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3 juillet 2008

Le dernier des géants (The shootist)

Les adieux de John Wayne

Ce qu’il y a de bien avec John Wayne, c’est qu’il y a toujours un film que l’on n’a pas vu. Parfois c’est un truc tellement connu qu’on en a le rouge au front de ne pas le connaître soi-même. Parfois c’est une relique de derrière les fagots, connue des seuls initiés. Pour moi, c’est toute honte bue que je m’en vais vous raconter ma découverte, au fin fond de mon placard à DVD, du dernier film du Duke. C’est à peine si je me rappelais qu’il était là, bien caché, n’attendant que la plus petite occasion pour me sauter dans les doigts et me les guider vers le lecteur ad hoc. Alors, en route vers la grande aventure …

Après une ouverture genre rétrospective en trois scènes de trois films de l’icône (un petit jeu consiste à reconnaître les films ponctionnés), un cowboy solitaire s’avance dans la campagne et se fait arrêter par un brigand qui tente de lui soutirer son portefeuilles avant d’être désarmé avec dextérité mais épargné avec bonté. J.B. Books (John Wayne) arrive ainsi à Carson City en Janvier 1901 (la date est celle du journal local qui annonce la mort de la Reine Victoria). Après un accrochage avec le livreur de lait et son apprenti, il se rend chez son ami le Dr Hostetler (James Stewart) : il n’a confiance qu’en lui et vient lui demander confirmation du diagnostic de cancer qu’on lui a annoncé devant des douleurs lombaires persistantes. Hostetler ne peut que confirmer avec franchise et prédire une fin imminente et douloureuse dont seuls les prémisses pourront être soulagés à coup du laudanum qu’il lui donne. Il adresse Books à la pension tenue par la veuve Rogers pour y poser ses derniers jours. Sous une fausse identité illusoire (celle d’une gloire du far west), il prend une chambre chez Miss Bond Rogers (Lauren Bacall) et son fils Gillom (Ron Howard), apprenti livreur de lait à ses heures. Mais son identité, celle du plus fameux tireur de l’ouest encore vivant, est rapidement découverte tant en ville qu’à la pension où Bond voit ses clients s’enfuir et réclame le départ de Books, et où Gillom tombe en admiration devant le mythe vivant que sa mère héberge. Books refuse de partir et la tension monte entre le vieux cowboy et la veuve, d’autant que les mauvais garçons des alentours viennent jusque dans la pension s’attaquer à Books, certes sans succès, à la recherche de la gloire d’avoir abattu le fameux tireur aux 30 victimes. Books finit par révéler sa fin prochaine à Bond ainsi qu’au Sheriff Thibido (Harry Morgan) venu lui intimer en tremblant l’ordre de quitter la ville. Le comportement de Bond devient moins hostile et une amitié se noue progressivement entre les deux protagonistes. Entre Books et Gillom se développe un lien quasi filial. Des rapaces de tous poils viennent à la rencontre de Books pour tenter de grappiller quelques miettes de gloire avant la disparition de l’icône dont l’isolement croît tandis que la maladie progresse avec son cortège de douleurs et d’impotence. Le Dr Hostetler confirme que bientôt le laudanum ainsi que toute capacité de la médecine seront dépassés, ajoutant que pour un homme du courage de Books, cette fin douloureuse pourrait « être évitée ». Trois manieurs de gâchette des environs (Mike Sweeney (Richard Boone) voulant venger la mort de son frère tué par Books, Jack Pulford (Hugh O'Brian) croupier et as du pistolet, et Jay Cobb (Bill McKinney) en quête de gloire et livreur de lait quand il n’est pas en prison) ne faisant pas mystère de souhaiter affronter Books, celui-ci finit par se rendre à leur rencontre et par engager le combat qui à la fois débarrassera la ville de ces trois fauteurs de troubles et prendra de vitesse la fin pénible annoncée.

Outre son contenu, le film est remarquable par son contexte. Dernier film de John Wayne qui se meurt du cancer qui finira par l’emporter trois ans plus tard, dans un genre -le western- dont il figure à de rares exceptions près un des derniers morceaux de bravoure, il relate l’adieu à la vie d’un vieux cowboy que John Wayne aura incarné durant l’essentiel de sa carrière, en un temps où l’ouest lui-même s’éteint en passant du far west à la civilisation. Certes marqué par la mort qu’il a semée sur son passage, Books est un homme honnête et droit, comme l’Amérique qu’incarnait John Wayne. Deux phrases de Books le résument largement : « On ne me trompe pas, on ne m’insulte pas, et on ne me touche pas. Je ne le fais pas aux autres, et je réclame la même chose de leur part » ; « Ce n’est pas une question d’être rapide ou même adroit … C’est une question de vouloir ». John Wayne fait ses adieux au cinéma comme à la vie. Hollywood fait ses adieux à son icône et au genre qu’il avait fini par incarner entièrement. L’Amérique fait ses adieux à son passé d’ouest sauvage, libre et nostalgique. Le monde fait ses adieux à la vieille Europe des empires et de l’esprit victorien. Mais le témoin se passe néanmoins. Un siècle nouveau naît en ce mois de janvier 1901. Les chevaux et les carrioles sont remplacées par des automobiles, l’électricité entre dans les maisons, le saloon de Carson City est fait de pierre monumentale et plus du bois des pionniers, il s’appelle Le Metropole et plus d’un nom de fantaisie fleurant la glaise et l’aventure. Books s’éteint dans un éclair de gloire renouvelé et son message est repris par Gillom à l’entrée de ce temps de modernité.

Un message. Quel message ? Celui de la force de la volonté et de la droiture. Celui de la puissance de la force quand elle est guidée par le respect du Bien. Celui de la victoire inéluctable de l’esprit sur le sort. Books ne tombe que sous la trahison d’une balle tirée dans le dos, mais même cette trahison mortelle est une victoire contre la souffrance de la maladie, elle est un sort choisi et donc exorcisé. De plus, son assassin est aussitôt puni par le trait immédiat et sans appel de cet enfant porteur d’avenir de par le message qu’il a reçu et qui le fait entrer plus fort dans un monde qui se renouvelle.

La mort est ici naissance et germe d’avenir. Mais elle n’est telle que parce qu’elle est choisie et maîtrisée. Elle est l’ultime col que traverse l’homme doté de cette autonomie si fondamentale aux yeux américains, autonomie qui forme socle à cette conception de la dignité. Elle permet ce détachement qui autorise Books à négocier ses obsèques à venir avec le croque-mort Hezekiah Beckum (John Carradine) et à en inverser le mouvement : c’est lui qui est fournisseur, donc c’est lui qui en tire rétribution, nécessairement anticipée. De même peut-il négocier la vente de son cheval auprès de Moses Brown (Scatman Crothers) dans une scène d’enchère mémorable. Mais qu’en est-il de l’acceptation, de la sérénité face à une fin de vie qui fait partie de la vie elle-même ? Bien sûr, elle est recherche de Sens, elle est quête avide de remplir le vide à venir. Mais elle l’est surtout parce qu’elle est recherche, parce qu’elle est quête. Le sens, le but importent peu, seules importent le mouvement de la quête et la volonté qui la soutient. « Ce n’est pas une question d’être rapide ou même adroit … C’est une question de vouloir ». La Geste Arthurienne avait déjà, il y a bien longtemps, développé à l’envie cette quête d’un Graal si mystérieux qu’il finissait par ne plus avoir d’autre sens que dans la recherche elle-même.

Face à cette même question, une autre approche est pourtant possible. Une approche qui regarderait le sens plus ou autant que la recherche, une quête qui ne serait pas seulement quête, mais qui serait quête de quelque chose. « C’est la vie » de Jean-Pierre Améris, avec Jacques Dutronc et Sandrine Bonnaire, est loin d’être un western, mais il plonge au beau milieu de ce questionnement tout en l’abordant sous un angle de sérénité et d’accomplissement. Quoi qu’on pense de cette vision des Soins Palliatifs idéalisée et par certains aspects caricaturale au point d’en fausser la vision, la superposition des deux films, du couple John Wayne/Jacques Dutronc et du couple Lauren Bacall/Sandrine Bonnaire, laisse apparaître le contraste entre les deux approches de la mort : l’une regarde la mort et l’autre regarde la vie, l’une est préparation à la mort et l’autre est accomplissement de la vie, l’une concerne le mourant qui se raccroche à la vie et l’autre concerne le vivant qui « vit sa vie » jusqu’à son terme, l’une refuse la mort comme inhumaine et l’autre l’accepte comme naturelle.

On s’est bien éloigné d’un classique western de divertissement. L’émotion est partout présente, bien sûr, mais c’est peut-être le principal mérite du « Dernier des Géants » que de nous conduire sur ces interrogations essentielles.

Sur un plan plus cinématographique, peut-être un petit mot encore sur le jeu des acteurs et la réalisation. En dehors des « vieilles barbes » qui en ont vu d’autres et qui manifestement donnent le meilleur d’eux-mêmes tout à l’émotion qu’ils sont de participer au final de John Wayne et de lui donner la réplique comme s’ils ne parlaient pas seulement à Books, mais surtout à Wayne, cet ami mourant du même mal à l’écran qu’à la ville, les plus jeunes ont une tendance certaine à imprégner leur jeu d’un je ne sais quoi aujourd’hui très daté seventies. Le film est de 1976 et ça se sent à des kilomètres. La réalisation est dans la même lignée même si cela surprend davantage de la part d’un homme d’expérience comme Don Siegel. Certains mouvements de caméra, des bascules en suivi de personnages en marche, par exemple, donnent un air désuet de téléfilm d’époque assez surprenant vu d’aujourd’hui. Peut-être certains peuvent-ils y trouver leur compte de nostalgie, …

Mais là n’est pas l’essentiel.

Et dire qu’on était partis pour une soirée pénarde à se rassasier de grands espaces …

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