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11 octobre 2008

L'heure du pardon (The romance of Rosy Ridge)

Sur le chemin de la réconciliation

Encore une soirée à se prélasser devant le satellite et à se demander comment on aurait pu voir certains films si une chaîne spécialisée ne s'était pas mis sur le créneau de dépoussiérer des antiquités. Et puis voilà que ces bougres de programmateurs ont eu l'idée d'aller chercher un cycle sur Janet Leigh. J'imagine que quelques spécialistes voient encore de qui il s'agit, mais pour le commun des mortels, je prends le pari que le nom est aujourd'hui à peine connu. Bien sûr, si on dit la Marion Crane de « Psychose », voire la Morgana de « Vikings » ou la Aline de « Scaramouche », it rings a bell, comme on dit chez les étatsuniens, non ? Mais avouez que sans ça, il n'y aurait pas eu grand monde pour se souvenir de la dame.

Quoi qu'il en soit, les programmateurs se sont décarcassés et sont allés retrouver le premier film de la dame, « L'heure du pardon », « The romance of Rosy Ridge » pour la VO. Le réalisateur, Roy Rowland, ne semble pas avoir laissé un souvenir impérissable. Les acolytes de Janet ne sont par contre pas les premiers venus : Van Johnson, qui s'illustrera dans « Ouragan sur le Caine », « La dernière fois que j'ai vu Paris », ou « Brigadoon », et Thomas Mitchell, l'impérissable père de Scarlett dans « Autant en emporte le vent » et le Docteur Boone de « Stagecoach ». C'est pas John Wayne ou Clark Gable, certes, mais c'est pas mal quand même, non ?

L'histoire en quelques mots ? Allons-y. A la fin de la Guerre de Sécession, le Missouri, un des états frontières entre le Nord et le Sud, voit revenir du front les conscrits des deux bords qui rejoignent leurs familles. Certains villages sont constitués de familles de bords opposés dont les propriétés s'entremêlent. Le conflit a beau être officiellement clos, les haines et les rancunes restent tenaces entre les anciens partisans de Pantalons Gris vaincus et ceux des Pantalons Bleus victorieux.

Ici, le film s'ouvre sur une famille Sudiste de la vallée Rosy Ridge, la famille Mac Bean dont la fille comprend par erreur que son frère Ben (Marshall Thompson) est sur le chemin du retour, et rameute à grands cris le reste de la famille autour du colporteur désolé qui doit expliquer que ce n'était pas la nouvelle dont il était porteur. Le père, Gill (Thomas Mitchell), la mère, Sairy (Selena Royle), le jeune fils, Andrew (Dean Stockwell), et la fille, Lissy Anne (Janet Leigh), se dispersent alors dépités. Le soir même, le passage d'un étranger marchant pieds nus et chantant sur le chemin bordant la ferme fait sortir la famille de table. Gill est méfiant et lui intime l'ordre de déguerpir. Mais les deux femmes sont conscientes que l'absence des jeunes hommes laisse le travail de la terre en manque de bras. Lissy Anne espère de plus obtenir du jeune homme des informations sur son frère. A deux, elles parviennent à faire fléchir Gill qui accepte finalement d'héberger pour la nuit l'étranger, Henry Carson (Van Johnson), et de lui offrir le couvert pour un soir.

Le lendemain, Henri donne un coup de main pour le travail de la ferme malgré la méfiance persistante de Gill qui ne parvient pas à apprendre si l'étranger est un Pantalon Gris ou un Pantalon Bleu. En même temps qu'il se rend vite indispensable et fait craquer ces dames par sa gentillesse et son tempérament joyeux, Sairy très maternellement et Lissy Anne d'une ardeur plus sentimentale, Henri fait connaissance avec d'autres membres du village, dont l'épicier, Cal Baggett (Guy Kibbee), sorte de notable local faisant office de banquier bonhomme, voire de médiateur de bonne volonté. Il apprend ainsi la persistance d'une hostilité plus que larvée entre les habitants Nordistes et Sudistes du village, et en particulier que les fermes Sudistes sont victimes d'attaques nocturnes et d'incendies les réduisant plus ou moins partiellement en cendres les unes après les autres. Cherchant à apaiser la situation, il convainc Baggett d'organiser un bal de réconciliation qui tourne finalement au fiasco devant les tensions qui réapparaissent au milieu de la fête et qui entraînent même les familles les plus proches de renouer des liens de bon voisinage.

Peu après, la grange de la famille Mac Bean est d'ailleurs victime d'un de ces assauts qu'il aide à contrer et au cours duquel il neutralise un des assaillants, mettant ainsi à jour ce qui se tramait derrière la série d'attentats. Parallèlement, et dans ce contexte d'hostilité ambiante, Gill Mac Bean ne supporte plus le mystère d'Henry sur les couleurs sous lesquelles il a combattu. Il finit par obtenir un confession globale d'Henri sur son passé et sur les raisons qui l'ont conduit vers cette ferme. Naturellement, cela a à voir avec Ben, le fils de la famille Mac Bean.

Film intéressant à plus d'un titre. D'abord de façon affective et anecdotique, avec le regroupement sur un même écran de personnalités du cinéma étatsunien. On a déjà dit un mot des acteurs principaux, mais on a droit en prime à Dean Stockwell jeune (le comparse à cigare resté dans leur espace-temps d(origine tandis que le héros de Code Quantum se ballade dans le temps). Et puis O. Z. Whitehead, une figure de la bande à John Ford, spécialiste des seconds rôles, avec son physique impossible de Mormon intégriste et bourru. Et puis Guy Kibbee, spécialiste, lui, des rôles bonhommes rondouillards s'essuyant le front dégarni à la moindre émotion. Et encore Marshall Thomson, qui aura sa période de gloire télévisée sous les traits du Docteur vétérinaire de Daktari, face à Clarence, l'inoubliable lion à l'illustre strabisme. C'est dingue, quand on y pense, comme les seconds rôles, par leur physique étonnant, souvent caricatural, ou par la répétition de leurs apparitions, peuvent marquer la mémoire sans qu'on s'en rende vraiment compte. Séquence nostalgie …

Sur la forme ensuite. Bien sûr, la qualité de l'image a légèrement pâti du temps, avec des flous et des contrastes délavés qui mériteraient une petite restauration. Détail technique minime mais qui rehausserait encore la qualité de lecture. Le son a par contre conservé une qualité parfaitement audible au spectateur non spécialiste. Du coup, les musiques amusantes des quelques intermèdes, bien que parfois déroutants par leur caractère un peu fabriqués et décalés par rapport au cours de l'histoire, font comme une fraîcheur encore nostalgique, pour peu qu'on soit sensible au genre western (mais serait-on en train de visionner ce film si ce n'était pas le cas ?).

La mise en scène, sans paraître exceptionnelle, reste honnête et fluide, laissant le spectateur se plonger dans l'histoire plutôt qu'admirer la dextérité du réalisateur. Le minimum syndical, donc, mais qu'on peut apprécier pour lui-même comme étant au service du propos plus que s'en servant comme d'un tremplin pour le metteur en scène. Le jeu des acteurs, parfois naïf et emphatique, typique des comédies de l'époque, sait se contenir dans les passages importants. Par de mystère, on n'a sûrement pas l'impression de se retrouver devant un reportage, dans une plongée dans la vie réelle : on nous raconte une histoire, comme sur les planches d'un théâtre à ciel ouvert. On aime ou pas, mais si on aime, c'est de la belle ouvrage.

Sur le fond enfin. Sur une trame de western champêtre qui ne néglige pas une bonne note d'humour et de romance, et qui se divertit sur des musiques bluegrass aux sources du country, le sujet est celui de la réconciliation après le conflit armé dont la Guerre de Sécession est ici l'argument. Les mentalités sont encore conditionnées par l'attachement à un camp, les civils sont encore dans l'humeur de l'engagement et des sacrifices qu'ils ont consenti durant les années de combat, auxquels ils ont comme participé par procuration, donnant leurs fils et leurs forces de travail. Ils n'ont certes pas vécu le feu du front et ne peuvent pas immédiatement comprendre le désir de tourner la page de certains qui en reviennent.

Mais les jeux sont faits et le pays doit réapprendre à s'accepter dans toutes ses composantes, en oubliant les vaincus et les vainqueurs pour ne plus voir qu'un avenir à construire. Le deuil de ses illusions, l'acceptation de la défaite non comme une humiliation mais comme un moment au-delà duquel tout reste à reconstruire, le retour des engagés, le deuil de ceux qui sont tombés, et finalement le retour à la vie normale, ne se déroulent cependant pas sans un effort d'adaptation, sans une vigilance contre les détournements possibles d'un monde qui cherche un nouvel équilibre.

Chacun a son rôle à jouer dans cette reconstruction. Les hommes en ravalant plus ou moins aisément leurs rancunes, les femmes en servant de garde-fou et de rappel de l'objectif de retour à une normalité, la position de chacun est agencée selon une symbolique claire et ici très caractéristique de la mythologie westernienne et pastorale. On retrouve un ordre fondamental qui se réajuste aux nouvelles réalités. Henry et Lissy croisent un couple mené par l'homme marchant devant la femme portant leur fardeau, et réalisent à quel point les vieilles habitudes de l'homme aux aguets et l'arme à la main veillant aux éventuelles attaques indiennes doivent être rénovées au regard d'un monde en évolution.

Que cet appel à la réconciliation survienne en 1947, au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, n'est sans doute pas un hasard. On n'est évidemment pas, avec Roy Rowland, dans le message politico-social majeur. A la limite dans le reflet de l'air du temps, dans l'expression de cette préoccupation de l'Amérique de l'après-guerre de retourner à une vie normale en soldant les compte d'un passé récent. Il est peut-être significatif à cet égard que 1947 soit également l'année où le « Gentleman's Agreement » d'Elia Kazan reçut l'Oscar du meilleur film.

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