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7 octobre 2008

Come early morning

Lucy in the sky with some beer

En cette fin d’été festivalière dans un Deauville tendant à se spécialiser dans le cinéma indépendant, l’histoire s’annonçait dans la veine du sinistre psychologisant et dans celle de la gratouille de plaies telles qu’un certain cinéma s’est évertué à les décliner pour un public “averti”. Le titre à double sens semblait confirmer cette attente (ou cette crainte selon qu’on se sent ou non une parenté avec ce public “averti”), “Come” signifiant “Arrive” en anglais académique ou “Jouis” dans un style plus argotique. Et puis heureuse surprise (ou malheureuse pour les aficionados du genre), on réalise assez vite que finalement, le film va sans doute être plus regardable qu’on pouvait le craindre. Pas de grand cri, pas de grincement, ambiance loin du trash attendu, musique non seulement audible mais en plus de qualité pour peu qu’on n’ait rien contre le Country.

Lucy (Ashley Judd) habite avec sa copine Kim (Laura Prepon) et n’envisage de relation masculine qu’en « jouant à l’amour » pour peu qu’elle soit suffisamment bourrée. « A quand remonte ton dernier baiser sobre ? » lui demande une de ses conquêtes sans qu’elle trouve de réponse réelle. Sortant de l’ordinaire de sa technique énolique de drague, lors d’un passage dans son bistrot habituel qui lui vaut de récupérer sur la plate-forme de son pick-up le juke-box ancestral que le tenancier vient de faire remplacer par un modèle délivrant des mièvreries plus récentes, elle se faire entreprendre par Cal (Jeffrey Donovan) et sa douceur inhabituelle pour le lieu. Se noue alors une relation qui lui fera progressivement accepter de ne pas s’enfuir au matin, de partager autre chose qu’une nuit d’amnésie, …

S’accumulent dès lors les pierres de l’évolution de la vie de Lucy, au plan sentimental, mais aussi familial, professionnel, … Cette évolution n’est certes pas sans retours en arrière, sans tentations de refus de la dépendance que crée le lien, en même temps que la création de ce lien porte en lui-même la tentation de le renforcer. Pauvre Lucy, qui était confortablement installée dans son univers à sens unique et qui découvre les heurs et les malheurs de la voie à double sens, de l’échange. Cette découverte se fait dans une douleur intérieure que n’empêche pas la relative douceur de l’extérieur. Ce n’est pas que le monde autour de Lucy soit un monde angélisé et guimauvesque. C’est simplement un monde normal, peuplé de « gens biens », de « decent people » comme ils disent là-bas, pas mielleux, juste « decent ». D’autres réalisateurs intellos nous auraient montré une descente aux enfers. Hollywood nous aurait mis une sauce à violons et sucreries genre Pretty Woman Ici, rien de tout ça. Joey Lauren Adams nous la joue simple.

Et même si le mur qui se construisait autour de Lucy, pas comme une prison qui se monte mais comme une maison qui se bâtit, finit par s’effondrer, pour partie par hasard, pour partie sous l’effet de sa peur devant ce qui lui arrive, nulle tragédie dans tout cela. C’est simplement la vie. Avec son âme trempée dans la glaise que foulent ses santiag à longueur de journée, nulle rancœur ou rancune ne viendra effleurer Lucy. « C’est la vie », chante-ton sur les podiums de Country, et ce n’est peut-être pas par hasard.

En attendant, si la chute est pénible, elle n’est jamais bien loin de la reconstruction, comme les fondations d’un chantier que les tests anti-sismiques ont ralenties mais ont aussi renforcées. D’ailleurs, le rebond de Lucy coïncide justement avec sa reprise de l’entreprise de construction dont elle n’était qu’employée et qui menaçait de fermer au départ du patron sous d’autres cieux (Owen / Stacey Keach).

Côté codage, et sans épuiser le décryptage, le nom de cette entreprise (Fowler) est sans ambiguïté : le plan large de Lucy, sur le perron de sa boîte, fait sauter aux yeux le panneau aux larges lettres qu’un regard rapide lit immédiatement comme « Flower », fleur comme on dirait renaissance. Tout cela était bien perceptible quasiment dès le début du film, quand apparaît en arrière plan de Lucy le numéro que porte sa maison et dont on ne voit qu’une série des chiffres centraux : … 4.3.2.1. … (curiosité de la numérotation des habitations dans les rues américaines, atteignant aisément des numéros à cinq chiffres). Le compte à rebours ne pouvait être mieux, et plus discrètement, annoncé.

A l’appui de ce parcours, l’image est d’une simplicité déconcertante, sans effet démesuré, filmant sans complexe la sobriété du quotidien, de la grisaille humide des forêts américaines aux éclaircies timides, dans une lumière sans artefact ostentatoire.

De quoi réconcilier l’obtus rétif aux films qui se complaisent dans l’examen attentif des plaies diverses de notre âme ou de notre organisation sociale avec un cinéma indépendant finalement tout aussi apte que les studios hollywoodiens à proposer un spectacle qui tienne la route du début du film, à son milieu, et jusqu’à une fin digne de ce nom.

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