L’Histoire en marche
C’est amusant de voir à quel point peuvent être différents deux films sortis pourtant à des dates si proches l’une de l’autre. Et cela indépendamment du genre qui n’a évidemment rien de comparable. Mais sortir d’un William Wyler de 1958 tel que « The big Country », et tomber sur un Edward L. Cahn de 1959 comme « Invisible invaders », est une expérience à vous scotcher sur place et pendant les 70 minutes du film, le regard rivé à l’écran, un sourire béat au coin des lèvres. Il est probable que ce brave Mr Cahn n’avait pas anticipé cet effet sur le spectateur d’aujourd’hui et qu’il aurait préféré un tout autre accueil, mais les choses sont ainsi. En plus, on a engrangé depuis quelques autres séquelles du genre, de « La Guerre des mondes » à « La Nuit des Morts Vivants », alors difficile de rester neutre et virginal devant cet « Invisible Invaders ».
C’est que Edward L. Cahn n’est pas le premier venu, un prolifique cinéaste de Hollywood dont la carrière s’est étendue de 1931 à 1962, avec la fabrication de 124 films de genre (polar, science-fiction, horreur, western). Après une période d’abattage durant les années de guerre et un break de 1951 (un seul film) à 1955 (2 films), sa carrière repart en trombe jusqu’à l’apothéose de 1961 marquée par la réalisation de pas moins de 11 films dans la même année.
En se donnant un peu de peine, on peut même lire sur le personnage quelques analyses biographiques dont la très intéressante livraison de Gary Westfahl. Sans aller cependant jusqu’à suivre Gary sur les pentes escarpées de la psychanalyse du réalisateur au travers de son œuvre, on peut tout de même prendre un plaisir non négligeable à la vision de ce fragment qu’il nous a laissé, cet « Invisible Invaders ».
L’histoire s’ouvre sur la manipulation pensive de quelques tubes à essais par le Dr Karol Noymann (John Carradine) et l’irruption d’une violente explosion qui détruit ses installations et met un terme à sa vie. S’en suit une âpre discussion entre le Dr Adam Penner (Philip Tonge), son responsable et ami, et le Général Stone (Paul Langton), le chef du Pentagone pour qui il travaille. Durant cette discussion, Penner annonce son renoncement à poursuivre ses recherches et sa collaboration avec l’armée. Il emmène dans sa démission sa fille Phyllis (Jean Byron) et son ami, le Dr John Lamont (Robert Hutton). Peu après les obsèques de Noymann, Adam Penner reçoit à son domicile la visite inattendue d’un extraterrestre. Ayant emprunté le corps du défunt, il vient lui faire part du prochain envahissement de la Terre si l’ensemble des nations ne fait pas, sous 24 heures, acte de rédition auprès des envahisseurs qui ont déjà pris pied sur la Lune, rendus invisibles par leur maîtrise d’une technologie inconnue sur terre.
Malheureusement, le délai est trop court pour permettre à Penner, aidé de Phyllis et de Lamont, de convaincre le monde de la catastrophe imminente. A l’heure fixée, les morts se relèvent partout sur la terre, mus par les envahisseurs qui les habitent, et les destructions se multiplient. Le Général Stone charge Penner de trouver une parade scientifique et met à sa disposition les installations protégées contre toute attaque même nucléaire d’un laboratoire militaire secret, avec l’aide du Major Bruce Jay (John Agar). Dans leur bunker, Penner, sa fille, Lamont, et Jay travaillent d’arrache-pied et multiplient les tentatives vaines. Il arrivent néanmoins à se saisir d’un corps habité par un envahisseur afin de tester sur lui une ultime technique inventée presque par hasard. La manœuvre étant couronnée de succès, ils font une sortie hors du bunker et lancent la contre-offensive. Ils parviennent de plus à briser le brouillage radio imposé par l’adversaire et à transmettre les éléments de leur succès à Stone qui peut alors étendre l’offensive à l’échelle mondiale et sauver la Terre.
Comment dire à quel point il est rafraîchissant de se retrouver face à ce monument de kitsch et de naïveté ? Il suffit probablement de se donner la seule peine de regarder, même distraitement, la première scène du film, la manipulation suivie d’explosion de ses tubes à essai par le Dr Noymann. Il suffit juste de cela. Le décrire serait indiscutablement le trahir tant il y a dans cette seule et simple scène comme un résumé de l’ensemble de la réalisation, de son sérieux contre les vents et les marées du petit budget, de la conviction toute professionnelle de John Carradine d’habiter la peau du personnage, de sa blouse de laboratoire tirée à quatre épingles disparaissant dans une épaisse fumée évocatrice de catastrophe scientifique, de la voix off qui plante pendant ce temps le décor de l’histoire d’une voix de ténor et sur un ton dont seuls les américains ont le secret. Un secret transmis de générations en générations jusqu’à nos jours. Vous savez, cette voix du Télé Achat qui finit la présentation par un inénarrable « Buy it. Now ! ». Juste cette scène, pas plus, et en moins d’une minute le spectateur est capté, rapté, scotché, hypnotisé jusqu’à la fin du film. Du grand art, du très grand art !
Bien sûr, on est à des galaxies de ce que les effets spéciaux d’aujourd’hui nous balancent dans les yeux. On est comme sur les bancs à assister à la représentation de fin d’année de l’école des enfants. Vous savez, quand les gamins montent sur les planches sous la direction d’une institutrice bien intentionnée qui fait avec les moyens du bord. Une soucoupe volante passe ? Pas de problème : une casserole à l’envers au bout d’un filin suspendu à une armoire, et l’affaire est dans le sac. Un cavalier qui surgit hors de la nuit ? Pas de quoi s’affoler : un balai recouvert de papier crépon fournira un merveilleux destrier. Une foule qui descend la colline ? La même scène à trois personnages répétée 5 fois fera d’un coup 15 personnes en marche : la foule quoi. Un avion s’écrase ? Après tout, ils ont ça dans les archives de l’armée. Pourquoi aller chercher plus loin ? Qu’en fait, l’avion filmé touche le sol au niveau d’une vaste croix blanche peinte au sol pour lui indiquer où ce crash d’entraînement devait avoir lieu n’a bien sûr aucune importance. Qui s’en soucie, pris dans le fil de l’action ? De toute façon, tout est à l’avenant, alors, perdu dans la masse, personne n’y voit rien à redire. Et puis au fond, ça change quoi ? L’art, en particulier celui du cinéma, n’est-il pas plus beau lorsqu’il suggère que quand il montre ? On pourra bien sûr pinailler sur le « suggère », mais allons donc ! Argutie d’érudit ! « Suggère », vous dis-je !
De plus, les effets spéciaux – si l’on peut dire – ne sont pas le seul point fort de l’opus. Le maquillage est à lui seul un chef d’œuvre du genre. Prenez une poudre blanche bien mate pour un teint blafard cadavérique, soulignez les traits de larges coups de pinceau charbonneux, sans oublier les cernes naturellement, agrémentez d’une estafilade dessinée au pinceau gras largement dégoulinant, et vous obtenez pour un coup modique un zombie plus vrai que nature. Il fallait juste y penser. Et se faire ensuite chiper l’idée par Carlos Romero à l’affût d’un bon tuyau pour « La Nuit des Morts Vivants ». Le tour est joué, il n’y a plus qu’à breveter.
On n’en finirait pas de disserter sur les mérites de « Invisible invaders » et des talents méconnus de mise en scène de Edward L. Cahn, sur son art du casting et de la direction d’acteur, sur la constance et la bonne volonté de cohortes entières de comédiens, de techniciens, qui, pendant que quelques voltigeurs se piquaient de marquer de leur empreinte la postérité, constituaient les troupes à pied d’un cinéma qui ne rechignait pas à la tâche. Il y a dans ce genre de film quelque chose de touchant de la vérité d’une époque, pas de l’époque de l’histoire qui est racontée, mais de celle de l’histoire du cinéma.
C’est amusant de voir à quel point peuvent être différents deux films sortis pourtant à des dates si proches l’une de l’autre. Et cela indépendamment du genre qui n’a évidemment rien de comparable. Mais sortir d’un William Wyler de 1958 tel que « The big Country », et tomber sur un Edward L. Cahn de 1959 comme « Invisible invaders », est une expérience à vous scotcher sur place et pendant les 70 minutes du film, le regard rivé à l’écran, un sourire béat au coin des lèvres. Il est probable que ce brave Mr Cahn n’avait pas anticipé cet effet sur le spectateur d’aujourd’hui et qu’il aurait préféré un tout autre accueil, mais les choses sont ainsi. En plus, on a engrangé depuis quelques autres séquelles du genre, de « La Guerre des mondes » à « La Nuit des Morts Vivants », alors difficile de rester neutre et virginal devant cet « Invisible Invaders ».
C’est que Edward L. Cahn n’est pas le premier venu, un prolifique cinéaste de Hollywood dont la carrière s’est étendue de 1931 à 1962, avec la fabrication de 124 films de genre (polar, science-fiction, horreur, western). Après une période d’abattage durant les années de guerre et un break de 1951 (un seul film) à 1955 (2 films), sa carrière repart en trombe jusqu’à l’apothéose de 1961 marquée par la réalisation de pas moins de 11 films dans la même année.
En se donnant un peu de peine, on peut même lire sur le personnage quelques analyses biographiques dont la très intéressante livraison de Gary Westfahl. Sans aller cependant jusqu’à suivre Gary sur les pentes escarpées de la psychanalyse du réalisateur au travers de son œuvre, on peut tout de même prendre un plaisir non négligeable à la vision de ce fragment qu’il nous a laissé, cet « Invisible Invaders ».
L’histoire s’ouvre sur la manipulation pensive de quelques tubes à essais par le Dr Karol Noymann (John Carradine) et l’irruption d’une violente explosion qui détruit ses installations et met un terme à sa vie. S’en suit une âpre discussion entre le Dr Adam Penner (Philip Tonge), son responsable et ami, et le Général Stone (Paul Langton), le chef du Pentagone pour qui il travaille. Durant cette discussion, Penner annonce son renoncement à poursuivre ses recherches et sa collaboration avec l’armée. Il emmène dans sa démission sa fille Phyllis (Jean Byron) et son ami, le Dr John Lamont (Robert Hutton). Peu après les obsèques de Noymann, Adam Penner reçoit à son domicile la visite inattendue d’un extraterrestre. Ayant emprunté le corps du défunt, il vient lui faire part du prochain envahissement de la Terre si l’ensemble des nations ne fait pas, sous 24 heures, acte de rédition auprès des envahisseurs qui ont déjà pris pied sur la Lune, rendus invisibles par leur maîtrise d’une technologie inconnue sur terre.
Malheureusement, le délai est trop court pour permettre à Penner, aidé de Phyllis et de Lamont, de convaincre le monde de la catastrophe imminente. A l’heure fixée, les morts se relèvent partout sur la terre, mus par les envahisseurs qui les habitent, et les destructions se multiplient. Le Général Stone charge Penner de trouver une parade scientifique et met à sa disposition les installations protégées contre toute attaque même nucléaire d’un laboratoire militaire secret, avec l’aide du Major Bruce Jay (John Agar). Dans leur bunker, Penner, sa fille, Lamont, et Jay travaillent d’arrache-pied et multiplient les tentatives vaines. Il arrivent néanmoins à se saisir d’un corps habité par un envahisseur afin de tester sur lui une ultime technique inventée presque par hasard. La manœuvre étant couronnée de succès, ils font une sortie hors du bunker et lancent la contre-offensive. Ils parviennent de plus à briser le brouillage radio imposé par l’adversaire et à transmettre les éléments de leur succès à Stone qui peut alors étendre l’offensive à l’échelle mondiale et sauver la Terre.
Comment dire à quel point il est rafraîchissant de se retrouver face à ce monument de kitsch et de naïveté ? Il suffit probablement de se donner la seule peine de regarder, même distraitement, la première scène du film, la manipulation suivie d’explosion de ses tubes à essai par le Dr Noymann. Il suffit juste de cela. Le décrire serait indiscutablement le trahir tant il y a dans cette seule et simple scène comme un résumé de l’ensemble de la réalisation, de son sérieux contre les vents et les marées du petit budget, de la conviction toute professionnelle de John Carradine d’habiter la peau du personnage, de sa blouse de laboratoire tirée à quatre épingles disparaissant dans une épaisse fumée évocatrice de catastrophe scientifique, de la voix off qui plante pendant ce temps le décor de l’histoire d’une voix de ténor et sur un ton dont seuls les américains ont le secret. Un secret transmis de générations en générations jusqu’à nos jours. Vous savez, cette voix du Télé Achat qui finit la présentation par un inénarrable « Buy it. Now ! ». Juste cette scène, pas plus, et en moins d’une minute le spectateur est capté, rapté, scotché, hypnotisé jusqu’à la fin du film. Du grand art, du très grand art !
Bien sûr, on est à des galaxies de ce que les effets spéciaux d’aujourd’hui nous balancent dans les yeux. On est comme sur les bancs à assister à la représentation de fin d’année de l’école des enfants. Vous savez, quand les gamins montent sur les planches sous la direction d’une institutrice bien intentionnée qui fait avec les moyens du bord. Une soucoupe volante passe ? Pas de problème : une casserole à l’envers au bout d’un filin suspendu à une armoire, et l’affaire est dans le sac. Un cavalier qui surgit hors de la nuit ? Pas de quoi s’affoler : un balai recouvert de papier crépon fournira un merveilleux destrier. Une foule qui descend la colline ? La même scène à trois personnages répétée 5 fois fera d’un coup 15 personnes en marche : la foule quoi. Un avion s’écrase ? Après tout, ils ont ça dans les archives de l’armée. Pourquoi aller chercher plus loin ? Qu’en fait, l’avion filmé touche le sol au niveau d’une vaste croix blanche peinte au sol pour lui indiquer où ce crash d’entraînement devait avoir lieu n’a bien sûr aucune importance. Qui s’en soucie, pris dans le fil de l’action ? De toute façon, tout est à l’avenant, alors, perdu dans la masse, personne n’y voit rien à redire. Et puis au fond, ça change quoi ? L’art, en particulier celui du cinéma, n’est-il pas plus beau lorsqu’il suggère que quand il montre ? On pourra bien sûr pinailler sur le « suggère », mais allons donc ! Argutie d’érudit ! « Suggère », vous dis-je !
De plus, les effets spéciaux – si l’on peut dire – ne sont pas le seul point fort de l’opus. Le maquillage est à lui seul un chef d’œuvre du genre. Prenez une poudre blanche bien mate pour un teint blafard cadavérique, soulignez les traits de larges coups de pinceau charbonneux, sans oublier les cernes naturellement, agrémentez d’une estafilade dessinée au pinceau gras largement dégoulinant, et vous obtenez pour un coup modique un zombie plus vrai que nature. Il fallait juste y penser. Et se faire ensuite chiper l’idée par Carlos Romero à l’affût d’un bon tuyau pour « La Nuit des Morts Vivants ». Le tour est joué, il n’y a plus qu’à breveter.
On n’en finirait pas de disserter sur les mérites de « Invisible invaders » et des talents méconnus de mise en scène de Edward L. Cahn, sur son art du casting et de la direction d’acteur, sur la constance et la bonne volonté de cohortes entières de comédiens, de techniciens, qui, pendant que quelques voltigeurs se piquaient de marquer de leur empreinte la postérité, constituaient les troupes à pied d’un cinéma qui ne rechignait pas à la tâche. Il y a dans ce genre de film quelque chose de touchant de la vérité d’une époque, pas de l’époque de l’histoire qui est racontée, mais de celle de l’histoire du cinéma.
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