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17 octobre 2008

La guerre selon Charlie Wilson (Charlie Wilson’s war)

Tonton rouspète

- Et qu’est-ce que t’y connais, toi, question Guerre d’Afghanistan, Tonton Sylvain ? Tu sais, toi, ce qu’il y a eu derrière l’intervention des Ricains sur place ? Comment on en est arrivé là ? Si les talibans ont eu des facilités pour s’armer du temps de l’occupation soviétique, et avec quelles armes ? S’il n’y avait pas un vaste coup de poker menteur et que les Etasuniens se sont pris les pieds dans le tapis ? Il est quand même pas tombé de la lune, le barbu d’Arabie. T’y crois, toi, à la guerre personnelle d’un fils de cheik contre l’oncle Sam ? Et si c’est le cas, qu’est-ce qui interdit de penser qu’une autre guerre personnelle d’un sénateur américain dans la pénombre ait pu lancer la machine à se disputer ? Va savoir, c’est peut-être vrai, après tout !

Affiche France (cinemovies.fr)

- J’sais pas, les mômes. J’sais plus. Tout ça est tellement emberlificoté que j’ai l’impression que chacun essaie d’embrouiller l’autre, c’est tout. J’saurais pas dire pourquoi exactement. Juste que les explications simples semblent souvent trop prêt des explications simplistes pour qu’on ne tente pas d’y voir un peu plus clair avant de gober tout cru le premier discours venu. C’est pas terrible, comme argument, je sais, mais bon, un peu de bon sens n’a jamais fait de tort à personne. Enfin, je crois.

Et ton bon sens, qu’est-ce qu’il te dit, aujourd’hui ? Qu’y a du pétrole dans la vallée de Chevreuse et que c’est pour éviter que ça se sache que Brejnev a envahi l’Afghanistan avant de projeter d’envoyer ses chars sur Bures-sur-Yvette ?

Affiche USA (cinemovies.fr)

- Arrêtez un peu de dire des bêtises ! Je dis seulement qu’il y a quelque chose de curieux à nous avoir vendu l’histoire d’un barbu milliardaire entré tout seul en guerre contre l’Amérique puis de nous envoyer que le bon sénateur Charlie Wilson a monté dans son coin une opération de financement et d’armement des rebelles afghans pour mettre Moscou en échec et précipiter la fin de la guerre froide. Tout ça à coups de millions de dollars. Pour de la petite entreprise, ça, c’est de la petite entreprise. De la ténacité, un solide sens des affaires, et un peu d’organisation, et le monde est à vos pieds. Y’a qu’à bosser ferme, et t’y arriveras, mon gars. Une bonne dose de travail, et tu gagneras le gros lot, même si ça ne semblait pas gagné d’avance. Travailler plus pour gagner plus, c’est dans l’air du temps, ça, non !

- Allons bon, voilà que ça te reprend ! Tu vas nous dire que tout ça c’est la faute à Sarko, maintenant. Tu ne crois pas que tu pousses le bouchon un peu loin, là ?

- Evidemment, bougres d’ânes. Si je disais les choses directement comme ça, je me couvrirais de ridicule. Je suis d’accord avec vous. Mais ce n’est pas de ça qu’il s’agit. Je dis juste que si on a pu gober l’histoire du barbu, puis qu’on avale celle du sénateur, je comprends mieux maintenant qu’on ait pu chercher à nous vendre celle du copain de Bolloré. Mais vous avez raison, c’est une autre histoire. Restons en à nos moutons.

- Sage décision, mon Tonton. Raconte nous un peu comment tu vois les choses. C’est que « La guerre selon Charlie Wilson », c’est quand même un film étonnant, non ? Peut-être pas vraiment un reportage ou une reconstitution historique, mais quand même. Ils annoncent que c’est tiré d’une histoire vraie. Alors, ça t’en bouche pas un coin, à toi !?

- Ben comme je vous disais, trop, c’est trop. Je suis peut-être mauvais public, mais j’ai du mal à prendre cette affaire pour argent comptant. Je ne dis pas que le film est mauvais. A plein de niveaux, il est même plutôt intéressant. Bien filmé, rythmé, marrant, sans faute technique marquante. Les acteurs, au moins les principaux, font plus que de leur mieux. Tom Hanks dans on interprétation du bon sénateur Charlie Wilson donne dans un naturel qui vous fait douter qu’un sénateur américain puisse être différent de ce qu’il nous en montre. Son staff, on pourrait aussi dire sa cours ou son harem, toute poitrine proéminente, mené par une Bonnie Bach sous les traits d’une Amy Adams en discrète et efficace cheftaine des donzelles, met une note ludique dans un sujet sévère. Julia Roberts en Joanne Herring, milliardaire texane lobbyiste pro-afghan, n’est sans doute pas à son meilleur niveau, mais elle se tient honnêtement. Et puis, si on est sensible à l’esthétique de la dame, ça fait quand même plaisir de la revoir un petit peu ; ça faisait longtemps, non ? Philip Seymour Hoffman en Gust Avrakotos ne badine pas avec son rôle d’agent secret franc-tireur. Le parti pris de lui donner un ton décalé faussement blasé est maintenu avec dextérité et ironie efficace. C’est une espèce de zozo au pays des James Bond qui ne s’en laisse pas compter et qui blouse tout le monde par sa rondeur et sa bonhomie apparente. A tout prendre, peut-être que c’est même le personnage le plus réussi du film. Le tout avec aux manette Mike Nichols, un faiseur expérimenté qui nous avait déjà servi « Qui a peur de Virginia Woolf », « Le Lauréat », « Working girl » et « Closer », dans les pas du bouquin de George Crile. On peut lire un peu partout que le film a quelque chose de réducteur par rapport au livre, mais quel film adaptant un bouquin ne s’est pas vu affublé de cette critique ? Non, un film pas mal fait après tout. D’autant qu’il a un petit ton de comédie qui ne nuit en rien au scénario et qui allège bien des situations de tension. La seule critique sur la forme, c’est peut-être cette tendance, de plus en plus répandue il est vrai, de prendre le spectateur moyen pour un major de Polytechnique et de faire cavaler l’histoire en laissant bien peu de temps pour assimiler toutes les péripéties. Ca tient peut-être à la VO qui a décidément décidé, de nos jours, de ne traduire qu’une phrase sur deux Peut-être, mais sincèrement, je doute que ça en soit la seule raison. Mais bon, c’est encore de la forme et …

- Et ce n’est pas le plus important. Toi, c’est sur le fond que tu as des trucs à redire. C’est ça, Tonton Sylvain ?

- Moquez-vous tant que vous voudrez, les gniards, Quand je ne serai plus là pour soulever les tapis, vous vous souviendrez que c’est là que j’allais chercher la poussière ! En attendant, vous pouvez rigoler, mais c’est ça le topo. Et ce n’est pas la réalisation du film qui aide à se faire une opinion. Pas moyen de se rendre compte, tout au long du film, si Charlie Wilson est présenté comme un superhéros de l’ombre redresseur de torts qui se saisit d’une cause noble et apparemment perdue pour la faire vaincre au bout du compte. Ou si c’est un illuminé antidémocratique qui se fiche bien de savoir l’opinion du bas peuple et qui se construit son agenda personnel pour se flatter l’ego dans le sens du poil. Je dois avouer que je n’ai pas pu me faire une idée sur ce qu’en pense Mike Nichols. Mais vous me direz que finalement, c’est peut-être mieux que le film laisse l’interprétation ouverte et laisse le spectateur décider. Mouais, … peut-être.

- C’est toi qui dis ça ?! Pour une fois que dans un film grand public on ne prend pas le spectateur par la main pour lui dire où est le bien et où est le mal, qu’on lui laisse le choix de se faire son idée à lui, tu ne vas pas te plaindre, quand même …

- Mouais, … c’est vrai que vous n’avez pas tort. Mais j’ai bien le droit d’être ambivalent moi aussi de temps à autre, non ? Et gare à vous si j’en vois un qui rigole !

- Meuh nan, mon Tonton ! Tu as tous les droits, tu le sais bien !

- Foutez vous de moi encore comme ça et ça va barder pour vos matricules, les gniards ! Même si vous avez raison pour une fois, ce n’est pas une raison pour la ramener et me faire honte sans égard pour mes cheveux blancs … Ceci dit, Je n’ai pas plus compris pourquoi Joanne Herring se passionne tellement pour la cause afghane. Peut-être que j’ai raté un morceau en piquant un petit roupillon de quelques sans m’en rendre compte. Mais même. Si c’est ça, que sa motivation n’apparaisse que si peu est une drôle de faille du film. Du coup, ce qui se présentait comme la révélation d’une zone méconnue de l’histoire devient un simple déplacement du mystère de la mise en place du financement et de l’armement des rebelles vers les raisons qu’une riche américaine chrétienne militante peut avoir d’entrer dans un tel soutien.

- Surtout quand on pense à ce qui s’est passé quelques années plus tard et à ce que les USA ont reçu de la part des talibans via leur protégé le plus célèbre. « Pan dans la tour », en remerciement des efforts du bon sénateur. C’est quand même pas piqué des vers, ça, non ? On sait comment il se sent avec ce bagage là, le sénateur, maintenant ?

- Ah, vous mettez le doigt dessus, justement. C’est à peine ébauché dans le film, mais c’est vrai qu’ils n’ont pas oublié la question, les scénaristes. Quant à dire qu’ils fournissent une réponse crédible, il y a quand même une certaine marge. Dans l’histoire, une fois l’URSS sortie d’Afghanistan, la diplomatie ricaine reprend la main et recommence à vasouiller en abandonnant le pays à son sort alors que Wilson tente, mais sans succès, de leur faire comprendre la nécessité de suivre l’affaire et d’aider le pays à se moderniser. Du coup, Wilson est dédouané et les raisons du chaos à venir reviennent à la politique gouvernementale. C’est pas beau, ça ? Le fait qu’un franc tireur de la politique internationale ait fichu un coup de pied dans une fourmilière sans en avoir mesuré les conséquences à moyen terme tombe dans l’absolution. D’un autre côté, c’est aussi l’occasion de voir à quel point elles peuvent être difficiles à prévoir, ces conséquences. C’est la rengaine de l’effet papillon dont un innocent battement d’aile peut à terme aboutir à la constitution d’un ouragan dévastateur. C’est aussi l’occasion de s’interroger sur le principe du double effet et sur le caractère acceptable ou non des conséquences éventuellement négatives d’un acte bon a priori. Tout tient dans la proportionnalité entre ces deux conséquences, l’une bonne et l’autre non. Après tout, la fin de la guerre froide et la chute de l’URSS sont-il plus ou moins « justes » que les conséquences oussamistes sont « injustes ». Où en serait aujourd’hui le monde si l’URSS ne s’était pas écroulée. On peut avoir sa petite idée de réponse sur la question, mais l’interrogation reste posée en filigrane par et dans le film.

- Ben dis donc, ça t’en fait des questions pour toi tout seul, mon Tonton !

- Un peu, mon Neveu ! Et si t’avais un peu de jugeote, peut-être bien que je n’aurais pas à bosser comme ça à te décortiquer le cinoche. C’est toi qui les poserais, ces questions, fesse d’huître. C’est quoi qu’on vous apprend à l’école maintenant ?

- Ah, Tonton Sylvain, puits de science et coupeur de cheveux en quatre, dis-nous encore comment que c’était avant 14 et comment qu’y z’étaient beaux, les Hussards de la République. Et puis comment qu’elle était belle, la plage, sous les pavés, avant qu’on ait fini de la liquider …

- Allez vous faire voire, les cloportes ! N’empêche, le coup du franc tireur dans un sens et puis dans l’autre, moi et mes cheveux blancs, on continue à avoir du mal. Et rigolez tant que vous voudrez !

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