La douche du lévrier
Ca ressemblait à un film normal. Enfin presque. Un bon polar, par un français parti faire ses classes aux states, avec une french girl au générique pour le cocorico et qu’on se sente un peu comme à la maison. Pourquoi pas … Manuel Pradal et Emmanuelle Béart, après tout, c’est pas du menu fretin. Ca valait le coup de jeter un coup d’œil. Et puis voilà, gare quand même à l’atterrissage. Mais dans ce Festival du Film Américain de Deauville 2006 placé sous le signe du cinéma indépendant, et même si le film n’était pas présenté en compétition et qu’il était projeté avant même le premier concurrent réel, un peu de recul aurait peut-être dû faire anticiper quelque chose de ce genre.
En plein New York, Vincent (Norman Reedus), après le meurtre de sa femme dont il n’a comme seul indice que le fait que le coupable conduisait un taxi légèrement embouti et portait une grosse bague, tente de refaire sa vie avec Alice (Emmanuelle Beart), mais leur relation est parasitée par la persistance du souvenir du drame. Pour décoincer la situation, Alice décide de faire croire à Vincent qu’il a retrouvé le coupable en la personne de Roger (Harvey Keitel), un taximan pris au hasard, et qu’il peut se venger enfin. Malheureusement, la vengeance se goupille mal, le bouc émissaire s’en sort, et revient demander à Alice compensation de son arnaque.
On ne peut pas dire que l’idée n’était pas originale. Une arnaque pour la bonne cause. Un arnaqué compréhensif, même s’il ne se laisse quand même pas trop marcher sur les arpions. Une toile de fond sur New York et sa sueur crasseuse. Tout ça pouvait donner quelque chose d’honnête et de distrayant - en admettant, mais c’est le postulat du genre, qu’un crime puisse être distrayant - . En plus, une allégorie pour faire joli, à base de boomerang, sport favori de Roger, comme pour signifier le retour du sort, la sanction du destin, le retour sur dividende comme on dirait à Wall Street, ou que « bien mal acquis ne profite jamais » comme on dirait chez nous, ... Dire que la métaphore est complexe serait largement au dessus de la réalité : après le jet du boomerang, Roger bouscule Alice pour lui éviter de prendre le retour de l’instrument dans le museau. Autant dire qu’il reprend les choses en main pour théoriquement tirer Alice d’affaire. Autant dire aussi que les choses ne vont pas bien tourner pour cette pauvre Alice au pays des merveilles étasuniennes. Mais bon, même si l’allégorie est basique, elle a le mérite d’exister et de viser au planant à l’image du vol de l’objet.
Là où les choses se gâtent, c’est assez rapidement sur le traitement de l’histoire. Harvey Keitel se tire à peu près du défi lancé, en chauffeur de taxi au grand cœur, aux idées larges, mais à la ténacité bien chevillée. Les autres ont tous l’air de sortir du divan de leur psy, encore ensommeillés par la séance sédative, et d’avoir encore pas mal de boulot à faire pour terminer leur thérapie. A se demander s’ils n’auraient pas dû opter pour le forfait « double-séance, la seconde à moitié prix ». Vincent est remarquablement torturé. Alice suit indéniablement le même chemin, et Emmanuelle Béart a un art consommé pour faire dans le « je souffre en silence » en produisant un silence tellement assourdissant qu’il en devient irréel. C’est sûrement sympa quand on cherche de la doc sur les états d’âme. Par contre, c’est un peu léger si on cherche un polar des familles.
L’image se complait dans le sinistre et le grisâtre, sans doute évocateur à la fois de l’ambiance citadine new-yorkaise et de la torture mentale des protagonistes. De fait, pas besoin d’attendre très longtemps avant de sombrer dans une humeur aussi glauque que celle que partagent la plupart des personnages. Les seuls moments un peu moins déprimants se situent au bord de la plage où se tiennent des courses de lévriers plus ou moins bâtards. Mais que nul ne se réjouisse trop vite, l’ambiance est aussitôt aussi plombée que le ciel qui finit par s’ouvrir en un véritable déluge. De là à penser qu’il s’agit de signifier une sorte de douche purificatrice lavant les survivants de l’affaire de l’ignominie de leurs pêchers, il y a beaucoup moins qu’un pas et sûrement aucune hésitation à le franchir. Une image et une lumière sales pour une sale histoire jusqu’à la douche salvatrice … quelle affaire !
Que dire de la mise en scène dans ce contexte mêlant ennui devant l’intérêt du film, tristesse puisqu’il est difficile de ne pas se mettre au diapason de l’humeur ambiante, abattement en réalisant à quel point même la plastique d’Emmanuelle Béart ne parvient pas à éclairer la noirceur du propos, … Peut-être que finalement, si l’objectif était de faire partager ce type de sentiments au spectateur, on peut la regarder comme une remarquable réussite.
Faute d’en avoir même remarqué la présence, ce n’est que lors de la conférence de presse, le lendemain de la projection, que j’ai appris que la musique était signée d’Ennio Moricone. A la question d’un journaliste s’étonnant qu’une telle signature n’ait pas incité le réalisateur à l’exploiter davantage, Emmanuel Pradal, cinglant, répondit en substance qu’une bonne musique de film doit avant tout soutenir l’image et l’histoire indépendamment de sa quantité. A bonne entendeur, salut. Et merci Ennio.
Pour être tout à fait honnête, la fin de la projection s’est poursuivie par quelques applaudissements. Question d’ambiance et de politesse en présence de la belle Emmanuelle et de Manuel Pradal ? Ou question d’inaptitude congénitale du rédacteur de ces lignes à se complaire dans l’observation morose des misères de la vie psychique tourmenté de ses contemporains ? Allez savoir …
Ca ressemblait à un film normal. Enfin presque. Un bon polar, par un français parti faire ses classes aux states, avec une french girl au générique pour le cocorico et qu’on se sente un peu comme à la maison. Pourquoi pas … Manuel Pradal et Emmanuelle Béart, après tout, c’est pas du menu fretin. Ca valait le coup de jeter un coup d’œil. Et puis voilà, gare quand même à l’atterrissage. Mais dans ce Festival du Film Américain de Deauville 2006 placé sous le signe du cinéma indépendant, et même si le film n’était pas présenté en compétition et qu’il était projeté avant même le premier concurrent réel, un peu de recul aurait peut-être dû faire anticiper quelque chose de ce genre.
En plein New York, Vincent (Norman Reedus), après le meurtre de sa femme dont il n’a comme seul indice que le fait que le coupable conduisait un taxi légèrement embouti et portait une grosse bague, tente de refaire sa vie avec Alice (Emmanuelle Beart), mais leur relation est parasitée par la persistance du souvenir du drame. Pour décoincer la situation, Alice décide de faire croire à Vincent qu’il a retrouvé le coupable en la personne de Roger (Harvey Keitel), un taximan pris au hasard, et qu’il peut se venger enfin. Malheureusement, la vengeance se goupille mal, le bouc émissaire s’en sort, et revient demander à Alice compensation de son arnaque.
On ne peut pas dire que l’idée n’était pas originale. Une arnaque pour la bonne cause. Un arnaqué compréhensif, même s’il ne se laisse quand même pas trop marcher sur les arpions. Une toile de fond sur New York et sa sueur crasseuse. Tout ça pouvait donner quelque chose d’honnête et de distrayant - en admettant, mais c’est le postulat du genre, qu’un crime puisse être distrayant - . En plus, une allégorie pour faire joli, à base de boomerang, sport favori de Roger, comme pour signifier le retour du sort, la sanction du destin, le retour sur dividende comme on dirait à Wall Street, ou que « bien mal acquis ne profite jamais » comme on dirait chez nous, ... Dire que la métaphore est complexe serait largement au dessus de la réalité : après le jet du boomerang, Roger bouscule Alice pour lui éviter de prendre le retour de l’instrument dans le museau. Autant dire qu’il reprend les choses en main pour théoriquement tirer Alice d’affaire. Autant dire aussi que les choses ne vont pas bien tourner pour cette pauvre Alice au pays des merveilles étasuniennes. Mais bon, même si l’allégorie est basique, elle a le mérite d’exister et de viser au planant à l’image du vol de l’objet.
Là où les choses se gâtent, c’est assez rapidement sur le traitement de l’histoire. Harvey Keitel se tire à peu près du défi lancé, en chauffeur de taxi au grand cœur, aux idées larges, mais à la ténacité bien chevillée. Les autres ont tous l’air de sortir du divan de leur psy, encore ensommeillés par la séance sédative, et d’avoir encore pas mal de boulot à faire pour terminer leur thérapie. A se demander s’ils n’auraient pas dû opter pour le forfait « double-séance, la seconde à moitié prix ». Vincent est remarquablement torturé. Alice suit indéniablement le même chemin, et Emmanuelle Béart a un art consommé pour faire dans le « je souffre en silence » en produisant un silence tellement assourdissant qu’il en devient irréel. C’est sûrement sympa quand on cherche de la doc sur les états d’âme. Par contre, c’est un peu léger si on cherche un polar des familles.
L’image se complait dans le sinistre et le grisâtre, sans doute évocateur à la fois de l’ambiance citadine new-yorkaise et de la torture mentale des protagonistes. De fait, pas besoin d’attendre très longtemps avant de sombrer dans une humeur aussi glauque que celle que partagent la plupart des personnages. Les seuls moments un peu moins déprimants se situent au bord de la plage où se tiennent des courses de lévriers plus ou moins bâtards. Mais que nul ne se réjouisse trop vite, l’ambiance est aussitôt aussi plombée que le ciel qui finit par s’ouvrir en un véritable déluge. De là à penser qu’il s’agit de signifier une sorte de douche purificatrice lavant les survivants de l’affaire de l’ignominie de leurs pêchers, il y a beaucoup moins qu’un pas et sûrement aucune hésitation à le franchir. Une image et une lumière sales pour une sale histoire jusqu’à la douche salvatrice … quelle affaire !
Que dire de la mise en scène dans ce contexte mêlant ennui devant l’intérêt du film, tristesse puisqu’il est difficile de ne pas se mettre au diapason de l’humeur ambiante, abattement en réalisant à quel point même la plastique d’Emmanuelle Béart ne parvient pas à éclairer la noirceur du propos, … Peut-être que finalement, si l’objectif était de faire partager ce type de sentiments au spectateur, on peut la regarder comme une remarquable réussite.
Faute d’en avoir même remarqué la présence, ce n’est que lors de la conférence de presse, le lendemain de la projection, que j’ai appris que la musique était signée d’Ennio Moricone. A la question d’un journaliste s’étonnant qu’une telle signature n’ait pas incité le réalisateur à l’exploiter davantage, Emmanuel Pradal, cinglant, répondit en substance qu’une bonne musique de film doit avant tout soutenir l’image et l’histoire indépendamment de sa quantité. A bonne entendeur, salut. Et merci Ennio.
Pour être tout à fait honnête, la fin de la projection s’est poursuivie par quelques applaudissements. Question d’ambiance et de politesse en présence de la belle Emmanuelle et de Manuel Pradal ? Ou question d’inaptitude congénitale du rédacteur de ces lignes à se complaire dans l’observation morose des misères de la vie psychique tourmenté de ses contemporains ? Allez savoir …
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