La Fleur du Mal
Deauville l’attendait, De Palma l’a fait ! Cela promettait d’être un des points d’orgue du Festival 2006 du Film Américain. L’équipe s’était même déplacée honorablement : James Ellroy, l’auteur du livre dont le film est l’adaptation, Brian de Palma, le réalisateur, et les acteurs principaux Josh Harnett , Aaron Eckhart, Scarlett Johansson. Pas mal, non ? Et même si je ne suis pas d’ordinaire avide de ce genre de proximité, il faut tout de même admettre une petite émotion à se retrouver assis à quelques mètres d’une telle troupe. Quand mon neveu sera en âge de se rendre compte, je pourrai lui dire « J’y étais ». Il me répondra « Non ?! J’te crois pas, Tonton. » Et je rajouterai, l’air modeste « Eh ben si, t’as vu ça mon gars ? » … Chouette, non ? … On a chacun nos petites faiblesses … Parce que pour ce qui est du film, on pourra l'apprécier sans pour autant se noyer dans un torrent de dithyrambe.
L’histoire est un peu complexe, pour rester dans le commentaire sobre. Dans le Los Angeles de l’immédiat après-2ème guerre mondiale, deux policiers, Bucky Bleichert (Josh Harnett) et Lee Blanchard (Aaron Eckhart), sont chargés de l’enquête sur le meurtre d’une jeune femme, Betty Ann Short (Mia Kirshner), découverte affreusement mutilée. Leur enquête, les conduisant dans le sillage de la famille Sprague dont la fille Madeleine (Hilary Swank) est d’une ressemblance troublante avec la femme assassinée, s’enfonce dans un tel côtoiement de l’horreur qu’elle en devient une véritable obsession, en particulier pour Lee Blanchard dont le comportement s’en ressent, retentissant jusque dans ses relations avec sa compagne, Kay Lake (Scarlett Johansson). A mesure que les pièces du puzzle se mettent en place, les relations troubles entre la famille Sprague et Betty Ann Short se démasquent, de plus en plus complexes, prenant une coloration nouvelle avec la découverte de chaque nouvel indice.
Que dire de plus sur cette histoire dont James Ellroy, grand gaillard sexagénaire souriant et ne ratant pas une occasion de plaisanter, dit lui-même qu’elle part d’un fait divers réel, et qu’elle fait écho au meurtre de sa propre mère ? Peut-être que le temps de maturation avant sa rédaction est sans doute significative de l’importance manifestement non purement littéraire mais essentiellement personnelle qu’elle a pour son auteur. Il y a là-dedans autre chose qu’une simple enquête policière. Il y a quelque chose de la mise à plat d’un drame personnel et de la tentative de cicatrisation. Mais là où d’autres se seraient appesantis sur d’interminables dissertations psychologisantes, Ellroy et De palma en restent à l’intrigue policière, n’effleurant que par moments, et uniquement lorsque cela est indispensable à la compréhension des évènements, les ressorts mentaux des protagonistes. Pas de charabia, pas de digression, pas d’envolée métaphysique, juste des faits, juste un crime à élucider. Au milieu des passions, des tourments, certes, mais dans une réalité bien concrète. Et c’est peut-être cela qui, malgré la complexité de l’histoire, permet de retenir l’attention du spectateur.
C’est peut-être là aussi qu’il faut voir la différence surprenante avec les films antérieurs de Brian De Palma, habituellement peu avare en symbolique et en codages divers (voir pour les plus courageux mes avis sur Mission to Mars, Rising Cain (L’Esprit de Caïn), et Dressed to Kill (Pulsions)). Même si on peut imaginer que traiter à la fois le fil d’une histoire aussi riche en rebondissements - et réputée inadaptable à l’écran jusqu’à présent - et les ressorts psychologiques sous-jacents, aurait constitué un défi majeur, on peut probablement faire confiance à Monsieur Brian pour avoir été à la hauteur de la tâche. Mais justement, c’est probablement dans le raccordement au quotidien, dans l’ancrage permanent dans l’immédiateté factuelle, que réside l’essentiel du drame. L’observation « de l’intérieur » des esprits torturés n’auraient sans doute en rien renforcé la tension dramatique. Bien au contraire, c’est par leurs manifestations extérieures, par leurs actions, que leur douleur et leur complexité se découvrent le plus progressivement et se comprennent le plus graduellement. Nul besoin de verser dans le film d’horreur qui aurait si aisément pu être conçu, semble dire le réalisateur qui attend quasiment jusqu’à la dernière image, dans une ambiance enfin apaisée, pour nous laisser entr’apercevoir ce qu’aurait pu être son film s’il avait choisi un autre cap.
Au service de ce cap, la maîtrise technique de la mise en scène saute au regard, donnant à l’ensemble une impression continue de film des années 50. Un genre de LA Confidential qui ne faiblirait à aucun moment. Au point que malgré une image sans faute évidente, le souvenir en fin de projection reste celui d’une ambiance sépia, de quelque chose de vaguement nostalgique, de légèrement suranné. Presque seule ombre à un tableau trop parfait, les images du film à l’intérieur du film, de ce passage où l’enquête passe par le visionnage d’un film tourné avec Betty Ann Short comme actrice, ne parvient pas à recréer complètement et de façon aussi crédible le jeu des acteurs de l’époque. Mais peut-être est-il trop difficile pour un réalisateur unique d’entrer simultanément avec la même intensité dans la mise en scène de deux films différents. Rêvons un peu : si la mode n’était pas depuis longtemps passée d’associer plusieurs metteurs en scène pour différentes parties d’un même film, imaginons ce que cela aurait pu apporter de renouer sur ce point avec cette tradition (même si on sait que cette « tradition » reposait à l’époque glorieuse des studios plus sur des choix économiques que sur des options créatrices).
La seconde ombre au tableau tient en fait justement à ce qui en fait sa réussite. Si la complexité de l’intrigue permet de dérouler la complexité des esprits, elle se traduit assez rapidement pas une sensation d’égarement dans le dédale des rebondissements. Mieux vaut alors avoir anticipé la séance par un bon café serré si on tient à maintenir l’attention soutenue indispensable. Faute de cette précaution, prévoir une séance de rattrapage ne sera pas forcément un luxe inutile.
Deauville l’attendait, De Palma l’a fait ! Cela promettait d’être un des points d’orgue du Festival 2006 du Film Américain. L’équipe s’était même déplacée honorablement : James Ellroy, l’auteur du livre dont le film est l’adaptation, Brian de Palma, le réalisateur, et les acteurs principaux Josh Harnett , Aaron Eckhart, Scarlett Johansson. Pas mal, non ? Et même si je ne suis pas d’ordinaire avide de ce genre de proximité, il faut tout de même admettre une petite émotion à se retrouver assis à quelques mètres d’une telle troupe. Quand mon neveu sera en âge de se rendre compte, je pourrai lui dire « J’y étais ». Il me répondra « Non ?! J’te crois pas, Tonton. » Et je rajouterai, l’air modeste « Eh ben si, t’as vu ça mon gars ? » … Chouette, non ? … On a chacun nos petites faiblesses … Parce que pour ce qui est du film, on pourra l'apprécier sans pour autant se noyer dans un torrent de dithyrambe.
L’histoire est un peu complexe, pour rester dans le commentaire sobre. Dans le Los Angeles de l’immédiat après-2ème guerre mondiale, deux policiers, Bucky Bleichert (Josh Harnett) et Lee Blanchard (Aaron Eckhart), sont chargés de l’enquête sur le meurtre d’une jeune femme, Betty Ann Short (Mia Kirshner), découverte affreusement mutilée. Leur enquête, les conduisant dans le sillage de la famille Sprague dont la fille Madeleine (Hilary Swank) est d’une ressemblance troublante avec la femme assassinée, s’enfonce dans un tel côtoiement de l’horreur qu’elle en devient une véritable obsession, en particulier pour Lee Blanchard dont le comportement s’en ressent, retentissant jusque dans ses relations avec sa compagne, Kay Lake (Scarlett Johansson). A mesure que les pièces du puzzle se mettent en place, les relations troubles entre la famille Sprague et Betty Ann Short se démasquent, de plus en plus complexes, prenant une coloration nouvelle avec la découverte de chaque nouvel indice.
Que dire de plus sur cette histoire dont James Ellroy, grand gaillard sexagénaire souriant et ne ratant pas une occasion de plaisanter, dit lui-même qu’elle part d’un fait divers réel, et qu’elle fait écho au meurtre de sa propre mère ? Peut-être que le temps de maturation avant sa rédaction est sans doute significative de l’importance manifestement non purement littéraire mais essentiellement personnelle qu’elle a pour son auteur. Il y a là-dedans autre chose qu’une simple enquête policière. Il y a quelque chose de la mise à plat d’un drame personnel et de la tentative de cicatrisation. Mais là où d’autres se seraient appesantis sur d’interminables dissertations psychologisantes, Ellroy et De palma en restent à l’intrigue policière, n’effleurant que par moments, et uniquement lorsque cela est indispensable à la compréhension des évènements, les ressorts mentaux des protagonistes. Pas de charabia, pas de digression, pas d’envolée métaphysique, juste des faits, juste un crime à élucider. Au milieu des passions, des tourments, certes, mais dans une réalité bien concrète. Et c’est peut-être cela qui, malgré la complexité de l’histoire, permet de retenir l’attention du spectateur.
C’est peut-être là aussi qu’il faut voir la différence surprenante avec les films antérieurs de Brian De Palma, habituellement peu avare en symbolique et en codages divers (voir pour les plus courageux mes avis sur Mission to Mars, Rising Cain (L’Esprit de Caïn), et Dressed to Kill (Pulsions)). Même si on peut imaginer que traiter à la fois le fil d’une histoire aussi riche en rebondissements - et réputée inadaptable à l’écran jusqu’à présent - et les ressorts psychologiques sous-jacents, aurait constitué un défi majeur, on peut probablement faire confiance à Monsieur Brian pour avoir été à la hauteur de la tâche. Mais justement, c’est probablement dans le raccordement au quotidien, dans l’ancrage permanent dans l’immédiateté factuelle, que réside l’essentiel du drame. L’observation « de l’intérieur » des esprits torturés n’auraient sans doute en rien renforcé la tension dramatique. Bien au contraire, c’est par leurs manifestations extérieures, par leurs actions, que leur douleur et leur complexité se découvrent le plus progressivement et se comprennent le plus graduellement. Nul besoin de verser dans le film d’horreur qui aurait si aisément pu être conçu, semble dire le réalisateur qui attend quasiment jusqu’à la dernière image, dans une ambiance enfin apaisée, pour nous laisser entr’apercevoir ce qu’aurait pu être son film s’il avait choisi un autre cap.
Au service de ce cap, la maîtrise technique de la mise en scène saute au regard, donnant à l’ensemble une impression continue de film des années 50. Un genre de LA Confidential qui ne faiblirait à aucun moment. Au point que malgré une image sans faute évidente, le souvenir en fin de projection reste celui d’une ambiance sépia, de quelque chose de vaguement nostalgique, de légèrement suranné. Presque seule ombre à un tableau trop parfait, les images du film à l’intérieur du film, de ce passage où l’enquête passe par le visionnage d’un film tourné avec Betty Ann Short comme actrice, ne parvient pas à recréer complètement et de façon aussi crédible le jeu des acteurs de l’époque. Mais peut-être est-il trop difficile pour un réalisateur unique d’entrer simultanément avec la même intensité dans la mise en scène de deux films différents. Rêvons un peu : si la mode n’était pas depuis longtemps passée d’associer plusieurs metteurs en scène pour différentes parties d’un même film, imaginons ce que cela aurait pu apporter de renouer sur ce point avec cette tradition (même si on sait que cette « tradition » reposait à l’époque glorieuse des studios plus sur des choix économiques que sur des options créatrices).
La seconde ombre au tableau tient en fait justement à ce qui en fait sa réussite. Si la complexité de l’intrigue permet de dérouler la complexité des esprits, elle se traduit assez rapidement pas une sensation d’égarement dans le dédale des rebondissements. Mieux vaut alors avoir anticipé la séance par un bon café serré si on tient à maintenir l’attention soutenue indispensable. Faute de cette précaution, prévoir une séance de rattrapage ne sera pas forcément un luxe inutile.
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