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17 octobre 2008

The architect

To build or not to build

Quand la Sylvain Etiret Compagnie se déplace à Deauville pour le Festival local du film américain 2006, elle ne fait pas les choses à moitié. « Pas à 100% non plus d’ailleurs » rétorqueront les fortes têtes. Certes. Je dois avouer, toute honte bue, une profonde ronflette devant « A scanner darkly » et une poignée de puissants sédatifs du même acabit. « Mais j’ai vaillamment résisté à quelques autres, votre honneur. Cela ne me vaudra-t-il pas la clémence de la cour ? », répondrai-je, la coulpe offerte et contrite. « J’ai même tenu jusqu’au bout devant une triste histoire d’architecte … Je vous laisse juge … »

Affiche USA (amazon.com)


L’histoire évoque la révolte de Tonya Neeley (Viola Davis), une habitante d’une cité d’allure HLM conçue par Leo Waters (Anthony Lapaglia), architecte de renom et professeur de son art, sur commande publique quelques années plus tôt. C’est que le fils de Tonya s’est suicidé par défenestration, acte que Tonya attribue aux conséquences des mauvaises conditions d’habitat. Tonya n’est pas une enragée hystérique. Elle a la colère sereine. Elle n’accuse aucunement la compétence de l’architecte. Elle reproche simplement le fait que l’usure du temps n’ait pas été anticipée et ait conduit à des conditions de vie virant à la désocialisation des enfants, à la perte d’espoir des habitants, à l’enclavement et l’isolement social, à la constitution de gangs, à une ambiance d’insécurité permanente. De fait, elle ne réclame rien de plus que le soutien de Leo Waters à l’appui de la pétition qu’elle a lancée et qui réclame la destruction de la cité avec son remplacement par des logements plus dignes selon elle. De son côté, Leo Waters vit d’autres problèmes familiaux, dans sa « maison d’architecte » luxueuse et dépouillée, entre ses deux enfants, Christina (Hayden Panettiere) et Martin (Sebastian Stan), et son épouse Julia (Isabella Rossellini) de plus en plus mal à l’aise dans cet environnement austère et quasi conceptuel. Ebranlé dans ses certitudes initiales, professionnelles aussi bien que familiales, l’architecte est obligé de reconsidérer ses positions par la confrontation à une réalité moins idyllique que la conception théorique qu’il pouvait en avoir jusque là.

Avec un scénario comme ça, Hollywood nous en aurait donné pour notre argent, avec quelques scènes bien senties de drames urbains, quelques feux de voiture, une ou deux overdoses, un viol pourquoi pas, quelques bagarres et des explosions. Il y avait là tout pour faire du chiffre : du sang, de la misère, de la violence, de la drogue. Il manquait un peu de sexe, mais avec un minimum d’imagination, ça ne devait pas être bien difficile à introduire.

Au lieu de cela, nous voilà plongés dans le sobre et la bonne tenue. La révolte de Tonya reste mesurée dans ses propos et dans son agressivité. Le sentiment d’injustice ne conduit personne à chercher un coupable quelconque. Le conflit familial chez les Waters, même s’il frôle le divorce et plonge dans la découverte de l’homosexualité, fait écho au conflit filial chez les Neeley. Le retour contraint de Martin auprès de son architecte de père est le pendant du départ progressif de l’une des filles de Tonya. Les affres de la vie quotidienne n’épargnent personne, ni l’humble ni le notable. Chacun, à sa mesure, se débat dans son cadre de référence étroit avec une bonne volonté touchante et une honnêteté étonnante. Et si Leo Waters, dans sa vie professionnelle dans laquelle il vise à organiser la vie de ses contemporains dans un environnement qui leur convienne au mieux comme dans sa vie familiale dans laquelle il recherche une harmonie permettant un épanouissement de chacun et du groupe, se retrouve finalement dans une position identique, dans chacun de ses rôles il devra apprendre à écouter, à comprendre, à composer. Avec difficulté, mais avec le maximum d’ouverture.

Ce n’est pas que les bons sentiments n’existent pas, bien au contraire, mais c’est que tout est fait de demi teinte. Même les écarts restent timides, presque doux malgré la violence des sentiments, sans haine ni perversité. Même les chefs de gangs ne sont violents que dans leur apparence, laissant immédiatement percer une humanité généreuse sous leur carapace rugueuse. Même le pêcher de la chair est comme un simple faux-pas intérieur.

Et c’est bien là la difficulté du sujet. Bien sûr, on sent le goût et l’odeur de la vie quotidienne, faite malgré tout plus de compromis, de remise en question, que de rébellion explosive et de drames sauvages. Mais qui songerait à faire d’une tranche de vie prise telle qu’elle, sans surlignement des émotions et des évènements significatifs, une œuvre de cinéma ? L’émotion est contenue, pudique, loin d’une théatralisation lyrique ou aguicheuse. Mais qui préfèrerait un compte rendu d’huissier à un récit d’aventure ?

Et si pourtant il en était, de ces fous furieux, qui se complaisaient de la simplicité des choses plutôt que de leur mise en exergue emphatique ? Eh bien, c’est très simple. Ils trouveraient là pâture à leur vice, tout simplement.

Comment ce Matt Tauber s’y prend-il pour rendre cela possible, pour poser sur la pellicule autant la simplicité que la sensibilité des choses ? Difficile de dire. Mais au moins en se passant de ces effets spéciaux qui inondent les écrans d’aujourd’hui. Et en se passant des jeux de couleurs à la mode pour souligner les ambiances. Pas de ces gros plans qui vrillent le regard dans les yeux d’un personnage. Juste ce que le regard du témoin aurait capté s’il avait assisté à chacune des scènes dans une vie réelle. A technique simple, vision simple, et émotion simple. Rien de plus. Mais rien de moins non plus.

- « Mais si la cour souhaite malgré tout me sanctionner, ainsi soit-il. Permettez moi seulement de solliciter qu’elle me condamne à la tâche ingrate de promouvoir l’intérêt du public pour cet Architect. »

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