La nausée en direct
Si dans tout bon festival il faut un parfum de scandale, le Festival de Deauville 2008 a trouvé le sien en présentant « The girl next door », de Gregory Wilson et datant de 2007. Le film est tiré d'un roman de Jack Ketchum réputé inadaptable à l'écran et basé sur des faits réels. Le réalisateur, présent en début de projection, justifie d'ailleurs le traîtement de ce sujet par la réalité dont il est issu, et par le projet de comprendre les ressorts de ses protagonistes dans un type d'affaire qu'il décrit comme affreusement banal aux Etats-Unis. Qu'on se le tienne pour dit …
Reste à s'enchaîner à son siège, à y mettre un solide cadenas, et à jeter très loin la clé pour ne pas être tenté de s'enfuir en cours de séance. Les quelques uns qui avaient oubliés de prendre cette précaution sont d'ailleurs sortis au fur et à mesure de l'épuisement de leur résistance, parfois en protestant de colère à haute voix, parfois en allant s'affaler en pleurs sur les marches une fois passée la porte de sortie. Voilà pour le contexte ; maintenant l'histoire. Dans une petite ville étatsunienne middle class de 1958, deux maisons voisines sont occupées l'une par les Moran, dont leur fils de 12 ans, David (enfant :Daniel Manche / adulte : William Atherton), et l'autre par les Chandler. Ruth Chandler (Blanche Baker) élève seule ses trois garçons, Willie (Graham Patrick Martin), Donny (Benjamin Ross Kaplan), et Ralphie (Austin Williams), depuis que leur père les a plantés là. Arrivent deux cousines des Chandler, Meg Loughlin (Blythe Auffarth) et sa plus jeune sœur Susan (Madeline Taylor), confiées à Ruth au décès accidentel de leurs parents. David fait la connaissance de Meg au bord de la rivière.
Rapidement, Ruth développe une animosité croissante contre ses nièces, en particulier contre Meg qui devient son souffre-douleur. Les choses, pour rapides qu'elles soient, ne surviennent cependant pas subitement, et on sent bien la tension monter sous des prétextes d'abord futiles puis de plus en plus artificiels, chez une femme rongée d'une colère contenue contre l'abandon de son mari, contre l'affection manifeste qui unissant les filles à leurs parents, contre la concurrence potentielle de féminité qui entre dans sa maison, … De souffre-douleur, cette animosité de plus en plus obsessionnelle enferme progressivement Meg dans un statut de victime expiatoire de sévices de plus en plus profonds dans lesquels Ruth entraîne non seulement ses propres enfants, mais jusqu'aux gamins du voisinage fascinés conviés à assister puis à participer à des séances de torture décrite dans toute son escalade.
Seul David garde un brin de lucidité qui le pousse à lancer quelques timides appels à l'aide auprès des autres adultes, en particulier de ses parents (Catherine Mary Stewart et Grant Show), mais appels d'une telle maladresse qu'ils restent incompris. Et quand l'insupportable le pousse malgré tout à la révolte qui aboutira à faire cesser ces atrocités, s'il parvient à arracher Susan à l'enfer, il est trop tard pour Meg qui succombe martyrisée. L'histoire qui commençait comme une chronique bucolique de l'Amérique de la fin des années 50, puis semblait tourner à celle d'une Cendrillon des temps modernes, prend finalement la voie du dérapage extrême dans une folie aux racines d'autant plus effrayantes qu'elles plongent dans la banalité. Rien n'est épargné, ni du mécanisme de construction et de mise en place de cette folie, ni de son passage à l'acte, ni de sa contagion. Même la recherche de la victime idéale est envisagée, le choix se portant finalement sur Meg alors qu'il semblait initialement se porter sur la plus faible, Susan, non seulement la plus jeune mais aussi porteuse des séquelles d'une poliomyélite qui lui entrave les jambes. Mais Susan était justement trop faible, presque sans révolte, alors que la révolte de Meg, son attitude protectrice de sa jeune sœur, en fait un adversaire d'autant plus intéressant à briser pour Ruth qui dispose de plus en Susan d'un otage offrant un point d'appui permettant de briser Meg physiquement tout en la baillonnant mentalement.
Est-ce devant la dureté du film que le réalisateur a senti la nécessité d'introduire une ébauche d'éclaircie en instillant une semi-morale tenant en une réplique deux fois répétée et affirmant que, quelles que soient les fautes, seuls les derniers actes comptent ? Réplique aussi bien dans la bouche de Meg pardonnant avant de mourir à David la lenteur de son intervention que dans celle de David adulte en forme de justification ultime permettant de survivre au sentiment de culpabilité ? Il fallait bien cela pour éviter d'en rester à une impression d'inutilité odieuse d'un tel film. Malgré cela, les réactions dans la salle, par la multiplication des sorties précipitées et par le mélange final d'applaudissements et de huées, témoignent de l'incompréhension de l'absurde se muant en incompréhension du projet même de porter l'absurde à l'écran avec ce réalisme, ce souci du détail, cette perversité.
Peut-être aussi de l'affolement qu'un tel sujet ait pu être tourné, faisant participer des enfants-acteurs sans autre protection annoncée, selon les termes du réalisateur, que leur sélection difficile avant d'en trouver de suffisamment « talentueux et braves pour assumer leurs rôles ».
Que dire de plus ? Je ne sais plus tant les mots manquent et tant l'esprit reste abasourdi même à distance de la fin de la projection. Et tant la nausée revient à la charge …
Si dans tout bon festival il faut un parfum de scandale, le Festival de Deauville 2008 a trouvé le sien en présentant « The girl next door », de Gregory Wilson et datant de 2007. Le film est tiré d'un roman de Jack Ketchum réputé inadaptable à l'écran et basé sur des faits réels. Le réalisateur, présent en début de projection, justifie d'ailleurs le traîtement de ce sujet par la réalité dont il est issu, et par le projet de comprendre les ressorts de ses protagonistes dans un type d'affaire qu'il décrit comme affreusement banal aux Etats-Unis. Qu'on se le tienne pour dit …
Reste à s'enchaîner à son siège, à y mettre un solide cadenas, et à jeter très loin la clé pour ne pas être tenté de s'enfuir en cours de séance. Les quelques uns qui avaient oubliés de prendre cette précaution sont d'ailleurs sortis au fur et à mesure de l'épuisement de leur résistance, parfois en protestant de colère à haute voix, parfois en allant s'affaler en pleurs sur les marches une fois passée la porte de sortie. Voilà pour le contexte ; maintenant l'histoire. Dans une petite ville étatsunienne middle class de 1958, deux maisons voisines sont occupées l'une par les Moran, dont leur fils de 12 ans, David (enfant :Daniel Manche / adulte : William Atherton), et l'autre par les Chandler. Ruth Chandler (Blanche Baker) élève seule ses trois garçons, Willie (Graham Patrick Martin), Donny (Benjamin Ross Kaplan), et Ralphie (Austin Williams), depuis que leur père les a plantés là. Arrivent deux cousines des Chandler, Meg Loughlin (Blythe Auffarth) et sa plus jeune sœur Susan (Madeline Taylor), confiées à Ruth au décès accidentel de leurs parents. David fait la connaissance de Meg au bord de la rivière.
Rapidement, Ruth développe une animosité croissante contre ses nièces, en particulier contre Meg qui devient son souffre-douleur. Les choses, pour rapides qu'elles soient, ne surviennent cependant pas subitement, et on sent bien la tension monter sous des prétextes d'abord futiles puis de plus en plus artificiels, chez une femme rongée d'une colère contenue contre l'abandon de son mari, contre l'affection manifeste qui unissant les filles à leurs parents, contre la concurrence potentielle de féminité qui entre dans sa maison, … De souffre-douleur, cette animosité de plus en plus obsessionnelle enferme progressivement Meg dans un statut de victime expiatoire de sévices de plus en plus profonds dans lesquels Ruth entraîne non seulement ses propres enfants, mais jusqu'aux gamins du voisinage fascinés conviés à assister puis à participer à des séances de torture décrite dans toute son escalade.
Seul David garde un brin de lucidité qui le pousse à lancer quelques timides appels à l'aide auprès des autres adultes, en particulier de ses parents (Catherine Mary Stewart et Grant Show), mais appels d'une telle maladresse qu'ils restent incompris. Et quand l'insupportable le pousse malgré tout à la révolte qui aboutira à faire cesser ces atrocités, s'il parvient à arracher Susan à l'enfer, il est trop tard pour Meg qui succombe martyrisée. L'histoire qui commençait comme une chronique bucolique de l'Amérique de la fin des années 50, puis semblait tourner à celle d'une Cendrillon des temps modernes, prend finalement la voie du dérapage extrême dans une folie aux racines d'autant plus effrayantes qu'elles plongent dans la banalité. Rien n'est épargné, ni du mécanisme de construction et de mise en place de cette folie, ni de son passage à l'acte, ni de sa contagion. Même la recherche de la victime idéale est envisagée, le choix se portant finalement sur Meg alors qu'il semblait initialement se porter sur la plus faible, Susan, non seulement la plus jeune mais aussi porteuse des séquelles d'une poliomyélite qui lui entrave les jambes. Mais Susan était justement trop faible, presque sans révolte, alors que la révolte de Meg, son attitude protectrice de sa jeune sœur, en fait un adversaire d'autant plus intéressant à briser pour Ruth qui dispose de plus en Susan d'un otage offrant un point d'appui permettant de briser Meg physiquement tout en la baillonnant mentalement.
Est-ce devant la dureté du film que le réalisateur a senti la nécessité d'introduire une ébauche d'éclaircie en instillant une semi-morale tenant en une réplique deux fois répétée et affirmant que, quelles que soient les fautes, seuls les derniers actes comptent ? Réplique aussi bien dans la bouche de Meg pardonnant avant de mourir à David la lenteur de son intervention que dans celle de David adulte en forme de justification ultime permettant de survivre au sentiment de culpabilité ? Il fallait bien cela pour éviter d'en rester à une impression d'inutilité odieuse d'un tel film. Malgré cela, les réactions dans la salle, par la multiplication des sorties précipitées et par le mélange final d'applaudissements et de huées, témoignent de l'incompréhension de l'absurde se muant en incompréhension du projet même de porter l'absurde à l'écran avec ce réalisme, ce souci du détail, cette perversité.
Peut-être aussi de l'affolement qu'un tel sujet ait pu être tourné, faisant participer des enfants-acteurs sans autre protection annoncée, selon les termes du réalisateur, que leur sélection difficile avant d'en trouver de suffisamment « talentueux et braves pour assumer leurs rôles ».
Que dire de plus ? Je ne sais plus tant les mots manquent et tant l'esprit reste abasourdi même à distance de la fin de la projection. Et tant la nausée revient à la charge …
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