La ménagerie du grenier
Poursuivant ma traque aux antiquités, mon regard se pose, tel le radar du lynx dans la pénombre des forêts profondes, sur la jaquette engloutie d’un film oublié dont le reflet sous l’effet d’un faible rai de lumière passant fugacement entre les tuiles anciennes vient percer le silence de ce grenier livré depuis tant de saisons à la poussière et aux acariens. Un coffre déplacé, trois chiffons qui s’affaissent, une vieille robe dont le cintre cède sous la pression, et c’est juste là que s’abat le photon égaré épuisé par son voyage séculaire depuis l’astre depuis longtemps éteint qui lui a donné naissance. Juste à l’instant où mon oeil d’épervier, scrutant lascivement entre deux volutes de la poussière soulevée par l’œuvre en cours de rangement de cet antre du souvenir se repose et s’anime comme l’œil de l’aigle au tressaillement du lapereau blotti sous le faible feuillage du pauvre bosquet qui lui sert de refuge. Mein Got ! Le Petit Lord Fauntleroy ! J’avais même oublié qu’on avait pu un jour écrire une telle histoire, pour ne rien dire de l’avoir adaptée pour un écran quelconque. Et pourtant … Souvenirs d’enfance, retour d’images aux relents de madeleine …
Fondant tel le guépard sur sa proie fragile condamnée avant même d’avoir eu conscience du danger, bondit d’au milieu du brouillard une main experte qui se saisit de l’objet et l’emporte sans un bruit vers le mange-disque qui, tapi au salon, quelques étages plus bas, attend sa pitance les yeux mi-clos en position de veille muette. Le mange-disque est un félin, sachant se faire oublier, gardant une pose immobile, mais prompt à réagir dès que l’odeur du repas vient frôler ses narines. Sitôt la bête nourrie, le cyclope qui le surmonte reprend vie, comme s’ils faisaient tous deux tube digestif commun, comme si la mastication du félin nourrissait les vibrations du cyclope à l’œil rectangulaire, projetant sur sa noire rétine l’image surannée extraite du produit de la chasse … Miracle de la vie sauvage. Tel un Frédéric Rossif des sous pentes, observons simplement le spectacle de la nature en action, de l’histoire qu’elle nous conte …
Dans le New York du début du 20ème siècle vit un jeune garçon, Cedric « Ceddie » Erroll (Freddie Bartholomew), seul avec sa mère, qu’il surnomme affectueusement Dearest (Dolores Costello), et leur domestique depuis la mort du père de famille. Gentil et bien élevé, le garçonnet est plein de prévenance, de politesse, vis-à-vis de ses proches bien sûr, mais également de tout le voisinage, de la vieille marchande de pomme (Jessie Ralph), de Mr. Silas Hobbs (Guy Kibbee), l’épicier dont il s’est fait un ami, de Dick Tipton (Mickey Rooney), le petit cireur de chaussures du quartier qui le prend sous son aile face aux garnements du secteur qui toisent ses bonnes manières du haut de leur loubardise. Quand arrive un avocat, Havisham (Henry Stephenson), venant annoncer à la mère le souhait du père, Lord Dorincourt (C. Aubrey Smith), Lord anglais de son état, du défunt mari de nouer des liens avec l’enfant qu’il ne connaît pas de par le mépris qu’il portait à la mésalliance qui avait entraîné son fils dans les filins retors d’une américaine supposée sans scrupule. Le vieux Lord offre donc toit et titre à son petit-fils qui, de son côté, a toujours été protégé par ses parents de l’annonce de l’aversion de son grand-père pour leur union. De plus, Lord Dorincourt pousse la « générosité » jusqu’à offrir un toit séparé à la mère à proximité du château et la possibilité pour Cedric de lui rendre visite quotidiennement, en assortissant néanmoins la proposition de la condition de ne jamais avoir à rencontrer la jeune femme. Ainsi en est-il décidé et la famille émigre en Angleterre après une tournée d’adieu de Ceddie à ses amis américains.
Le reste de l’histoire est le récit de la conquête innocente du vieil homme bourru par l’enfant sans malice, histoire pimentée par l’arrivée inopinée de la prétendue veuve du défunt fils aîné de Lord Dorincourt venant réclamer pour son propre fils titre et héritage. Autour de Ceddie philosophe et généreux comme toujours se noue alors une union sacrée entre le grand-père, la mère enfin acceptée, les amis américains arrivant au secours comme une horde de cavalerie, pour tenter de déjouer la supercherie et rétablir Cedric dans son bon droit.
Adapté en 1936 d’un roman de Frances Hodgson Burnett, le film de John Cromwell est un pur produit du cinéma des années 30, tout juste débarrassé de l’essentiel des scories du muet dont il conserve néanmoins quelques séquelles. Quelques expressions encore emphatiques émaillent le propos, manifestement résiduelles d’un jeu que tous les participants ne sont pas parvenus à faire évoluer à la même vitesse. Etonnamment, ce ne sont pas les acteurs les plus âgés qui en portent les marques les plus visibles. Dolores Costello est nettement la plus en retard dans cette révolution, rendant la douleur muette et la bonté d’âme par des mines de Sarah Bernhard. Guy Kibbee et C. Aubrey Smith n’en sont pas indemnes, encore que dans un genre différent et frôlant la dérision bien plus crédible. Mickey Rooney cabotine à l’envie avec un regard aussi expressif que la porte du paradis (pour tenter une image qui serait l’inverse d’une porte de prison …).
L’image est d’un noir et blanc d’époque, légèrement flou. Rien à voir avec l’image léchée d’un « Les vieux de la vieille » et son contraste élaboré. Non, juste ce petit quelque chose qui vous donne l’impression de regarder l’écran au travers d’un voile léger, comme dans une espèce de rêve. Rien qui empêche de participer à l’histoire, juste un petit plus offert par le temps pour vous aspirer hors du quotidien et vous transporter dans un monde à part.
C’est avec ces moyens que s’offre à la lecture d’aujourd’hui cette histoire d’enfant, pleine de bons sentiments, de menaces et de courage, de retournements d’un sort cruel en faveur de la veuve et de l’orphelin, de rédemption des méchants qui peuvent être sauvés et de défaite de ceux qui ne peuvent l’être, de victoire de l’innocence et de l’amour face aux menées retorses qui peuplent le monde, … C’est beau, c’est simple, c’est pur … Si seulement tout était comme ça !
Malheureusement ce n’est pas le cas : il y a des guépards, des lynx, des aigles, des éperviers, des lapins, des acariens … Et tout ça dans ce fichu grenier qui n’est toujours pas nettoyé … Quelle ménagerie ! Haut les cœurs et retour au front ! Après tout, il y a peut-être encore quelques surprises à déterrer sous les cartons …
Poursuivant ma traque aux antiquités, mon regard se pose, tel le radar du lynx dans la pénombre des forêts profondes, sur la jaquette engloutie d’un film oublié dont le reflet sous l’effet d’un faible rai de lumière passant fugacement entre les tuiles anciennes vient percer le silence de ce grenier livré depuis tant de saisons à la poussière et aux acariens. Un coffre déplacé, trois chiffons qui s’affaissent, une vieille robe dont le cintre cède sous la pression, et c’est juste là que s’abat le photon égaré épuisé par son voyage séculaire depuis l’astre depuis longtemps éteint qui lui a donné naissance. Juste à l’instant où mon oeil d’épervier, scrutant lascivement entre deux volutes de la poussière soulevée par l’œuvre en cours de rangement de cet antre du souvenir se repose et s’anime comme l’œil de l’aigle au tressaillement du lapereau blotti sous le faible feuillage du pauvre bosquet qui lui sert de refuge. Mein Got ! Le Petit Lord Fauntleroy ! J’avais même oublié qu’on avait pu un jour écrire une telle histoire, pour ne rien dire de l’avoir adaptée pour un écran quelconque. Et pourtant … Souvenirs d’enfance, retour d’images aux relents de madeleine …
Fondant tel le guépard sur sa proie fragile condamnée avant même d’avoir eu conscience du danger, bondit d’au milieu du brouillard une main experte qui se saisit de l’objet et l’emporte sans un bruit vers le mange-disque qui, tapi au salon, quelques étages plus bas, attend sa pitance les yeux mi-clos en position de veille muette. Le mange-disque est un félin, sachant se faire oublier, gardant une pose immobile, mais prompt à réagir dès que l’odeur du repas vient frôler ses narines. Sitôt la bête nourrie, le cyclope qui le surmonte reprend vie, comme s’ils faisaient tous deux tube digestif commun, comme si la mastication du félin nourrissait les vibrations du cyclope à l’œil rectangulaire, projetant sur sa noire rétine l’image surannée extraite du produit de la chasse … Miracle de la vie sauvage. Tel un Frédéric Rossif des sous pentes, observons simplement le spectacle de la nature en action, de l’histoire qu’elle nous conte …
Dans le New York du début du 20ème siècle vit un jeune garçon, Cedric « Ceddie » Erroll (Freddie Bartholomew), seul avec sa mère, qu’il surnomme affectueusement Dearest (Dolores Costello), et leur domestique depuis la mort du père de famille. Gentil et bien élevé, le garçonnet est plein de prévenance, de politesse, vis-à-vis de ses proches bien sûr, mais également de tout le voisinage, de la vieille marchande de pomme (Jessie Ralph), de Mr. Silas Hobbs (Guy Kibbee), l’épicier dont il s’est fait un ami, de Dick Tipton (Mickey Rooney), le petit cireur de chaussures du quartier qui le prend sous son aile face aux garnements du secteur qui toisent ses bonnes manières du haut de leur loubardise. Quand arrive un avocat, Havisham (Henry Stephenson), venant annoncer à la mère le souhait du père, Lord Dorincourt (C. Aubrey Smith), Lord anglais de son état, du défunt mari de nouer des liens avec l’enfant qu’il ne connaît pas de par le mépris qu’il portait à la mésalliance qui avait entraîné son fils dans les filins retors d’une américaine supposée sans scrupule. Le vieux Lord offre donc toit et titre à son petit-fils qui, de son côté, a toujours été protégé par ses parents de l’annonce de l’aversion de son grand-père pour leur union. De plus, Lord Dorincourt pousse la « générosité » jusqu’à offrir un toit séparé à la mère à proximité du château et la possibilité pour Cedric de lui rendre visite quotidiennement, en assortissant néanmoins la proposition de la condition de ne jamais avoir à rencontrer la jeune femme. Ainsi en est-il décidé et la famille émigre en Angleterre après une tournée d’adieu de Ceddie à ses amis américains.
Le reste de l’histoire est le récit de la conquête innocente du vieil homme bourru par l’enfant sans malice, histoire pimentée par l’arrivée inopinée de la prétendue veuve du défunt fils aîné de Lord Dorincourt venant réclamer pour son propre fils titre et héritage. Autour de Ceddie philosophe et généreux comme toujours se noue alors une union sacrée entre le grand-père, la mère enfin acceptée, les amis américains arrivant au secours comme une horde de cavalerie, pour tenter de déjouer la supercherie et rétablir Cedric dans son bon droit.
Adapté en 1936 d’un roman de Frances Hodgson Burnett, le film de John Cromwell est un pur produit du cinéma des années 30, tout juste débarrassé de l’essentiel des scories du muet dont il conserve néanmoins quelques séquelles. Quelques expressions encore emphatiques émaillent le propos, manifestement résiduelles d’un jeu que tous les participants ne sont pas parvenus à faire évoluer à la même vitesse. Etonnamment, ce ne sont pas les acteurs les plus âgés qui en portent les marques les plus visibles. Dolores Costello est nettement la plus en retard dans cette révolution, rendant la douleur muette et la bonté d’âme par des mines de Sarah Bernhard. Guy Kibbee et C. Aubrey Smith n’en sont pas indemnes, encore que dans un genre différent et frôlant la dérision bien plus crédible. Mickey Rooney cabotine à l’envie avec un regard aussi expressif que la porte du paradis (pour tenter une image qui serait l’inverse d’une porte de prison …).
L’image est d’un noir et blanc d’époque, légèrement flou. Rien à voir avec l’image léchée d’un « Les vieux de la vieille » et son contraste élaboré. Non, juste ce petit quelque chose qui vous donne l’impression de regarder l’écran au travers d’un voile léger, comme dans une espèce de rêve. Rien qui empêche de participer à l’histoire, juste un petit plus offert par le temps pour vous aspirer hors du quotidien et vous transporter dans un monde à part.
C’est avec ces moyens que s’offre à la lecture d’aujourd’hui cette histoire d’enfant, pleine de bons sentiments, de menaces et de courage, de retournements d’un sort cruel en faveur de la veuve et de l’orphelin, de rédemption des méchants qui peuvent être sauvés et de défaite de ceux qui ne peuvent l’être, de victoire de l’innocence et de l’amour face aux menées retorses qui peuplent le monde, … C’est beau, c’est simple, c’est pur … Si seulement tout était comme ça !
Malheureusement ce n’est pas le cas : il y a des guépards, des lynx, des aigles, des éperviers, des lapins, des acariens … Et tout ça dans ce fichu grenier qui n’est toujours pas nettoyé … Quelle ménagerie ! Haut les cœurs et retour au front ! Après tout, il y a peut-être encore quelques surprises à déterrer sous les cartons …
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