Le dernier procès de Nuremberg
Classique pour classique, autant y aller franco. Juste pour rire, trouve-moi le générique qui associe Spencer Tracy, Richard Widmark, Montgomery Clift, Burt Lancaster, Marlene Dietrich, Maximilian Schell, Judy Garland et William Schatner … Par facile, n’est-ce pas ? Allez, je t’aide : Stanley Kramer aux manettes. Comment ça, « Qui c’est ? ». Tu te moques, là, non ? Celui des « Révoltés du Bounty » et de « Devine qui vient diner ce soir » … Alors, ça te revient ?... Et si on disait « Jugement à Nuremberg » ? Ca t’en bouche un coin, ça, non ? Il fallait le trouver celui là, hein ? Eh ben, voilà ! Tu l’as rêvé, Tonton Sylvain l’a fait. Comme quoi, la Sylvain Etiret Company, et quoi qu’en dise notre envoyé spécial sur « Cabale à Kaboul », ce n’est pas que du film d’auteur. Mais ça n’est pas la démocratie non plus. Ce genre de truc, c’est Tonton Sylvain lui-même qui s’y colle, pas un gringalet de jeunot. Morbleu, il faut un patron dans cette maison. J’ai dit ! Mais foin des querelles intestines, et revenons à nos ovins. « Jugement à Nuremberg », quoi que doté d’une solide distribution, n’a certes pas eu dans les mémoires la carrière de moults autres productions prestigieuses. Peut-être bien à tort, va savoir.
L’histoire elle-même est assez simple. Le Juge Dan Haywood (Spencer Tracy) arrive à Nuremberg directement des Etats-Unis, quelques années après la fin de la Seconde Guerre Mondiale, pour présider une cession du tribunal réuni dans cette ville pour juger les criminels de guerre nazis. C’est un juge civil et il est accueilli par le Capitaine Harrison Byers (William Schatner) au nom des forces d’occupation qui le logent dans une demeure réquisitionnée avec ses domestiques allemands. Rapidement, il fait la connaissance de l’ancienne propriétaire des lieux, Madame Bertholt (Marlene Dietrich), passée prendre quelques affaires auprès de ses anciens domestiques. Il fait également un peu connaissance avec la ville d’une part dans son passé récent en visitant les lieux imposants des anciens meetings hitlériens et d’autre part dans ses quartiers quasiment rasés et en pleine reconstruction. Il fait enfin connaissance avec le duo de ses assesseurs, les juges Kenneth Norris (Kenneth MacKenna) et Curtiss Ives (Ray Teal), avant de se retrouver à présider sa première audience. Le sujet est de juger quatre juges de l’Allemagne nazie, Emil Hahn (Werner Klemperer), Werner Lampe (Torben Meyer), Friedrich Hofstetter (Martin Brandt), et le Dr Ernst Janning (Burt Lancaster), ancien ministre de la justice, tous représentés par le même avocat, Hans Rolfe (Maximilian Schell), lors de débats l’opposant au ministère public représenté par un militaire américain, le Colonel Tad Lawson (Richard Widmark).
Contrairement à ses co-accusés qui répondent aux questions qui leur sont posées, et malgré l’insistance de son avocat, Janning choisit, sans s’en expliquer initialement, de rester muet pendant les débats. Débats qui vont prendre un tour particulier après la longue litanie, présentée par l’accusation, des victimes des crimes des quatre allemands, lorsque Rolfe, ayant tenté de discréditer ces dossiers possiblement douteux en l’absence de victime pouvant être interrogée de manière contradictoire, se voit proposer de limiter l’examen à quelques cas exemplaires pour lesquels des victimes et des témoins sont disponibles. Commencent alors les interrogatoires de Rudolph Petersen (Montgomery Clift), victime des lois de stérilisation forcées, de Irene Hoffman Wallner (Judy Garland), victime des lois de ségrégation contre les juifs, et du Professeur Karl Wieck dont Janning a été un brillant étudiant en thèse de droit.
Rolfe se démène pour minimiser les faits, jouer des failles de mémoire, jeter des doutes sur la crédibilités des témoins, mais surtout pour présenter ses clients comme de simples exécutants d’une tâche de Justice appliquant la loi, comme c’est le devoir d’un juge, sans s’autoriser à la juger elle-même. Et c’est bien autour de ce point que tournera l’essentiel du dilemme : un juge a-t-il la légitimité pour critiquer la loi qu’il est en charge d’appliquer, quel que soit son caractère odieux ou non ? D’ailleurs, le caractère odieux n’est-il pas en réalité relatif tant il est possible de retrouver dans des législations étrangères, et l’exemple pris l’est dans le droit américain, des règles voisines de celles qu’on reproche aux juges allemands d’avoir accepté d’appliquer. D’ailleurs aussi, les lois en cause n’avaient-elles pas permis de lutter efficacement contre l’avancée communiste que les Etats-Unis s’étaient eux-mêmes donnés comme ennemi ? Le patriotisme et l’intérêt supérieur de la nation ne commandaient-ils pas à bon droit une rigueur législative imposée par les faits et les dangers de l’époque ?
Emporté par sa fougue, Rolfe est alors surpris à rudoyer certains témoins, reprenant sans y prendre garde certaines des méthodes et l’agressivité du régime que servaient ses clients. Et c’est à la surprise générale que Janning sort brutalement de son mutisme pour lui interdire les dévoiements. Janning, le brillant avocat, le ministre zélé, le juriste pointilleux, fait alors retour sur son passé et son action, reconnaissant son trouble et sa honte d’avoir participé à de telles exactions sous couvert de légalité et de culture du résultat, avant de reprendre sa posture de silence obstiné.
Et le procès se poursuit ainsi, gravitant autour de lui-même, sans pour autant être indifférent aux vicissitudes du contexte socio-militaro-politique ambiant. Les pressions s’amoncèlent pour en clore les débats, pressant Lawson dans son réquisitoire et Haywood dans sa conclusion de tenir compte du blocus que l’URSS vient de déclarer sur Berlin, et de ménager le peuple et les élites allemandes à une heure où ils deviennent des alliés face à la menace rouge. Comme pour valider l’utilité alléguée par Rolfe de la politique du IIIème Reich. Symétriquement, Madame Bertholt se révèle être la veuve d’un général condamné à mort qui tente de peser pour faire cesser le zèle américain par son lien avec Haywood.
C’est dans cette ambiance que Haywood tente de trouver la voie de la justice, écoutant, posant à l’occasion quelques questions, à la fois envahi par la barbarie qui le révulse et la raison qui lui impose d’entendre et de soupeser les arguments présentés.
Situant l’action non pas au début de la période des procès de Nuremberg, mais à sa fin, Stanley Kramer pose d’emblée son film non comme une réflexion sur la période historique de l’après-guerre et de ses règlements, mais comme une pensée sur la justice elle-même.
La question posée ici n’est pas celle de la culpabilité de ces quelques sous-fifres, même de haut niveau, mais bien plus celle du concept de justice. Y a-t-il une justice qui soit bonne en elle-même, par sa propre nature, ou fait-elle obligatoirement référence à un code nécessairement dépendant du contexte dans lequel il a été établi ? Le juge est-il alors le gardien du bien ou l’évaluateur aveugle des faits qui lui sont soumis à l’aune d’une norme convenue ? Un juge est-il comptable de la loi qu’il applique ou doit-il rester sourd à ses éventuels échos d’iniquité ? Un juge peut-il s’arroger le droit de critiquer la loi, la norme qu’il est chargé d’appliquer, à la toise d’une raison supérieure à la loi même ? Et si c’était le cas, qui définirait cette raison supérieure, qui veillerait à son actualisation, à son adaptation à un quotidien changeant, voire mouvant ? Une même loi édictée en Virginie au XVIIIème siècle peut-elle être reprise en tant que précédent dans un contexte d’après guerre du XXème siècle ?
Quel est le rôle de la décision judiciaire : punir, écarter, venger, donner l’exemple ? Est-elle faite pour le coupable, pour la victime, pour la société ? L’intérêt géopolitique peut-il interférer dans une sentence sur un cas particulier ? La société peut-elle se mettre en péril en poursuivant la quête de la sentence contre les crimes d’un seul individu ? Autrement dit, l’intérêt de la communauté peut-il s’imposer devant l’intérêt d’un seul ? L’utilité du soutien des allemands dans la crise contre l’URSS peut-il justifier la minoration des méfaits de certains allemands ?
Tous les moyens sont-ils bons dans la quête de l’établissement de la vérité ? Rolfe peut-il rudoyer des témoins également victimes pour les faire acquiescer à un point de sa démonstration ?
Les regrets, les remords, l’auto-sanction d’un coupable qui prend conscience de ses crimes et les renie peuvent-il remplacer la sanction par la société ? Si non, qui condamne-t-on, un repenti qui n’a pourtant plus besoin de cette sanction pour expier ses fautes ou un coupable qui doit quoi qu’il arrive subir un châtiment ? Le retour sincère de Janning sur lui-même justifierait-il une forme de pardon ?
La liste des questions est sans fin.
Au chapitre des acteurs, on pourrait se contenter de lister le casting, et on en resterait sur le sentiment d’être impressionné. Bien sûr, il y a un Montgomery Clift plus torturé que jamais, d’autant plus qu’il a lui-même participé à la rédaction d’un scénario où il trouve un rôle où s’exprimer sans mesure. Bien sûr, il y a Judy Garland, mais à peine reconnaissable sous des traits emphatiques. Richard Widmark, dans un de ses rares rôles où il ne campe pas un sale type, fait du Widmark, tout simplement. Burt Lancaster, en juriste vieillissant, tente bien sa chance, mais n’est guère servi par un maquillage approximatif qui minerait sa crédibilité si elle avait une importance. Restent Spencer Tracy et Marlene Dietrich. Là, pas de mystère. Les a-t-on vu un jour ne pas être à la hauteur. Il y a chez ces deux là une façon, chacun à sa façon, de rendre l’humanité d’un personnage qui ne se perd pas en étalage d’émotions. Nul besoin de cris, de mimiques inspirées, de « travail d’acteur ». Les choses sont simples. Ils sont dans l’histoire, à leurs places bien comprises de simples mortels tentant de comprendre le monde qui les entoure et de le rendre meilleur, chacun à son humble mesure, péniblement, lentement, en accord ou en désaccord, mais honnêtement.
La réalisation, de son côté, est simple, directe, sans rechercher d’effet excessif. Bien sûr, elle n’échappe pas à quelques clichés dont la visite de Haywood sur les lieux des cérémonies hitleriennes est un bel exemple. L’homme mûr, dans son uniforme d’homme simple à cache-nez, pardessus et chapeau, le regard plongeant dans le souvenir de l’histoire, semble faire une concession au genre pour ne plus ensuite y revenir. Quelques autres séquences, avec l’un ou l’autre personnage, se complaisent un peu dans un pathos attendu, pour se faire bien vite oublier.
Car l’essentiel n’est pas là. Il est dans cette façon de clore un épisode tragique de l’histoire, de refermer le dernier procès de Nuremberg avant de laisser l’Histoire prendre un autre tournant, sans ni pardonner ni oublier les fautes, juste en les disant, en les marquant, en les posant, et finalement en les digérant comme un des éléments constitutifs, pour tragiques et odieux qu’ils soient, de l’avenir.
Classique pour classique, autant y aller franco. Juste pour rire, trouve-moi le générique qui associe Spencer Tracy, Richard Widmark, Montgomery Clift, Burt Lancaster, Marlene Dietrich, Maximilian Schell, Judy Garland et William Schatner … Par facile, n’est-ce pas ? Allez, je t’aide : Stanley Kramer aux manettes. Comment ça, « Qui c’est ? ». Tu te moques, là, non ? Celui des « Révoltés du Bounty » et de « Devine qui vient diner ce soir » … Alors, ça te revient ?... Et si on disait « Jugement à Nuremberg » ? Ca t’en bouche un coin, ça, non ? Il fallait le trouver celui là, hein ? Eh ben, voilà ! Tu l’as rêvé, Tonton Sylvain l’a fait. Comme quoi, la Sylvain Etiret Company, et quoi qu’en dise notre envoyé spécial sur « Cabale à Kaboul », ce n’est pas que du film d’auteur. Mais ça n’est pas la démocratie non plus. Ce genre de truc, c’est Tonton Sylvain lui-même qui s’y colle, pas un gringalet de jeunot. Morbleu, il faut un patron dans cette maison. J’ai dit ! Mais foin des querelles intestines, et revenons à nos ovins. « Jugement à Nuremberg », quoi que doté d’une solide distribution, n’a certes pas eu dans les mémoires la carrière de moults autres productions prestigieuses. Peut-être bien à tort, va savoir.
L’histoire elle-même est assez simple. Le Juge Dan Haywood (Spencer Tracy) arrive à Nuremberg directement des Etats-Unis, quelques années après la fin de la Seconde Guerre Mondiale, pour présider une cession du tribunal réuni dans cette ville pour juger les criminels de guerre nazis. C’est un juge civil et il est accueilli par le Capitaine Harrison Byers (William Schatner) au nom des forces d’occupation qui le logent dans une demeure réquisitionnée avec ses domestiques allemands. Rapidement, il fait la connaissance de l’ancienne propriétaire des lieux, Madame Bertholt (Marlene Dietrich), passée prendre quelques affaires auprès de ses anciens domestiques. Il fait également un peu connaissance avec la ville d’une part dans son passé récent en visitant les lieux imposants des anciens meetings hitlériens et d’autre part dans ses quartiers quasiment rasés et en pleine reconstruction. Il fait enfin connaissance avec le duo de ses assesseurs, les juges Kenneth Norris (Kenneth MacKenna) et Curtiss Ives (Ray Teal), avant de se retrouver à présider sa première audience. Le sujet est de juger quatre juges de l’Allemagne nazie, Emil Hahn (Werner Klemperer), Werner Lampe (Torben Meyer), Friedrich Hofstetter (Martin Brandt), et le Dr Ernst Janning (Burt Lancaster), ancien ministre de la justice, tous représentés par le même avocat, Hans Rolfe (Maximilian Schell), lors de débats l’opposant au ministère public représenté par un militaire américain, le Colonel Tad Lawson (Richard Widmark).
Contrairement à ses co-accusés qui répondent aux questions qui leur sont posées, et malgré l’insistance de son avocat, Janning choisit, sans s’en expliquer initialement, de rester muet pendant les débats. Débats qui vont prendre un tour particulier après la longue litanie, présentée par l’accusation, des victimes des crimes des quatre allemands, lorsque Rolfe, ayant tenté de discréditer ces dossiers possiblement douteux en l’absence de victime pouvant être interrogée de manière contradictoire, se voit proposer de limiter l’examen à quelques cas exemplaires pour lesquels des victimes et des témoins sont disponibles. Commencent alors les interrogatoires de Rudolph Petersen (Montgomery Clift), victime des lois de stérilisation forcées, de Irene Hoffman Wallner (Judy Garland), victime des lois de ségrégation contre les juifs, et du Professeur Karl Wieck dont Janning a été un brillant étudiant en thèse de droit.
Rolfe se démène pour minimiser les faits, jouer des failles de mémoire, jeter des doutes sur la crédibilités des témoins, mais surtout pour présenter ses clients comme de simples exécutants d’une tâche de Justice appliquant la loi, comme c’est le devoir d’un juge, sans s’autoriser à la juger elle-même. Et c’est bien autour de ce point que tournera l’essentiel du dilemme : un juge a-t-il la légitimité pour critiquer la loi qu’il est en charge d’appliquer, quel que soit son caractère odieux ou non ? D’ailleurs, le caractère odieux n’est-il pas en réalité relatif tant il est possible de retrouver dans des législations étrangères, et l’exemple pris l’est dans le droit américain, des règles voisines de celles qu’on reproche aux juges allemands d’avoir accepté d’appliquer. D’ailleurs aussi, les lois en cause n’avaient-elles pas permis de lutter efficacement contre l’avancée communiste que les Etats-Unis s’étaient eux-mêmes donnés comme ennemi ? Le patriotisme et l’intérêt supérieur de la nation ne commandaient-ils pas à bon droit une rigueur législative imposée par les faits et les dangers de l’époque ?
Emporté par sa fougue, Rolfe est alors surpris à rudoyer certains témoins, reprenant sans y prendre garde certaines des méthodes et l’agressivité du régime que servaient ses clients. Et c’est à la surprise générale que Janning sort brutalement de son mutisme pour lui interdire les dévoiements. Janning, le brillant avocat, le ministre zélé, le juriste pointilleux, fait alors retour sur son passé et son action, reconnaissant son trouble et sa honte d’avoir participé à de telles exactions sous couvert de légalité et de culture du résultat, avant de reprendre sa posture de silence obstiné.
Et le procès se poursuit ainsi, gravitant autour de lui-même, sans pour autant être indifférent aux vicissitudes du contexte socio-militaro-politique ambiant. Les pressions s’amoncèlent pour en clore les débats, pressant Lawson dans son réquisitoire et Haywood dans sa conclusion de tenir compte du blocus que l’URSS vient de déclarer sur Berlin, et de ménager le peuple et les élites allemandes à une heure où ils deviennent des alliés face à la menace rouge. Comme pour valider l’utilité alléguée par Rolfe de la politique du IIIème Reich. Symétriquement, Madame Bertholt se révèle être la veuve d’un général condamné à mort qui tente de peser pour faire cesser le zèle américain par son lien avec Haywood.
C’est dans cette ambiance que Haywood tente de trouver la voie de la justice, écoutant, posant à l’occasion quelques questions, à la fois envahi par la barbarie qui le révulse et la raison qui lui impose d’entendre et de soupeser les arguments présentés.
Situant l’action non pas au début de la période des procès de Nuremberg, mais à sa fin, Stanley Kramer pose d’emblée son film non comme une réflexion sur la période historique de l’après-guerre et de ses règlements, mais comme une pensée sur la justice elle-même.
La question posée ici n’est pas celle de la culpabilité de ces quelques sous-fifres, même de haut niveau, mais bien plus celle du concept de justice. Y a-t-il une justice qui soit bonne en elle-même, par sa propre nature, ou fait-elle obligatoirement référence à un code nécessairement dépendant du contexte dans lequel il a été établi ? Le juge est-il alors le gardien du bien ou l’évaluateur aveugle des faits qui lui sont soumis à l’aune d’une norme convenue ? Un juge est-il comptable de la loi qu’il applique ou doit-il rester sourd à ses éventuels échos d’iniquité ? Un juge peut-il s’arroger le droit de critiquer la loi, la norme qu’il est chargé d’appliquer, à la toise d’une raison supérieure à la loi même ? Et si c’était le cas, qui définirait cette raison supérieure, qui veillerait à son actualisation, à son adaptation à un quotidien changeant, voire mouvant ? Une même loi édictée en Virginie au XVIIIème siècle peut-elle être reprise en tant que précédent dans un contexte d’après guerre du XXème siècle ?
Quel est le rôle de la décision judiciaire : punir, écarter, venger, donner l’exemple ? Est-elle faite pour le coupable, pour la victime, pour la société ? L’intérêt géopolitique peut-il interférer dans une sentence sur un cas particulier ? La société peut-elle se mettre en péril en poursuivant la quête de la sentence contre les crimes d’un seul individu ? Autrement dit, l’intérêt de la communauté peut-il s’imposer devant l’intérêt d’un seul ? L’utilité du soutien des allemands dans la crise contre l’URSS peut-il justifier la minoration des méfaits de certains allemands ?
Tous les moyens sont-ils bons dans la quête de l’établissement de la vérité ? Rolfe peut-il rudoyer des témoins également victimes pour les faire acquiescer à un point de sa démonstration ?
Les regrets, les remords, l’auto-sanction d’un coupable qui prend conscience de ses crimes et les renie peuvent-il remplacer la sanction par la société ? Si non, qui condamne-t-on, un repenti qui n’a pourtant plus besoin de cette sanction pour expier ses fautes ou un coupable qui doit quoi qu’il arrive subir un châtiment ? Le retour sincère de Janning sur lui-même justifierait-il une forme de pardon ?
La liste des questions est sans fin.
Au chapitre des acteurs, on pourrait se contenter de lister le casting, et on en resterait sur le sentiment d’être impressionné. Bien sûr, il y a un Montgomery Clift plus torturé que jamais, d’autant plus qu’il a lui-même participé à la rédaction d’un scénario où il trouve un rôle où s’exprimer sans mesure. Bien sûr, il y a Judy Garland, mais à peine reconnaissable sous des traits emphatiques. Richard Widmark, dans un de ses rares rôles où il ne campe pas un sale type, fait du Widmark, tout simplement. Burt Lancaster, en juriste vieillissant, tente bien sa chance, mais n’est guère servi par un maquillage approximatif qui minerait sa crédibilité si elle avait une importance. Restent Spencer Tracy et Marlene Dietrich. Là, pas de mystère. Les a-t-on vu un jour ne pas être à la hauteur. Il y a chez ces deux là une façon, chacun à sa façon, de rendre l’humanité d’un personnage qui ne se perd pas en étalage d’émotions. Nul besoin de cris, de mimiques inspirées, de « travail d’acteur ». Les choses sont simples. Ils sont dans l’histoire, à leurs places bien comprises de simples mortels tentant de comprendre le monde qui les entoure et de le rendre meilleur, chacun à son humble mesure, péniblement, lentement, en accord ou en désaccord, mais honnêtement.
La réalisation, de son côté, est simple, directe, sans rechercher d’effet excessif. Bien sûr, elle n’échappe pas à quelques clichés dont la visite de Haywood sur les lieux des cérémonies hitleriennes est un bel exemple. L’homme mûr, dans son uniforme d’homme simple à cache-nez, pardessus et chapeau, le regard plongeant dans le souvenir de l’histoire, semble faire une concession au genre pour ne plus ensuite y revenir. Quelques autres séquences, avec l’un ou l’autre personnage, se complaisent un peu dans un pathos attendu, pour se faire bien vite oublier.
Car l’essentiel n’est pas là. Il est dans cette façon de clore un épisode tragique de l’histoire, de refermer le dernier procès de Nuremberg avant de laisser l’Histoire prendre un autre tournant, sans ni pardonner ni oublier les fautes, juste en les disant, en les marquant, en les posant, et finalement en les digérant comme un des éléments constitutifs, pour tragiques et odieux qu’ils soient, de l’avenir.
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