Avec sabir du Nord pour dernier terrain vague
Ca faisait bien dix jours que j’avais ça sur mes tablettes. La promo du film par son réalisateur Dany Boon et par son acteur principal Kad Merad avait été bien faite, avec juste ce qu’il fallait de frustration en le faisant sortir d’abord dans le Nord et en me tenant, en région parisienne, une bonne semaine en retard. Pas de quoi réellement en vouloir aux heureux privilégiés, juste de quoi faire monter une envie respectueuse. Et puis le film était loin d’être présenté comme un règlement de compte ou un drame sordide dans l’enfer du nord. Au contraire, il se voulait comme une photo de famille offerte à la population générale, avec sourire et apéro pour l’accueil. Ajoutez une dernière couche de promo au quotidien par les quelques nordistes du bureau qui se récitaient depuis une semaine les meilleures répliques le sourire aux lèvres, et la tentation de se précipiter voir « Bienvenue chez les Ch’tis » était devenue au fil des jours envie tenaillante avant de se transformer en impératif impérieux. La première occasion était donc impossible à rater et Montparnasse fut le lieu exotique de cet irrépressible élan.
Philippe Abrams (Kad Merad) est directeur de bureau de poste à Salon de Provence (autrefois on disait Receveur). Il rêve de se rapprocher de la mer Méditerranée pour redonner le sourire à Julie (Zoé Felix), sa femme dépressive. Voyant sa mutation sans cesse retardée par la priorité donnée à d’autres dossiers, il décide de glisser une fausse information dans le sien. Repéré, il est finalement muté dans le Nord - Pas de Calais pour motif disciplinaire. Sa femme et son fils Raphaël (Lorenzo Ausilia-Foret) restent à Salon, et lui monte à Bergues dont il est convenu qu’il reviendra chaque week-end. La préparation du départ n’épargne aucune de ses craintes, depuis la météo polaire jusqu’à la description de l’enfer alcoolisé et du sabir local que lui présente un grand-oncle (Michel Galabru) de Julie qui y avait fait un passage dans sa jeunesse.
L’arrivée à Bergues, par une nuit torrentielle, le plonge d’emblée dans une ambiance aussi glauque que ses pires attentes : logement de fonction désert après le départ de son prédécesseur avec armes et bagages, autochtones baragouinant un improbable jargon, nauséabondes tartines de maroilles trempées dans un vague café chicorisé, …
Progressivement, les agents de son nouveau domaine (Antoine / Dany Boon, Annabelle / Anne Marivin, Fabrice / Philippe Duquesne et Yann / Guy Lecluyse) et les habitants du lieu le font entrer dans leurs vies et leurs habitudes, ni pires ni meilleures qu’ailleurs. Même la mère (Line Renaud) d’Antoine, surprotectrice et possessive à l’égard de son fils, finit par s’amadouer. Des solidarités et des attentions inattendues le poussent vers un autre regard. Son oreille se fait à l’élocution locale. Son palais se tanne au goût du genièvre et du « fromage qui pue ».
Tentant de décrire cette nouvelle situation au téléphone à Julie, Philippe réalise à la fois l’incrédulité qui l’accueille mais aussi la transformation de sa femme qui retrouve énergie et sourire dans un soutien et une solidarité face à l’adversité qu’elle imagine. La dépression s’efface avec la distance et les récits d’épidémie et de noire misère qu’il finit par inventer pour la conforter dans cette voie salvatrice. Tant et si bien que Julie finit par annoncer sa venue au désespoir de son mari …
Que dire d’un film dès lors qu’il devient phénomène de société ? Je sais, le terme est probablement un peu fort, voire passablement galvaudé. Mais il est bien commode pour dire l’engouement qui entoure sa sortie. Il suffit d’ailleurs de voir les salles pleines, les files d’attentes devant les guichets, les spectateurs souriants avant même que le film commence, les rires et les exclamations durant la projection, pour réaliser qu’on ne va pas voir un film parmi tant d’autres, mais qu’on participe à une vaste migration vers quelque chose d’autre, vers un ailleurs du cinéma. Qu’il ne faudra pas regarder l’écran avec ses seuls yeux de spectateur habitué des salles obscures mais avec le regard du cœur. C’est sans doute un peu fleur bleue, mais ne pas le faire serait sans doute rater une bonne partie de l’affaire.
Car côté film proprement dit, côté classique du cinéphile plus ou moins averti, qu’est-ce qu’on a finalement à se mettre sous la dent ? Un comédie gentillette dont la fin est tellement prévisible qu’elle est annoncée quasiment textuellement à la moitié du film : « Quand un étranger vient dans le Nord, il pleure deux fois : une fois quand il arrive … et une fois quand il repart ». Un numéro d’acteurs dont on a appris, de Dany Boon à Kad Merad, à différentier leurs performances scéniques cabotinantes et burlesques de leurs prestations notablement plus sobres - sans sombrer naturellement dans une introspection frigorifiante - à l’écran. Une réalisation basique sans effets spéciaux à millions de dollars, juste une caméra et une histoire à raconter.
Bien sûr, quelques prestations raclent un peu comme un moteur de 2CV entre les mains d’un novice de la conduite de la bête. Zoé Felix, malgré son adorable minois, est assez étonnante de sur-jeu qu’on croirait presque volontaire tant il confine au cas d’école. Alexandre Carrière est dans une veine comparable, doublée d’une hystérie débordante. Line Renaud semble avoir dû réapprendre son accent d’enfance tant il est lord et haché, comme mâtiné de nuances parigotes : un surprenant mélange.
Bien sûr, une mise en scène basique a également ses revers. Même si une fraîcheur se dégage immédiatement, une bonne volonté touchante, on est bien loin de la scène du parrain dont la séquence avec Michel Galabru se veut apparemment la parodie. Le laisser faire, pour ne pas dire le laisser aller, de la scène de fin de tournée de Philippe et Antoine sur un pont, tous deux occupés à se soulager la vessie, est d’une naïveté déroutante tant les deux acteurs improvisent à l’évidence dans le bon mot et la plaisanterie potache.
Et pourtant, il ressort de tout cela comme une immense gentillesse, comme une affection non feinte pour ce pays d’allure si éteinte, comme un hommage d’un fils à la mémoire de ses pères, à la vie de ses frères, à l’amour de ses sœurs. Comme un collier de nouilles tressé pour la fête des mères. On s’extasie, on l’aime, on a l’œil humide de savoir d’où il vient et avec combien d’amour et d’attention il a été confectionné. Et c‘est bien plus ce qui a poussé à le fabriquer qui pousse à l’émotion que ses qualités propres.
Dans un genre différent, « L’enquête corse » avait déjà commencé à tracer le sillon que « Bienvenue chez les Ch’tis » s’applique à creuser et à poursuivre. Et sommes-nous si loin des diverses marseilleries et autres tarasconades des années 40 ? Les natifs du crû, plus ou moins expatriés sont heureux de voir revivre sous leurs yeux les clichés de leur enfance, les images de ce qu’ils gardent au fond de leur cœur comme un fragment de leur identité. Les autres sont heureux de voir que les clichés qu’ils ont en tête ne sont pas le fruit de leur seule inculture mais sont largement partagés. Mieux, que ces clichés sont connus des habitants du lieu qui ne leur en veulent pas mais les taquinent pour leur faire toucher du doigt leurs erreurs.
Car le film de Dany Boon est tout cela. Une tranche de vie mythique et solidarisante, non de la vie d’un homme mais de celle d’une communauté, une image d’Epinal animée, et animée des meilleurs sentiments. C’est un chant porté sur pellicule, un hymne à des racines. Et comme tout hymne, peu importe qu’il soit chanté comme ceci ou comme cela. Il est chanté du fond du cœur et c’est la seule chose qui vaille.
Ca faisait bien dix jours que j’avais ça sur mes tablettes. La promo du film par son réalisateur Dany Boon et par son acteur principal Kad Merad avait été bien faite, avec juste ce qu’il fallait de frustration en le faisant sortir d’abord dans le Nord et en me tenant, en région parisienne, une bonne semaine en retard. Pas de quoi réellement en vouloir aux heureux privilégiés, juste de quoi faire monter une envie respectueuse. Et puis le film était loin d’être présenté comme un règlement de compte ou un drame sordide dans l’enfer du nord. Au contraire, il se voulait comme une photo de famille offerte à la population générale, avec sourire et apéro pour l’accueil. Ajoutez une dernière couche de promo au quotidien par les quelques nordistes du bureau qui se récitaient depuis une semaine les meilleures répliques le sourire aux lèvres, et la tentation de se précipiter voir « Bienvenue chez les Ch’tis » était devenue au fil des jours envie tenaillante avant de se transformer en impératif impérieux. La première occasion était donc impossible à rater et Montparnasse fut le lieu exotique de cet irrépressible élan.
Philippe Abrams (Kad Merad) est directeur de bureau de poste à Salon de Provence (autrefois on disait Receveur). Il rêve de se rapprocher de la mer Méditerranée pour redonner le sourire à Julie (Zoé Felix), sa femme dépressive. Voyant sa mutation sans cesse retardée par la priorité donnée à d’autres dossiers, il décide de glisser une fausse information dans le sien. Repéré, il est finalement muté dans le Nord - Pas de Calais pour motif disciplinaire. Sa femme et son fils Raphaël (Lorenzo Ausilia-Foret) restent à Salon, et lui monte à Bergues dont il est convenu qu’il reviendra chaque week-end. La préparation du départ n’épargne aucune de ses craintes, depuis la météo polaire jusqu’à la description de l’enfer alcoolisé et du sabir local que lui présente un grand-oncle (Michel Galabru) de Julie qui y avait fait un passage dans sa jeunesse.
L’arrivée à Bergues, par une nuit torrentielle, le plonge d’emblée dans une ambiance aussi glauque que ses pires attentes : logement de fonction désert après le départ de son prédécesseur avec armes et bagages, autochtones baragouinant un improbable jargon, nauséabondes tartines de maroilles trempées dans un vague café chicorisé, …
Progressivement, les agents de son nouveau domaine (Antoine / Dany Boon, Annabelle / Anne Marivin, Fabrice / Philippe Duquesne et Yann / Guy Lecluyse) et les habitants du lieu le font entrer dans leurs vies et leurs habitudes, ni pires ni meilleures qu’ailleurs. Même la mère (Line Renaud) d’Antoine, surprotectrice et possessive à l’égard de son fils, finit par s’amadouer. Des solidarités et des attentions inattendues le poussent vers un autre regard. Son oreille se fait à l’élocution locale. Son palais se tanne au goût du genièvre et du « fromage qui pue ».
Tentant de décrire cette nouvelle situation au téléphone à Julie, Philippe réalise à la fois l’incrédulité qui l’accueille mais aussi la transformation de sa femme qui retrouve énergie et sourire dans un soutien et une solidarité face à l’adversité qu’elle imagine. La dépression s’efface avec la distance et les récits d’épidémie et de noire misère qu’il finit par inventer pour la conforter dans cette voie salvatrice. Tant et si bien que Julie finit par annoncer sa venue au désespoir de son mari …
Que dire d’un film dès lors qu’il devient phénomène de société ? Je sais, le terme est probablement un peu fort, voire passablement galvaudé. Mais il est bien commode pour dire l’engouement qui entoure sa sortie. Il suffit d’ailleurs de voir les salles pleines, les files d’attentes devant les guichets, les spectateurs souriants avant même que le film commence, les rires et les exclamations durant la projection, pour réaliser qu’on ne va pas voir un film parmi tant d’autres, mais qu’on participe à une vaste migration vers quelque chose d’autre, vers un ailleurs du cinéma. Qu’il ne faudra pas regarder l’écran avec ses seuls yeux de spectateur habitué des salles obscures mais avec le regard du cœur. C’est sans doute un peu fleur bleue, mais ne pas le faire serait sans doute rater une bonne partie de l’affaire.
Car côté film proprement dit, côté classique du cinéphile plus ou moins averti, qu’est-ce qu’on a finalement à se mettre sous la dent ? Un comédie gentillette dont la fin est tellement prévisible qu’elle est annoncée quasiment textuellement à la moitié du film : « Quand un étranger vient dans le Nord, il pleure deux fois : une fois quand il arrive … et une fois quand il repart ». Un numéro d’acteurs dont on a appris, de Dany Boon à Kad Merad, à différentier leurs performances scéniques cabotinantes et burlesques de leurs prestations notablement plus sobres - sans sombrer naturellement dans une introspection frigorifiante - à l’écran. Une réalisation basique sans effets spéciaux à millions de dollars, juste une caméra et une histoire à raconter.
Bien sûr, quelques prestations raclent un peu comme un moteur de 2CV entre les mains d’un novice de la conduite de la bête. Zoé Felix, malgré son adorable minois, est assez étonnante de sur-jeu qu’on croirait presque volontaire tant il confine au cas d’école. Alexandre Carrière est dans une veine comparable, doublée d’une hystérie débordante. Line Renaud semble avoir dû réapprendre son accent d’enfance tant il est lord et haché, comme mâtiné de nuances parigotes : un surprenant mélange.
Bien sûr, une mise en scène basique a également ses revers. Même si une fraîcheur se dégage immédiatement, une bonne volonté touchante, on est bien loin de la scène du parrain dont la séquence avec Michel Galabru se veut apparemment la parodie. Le laisser faire, pour ne pas dire le laisser aller, de la scène de fin de tournée de Philippe et Antoine sur un pont, tous deux occupés à se soulager la vessie, est d’une naïveté déroutante tant les deux acteurs improvisent à l’évidence dans le bon mot et la plaisanterie potache.
Et pourtant, il ressort de tout cela comme une immense gentillesse, comme une affection non feinte pour ce pays d’allure si éteinte, comme un hommage d’un fils à la mémoire de ses pères, à la vie de ses frères, à l’amour de ses sœurs. Comme un collier de nouilles tressé pour la fête des mères. On s’extasie, on l’aime, on a l’œil humide de savoir d’où il vient et avec combien d’amour et d’attention il a été confectionné. Et c‘est bien plus ce qui a poussé à le fabriquer qui pousse à l’émotion que ses qualités propres.
Dans un genre différent, « L’enquête corse » avait déjà commencé à tracer le sillon que « Bienvenue chez les Ch’tis » s’applique à creuser et à poursuivre. Et sommes-nous si loin des diverses marseilleries et autres tarasconades des années 40 ? Les natifs du crû, plus ou moins expatriés sont heureux de voir revivre sous leurs yeux les clichés de leur enfance, les images de ce qu’ils gardent au fond de leur cœur comme un fragment de leur identité. Les autres sont heureux de voir que les clichés qu’ils ont en tête ne sont pas le fruit de leur seule inculture mais sont largement partagés. Mieux, que ces clichés sont connus des habitants du lieu qui ne leur en veulent pas mais les taquinent pour leur faire toucher du doigt leurs erreurs.
Car le film de Dany Boon est tout cela. Une tranche de vie mythique et solidarisante, non de la vie d’un homme mais de celle d’une communauté, une image d’Epinal animée, et animée des meilleurs sentiments. C’est un chant porté sur pellicule, un hymne à des racines. Et comme tout hymne, peu importe qu’il soit chanté comme ceci ou comme cela. Il est chanté du fond du cœur et c’est la seule chose qui vaille.
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