Même s'il n'y avait que moi
Je sais que ce n'est pas la première fois que je dis ça, mais il arrive de temps à autre que même les a priori les plus rétifs soient déjoués par une réalité surprenante. En bon français : « j'ai beau me moquer des films d'auteur, je reste quand même de temps en temps comme deux ronds de flanc devant un film en particulier ». Et là, le Festival de Deauville ne m'a pas épargné avec un film de 2008 d'un dénommé Azazel Jacobs, « Momma's man ». Ca faisait longtemps que ça ne m'était pas arrivé de devoir me planquer dans un coin une demi-heure à la sortie d'un film, histoire de récupérer le contrôle de mes émotions. A la réflexion, je crois que je n'avais ressenti ça que pour « Cabale à Kaboul », pour d'autres raisons, mais c'est une autre histoire.
Pourtant, il n'y avait pas de quoi se méfier. Le programme annonçait « Momma's Man », un film d'un certain Azazel Jacobs, de 2008. Encore une histoire « Papa - Maman - j'gratte mes plaies - Aïe - J'ai mal » en perspective. Ambiance prise de tête, pour sûr.
D'ailleurs ça commençait tambour battant, avec un type dans un train de banlieue, filmé genre reportage pour le 13 heures de TF1 mais sans dialogue, engoncé dans une vieille doudoune et un bon cache-nez, jusqu'à son arrêt prévu à la station donnant accès à l'aéroport JFK à New-York, Il hésite puis, changement de plan, on retrouve Mickey (Matt Boren) à son retour surprise chez ses parents Mom (Flo et Ken Jacobs) sous prétexte que son avion était en surbooking. Maman et Papa sont évidemment contents d'avoir leur fils une journée de plus, lui qui était venu de Californie juste quelques jours pour son travail. Mickey téléphone chez lui pour prévenir sa femme, Laura (Dana Varon), de son retard et embrasser leur fils nouveau-né. De même, pour avertir à son travail.
Le lendemain, même contre-temps pour une raison aussi futile. De jour en jour, les mauvaises excuses s'accumulent, et tout est bon pour retarder le retour et s'incruster dans le cocon familial. Laura s'inquiète, laisse message sur message sur un répondeur qui ne répond plus, et se résout lentement à accepter l'aide de Tom (Richard Edson), un ami du couple. Pendant ce temps, les journées de Mickey sont occupées à replonger dans des vieux cartons de souvenirs d'adolescent, à se faire chouchouter par des parents de plus en plus intrigués, à tenter de reprendre contact avec des amis d'enfance ou de lycée, ce bon vieux Dante (Piero Arcilesi) qui sort juste de prison, ou la petite Bridget (Eleanor Hutchins) croisée en seconde. On sent bien que quelque chose est en train de craquer dans le monde de Mickey qui s'enfonce dans une régression de plus en plus marquée.
Si avec ça on n'est pas dans du cinéma d'auteur bien intimiste, je ne sais pas où on est. Mais la critique s'arrête là. Sauf aussi une petite lenteur à l'allumage, les choses mettant un peu de temps à s'installer. Encore que justement c'est peut-être aussi une des raisons du trouble : le retournement progressif, insidieux, sans qu'on puisse réellement en situer l'instant, d'une forme d'ennui vers une captation sécotinesque de l'attention, on dirait à un rapt de l'affect si on n'hésitait pas sur l'emphase dialectique (c'est-y pas beau, ça … ? ).
Blague à part, pendant un moment, on se demande quand ça va commencer, et puis soudain on réalise qu'on est en plein dans le film, qu'on a oublié de se poser la question, qu'on a même oublié qu'on se la posait et pourquoi on se la posait. On est Mickey, au fin fond de sa crise de la quarantaine comme d'autres sont dans leur crise de croissance, à ne plus savoir où on en est, entre l'adolescence passée et l'âge adulte inacceptable, la liberté protégée et le vide à venir, entre deux rives aussi inaccessibles l'une que l'autre, l'une parce qu'on s'en est trop éloignée, l'autre parce que son accès semble insurmontable. On est Mickey et il est nous, aussi complètement que si c'était notre propre vie qui était sur l'écran, ce même capharnaüm de sentiments dans le même capharnaüm de décor, ce vaste bazar d'objet empilés depuis des lustres, aussi inutiles que chargés d'images, de souvenirs, d'émotions.
Peut-être tout cela vient-il du choix de réalisation avec les propres parents du réalisateur dans le rôle des parents de Mickey, du lieu de tournage dans leur domicile réel, un loft de New York encombré d'une montagne d'objets hétéroclites laissant à peine assez de place pour circuler, pour se poser autour de la table avec en permanence l'impression qu'une pile ou une autre va s'effondrer dans un coin, avec même pas assez d'espace pour un lit qui doit être relégué sur une mezzanine, et où pourtant chaque chose a une place, chaque carton a un sens et un usage, contenant tout un pan de vie présente ou passée.
Peut-être cela tient-il à la douceur de ces parents, compréhensifs sans bien comprendre, sereins dans leur inquiétude, intrusifs dans leur respect.
Peut-être cela vient-il de ces incohérences de Mickey, qui veut une chose et son contraire, pas pour le plaisir, juste pour survivre, pour passer le cap, au point de passer à l'acte d'une tentative de suicide ratée et dérisoire par une chute dans l'escalier dont le sommet est décoré d'une plaque émaillée signalant « Exit », chute préparée par un siphonage en règle de la réserve d'alcool du loft.
Mickey ne sait pas, ne sait plus, ne sait plus rien, si ce n'est qu'il ne sait plus. Il se raccroche à ce qu'il peut, un carnet d'adresses, une vieille guitare, une esquisse de chanson griffonnée à quinze ans, un vieux copain finalement dans le même état même s'il ne le sait pas, ami d'enfance réel du réalisateur embauché pour l'occasion, des rues du passé qu'il ne reconnaît presque plus en sachant déjà que bientôt il ne les reconnaîtra plus du tout.
Mickey s'enfonce lentement dans un vide qui se creuse à chaque tentative de le combler. Il s'enfonce dans une régression qui ne veut pas s'avouer. Une régression qui finalement ne trouve sa résolution que sur les genoux d'une mère désarmée, qui a échoué par les seules voies qu'elle maîtrise pour restaurer un lien (« Je te prépare quelque chose ? Du thé ? Du café ? … Une soupe ? »), entre des bras étonnés dans lesquels les larmes peuvent enfin couler, emportant avec elles le doute et la frayeur. Non, plutôt évacuant la frayeur en faisant accepter le doute.
La mise en scène tout en simplicité, sans faux effet si ce n'est quelques désaxages un peu attendus dans la scène dans l'escalier, en camera portée pour l'essentiel mais sans jamais de ces trépidations qui fichent le tournis, n'abusant que rarement des gros plans, se veut manifestement descriptive. On est dans une veine de réalisme qui n'est pas sans évoquer certaines séquences de productions comme « Serpico ».
Les acteurs sont étonnants. Les seuls réellement expérimentés sont les seconds rôles, Bridget, Laura, Tom. Le seul visage un peu connu est celui de Tom (Richard Edson), pour quelques courtes apparitions. Flo et Ken Jacobs, dans une position très particulière de non professionnels, liés au réalisateur, tournant dans leur domicile, sont assez sidérants de réalité, de retenue, de simplicité et en même temps d'implication.
Que dire de plus sur les aspects techniques du film ? Pas grand chose, en fait, tant ils s'effacent devant le fond d'un sujet dont je ne sais finalement même plus s'il parle de quelqu'un d'autre que moi. Peut-être que finalement je serai le seul spectateur de ce film. Mais après tout, je m'en fiche complètement. Je sais au moins que j'ai un jumeau quelque part dans le vaste monde et que, même si après une demi-heure de récupération j'ai pu me remettre un peu du choc, je ne suis pas à la veille de digérer la révélation.
Je sais que ce n'est pas la première fois que je dis ça, mais il arrive de temps à autre que même les a priori les plus rétifs soient déjoués par une réalité surprenante. En bon français : « j'ai beau me moquer des films d'auteur, je reste quand même de temps en temps comme deux ronds de flanc devant un film en particulier ». Et là, le Festival de Deauville ne m'a pas épargné avec un film de 2008 d'un dénommé Azazel Jacobs, « Momma's man ». Ca faisait longtemps que ça ne m'était pas arrivé de devoir me planquer dans un coin une demi-heure à la sortie d'un film, histoire de récupérer le contrôle de mes émotions. A la réflexion, je crois que je n'avais ressenti ça que pour « Cabale à Kaboul », pour d'autres raisons, mais c'est une autre histoire.
Pourtant, il n'y avait pas de quoi se méfier. Le programme annonçait « Momma's Man », un film d'un certain Azazel Jacobs, de 2008. Encore une histoire « Papa - Maman - j'gratte mes plaies - Aïe - J'ai mal » en perspective. Ambiance prise de tête, pour sûr.
D'ailleurs ça commençait tambour battant, avec un type dans un train de banlieue, filmé genre reportage pour le 13 heures de TF1 mais sans dialogue, engoncé dans une vieille doudoune et un bon cache-nez, jusqu'à son arrêt prévu à la station donnant accès à l'aéroport JFK à New-York, Il hésite puis, changement de plan, on retrouve Mickey (Matt Boren) à son retour surprise chez ses parents Mom (Flo et Ken Jacobs) sous prétexte que son avion était en surbooking. Maman et Papa sont évidemment contents d'avoir leur fils une journée de plus, lui qui était venu de Californie juste quelques jours pour son travail. Mickey téléphone chez lui pour prévenir sa femme, Laura (Dana Varon), de son retard et embrasser leur fils nouveau-né. De même, pour avertir à son travail.
Le lendemain, même contre-temps pour une raison aussi futile. De jour en jour, les mauvaises excuses s'accumulent, et tout est bon pour retarder le retour et s'incruster dans le cocon familial. Laura s'inquiète, laisse message sur message sur un répondeur qui ne répond plus, et se résout lentement à accepter l'aide de Tom (Richard Edson), un ami du couple. Pendant ce temps, les journées de Mickey sont occupées à replonger dans des vieux cartons de souvenirs d'adolescent, à se faire chouchouter par des parents de plus en plus intrigués, à tenter de reprendre contact avec des amis d'enfance ou de lycée, ce bon vieux Dante (Piero Arcilesi) qui sort juste de prison, ou la petite Bridget (Eleanor Hutchins) croisée en seconde. On sent bien que quelque chose est en train de craquer dans le monde de Mickey qui s'enfonce dans une régression de plus en plus marquée.
Si avec ça on n'est pas dans du cinéma d'auteur bien intimiste, je ne sais pas où on est. Mais la critique s'arrête là. Sauf aussi une petite lenteur à l'allumage, les choses mettant un peu de temps à s'installer. Encore que justement c'est peut-être aussi une des raisons du trouble : le retournement progressif, insidieux, sans qu'on puisse réellement en situer l'instant, d'une forme d'ennui vers une captation sécotinesque de l'attention, on dirait à un rapt de l'affect si on n'hésitait pas sur l'emphase dialectique (c'est-y pas beau, ça … ? ).
Blague à part, pendant un moment, on se demande quand ça va commencer, et puis soudain on réalise qu'on est en plein dans le film, qu'on a oublié de se poser la question, qu'on a même oublié qu'on se la posait et pourquoi on se la posait. On est Mickey, au fin fond de sa crise de la quarantaine comme d'autres sont dans leur crise de croissance, à ne plus savoir où on en est, entre l'adolescence passée et l'âge adulte inacceptable, la liberté protégée et le vide à venir, entre deux rives aussi inaccessibles l'une que l'autre, l'une parce qu'on s'en est trop éloignée, l'autre parce que son accès semble insurmontable. On est Mickey et il est nous, aussi complètement que si c'était notre propre vie qui était sur l'écran, ce même capharnaüm de sentiments dans le même capharnaüm de décor, ce vaste bazar d'objet empilés depuis des lustres, aussi inutiles que chargés d'images, de souvenirs, d'émotions.
Peut-être tout cela vient-il du choix de réalisation avec les propres parents du réalisateur dans le rôle des parents de Mickey, du lieu de tournage dans leur domicile réel, un loft de New York encombré d'une montagne d'objets hétéroclites laissant à peine assez de place pour circuler, pour se poser autour de la table avec en permanence l'impression qu'une pile ou une autre va s'effondrer dans un coin, avec même pas assez d'espace pour un lit qui doit être relégué sur une mezzanine, et où pourtant chaque chose a une place, chaque carton a un sens et un usage, contenant tout un pan de vie présente ou passée.
Peut-être cela tient-il à la douceur de ces parents, compréhensifs sans bien comprendre, sereins dans leur inquiétude, intrusifs dans leur respect.
Peut-être cela vient-il de ces incohérences de Mickey, qui veut une chose et son contraire, pas pour le plaisir, juste pour survivre, pour passer le cap, au point de passer à l'acte d'une tentative de suicide ratée et dérisoire par une chute dans l'escalier dont le sommet est décoré d'une plaque émaillée signalant « Exit », chute préparée par un siphonage en règle de la réserve d'alcool du loft.
Mickey ne sait pas, ne sait plus, ne sait plus rien, si ce n'est qu'il ne sait plus. Il se raccroche à ce qu'il peut, un carnet d'adresses, une vieille guitare, une esquisse de chanson griffonnée à quinze ans, un vieux copain finalement dans le même état même s'il ne le sait pas, ami d'enfance réel du réalisateur embauché pour l'occasion, des rues du passé qu'il ne reconnaît presque plus en sachant déjà que bientôt il ne les reconnaîtra plus du tout.
Mickey s'enfonce lentement dans un vide qui se creuse à chaque tentative de le combler. Il s'enfonce dans une régression qui ne veut pas s'avouer. Une régression qui finalement ne trouve sa résolution que sur les genoux d'une mère désarmée, qui a échoué par les seules voies qu'elle maîtrise pour restaurer un lien (« Je te prépare quelque chose ? Du thé ? Du café ? … Une soupe ? »), entre des bras étonnés dans lesquels les larmes peuvent enfin couler, emportant avec elles le doute et la frayeur. Non, plutôt évacuant la frayeur en faisant accepter le doute.
La mise en scène tout en simplicité, sans faux effet si ce n'est quelques désaxages un peu attendus dans la scène dans l'escalier, en camera portée pour l'essentiel mais sans jamais de ces trépidations qui fichent le tournis, n'abusant que rarement des gros plans, se veut manifestement descriptive. On est dans une veine de réalisme qui n'est pas sans évoquer certaines séquences de productions comme « Serpico ».
Les acteurs sont étonnants. Les seuls réellement expérimentés sont les seconds rôles, Bridget, Laura, Tom. Le seul visage un peu connu est celui de Tom (Richard Edson), pour quelques courtes apparitions. Flo et Ken Jacobs, dans une position très particulière de non professionnels, liés au réalisateur, tournant dans leur domicile, sont assez sidérants de réalité, de retenue, de simplicité et en même temps d'implication.
Que dire de plus sur les aspects techniques du film ? Pas grand chose, en fait, tant ils s'effacent devant le fond d'un sujet dont je ne sais finalement même plus s'il parle de quelqu'un d'autre que moi. Peut-être que finalement je serai le seul spectateur de ce film. Mais après tout, je m'en fiche complètement. Je sais au moins que j'ai un jumeau quelque part dans le vaste monde et que, même si après une demi-heure de récupération j'ai pu me remettre un peu du choc, je ne suis pas à la veille de digérer la révélation.
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