Les femmes et Dieu
Remake de « Red Dust », un film de 1932 avec déjà Clark Gable dans le rôle principal et aux prises avec Jean Harlow et Mary Astor, qui se déroulait dans la moiteur de la jungle malaisienne, « Mogambo » se déroule quant à lui en Afrique de l’est, Victor Fleming (celui de « Autant en emporte le vent » et du « Magicien d’Oz ») étant remplacé aux manettes en 1953 par un John Ford sortant de « Rio Grande » et de « L’Homme Tranquille ». Il est probablement difficile aujourd’hui d’imaginer l’impact de ces images tournées sur place (même si différentes équipes s’étaient partagées entre l’Ouganda, la Tanzanie, le Kenya, le Congo, … et les studios de Borehamwood en Angleterre), en décors naturels et en Technicolor, sur un public américain et européen encore peu habitué aux voyages et à leurs compte rendus filmés. Huit ans plus tôt, l’Europe était encore à feu et à sang - c’est quoi, huit ans ? Il y a huit ans, Chirac était déjà Président depuis 4 ans et Sarkozy préparait son retour ; Zidane était déjà champion du monde depuis un an – et ne connaissait des paysages et de la faune d’Afrique que ce que lui en racontaient les troupes coloniales et ce qu’elle en voyait derrière les grilles du zoo de Vincennes ou de quelques cirques.
Difficile pour un non pratiquant de savoir la signification de « mogambo » en swahili tant l’information semble classifiée top secret sur internet, grevée de pièges et de fausses pistes. Il semblerait que la MGM ait à l’époque privilégié le sens de « passion », mais qu’au moins deux autres significations soient possibles : « grand gorille » ou « parler ». Saura-t-on jamais ? A moins qu’un swahilophone généreux accepte de dénouer un jour ce secret si bien gardé. Ou à moins que les trois traductions soient également valides, liées par une racine commune qu’il resterait à interpréter. En attendant, la question reste en suspens.
Quoi qu’il en soit, l’histoire raconte la rencontre entre Victor Marswell (Clark Gable), chasseur professionnel établi en Afrique de l’est à la tête d’une petite entreprise fournissant des animaux exotiques aux zoos de par le monde et les services d’un guide avec logistique pour amateurs de safaris sportifs, photographiques, ou scientifiques. Il y prospère dans un campement de brousse au bord du fleuve avec son associé John Brown-Pryce (Philip Stainton), leur contremaître Leon Boltchak (Eric Pohlmann), et toute une troupe d’employés locaux. Un jour débarque dans le camp une jeune femme, Eloise « Honey Bear » Kelly (Ava Gardner), venant rejoindre son Maharadja d’ami qui entre-temps a dû regagner ses Indes natales. Coincée là en attendant le prochain bateau, Honey, délurée mais ignorante des choses de l’Afrique, noue avec Marswell une relation sentimentale non exempte de quelques bourrades. Après quelques jours, arrive le bateau qui doit la reconduire à la ville avec les prises de Marswell destinées à ses clients. Simultanément débarque du bateau un couple, Donald Nordley (Donald Sinden), un anthropologue venant vérifier sur le terrain une théorie qu’il a élaboré concernant les gorilles, et son épouse Linda (Grace Kelly), toute en distinction et bonne tenue. Mais une panne du bateau fait rapidement revenir Honey au campement.
Frappé de fièvre, Donald doit garder la chambre, laissant Linda face aux entreprises de séduction toujours aussi bourrues mais efficaces de Marswell face à une Honey soudain délaissée. Après guérison de Nordley, décision est donc prise, le bateau n’étant pas rapidement réparable, de monter une expédition en camion et canoë vers le pays des gorilles, et d’en profiter pour déposer en chemin Honey à un point de passage des transports qui pourront la conduire au Caire. Le trajet est l’occasion d’un approfondissement de la relation entre Marswell et Linda, à la fois sous le regard aveugle et innocent de Nordley et sous les piques et allusions répétées de Honey. Il est aussi l’occasion d’une halte dans un village amical sous les auspices du Père Joseph (Denis O’Dea), un missionnaire aimable, puis d’une autre, dans un village en pleine révolte indigène contraignant le groupe à renoncer à y déposer Honey comme prévu. L’expédition se poursuit néanmoins jusque sur les terres des gorilles, et jusqu’à la découverte par Nordley des relations entre sa femme et Marswell. Dans une prise de conscience générale de la réalité des passions et des sentiments de chacun, les relations se réaménagent enfin pour un dénouement heureux.
Comme d’habitude chez John Ford, le traitement de l’histoire principale se déroule sur un fond caricatural permettant de définir un décor, une trame, suffisamment clairs pour en gommer les aspérités. Les archétypes sont nets et tranchés, soulignés à l’envi par tous les moyens disponibles, du discours à la posture ou à la tenue vestimentaire. L’attention n’est alors retenue par rien d’autre que par les quelques personnages principaux autour desquels l’histoire se déploie réellement. Elle est par contre soutenue par des intermèdes de respiration, ici consacrés aux grands espaces africains ou à leur faune sauvage là où les westerns consacrent les grands espaces de l’ouest et leurs autochtones plus ou moins sauvages. Quelques entorses cependant à la technique habituelle du réalisateur : la touche d’humour potache n’est pas confiée à un seul personnage mais se répartit plutôt entre Eloise et quelques uns des animaux des enclos autour du camp de Marswell ; la fameuse John Ford Stock Company, ce groupe de comédiens fétiches, habitué à travailler avec le réalisateur, n’a apparemment pas de représentant ici, probablement du fait du faible nombre de personnages du scénario.
Mais outre la patte du réalisateur, ses tics et ses manies, outre l’exotisme des décors, vendu et survendu par les studios à la sortie du film, restent une histoire, et une confrontation, quasi intimiste malgré la vaste toile de fond africaine, entre une série de monstres sacrés du cinéma.
L’histoire, qu’est-ce qu’elle nous raconte ? L’histoire d’un vieux célibataire baroudeur pris entre deux femmes. L’une qui a fait son éducation dans la jungle des bas quartiers, qui ne connaît pas le détail de ce qu’une bonne éducation lui aurait inculqué mais qui a une connaissance de la vie, de ses coups bas, de ses traîtrises. L’autre qui est comme un pur produit de la bonne société, bien mariée, bien polie, bien tirée à quatre épingles même au milieu de la jungle, mais qui se ballade au travers de la vie comme ballottée sur un rafiot incontrôlé en jetant un regard de dédain sur manants restés sur la rive. L’une est la femme d’expérience, l’autre est l’image de la femme sur papier glacé. L’une est la chaleur, la sueur, le vent, l’autre est la glace qui vernisse le papier, la sécheresse du ton, la brise qui s’effraie des vagues. Deux images fantasmées de la femme. L’une de chair et de sang, l’autre de distance inatteignable. Et au milieu de ces deux images, ce pauvre mâle qui fait ce qu’il peut pour se donner bonne figure mais qui ne sait plus vraiment où donner de la tête. Tantôt vers l’animal, tantôt vers le spectre. Tantôt vers celle qui vous veux, tantôt vers celle que l’on voudrait. Et comme rien n’est simple, ce n’est pas que face à sa propre incertitude que se retrouve Adam, c’est aussi face à la guérilla que se mènent les deux faces d’Eve.
Les signes se multiplient tout au long du film pour caractériser d’abondance chacune. Eloise remet en usage le piano mécanique silencieux depuis trente ans, se trémousse aux chants des employés africains, cheveux noirs lâchés, tenue de terrain crottée jusqu’aux fesses ou déshabillé vaporeux. Linda, chignon noué serré, tenue impeccable, rigidité collé monté ne laissant qu’en de brèves occasion se briser une glace épaisse. Le combat est d’ailleurs sans issue, toute trêve exclue même lorsqu’Eloise tente un rapprochement : la vestale est sur son piédestal et ne compte pas en descendre. Eloise prend les armes du terrain de combat, celles de l’amour physique, allusions graveleuses en tête. Linda en reste à la réponse sociale, n’y répondant que par l’appel aux mâles pour qu’ils mettent bon ordre aux perturbations. Eloise qui, même si elle confond allègrement un rhinocéros et un kangourou, marche du même pas que la panthère enfermée dans sa cage, patauge avec un éléphanteau espiègle, qui malgré sa frayeur lorsqu’un léopard traverse sa tente n’en subit qu’un regard négligent. Linda qui, à peine livrée à elle-même, ne découvre la jungle que pour s’y retrouver au contraire sous l’attaque d’un fauve, être prise dans un vent qui pourrait aussi bien être le souffle d’Eloise, qui s’alarme d’une fièvre qui laisse tout autre de marbre. Chacune ainsi chargée de ses attributs mène alors son combat, symbole contre symbole, fantasme contre fantasme.
Et dans les effluves de ce combat, passe quasiment inaperçu le tournant du courant. Prête à s’avouer vaincue et à rendre les armes, Eloise au moment de croiser une modeste chapelle se couvre sobrement la tête et met un genou à terre. La confession qui suit à l’oreille paternelle du Père Joseph n’est plus alors que formalité redondante. Le vent a déjà commencé à tourner. Eloise n’est soudain plus seule dans la bagarre. Dieu a choisi son camp, le camp de l’humanité face à celui du papier glacé. Marswell, le grand chasseur blanc, pourra toujours continuer à se donner des airs de braconnier, de grand mâle en chasse, sa liberté se résume dorénavant à l’apparence des choses, à cette liberté de l’animal pris au piège mais qui l’ignore encore. Il fallait bien ce niveau d’intervention pour faire basculer la bataille entre des protagonistes de ce gabarit. Quel autre choix que de s’en remettre au jugement de Dieu, qui entre ange et démon, fait le choix du démon ? Encore que le démon n’était peut-être pas du côté sulfureux et l’ange du côté de la blanche colombe.
Incidemment, on reconnaît bien la tentation de John Ford de s’appuyer et de traiter des valeurs étatsuniennes, quitte à risquer l’iconoclastie. Ailleurs, et dans nombre de ses westerns, les valeurs de la nation, de la liberté, de la civilisation, de la famille. Ici celles de la rédemption, de la justice, de Dieu vécu non dans ses œuvres miraculeuses mais dans ses interventions naturelles quasi inaperçues dans le quotidien le plus immédiat.
Bien sûr, même s’il se déroule dans les profondeurs de l’Afrique, le film reste une affaire de blancs. La population locale est en permanence reléguée au rang de décor, caricaturée dans sa polygamie, sa férocité ou son silence craintif, ses accoutrements bariolés. L’époque encore coloniale de la réalisation ne laissait aucune place à une vision élargie de l’Afrique à autre chose qu’un terrain de jeu pour blancs. Vu d’aujourd’hui, le cadre a fatalement quelque chose de frustrant obligeant à se replonger dans un contexte qui ne connaissait pas nos préventions et nos aspirations actuelles. Petit exercice de mémoire, ou d’oubli, indispensable pour rester immergé dans le cours de l’histoire.
Remake de « Red Dust », un film de 1932 avec déjà Clark Gable dans le rôle principal et aux prises avec Jean Harlow et Mary Astor, qui se déroulait dans la moiteur de la jungle malaisienne, « Mogambo » se déroule quant à lui en Afrique de l’est, Victor Fleming (celui de « Autant en emporte le vent » et du « Magicien d’Oz ») étant remplacé aux manettes en 1953 par un John Ford sortant de « Rio Grande » et de « L’Homme Tranquille ». Il est probablement difficile aujourd’hui d’imaginer l’impact de ces images tournées sur place (même si différentes équipes s’étaient partagées entre l’Ouganda, la Tanzanie, le Kenya, le Congo, … et les studios de Borehamwood en Angleterre), en décors naturels et en Technicolor, sur un public américain et européen encore peu habitué aux voyages et à leurs compte rendus filmés. Huit ans plus tôt, l’Europe était encore à feu et à sang - c’est quoi, huit ans ? Il y a huit ans, Chirac était déjà Président depuis 4 ans et Sarkozy préparait son retour ; Zidane était déjà champion du monde depuis un an – et ne connaissait des paysages et de la faune d’Afrique que ce que lui en racontaient les troupes coloniales et ce qu’elle en voyait derrière les grilles du zoo de Vincennes ou de quelques cirques.
Difficile pour un non pratiquant de savoir la signification de « mogambo » en swahili tant l’information semble classifiée top secret sur internet, grevée de pièges et de fausses pistes. Il semblerait que la MGM ait à l’époque privilégié le sens de « passion », mais qu’au moins deux autres significations soient possibles : « grand gorille » ou « parler ». Saura-t-on jamais ? A moins qu’un swahilophone généreux accepte de dénouer un jour ce secret si bien gardé. Ou à moins que les trois traductions soient également valides, liées par une racine commune qu’il resterait à interpréter. En attendant, la question reste en suspens.
Quoi qu’il en soit, l’histoire raconte la rencontre entre Victor Marswell (Clark Gable), chasseur professionnel établi en Afrique de l’est à la tête d’une petite entreprise fournissant des animaux exotiques aux zoos de par le monde et les services d’un guide avec logistique pour amateurs de safaris sportifs, photographiques, ou scientifiques. Il y prospère dans un campement de brousse au bord du fleuve avec son associé John Brown-Pryce (Philip Stainton), leur contremaître Leon Boltchak (Eric Pohlmann), et toute une troupe d’employés locaux. Un jour débarque dans le camp une jeune femme, Eloise « Honey Bear » Kelly (Ava Gardner), venant rejoindre son Maharadja d’ami qui entre-temps a dû regagner ses Indes natales. Coincée là en attendant le prochain bateau, Honey, délurée mais ignorante des choses de l’Afrique, noue avec Marswell une relation sentimentale non exempte de quelques bourrades. Après quelques jours, arrive le bateau qui doit la reconduire à la ville avec les prises de Marswell destinées à ses clients. Simultanément débarque du bateau un couple, Donald Nordley (Donald Sinden), un anthropologue venant vérifier sur le terrain une théorie qu’il a élaboré concernant les gorilles, et son épouse Linda (Grace Kelly), toute en distinction et bonne tenue. Mais une panne du bateau fait rapidement revenir Honey au campement.
Frappé de fièvre, Donald doit garder la chambre, laissant Linda face aux entreprises de séduction toujours aussi bourrues mais efficaces de Marswell face à une Honey soudain délaissée. Après guérison de Nordley, décision est donc prise, le bateau n’étant pas rapidement réparable, de monter une expédition en camion et canoë vers le pays des gorilles, et d’en profiter pour déposer en chemin Honey à un point de passage des transports qui pourront la conduire au Caire. Le trajet est l’occasion d’un approfondissement de la relation entre Marswell et Linda, à la fois sous le regard aveugle et innocent de Nordley et sous les piques et allusions répétées de Honey. Il est aussi l’occasion d’une halte dans un village amical sous les auspices du Père Joseph (Denis O’Dea), un missionnaire aimable, puis d’une autre, dans un village en pleine révolte indigène contraignant le groupe à renoncer à y déposer Honey comme prévu. L’expédition se poursuit néanmoins jusque sur les terres des gorilles, et jusqu’à la découverte par Nordley des relations entre sa femme et Marswell. Dans une prise de conscience générale de la réalité des passions et des sentiments de chacun, les relations se réaménagent enfin pour un dénouement heureux.
Comme d’habitude chez John Ford, le traitement de l’histoire principale se déroule sur un fond caricatural permettant de définir un décor, une trame, suffisamment clairs pour en gommer les aspérités. Les archétypes sont nets et tranchés, soulignés à l’envi par tous les moyens disponibles, du discours à la posture ou à la tenue vestimentaire. L’attention n’est alors retenue par rien d’autre que par les quelques personnages principaux autour desquels l’histoire se déploie réellement. Elle est par contre soutenue par des intermèdes de respiration, ici consacrés aux grands espaces africains ou à leur faune sauvage là où les westerns consacrent les grands espaces de l’ouest et leurs autochtones plus ou moins sauvages. Quelques entorses cependant à la technique habituelle du réalisateur : la touche d’humour potache n’est pas confiée à un seul personnage mais se répartit plutôt entre Eloise et quelques uns des animaux des enclos autour du camp de Marswell ; la fameuse John Ford Stock Company, ce groupe de comédiens fétiches, habitué à travailler avec le réalisateur, n’a apparemment pas de représentant ici, probablement du fait du faible nombre de personnages du scénario.
Mais outre la patte du réalisateur, ses tics et ses manies, outre l’exotisme des décors, vendu et survendu par les studios à la sortie du film, restent une histoire, et une confrontation, quasi intimiste malgré la vaste toile de fond africaine, entre une série de monstres sacrés du cinéma.
L’histoire, qu’est-ce qu’elle nous raconte ? L’histoire d’un vieux célibataire baroudeur pris entre deux femmes. L’une qui a fait son éducation dans la jungle des bas quartiers, qui ne connaît pas le détail de ce qu’une bonne éducation lui aurait inculqué mais qui a une connaissance de la vie, de ses coups bas, de ses traîtrises. L’autre qui est comme un pur produit de la bonne société, bien mariée, bien polie, bien tirée à quatre épingles même au milieu de la jungle, mais qui se ballade au travers de la vie comme ballottée sur un rafiot incontrôlé en jetant un regard de dédain sur manants restés sur la rive. L’une est la femme d’expérience, l’autre est l’image de la femme sur papier glacé. L’une est la chaleur, la sueur, le vent, l’autre est la glace qui vernisse le papier, la sécheresse du ton, la brise qui s’effraie des vagues. Deux images fantasmées de la femme. L’une de chair et de sang, l’autre de distance inatteignable. Et au milieu de ces deux images, ce pauvre mâle qui fait ce qu’il peut pour se donner bonne figure mais qui ne sait plus vraiment où donner de la tête. Tantôt vers l’animal, tantôt vers le spectre. Tantôt vers celle qui vous veux, tantôt vers celle que l’on voudrait. Et comme rien n’est simple, ce n’est pas que face à sa propre incertitude que se retrouve Adam, c’est aussi face à la guérilla que se mènent les deux faces d’Eve.
Les signes se multiplient tout au long du film pour caractériser d’abondance chacune. Eloise remet en usage le piano mécanique silencieux depuis trente ans, se trémousse aux chants des employés africains, cheveux noirs lâchés, tenue de terrain crottée jusqu’aux fesses ou déshabillé vaporeux. Linda, chignon noué serré, tenue impeccable, rigidité collé monté ne laissant qu’en de brèves occasion se briser une glace épaisse. Le combat est d’ailleurs sans issue, toute trêve exclue même lorsqu’Eloise tente un rapprochement : la vestale est sur son piédestal et ne compte pas en descendre. Eloise prend les armes du terrain de combat, celles de l’amour physique, allusions graveleuses en tête. Linda en reste à la réponse sociale, n’y répondant que par l’appel aux mâles pour qu’ils mettent bon ordre aux perturbations. Eloise qui, même si elle confond allègrement un rhinocéros et un kangourou, marche du même pas que la panthère enfermée dans sa cage, patauge avec un éléphanteau espiègle, qui malgré sa frayeur lorsqu’un léopard traverse sa tente n’en subit qu’un regard négligent. Linda qui, à peine livrée à elle-même, ne découvre la jungle que pour s’y retrouver au contraire sous l’attaque d’un fauve, être prise dans un vent qui pourrait aussi bien être le souffle d’Eloise, qui s’alarme d’une fièvre qui laisse tout autre de marbre. Chacune ainsi chargée de ses attributs mène alors son combat, symbole contre symbole, fantasme contre fantasme.
Et dans les effluves de ce combat, passe quasiment inaperçu le tournant du courant. Prête à s’avouer vaincue et à rendre les armes, Eloise au moment de croiser une modeste chapelle se couvre sobrement la tête et met un genou à terre. La confession qui suit à l’oreille paternelle du Père Joseph n’est plus alors que formalité redondante. Le vent a déjà commencé à tourner. Eloise n’est soudain plus seule dans la bagarre. Dieu a choisi son camp, le camp de l’humanité face à celui du papier glacé. Marswell, le grand chasseur blanc, pourra toujours continuer à se donner des airs de braconnier, de grand mâle en chasse, sa liberté se résume dorénavant à l’apparence des choses, à cette liberté de l’animal pris au piège mais qui l’ignore encore. Il fallait bien ce niveau d’intervention pour faire basculer la bataille entre des protagonistes de ce gabarit. Quel autre choix que de s’en remettre au jugement de Dieu, qui entre ange et démon, fait le choix du démon ? Encore que le démon n’était peut-être pas du côté sulfureux et l’ange du côté de la blanche colombe.
Incidemment, on reconnaît bien la tentation de John Ford de s’appuyer et de traiter des valeurs étatsuniennes, quitte à risquer l’iconoclastie. Ailleurs, et dans nombre de ses westerns, les valeurs de la nation, de la liberté, de la civilisation, de la famille. Ici celles de la rédemption, de la justice, de Dieu vécu non dans ses œuvres miraculeuses mais dans ses interventions naturelles quasi inaperçues dans le quotidien le plus immédiat.
Bien sûr, même s’il se déroule dans les profondeurs de l’Afrique, le film reste une affaire de blancs. La population locale est en permanence reléguée au rang de décor, caricaturée dans sa polygamie, sa férocité ou son silence craintif, ses accoutrements bariolés. L’époque encore coloniale de la réalisation ne laissait aucune place à une vision élargie de l’Afrique à autre chose qu’un terrain de jeu pour blancs. Vu d’aujourd’hui, le cadre a fatalement quelque chose de frustrant obligeant à se replonger dans un contexte qui ne connaissait pas nos préventions et nos aspirations actuelles. Petit exercice de mémoire, ou d’oubli, indispensable pour rester immergé dans le cours de l’histoire.
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