Bourne again
Pour ceux qui avaient aimé « La mémoire dans la peau » et « La mort dans la peau », calez vous dans votre fauteuil. C’est une suite en forme de fin qui fait plus que ne pas démériter dans l’adaptation des fameux best-sellers de Robert Ludlum. Quand, pour le second épisode, Doug Liman avait passé les commandes à Paul Greengrass, un frisson avait couru dans l’air avant de se dissiper devant le résultat. Le troisième opus, toujours aux mains de Greengrass, lève les derniers doutes. L’action est au rendez-vous, on ne s’ennuie pas, toujours dans un esprit de vitesse mêlé de « normalité ».
Cette fois-ci, Jason Bourne (Matt Damon) se rapproche de la solution à sa quête d’identité et de retour de mémoire. Il a été déjà pas mal chahuté, ce pauvre Jason, au cours des épisodes précédents, depuis son sauvetage en mer, amnésique mais doté de capacités de survie et de défense hors norme, fruit manifeste d’un entraînement aux petits oignons dont il a bien fallu remonter la piste, jusqu’à la découverte des premiers indices de son identité perdue au travers d’une puce greffée sous sa peau, jusqu’à la mise à jour progressive d’un vaste complot mené par la CIA et dans lequel il tenait une place mystérieuse, jusqu’à l’aide de la belle Marie Kreutz qui allait l’accompagner jusqu’à tomber sous les coups des poursuivants de Bourne à la fin du second épisode. Mais Jason n’est pas décidé à en rester là. Sa quête ne s’achèvera réellement qu’avec la restitution de son passé et l’accomplissement de sa vengeance après la mort de Marie. Et c’est justement pour ça qu’on est là …
Comment décrire l’histoire sans déflorer le suspense ? D’autant que tout se passe par saut de puce d’une capitale à l’autre à mesure des pérégrinations d’un Bourne qui ne fait pas dans la dentelle pour obtenir les informations dont il a besoin. On commence par un petit saut à Turin et à Paris, juste pour se mettre en jambe, et l’histoire commence. Un journaliste anglais, Simon Ross (Paddy Considine), commence à publier des infos sur les avanies de Bourne et hop, voilà Jason sur talons, prenant contact au nez et à la barbe de toute une escouade d’assaillants qui ne fond pas long feu devant son habileté à la fois dans l’utilisation de toute la panoplie des ustensiles de l’agent secret moderne, dans sa capacité à repérer et à neutraliser ces mêmes moyens quand ils sont dirigés contre lui, et dans le coup de poing quand la situation en arrive à cette extrémité. Un carnet de notes est récupéré et direction Madrid pour la suite des opérations.
Naturellement, la CIA n’est toujours pas décidée à laisser à Bourne la liberté d’agir, et de nouveaux bâtons dans les roues se dessinent. Mais Madrid est quand même l’occasion, après un étalage de dextérité comparable à ce qui vient de se dérouler à Londres, de se faire une alliée en la personne de Nicky Parsons (Julia Stiles) qui décide de donner un coup de main. L’indice suivant est malgré tout récupéré mais le contact recherché, Neal Daniels (Colin Stinton), s’est envolé pour Tanger. Donc direction Tanger, en duo avec la belle Nicky.
Parallèlement à ce qui se passe sur le terrain, les choses évoluent quand même à la tête de la CIA, où même si le directeur, Ezra Kramer (Scott Glenn), et son adjoint, Noah Vosen (David Strathairn), continuent à mener l’opération d’éradication de Bourne, une chef de service annexe, Pamela Landy (Joan Allen), sent le coup fourré et tente de tirer Jason de sa situation. Chacun, à la tête de l’Agence, pense piéger l’autre dans une partie de billard à 28 bandes, mais les choses avancent doucement.
De leur côté, à Tanger, les fugitifs sont sur les traces de Daniels. La CIA ne l’entend toujours pas de cette oreille, et monte une vaste opération pour dégommer les deux fugitifs ainsi que leur contact. La bagarre fait vite rage dans les rues et les immeubles entremêlés de la ville, jusqu’à un paroxysme dont émerge encore Jason muni d’un nouvel indice qui le dirige vers sa destination suivante. Mais comme cette fois on est passé près des dégâts, on met Nicky à l’abri sans la faire participer à la suite des opérations. En route donc pour New York et la bataille finale.
A New York, Jason fait encore étalage de toute son habileté et de sa maîtrise des technologies qui rendaient l’Agence si sûre d’elle-même. Simplement, les choses prennent une forme un peu différente dans la mesure où on approche de l’échéance et qu’il faut bien faire se rencontrer tout ce beau monde avant la révélation ultime.
Et voilà, l’affaire est dans le sac, les méchants vaincus, les gentils contents, avec une discrète ouverture pour un éventuel nouvel épisode, ça va de soi.
Dire qu’il y a quelque chose d’un peu répétitif dans cette histoire n’est sans doute pas une surprise. Sans doute pas un inconvénient d’ailleurs pour les aficionados. Il est vrai que l’œuvre de Ludlum est construite de la même façon, avec une trame qui se plie et se replie, se décalquant d’un feuillet sur l’autre, s’appuyant bien davantage sur les changements de lieu que sur les rebondissements du scénario. Si les choses sont déjà sensibles au sein d’un même roman, elles deviennent manifestes à la lecture d’une série des ouvrages du Maître. Encore qu’on ne sait pas bien s’il faut vraiment lui en vouloir, à la fois parce que finalement, si la recette est bonne et suffisamment puissante pour créer l’addiction du lecteur, pourquoi le sevrer de son plaisir ; mais aussi parce que cela semble être une caractéristique les best-sellers US en série : voyez Dan Brown et la reprise quasi à l’identique des rouages de la plupart de ses romans-fleuves fleuves.
La trame du film reprend ainsi finalement rigoureusement la technique de l’auteur. La même série de scènes, s’emboîtant comme dans un mécanisme bien huilé, jusqu’à leur aboutissement, puis leur reprise dans un nouveau décor.
Et question décor, chez Ludlum comme chez Dan Brown, on est justement gâté. C’est que les différentes cités de par le monde qui font la toile de fond de l’histoire ne sont pas simplement évoquées. Elles sentent le vécu, le détail qui ne peut être connu que de quelqu’un qui en a réellement foulé le pavé, … ou qui s’est documenté d’une manière exhaustive. Sur ce point peut-être, la qualité de l’adaptation à l’écran n’est pas entièrement à la hauteur de la version papier. On vole un peu vite d’une ville à l’autre. On les traverse plus qu’on ne les habite, comme des touristes pressés. Mais pouvait-on faire autrement quand il fallait mettre autant de choses en un temps limité alors que Ludlum avait le nombre de page qu’il voulait bien se donner, nombre sur lequel il était loin d’être avare. Cela dit, si la technique est transparente, elle n’empêche pas d’être agrémentée de multiples rebondissements qui font partie intégrante de la recette. C’était d’ailleurs bien la difficulté du premier opus de la série, qui ne pouvait s’empêcher de chercher à coller au récit de Ludlum, et se noyait dans les détails de certaines séquences, pour en arriver à devoir en bâcler d’autres faute de temps, avec un résultat aussi frustrant que possible pour quiconque avait commis l’erreur de lire le roman avant de visionner le film.
Quant aux bagarres, ingrédient de base du film, elles ont bien évolué depuis les origines du genre, dans les tréfonds des westerns de série B des années 20 et 30. A l’époque, on nageait dans une vaste cacophonie où il était souvent difficile de suivre le mouvement tant ça partait dans tous les sens, ce qui était mis à profit pour attifer grossièrement quelques cascadeurs, même peu ressemblants, comme les héros en action et pour leur faire prendre leur place à l’écran. Mais Bruce Lee est passé par là, et les jeux vidéo puis Matrix ont peaufiné l’affaire. Les bagarres sont devenues l’affaire d’une chorégraphie élaborée, d’un ballet pensé et repensé, répété inlassablement jusqu’à la perfection du geste, monté et remonté pour atteindre au découpage stroboscopique qui enchaîne les plans dans un tourbillon onirique rejoignant l’extase. Il y a dans ces scènes de combat comme une envolée lyrique qui s’enroule dans une spirale confinant au charnel. Il n’est que d’écouter la respiration de la salle de cinéma elle-même, retenant son souffle quand le mouvement commence, haletant de plus en plus rapidement à mesure que le mouvement se déploie, s’emplissant progressivement d’une rumeur d’abord timide puis de plus en plus puissante, pour déborder en une salve d’applaudissements quand le mouvement atteint son paroxysme final. Et cela, rien, à la lecture de Ludlum, ne le laissait prévoir. C’est Greengrass qui en est l’auteur, et lui seul.
Et cela est d’autant plus remarquable que ce genre de séquence se retrouve enchâssé dans un fond le réalisme que vient renforcer l’utilisation de l’image elle-même. La caméra est vive, directe, quasiment portée au sein de chaque scène sur les épaules des personnages. Il n’y a quasiment pas de prise de vue en pied des personnages jusqu’aux dernières scènes du film. Comme si la libération de l’engrenage qui emprisonnait Bourne permettait simultanément une libération de l’image qui peut enfin cadrer large, sans se limiter à l’immédiateté du gros plan imposé par l’urgence de l’action et le danger. Jusque-là, les visages prenaient l’écran comme les yeux de Charles Bronson ou d’Henry Fonda pouvaient manger l’écran d’ « Il était une fois dans l’Ouest ». Maintenant enfin ils peuvent reprendre leur place, comme un élément du spectacle parmi d’autres.
Comme d’habitude dans ce genre de production, littéraire ou cinématographique, les noms des personnages sont à l’évidence un code qui annonce et souligne leur caractère et leur comportement. A commencer par Jason, en référence hellénistique à celui qui s’était engagé dans une vaste quête de la toison d’or, et en poursuivant par Bourne, en référence à celui qui est « born again » d’une manière devenue si à la mode dans l’Amérique contemporaine. Imaginez ce qu’on peut apprendre du nom de la petite copine, Parsons, de « person », celle qui apporte l’identité sur un plateau de plomb. Quant à Ezra et Noah, les deux directeurs de la CIA, faîtes un petit tour parmi les prophètes de l’ancien testament pour en découvrir les caractéristiques. La seule difficulté concerne peut-être le nom de Landy. Est-ce pour en annoncer la capacité à ramener Bourne sur sa terre natale, dans son « home land » ? Surprise …
Pour le reste, on ne va peut-être pas épiloguer. Matt Damon est partout, du début à la fin, égal à lui-même avec sa physionomie de premier de la classe ordinaire aux prises avec une histoire extraordinaire. Ca apporte du sens, mais ça enlève pas mal de rêve à ceux qui sont peu sensibles à son charme. Ca en ajoute manifestement une dose gargantuesque à la foule de ceux, et de celles, qui s’effondrent en pamoison à la simple évocation de son nom.
Reste à chacun à choisir son camp.
Pour ceux qui avaient aimé « La mémoire dans la peau » et « La mort dans la peau », calez vous dans votre fauteuil. C’est une suite en forme de fin qui fait plus que ne pas démériter dans l’adaptation des fameux best-sellers de Robert Ludlum. Quand, pour le second épisode, Doug Liman avait passé les commandes à Paul Greengrass, un frisson avait couru dans l’air avant de se dissiper devant le résultat. Le troisième opus, toujours aux mains de Greengrass, lève les derniers doutes. L’action est au rendez-vous, on ne s’ennuie pas, toujours dans un esprit de vitesse mêlé de « normalité ».
Cette fois-ci, Jason Bourne (Matt Damon) se rapproche de la solution à sa quête d’identité et de retour de mémoire. Il a été déjà pas mal chahuté, ce pauvre Jason, au cours des épisodes précédents, depuis son sauvetage en mer, amnésique mais doté de capacités de survie et de défense hors norme, fruit manifeste d’un entraînement aux petits oignons dont il a bien fallu remonter la piste, jusqu’à la découverte des premiers indices de son identité perdue au travers d’une puce greffée sous sa peau, jusqu’à la mise à jour progressive d’un vaste complot mené par la CIA et dans lequel il tenait une place mystérieuse, jusqu’à l’aide de la belle Marie Kreutz qui allait l’accompagner jusqu’à tomber sous les coups des poursuivants de Bourne à la fin du second épisode. Mais Jason n’est pas décidé à en rester là. Sa quête ne s’achèvera réellement qu’avec la restitution de son passé et l’accomplissement de sa vengeance après la mort de Marie. Et c’est justement pour ça qu’on est là …
Comment décrire l’histoire sans déflorer le suspense ? D’autant que tout se passe par saut de puce d’une capitale à l’autre à mesure des pérégrinations d’un Bourne qui ne fait pas dans la dentelle pour obtenir les informations dont il a besoin. On commence par un petit saut à Turin et à Paris, juste pour se mettre en jambe, et l’histoire commence. Un journaliste anglais, Simon Ross (Paddy Considine), commence à publier des infos sur les avanies de Bourne et hop, voilà Jason sur talons, prenant contact au nez et à la barbe de toute une escouade d’assaillants qui ne fond pas long feu devant son habileté à la fois dans l’utilisation de toute la panoplie des ustensiles de l’agent secret moderne, dans sa capacité à repérer et à neutraliser ces mêmes moyens quand ils sont dirigés contre lui, et dans le coup de poing quand la situation en arrive à cette extrémité. Un carnet de notes est récupéré et direction Madrid pour la suite des opérations.
Naturellement, la CIA n’est toujours pas décidée à laisser à Bourne la liberté d’agir, et de nouveaux bâtons dans les roues se dessinent. Mais Madrid est quand même l’occasion, après un étalage de dextérité comparable à ce qui vient de se dérouler à Londres, de se faire une alliée en la personne de Nicky Parsons (Julia Stiles) qui décide de donner un coup de main. L’indice suivant est malgré tout récupéré mais le contact recherché, Neal Daniels (Colin Stinton), s’est envolé pour Tanger. Donc direction Tanger, en duo avec la belle Nicky.
Parallèlement à ce qui se passe sur le terrain, les choses évoluent quand même à la tête de la CIA, où même si le directeur, Ezra Kramer (Scott Glenn), et son adjoint, Noah Vosen (David Strathairn), continuent à mener l’opération d’éradication de Bourne, une chef de service annexe, Pamela Landy (Joan Allen), sent le coup fourré et tente de tirer Jason de sa situation. Chacun, à la tête de l’Agence, pense piéger l’autre dans une partie de billard à 28 bandes, mais les choses avancent doucement.
De leur côté, à Tanger, les fugitifs sont sur les traces de Daniels. La CIA ne l’entend toujours pas de cette oreille, et monte une vaste opération pour dégommer les deux fugitifs ainsi que leur contact. La bagarre fait vite rage dans les rues et les immeubles entremêlés de la ville, jusqu’à un paroxysme dont émerge encore Jason muni d’un nouvel indice qui le dirige vers sa destination suivante. Mais comme cette fois on est passé près des dégâts, on met Nicky à l’abri sans la faire participer à la suite des opérations. En route donc pour New York et la bataille finale.
A New York, Jason fait encore étalage de toute son habileté et de sa maîtrise des technologies qui rendaient l’Agence si sûre d’elle-même. Simplement, les choses prennent une forme un peu différente dans la mesure où on approche de l’échéance et qu’il faut bien faire se rencontrer tout ce beau monde avant la révélation ultime.
Et voilà, l’affaire est dans le sac, les méchants vaincus, les gentils contents, avec une discrète ouverture pour un éventuel nouvel épisode, ça va de soi.
Dire qu’il y a quelque chose d’un peu répétitif dans cette histoire n’est sans doute pas une surprise. Sans doute pas un inconvénient d’ailleurs pour les aficionados. Il est vrai que l’œuvre de Ludlum est construite de la même façon, avec une trame qui se plie et se replie, se décalquant d’un feuillet sur l’autre, s’appuyant bien davantage sur les changements de lieu que sur les rebondissements du scénario. Si les choses sont déjà sensibles au sein d’un même roman, elles deviennent manifestes à la lecture d’une série des ouvrages du Maître. Encore qu’on ne sait pas bien s’il faut vraiment lui en vouloir, à la fois parce que finalement, si la recette est bonne et suffisamment puissante pour créer l’addiction du lecteur, pourquoi le sevrer de son plaisir ; mais aussi parce que cela semble être une caractéristique les best-sellers US en série : voyez Dan Brown et la reprise quasi à l’identique des rouages de la plupart de ses romans-fleuves fleuves.
La trame du film reprend ainsi finalement rigoureusement la technique de l’auteur. La même série de scènes, s’emboîtant comme dans un mécanisme bien huilé, jusqu’à leur aboutissement, puis leur reprise dans un nouveau décor.
Et question décor, chez Ludlum comme chez Dan Brown, on est justement gâté. C’est que les différentes cités de par le monde qui font la toile de fond de l’histoire ne sont pas simplement évoquées. Elles sentent le vécu, le détail qui ne peut être connu que de quelqu’un qui en a réellement foulé le pavé, … ou qui s’est documenté d’une manière exhaustive. Sur ce point peut-être, la qualité de l’adaptation à l’écran n’est pas entièrement à la hauteur de la version papier. On vole un peu vite d’une ville à l’autre. On les traverse plus qu’on ne les habite, comme des touristes pressés. Mais pouvait-on faire autrement quand il fallait mettre autant de choses en un temps limité alors que Ludlum avait le nombre de page qu’il voulait bien se donner, nombre sur lequel il était loin d’être avare. Cela dit, si la technique est transparente, elle n’empêche pas d’être agrémentée de multiples rebondissements qui font partie intégrante de la recette. C’était d’ailleurs bien la difficulté du premier opus de la série, qui ne pouvait s’empêcher de chercher à coller au récit de Ludlum, et se noyait dans les détails de certaines séquences, pour en arriver à devoir en bâcler d’autres faute de temps, avec un résultat aussi frustrant que possible pour quiconque avait commis l’erreur de lire le roman avant de visionner le film.
Quant aux bagarres, ingrédient de base du film, elles ont bien évolué depuis les origines du genre, dans les tréfonds des westerns de série B des années 20 et 30. A l’époque, on nageait dans une vaste cacophonie où il était souvent difficile de suivre le mouvement tant ça partait dans tous les sens, ce qui était mis à profit pour attifer grossièrement quelques cascadeurs, même peu ressemblants, comme les héros en action et pour leur faire prendre leur place à l’écran. Mais Bruce Lee est passé par là, et les jeux vidéo puis Matrix ont peaufiné l’affaire. Les bagarres sont devenues l’affaire d’une chorégraphie élaborée, d’un ballet pensé et repensé, répété inlassablement jusqu’à la perfection du geste, monté et remonté pour atteindre au découpage stroboscopique qui enchaîne les plans dans un tourbillon onirique rejoignant l’extase. Il y a dans ces scènes de combat comme une envolée lyrique qui s’enroule dans une spirale confinant au charnel. Il n’est que d’écouter la respiration de la salle de cinéma elle-même, retenant son souffle quand le mouvement commence, haletant de plus en plus rapidement à mesure que le mouvement se déploie, s’emplissant progressivement d’une rumeur d’abord timide puis de plus en plus puissante, pour déborder en une salve d’applaudissements quand le mouvement atteint son paroxysme final. Et cela, rien, à la lecture de Ludlum, ne le laissait prévoir. C’est Greengrass qui en est l’auteur, et lui seul.
Et cela est d’autant plus remarquable que ce genre de séquence se retrouve enchâssé dans un fond le réalisme que vient renforcer l’utilisation de l’image elle-même. La caméra est vive, directe, quasiment portée au sein de chaque scène sur les épaules des personnages. Il n’y a quasiment pas de prise de vue en pied des personnages jusqu’aux dernières scènes du film. Comme si la libération de l’engrenage qui emprisonnait Bourne permettait simultanément une libération de l’image qui peut enfin cadrer large, sans se limiter à l’immédiateté du gros plan imposé par l’urgence de l’action et le danger. Jusque-là, les visages prenaient l’écran comme les yeux de Charles Bronson ou d’Henry Fonda pouvaient manger l’écran d’ « Il était une fois dans l’Ouest ». Maintenant enfin ils peuvent reprendre leur place, comme un élément du spectacle parmi d’autres.
Comme d’habitude dans ce genre de production, littéraire ou cinématographique, les noms des personnages sont à l’évidence un code qui annonce et souligne leur caractère et leur comportement. A commencer par Jason, en référence hellénistique à celui qui s’était engagé dans une vaste quête de la toison d’or, et en poursuivant par Bourne, en référence à celui qui est « born again » d’une manière devenue si à la mode dans l’Amérique contemporaine. Imaginez ce qu’on peut apprendre du nom de la petite copine, Parsons, de « person », celle qui apporte l’identité sur un plateau de plomb. Quant à Ezra et Noah, les deux directeurs de la CIA, faîtes un petit tour parmi les prophètes de l’ancien testament pour en découvrir les caractéristiques. La seule difficulté concerne peut-être le nom de Landy. Est-ce pour en annoncer la capacité à ramener Bourne sur sa terre natale, dans son « home land » ? Surprise …
Pour le reste, on ne va peut-être pas épiloguer. Matt Damon est partout, du début à la fin, égal à lui-même avec sa physionomie de premier de la classe ordinaire aux prises avec une histoire extraordinaire. Ca apporte du sens, mais ça enlève pas mal de rêve à ceux qui sont peu sensibles à son charme. Ca en ajoute manifestement une dose gargantuesque à la foule de ceux, et de celles, qui s’effondrent en pamoison à la simple évocation de son nom.
Reste à chacun à choisir son camp.
(Egalement publié sur Cinemaniac.fr)
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