-Abraham et Jordan-Sarah sont plus que cela. Jordan est aussi le nom anglais du Jourdain, cette rivière où le Christ fut baptisé et autour de laquelle s’est déroulé son histoire. En s’alliant Jordan, en « plongeant en Jordan », c’est en réalité dans le Jourdain que Lincoln plonge, dans les eaux d’un baptême sanctificateur. La bascule est soulignée par l’intervention d’un ouvrier sur un chantier de construction où LSE et JDD atterrissent sans bobo après une chute vertigineuse : « Vous, Jésus vous a à la bonne ».

On pourrait ainsi continuer à décortiquer chaque plan, chaque scène quand les références bibliques se multiplient tout au long du film. Mais peut-être vaut-il mieux ne pas insister et simplement regarder évoluer en parallèle cette histoire religieuse et son reflet de libération par la révolte. Tout au plus peut-on admirer comme le cinéma américain peut s’ingénier à instiller du religieux là où on ne l’attendait pas forcément.

*** Et à part ça ? ***

Côté action et effets spéciaux, on ne peut pas dire qu’on soit déçu. Il y a tout ce qu’il faut, voire un peu plus. Les rues de Los Angeles sont gorgées de petites choses futuristes, depuis les bus aériens sur plusieurs niveaux, jusqu’aux cabines téléphoniques new-look et aux motos volantes. Pour le réalisme, on est abreuvé de marques (MSN, Budweiser, Calvin Klein, …) au point qu’on se demande s’il n’y a pas eu un partenariat de sponsorisation pour équilibrer le budget du film. Les actions sont vives, parfois un peu trop hachées mais pourquoi pas.

Côté acteurs, le plus est dans la prestation de Djimon Hounsou. Dans le genre beau ténébreux qui fait son boulot au top mais qui n’en pense pas moins, jusqu’au moment où la coupe est pleine et qu’il s’agit de sauver la veuve et l’orphelin de la folie des méchants, tout ça sans un mot de trop et avec un regard à dépoter la lune … un seul mot : waow ! A côté, les autres font pale figure (sans mauvais jeu de mot, considérant que Djimon Hounsou est plus noir que l’ébène). Scarlett Johansson est bien mignonne, mais inutile de lui en demander davantage. Ewan McGregor se sort pas mal d’un double personnage, l’un passant d’une naïveté d’adolescent à un âge adulte, l’autre navigant entre l’égoïsme et la duplicité. Peut-être un peu de sur-jeu qui place la prestation en tout cas en dessous de « La guerre des étoiles ». Sean Bean fait bien le méchant sans état d’âme. On y croit moyennement quand il passe de la position de je-pilote-tout-de-mon-bureau à celle de je-prends-un-gourdin-et-je-fais-le-coup-de-point, mais ce n’est pas l’essentiel du film. Steve Buscemi est bien dans le personnage, comme d’habitude. Un brin ironique, détaché, bonhomme, le type sympa à sa mesure dans un monde de brutes.

*** En somme, ça t’a plu ? ***

Ben moyen quoi ! C’était aussi l’avis du type aux chips qui disait dans la file de sortie qu’il n’avait apprécié que le premier quart d’heure. Le gamin aux chaussettes orange, je ne sais pas. Il était trop loin derrière moi dans la file vu qu’il avait du renfiler ses baskets au dernier moment. Et puis de toute façon, il avait passé la séance à répondre à son portable.



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