La chute du coléoptère
Dans sa série des Soirées Intellos du Père Sylvain, la Sylvain Etiret Company vous propose aujourd'hui, en direct de la Cinémathèque Française et de sa reprise de la sélection de films de la Semaine de la Critique de Cannes 2008, le film primé par la Mention Spéciale de la Caméra d'Or, « Ils mourront tous sauf moi » (« Vse umrut a ja ostanus »), de Valeria Gaï Guermanika. Et ce n'est pas une mince affaire …
Annonçons le tout de go, il n'est guère commode ni guère engageant de se lancer dans l'aventure en sachant par avance combien on va se faire allumer en écrivant à quel point rien dans ce film, pourtant relevé par une élite cinéphilique, ne correspond à l'image que peut se faire le beauf de base plus ou moins éclairé du concept de film ou de celui de cinéma. Mais, soyons honnête, j'exagère peut-être un peu : il est projeté sur un écran dans une salle sombre devant quelques rangées de fauteuils auxquels on a accédé après avoir acquis un ticket au guichet. Donc c'est du cinoche. Rien à dire. Mea culpa ! Mais passée cette première barrière nosologique, rien, calme plat, morne plaine ! Et là, je sens déjà le souffle chauds des boulets rouges commencer à me cuire les arpions.
Mais Tonton Sylvain n'est guère d'humeur à se laisser briser menue sa constance de spectateur au nom d'un conformisme béat. Tu penses, il vient de s'avaler « Tony Manero » en sélection pour la Quinzaine des Réalisateurs, et ça lui a tellement roussi le poil qu'il y a épuisé d'un coup toute sa réserve d'indulgence. Alors ce n'est pas un film russe promis au rapide statut de serre-livres exotique qui pourrait être à la hauteur de son injuste mais saine colère.
L'histoire, puisque finalement il faut bien se résoudre à la décrire, se centre sur une semaine de la vie de trois copines, Katia, Zhanna et Vika (Polina Philonenko, Agnia Kuznetsova et Olga Shuvalova), durant la semaine précédant une fête de leur lycée. Elles ont des préoccupations de leur âge, tournant principalement autour des mythes qu'elles se construisent et se répètent concernant les garçons, l'alcool, l'herbe. Elles participent néanmoins à la vie scolaire avec son lot de cours et de confrontations avec les autres adolescents du lycée. Elles ont également leur lot de conflits familiaux. La semaine précédant la fête est essentiellement marquée par un coup d'éclat de Katia qui tient tête à sa prof de math avant de quitter la classe à grands fracas, suivie par ses deux copines solidaires. La suite lui voit payer les conséquences de ce geste, tant par l'explosion progressive de la belle amitié qu'on croyait éternelle, c'est-à-dire « jusqu'à ce qu'on soit adultes », que par le retournement des autres lycéens face à la perspective d'annulation de la fête par sa faute, ou par le renforcement du joug parental. Révolte, engueulades, violence, spirale descendante vers les affres du passage à l'acte, s'enchaînent alors jusqu'à l'apothéose finale des trois copines sombrant séparément dans le coma éthylique, le viol, ou le passage à tabac.
Nul mystère à l'horizon de cette histoire, et les amateurs de sinistre seront à la fête comme promis. Les premières scènes peuvent éventuellement faire brièvement illusion, mais l'ambiance est rapidement rattrapée par la multiplication acide des symptômes de la puérilité juvénile de ces demoiselles et de leurs congénères. Les stigmates de l'adolescence sont d'ailleurs marqués d'une internationalisation de la chose, au point qu'en coupant le son on serait aussi bien dans un quartier de Londres, de Paris, ou de New York, que dans la banlieue moscovite. Et c'est peut-être le seul point rassurant du document, l'impression qu'on ne nous oblige pas à un changement de repères et qu'on peut, pour peu qu'on s'y intéresse, plonger directement dans le bain.
Les émotions surjouées des adolescents sont mises d'emblée en avant, avec des bascules subites des larmes du deuil d'un chat à l'évocation des plaisirs fantasmés d'une fête à venir, des serments à l'emporte pièce qui confondent ouvertement l'instant immédiat et une éternité limitée à la portée de la vue basse des protagonistes. La révolte face à l'autorité parentale, et plus généralement face à celle des adultes, prend un tour soudain et violent qui fait un écho exemplaire de caricature à la violence tant physique que verbale à laquelle elle est supposée répondre. L'intériorisation de la révolte, la limite du passage à l'acte, ne semblent pas être des notions ayant droit de citer dans le discours présenté. Les conciliabules enfantins, les confidences sur fond de secret d'état, les complots de pacotille, les expériences interdites, la confrontation quasi-initiatique aux gamins plus âgés … finalement le manuel entier de psychologie adolescente semble avoir eu vocation à fournir des illustrations classifiées à chaque scène tournée.
Et pour faire bonne mesure, la garde-robe des personnages est comme un personnage supplémentaire, aussi symboliquement et exemplairement expressif qu'une explication littérale. Les humeurs, les passions, les emportements, les abattements, les positions sociales, les situations, sont décodées et recodées dans un vocabulaire vestimentaire élémentaire. Peut-être pour le cas où le spectateur assoupi qui aurait décroché un instant se trouverait en levant une paupière dans la nécessité de reprendre aisément et sans retard le fil de l'eau.
Même les fantasmes attribués à ces pauvres jeunes filles semblent tout droit sortis d'un journal féminin à la rubrique du courrier des lectrices au psychologue du journal. Le sexe, l'alcool, la drogue. Il n'y manquerait que l'argent et le jeu (pour autant que ces deux-là soient différents) pour couvrir la panoplie des pêchés sociaux, mais il faudrait que le projet vise des adolescents un peu plus âgés. Au moins, on a évité ça.
Naturellement, dès lors qu'on a saisi la nature du projet, son issue est inéluctable de noirceur. Encore faut-il avoir accepté l'idée que la réalisatrice voulait effectivement en rester à ce niveau improbable de description primaire des clichés de l'adolescence. C'est pourtant le cas, et tant pis pour les quelques indécrottables ahuris qui avaient espéré jusqu'au bout un projet plus tenu.
Finalement, de cliché en cliché, d'exagération en caricature, l'histoire atteint son terme au moment exact où on se dit qu'une présence polie sur les bancs de la Cinémathèque a ses limites qu'on ne saurait plus longtemps franchir. En tout cas selon le référentiel de ce pauvre Tonton Sylvain épuisé et impatient de sortir s'en griller une pour digérer l'indigérable. D'autant qu'à mesure qu'avançait la projection se creusait l'insondable mystère de la victoire de ce document dans une compétition prestigieuse. De quoi foutre le bourdon à une armée de coléoptères …
Dans sa série des Soirées Intellos du Père Sylvain, la Sylvain Etiret Company vous propose aujourd'hui, en direct de la Cinémathèque Française et de sa reprise de la sélection de films de la Semaine de la Critique de Cannes 2008, le film primé par la Mention Spéciale de la Caméra d'Or, « Ils mourront tous sauf moi » (« Vse umrut a ja ostanus »), de Valeria Gaï Guermanika. Et ce n'est pas une mince affaire …
Annonçons le tout de go, il n'est guère commode ni guère engageant de se lancer dans l'aventure en sachant par avance combien on va se faire allumer en écrivant à quel point rien dans ce film, pourtant relevé par une élite cinéphilique, ne correspond à l'image que peut se faire le beauf de base plus ou moins éclairé du concept de film ou de celui de cinéma. Mais, soyons honnête, j'exagère peut-être un peu : il est projeté sur un écran dans une salle sombre devant quelques rangées de fauteuils auxquels on a accédé après avoir acquis un ticket au guichet. Donc c'est du cinoche. Rien à dire. Mea culpa ! Mais passée cette première barrière nosologique, rien, calme plat, morne plaine ! Et là, je sens déjà le souffle chauds des boulets rouges commencer à me cuire les arpions.
Mais Tonton Sylvain n'est guère d'humeur à se laisser briser menue sa constance de spectateur au nom d'un conformisme béat. Tu penses, il vient de s'avaler « Tony Manero » en sélection pour la Quinzaine des Réalisateurs, et ça lui a tellement roussi le poil qu'il y a épuisé d'un coup toute sa réserve d'indulgence. Alors ce n'est pas un film russe promis au rapide statut de serre-livres exotique qui pourrait être à la hauteur de son injuste mais saine colère.
L'histoire, puisque finalement il faut bien se résoudre à la décrire, se centre sur une semaine de la vie de trois copines, Katia, Zhanna et Vika (Polina Philonenko, Agnia Kuznetsova et Olga Shuvalova), durant la semaine précédant une fête de leur lycée. Elles ont des préoccupations de leur âge, tournant principalement autour des mythes qu'elles se construisent et se répètent concernant les garçons, l'alcool, l'herbe. Elles participent néanmoins à la vie scolaire avec son lot de cours et de confrontations avec les autres adolescents du lycée. Elles ont également leur lot de conflits familiaux. La semaine précédant la fête est essentiellement marquée par un coup d'éclat de Katia qui tient tête à sa prof de math avant de quitter la classe à grands fracas, suivie par ses deux copines solidaires. La suite lui voit payer les conséquences de ce geste, tant par l'explosion progressive de la belle amitié qu'on croyait éternelle, c'est-à-dire « jusqu'à ce qu'on soit adultes », que par le retournement des autres lycéens face à la perspective d'annulation de la fête par sa faute, ou par le renforcement du joug parental. Révolte, engueulades, violence, spirale descendante vers les affres du passage à l'acte, s'enchaînent alors jusqu'à l'apothéose finale des trois copines sombrant séparément dans le coma éthylique, le viol, ou le passage à tabac.
Nul mystère à l'horizon de cette histoire, et les amateurs de sinistre seront à la fête comme promis. Les premières scènes peuvent éventuellement faire brièvement illusion, mais l'ambiance est rapidement rattrapée par la multiplication acide des symptômes de la puérilité juvénile de ces demoiselles et de leurs congénères. Les stigmates de l'adolescence sont d'ailleurs marqués d'une internationalisation de la chose, au point qu'en coupant le son on serait aussi bien dans un quartier de Londres, de Paris, ou de New York, que dans la banlieue moscovite. Et c'est peut-être le seul point rassurant du document, l'impression qu'on ne nous oblige pas à un changement de repères et qu'on peut, pour peu qu'on s'y intéresse, plonger directement dans le bain.
Les émotions surjouées des adolescents sont mises d'emblée en avant, avec des bascules subites des larmes du deuil d'un chat à l'évocation des plaisirs fantasmés d'une fête à venir, des serments à l'emporte pièce qui confondent ouvertement l'instant immédiat et une éternité limitée à la portée de la vue basse des protagonistes. La révolte face à l'autorité parentale, et plus généralement face à celle des adultes, prend un tour soudain et violent qui fait un écho exemplaire de caricature à la violence tant physique que verbale à laquelle elle est supposée répondre. L'intériorisation de la révolte, la limite du passage à l'acte, ne semblent pas être des notions ayant droit de citer dans le discours présenté. Les conciliabules enfantins, les confidences sur fond de secret d'état, les complots de pacotille, les expériences interdites, la confrontation quasi-initiatique aux gamins plus âgés … finalement le manuel entier de psychologie adolescente semble avoir eu vocation à fournir des illustrations classifiées à chaque scène tournée.
Et pour faire bonne mesure, la garde-robe des personnages est comme un personnage supplémentaire, aussi symboliquement et exemplairement expressif qu'une explication littérale. Les humeurs, les passions, les emportements, les abattements, les positions sociales, les situations, sont décodées et recodées dans un vocabulaire vestimentaire élémentaire. Peut-être pour le cas où le spectateur assoupi qui aurait décroché un instant se trouverait en levant une paupière dans la nécessité de reprendre aisément et sans retard le fil de l'eau.
Même les fantasmes attribués à ces pauvres jeunes filles semblent tout droit sortis d'un journal féminin à la rubrique du courrier des lectrices au psychologue du journal. Le sexe, l'alcool, la drogue. Il n'y manquerait que l'argent et le jeu (pour autant que ces deux-là soient différents) pour couvrir la panoplie des pêchés sociaux, mais il faudrait que le projet vise des adolescents un peu plus âgés. Au moins, on a évité ça.
Naturellement, dès lors qu'on a saisi la nature du projet, son issue est inéluctable de noirceur. Encore faut-il avoir accepté l'idée que la réalisatrice voulait effectivement en rester à ce niveau improbable de description primaire des clichés de l'adolescence. C'est pourtant le cas, et tant pis pour les quelques indécrottables ahuris qui avaient espéré jusqu'au bout un projet plus tenu.
Finalement, de cliché en cliché, d'exagération en caricature, l'histoire atteint son terme au moment exact où on se dit qu'une présence polie sur les bancs de la Cinémathèque a ses limites qu'on ne saurait plus longtemps franchir. En tout cas selon le référentiel de ce pauvre Tonton Sylvain épuisé et impatient de sortir s'en griller une pour digérer l'indigérable. D'autant qu'à mesure qu'avançait la projection se creusait l'insondable mystère de la victoire de ce document dans une compétition prestigieuse. De quoi foutre le bourdon à une armée de coléoptères …
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