Des indices malheureusement annonciateurs
Et oui, la Fête du Cinéma s'est terminée hier, mais quelques cinoches compatissants ont décidé de jouer les prolongations de 24 heures, et vacances aidant, comme Tonton Sylvain a sa journée off, me voilà sur le pied de guerre dès l'ouverture. Le premier film qui lance les hostilités, à 10h20, dans tout Montparnasse, c'est « Phénomènes », de M. Night Shyamalan (« The happening », en VO). Bon, pourquoi pas ? Ca aurait pu être pire, non ? C'est le type qui avait fait « Le sixième sens », et j'avais été littéralement séché, si je puis me permettre …
Comme ça, spontanément, j'aurais plutôt choisi Le Monde de Narnia II : le Retour, mais ça commence plus tard, et la journée n'est pas terminée. Alors on verra ça dans un deuxième temps. Hauts les cœurs et en avant pour l'aventure.
D'ailleurs la grande aventure, ça commence avec le type qui contrôle les billets, juste après la caisse, qui se prend les pieds dans l'absence de tapis en tentant de m'indiquer le chemin de la salle et qui s'y reprend à trois ou quatre fois : « C'est parce que, comme on est en travaux, je n'arrive pas encore à mémoriser les nouveaux numéros des salles. Mais allez-y, si, si, je vous assure, ça doit être là … Et au fait, faîtes attention dans les marches, ça glisse avec les bâches de plastique par terre … ». De fait, non seulement on se prend les pieds déjà dans les explications du joyeux poinçonneur, mais aussi dans les bâches, les bouts de moquette tout juste collée ou en attente de l'être, en s'engouffrant dans un étroit tunnel aux murs ornés de chatterton en une artistique disposition imitant à s'y méprendre l'œuvre du hasard ou celle d'un ouvrier du bâtiment saisi en plein chantier. D'ailleurs, l'imitation est soignée à l'extrême, avec en fond sonore un bruit de perceuse et en visuel, titillant le coin de l'œil, justement la silhouette du dit ouvrier semblant s'affairer à l'angle d'une cloison. Si c'est pas du soin du détail, ça … En fait, sur le coup, je ne peux pas m'empêcher de me demander si tout ce micmac n'est pas un peu volontaire, juste histoire de déstabiliser le client et de le mettre dans une ambiance d'anormalité. « Sylvain, mon bon Sylvain, tu ne crois pas ça, quand même ? ! », que je me dis. « Euh, ben non, … mais ça aurait été une idée rigolote, non ? Après tout, ils ont bien les moyens, chez UGC ! », que je me réponds, vaguement rassuré. Et en plus, tout ça pour une place à demi-tarif (horaire matutinal oblige) du demi-tarif (Fête du Cinéma oblige). On n'en demandait pas tant, mais puisque c'est là, pas d'hésitation, on prend … De toute façon, c'est déjà payé, et composté.
Mais là où ils sont forts chez UGC, c'est qu'à partir de là, plus rien ! Une fois passée la porte de la salle, rien, nada, woualou … La salle, normale. Un peu petite, peut-être, le sol un peu en faux plat imitant des marches d'escaliers dans la pénombre ambiante, qu'on lève le pas à chaque rayure et qu'on trébuche en pensant le reposer sur une marche alors qu'il retombe lourdement à son altitude d'origine … des gamineries, à peine … Juste un petit accessit pour les fauteuils à l'air confortable dont la courbure impossible a dû gagner le prix du Vicelard d'Or quelque part. Pas de quoi fouetter un chat donc : du classique, pas plus. Non, visiblement, on tient le chaland en haleine pour laisser éclater le mystérieux finalement sur l'écran. Bien vu, non ? Et là, on tombe dans le panneau, on reste d'un œil sur le qui vive tandis que de l'autre on commence à se détendre. On reluque un peu les deux blondes qui viennent d'entrer et la plus blonde qui se redirige aussitôt vers la sortie, portable en main, saisie d'une soudaine envie de se micro-ondiser le lobe temporal. On s'étonne à peine d'une grand-mère installant péniblement deux bambins turbulents, sous l'œil éberlué de la blonde survivante qui s'est retournée pour mater la scène, bouche bée (Pourquoi bouche bée ? J'en sais rien, à vrai dire, ça doit être un truc de blonde). Et c'est là que le film commence …
Mais là, une petite précaution s'impose. Soit Tonton Sylvain peut raconter l'histoire pour que chacun sache de quoi on parle. Soit il peut rester soucieux du suspens et se contenter d'un résumé succinct. Mais on perdrait alors en matière à discussion. Dilemme. Et ces dans des moments comme ça qu'on se dit que Dieu est grand, quand l'illumination arrive : et si on faisait les deux, en prévenant du passage à sauter en fonction de la sensibilité du lecteur ? Alleluyah ! Tope là, banco, et dix de der !
*** Passage à sauter à pieds joints si on préfère garder le suspens ***
New York, Central Park, 08h33. Chacun vaque à ses occupations, qui faisant son footing, qui allant au boulot, qui se baladant tout simplement. Deux copines sont sur un banc et discutent tranquillement. Soudain, un cri dans le lointain. Puis des gens qui s'arrêtent brusquement dans leurs déambulations. Certains reviennent même sur leurs pas à reculons sur quelques mètres. Une des deux copines prend un regard fixe et inexpressif, se saisit de son crayon à cheveux et se le plante dans la gorge. Fin de la première scène.
Au pied d'un immeuble en construction, quelques ouvriers discutent, de bonne humeur. Mais la discussion est brutalement interrompue par la chute mortelle aux pieds du groupe d'un collègue qui bossait dans les étages. Dans l'émoi, on a à peine le temps de commencer à appeler des secours qu'un second corps s'écrase à l'atterrissage. Puis un troisième, un quatrième, … Et c'est bientôt une pluie serrée de corps en chute libre à la suite manifeste de plongeons volontaires qui vient encombrer le sol devant le chantier. Panique. Fin de la seconde scène.
Dans une salle de classe d'une petite ville du New Jersey, Elliot Moore (Mark Wahlberg) tente de faire son cours de sciences naturelles et de vanter les mérites de la démarche scientifique à une classe d'adolescents sympa. Petite joute verbale gentille avec le cancre local, et le cours est interrompu par la proviseur adjointe qui vient chercher Elliot pour une réunion de profs d'urgence. La nouvelle des événements de New York est arrivée jusque là, et les autorités soupçonnent une attaque terroriste par un genre de gaz neurotoxique. On décide alors de renvoyer tout le monde dans ses foyers pour éviter les concentrations de civils, cibles potentielles du groupe terroriste suspecté. Elliot se laisse convaincre par son copain Julian (John Leguizamo), prof de maths de son état, que leurs deux couples s'écartent par prudence de la ville et se rendent chez la mêre de Julian, à distance du lieu des attaques présumées qui se multiplient rapidement et semblent se concentrer sur le nord-est du pays. On décide alors de se retrouver à la gare après un saut à la maison pour récupérer les familles respectives. Elliot revient donc avec sa femme, Alma (Zooey Deschanel), avec qui il y a manifestement un petit froid, tandis que Julian ne peut ramener que sa fille Jess (Ashlyn Sanchez), sa femme s'étant absentée à New York pour la journée pour quelques emplettes. Julian est bien un peut inquiet, mais il a sa femme régulièrement au téléphone et elle est en train de quitter la ville par autocar sans encombre. Elle projette de rejoindre tout le monde chez sa belle-mère par cette voie. Nos quatre héros entament donc leur trajet en train dans une certaine bonne humeur.
Naturellement, les choses n'en restent pas là, et le train doit s'arrêter dans un village isolé, d'abord devant l'arrivée par téléphone de nouvelles alarmantes d'extension du phénomène dans un territoire plus large qu'escompté, et surtout par la rupture de toute communication tant avec l'amont qu'avec l'aval de la voie. Tout le monde descend et se retrouve au bistrot local. Les nouvelles retransmises à la télévision sont de plus en plus alarmantes et on commence à mettre en doute l'hypothèse terroriste. Des spécialistes interrogés expliquent le mode d'action de la toxine invoquée, qui inhiberait l'instinct de conservation. On se perd en conjectures sur l'origine possible de cette toxine, qui prend de plus en plus l'aspect d'une catastrophe naturelle. Toute la petite ville décide de déguerpir en voitures, en embarquant les passagers du train bloqué. Mais Julian, qui n'a plus de nouvelles de sa femme, décide de partir à sa recherche dans une autre direction que le groupe. Il confie Jess à Elliot et Alma avant de se mettre en route. Il n'ira d'ailleurs pas très loin, vite rattrapé par une attaque de toxine fatale.
Suivent alors les pérégrinations d'Elliot, Alma, et Jess au sein de groupes de réfugiées de plus en plus réduits. On suit à la fois leurs déplacements, mais aussi l'imagination en marche d'Elliot qui se raccroche à ses valeurs « de l'esprit scientifique » pour tenter de comprendre ce qui se passe et imaginer des échappatoires. Les hypothèses se précisent à mesure que des observations nouvelles apportent des bribes de compréhension et un fil directeur au puzzle. Tout ça reste un peu confus, mais on comprend globalement que les plantes seraient en train de libérer dans l'air une toxine en réaction à l'excès d'agression qu'elles subissent du fait de l'activité humaine. Et que cette libération serait ciblée contre les rassemblements d'humains. Au fur et à mesure des heures, la défense végétale devient de plus en plus précise, s'attaquant à des groupes de plus en plus petits.
Finalement, le groupe d'Elliot, réduit à trois personnes, lui, Alma et Jess, trouve refuge dans une ferme isolée de tout auprès de Mrs Jones (Betty Buckley), une vieille femme misanthrope et paranoïaque qui accepte néanmoins de les garder pour la nuit. Au matin, les catastrophes reprennent, puis cessent subitement comme elles avaient commencé, laissant le monde sur ses hypothèses d'explication et ses craintes d'une récidive ultérieure du même phénomène.
*** Fin du passage à sauter si on a voulu garder le suspens, et début du passage à sauter si on a lu le précédent ***
Pour faire simple, la nature semble se rebeller contre les excès des hommes et se débrouiller pour se libérer radicalement de la présence humaine. Devant cette hécatombe qui progresse, Elliot, sa femme Alma, et Jess, la jeune fille de Julian, un collègue d'Elliot, qu'ils ont recueillie, se lancent dans une fuite pour la survie.
(Ca c'est du pitch, ou je ne m'y connais pas !)
*** Fin du passage à sauter pour ceux qui n'ont pas sauté le premier passage à sauter, et retour à la lecture commune de tout le monde, enfin, de ceux qui restent … ***
Pour ceux qui ont vu « La guerre des mondes » et qui ne supportent pas de voir deux fois le même film, on peut d'emblée en rester là. L'histoire en est globalement la photocopie, à peine transposée à un environnement plus quotidien. Ray trimbalait sa fille et son grand fils, là où Elliot trimbale sa femme et la fille d'un copain. L'holocauste venait d'une invasion d'extra-terrestres, là où il vient maintenant d'une révolte du règne végétal. La main du bourreau était celle des ET, et devient ici la propension au suicide. Pour le reste, on prend un papier calque si on a de la patience, une bonne photocopieuse si on manque de temps, et le tour est joué.
Mais pour la beauté du geste, imaginons cependant qu'il existe de par le vaste monde quelques irréductibles qui n'ont pas vu « La guerre des mondes », ou qui se fichent de le revoir, ou qui sont tentés d'en voir une nouvelle version, ou qui ont survécu à cette longue présentation et se disent : « On n'a pas lu tout ça pour rien, quand même ! Allez, on va jusqu'au bout », ou qui veulent voir jusqu'à quel point ce pauvre Sylvain va s'enferrer dans son histoire, … ou même qui cumulent la série complète de ces perversités. On peut imaginer, non ? Ah, j'en vois deux dans le fond qui lèvent la main (je me fiche de savoir si c'était pour demander la permission d'aller au petit coin ; y'avait qu'à pas bouger, voilà !). Reprenons.
Outre « La guerre des mondes », le film doit un tribut à quelques films illustres. L'exemple le plus évident remonte au « Sacré Graal » des Monthy Python, dont la scène du combat contre le chevalier noir dont chaque assaut se solde par un membre en moins revient immédiatement en mémoire en voyant ce pauvre suicidaire dans la cage aux lions du zoo. On localise de même quelques plans à la Romero de la série des Morts-Vivants, avec attroupement de zombies vaguement hagards. Encore que là, d'une part ce soit la loi du genre (et on se souvient du très kitsch « Space invaders » qui offrait les mêmes séquences), et d'autre part ce ne soient pas des zombies spécialement agressifs sinon pour eux-mêmes. Comme dans « Les cadavres ne portent pas de costard », on peut même en faire un jeu pour cinéphiles : Qui reconnaîtra la scène et le film de départ ?
Mais passons sur ces détails. Après tout, un réalisateur a bien le droit à quelques clins d'œil à ses illustres prédécesseurs. M. Night Shyamalan ne s'en prive pas, voilà tout. Par contre, On rirait du clin d'œil avec lui si ses propres productions relevaient d'une inspiration tonique, voire simplement du travail bien fait. Au lieu de ça, il y a un je ne sait quoi de facile, de lent, de téléphoné, qui donne tout au long du film un arrière goût de téléfilm. Quelques plans sont bien tentés, comme cette série de suicides dans une foule à l'arrêt dans une rue dans laquelle la présence d'un revolver, qu'un policier vient de laissé tomber après s'être logé une balle dans la tête, donne lieu au ramassage en série du revolver pour des suicides successifs jusqu'à la fin du chargeur. Le tout est suivi par la caméra au ras du sol, fixant le pistolet et les pieds de la future victime jusqu'à sa chute et celle du revolver, ramassé par le zombi suivant, etc … Mais de telles scènes sont bien rares au milieu de choses hélas convenues. Un seul exemple : une mère a sa fille au téléphone pendant qu'elle est atteinte par le mal, commence à bredouiller, puis manifestement se jette par la fenêtre dans un bruit de verre brisé, le groupe autour de la mère semblant plus intrigué que réellement affecté, la mère mimant l'hystérie comme aux répétition d'une pièce de patronage (c'est peut-être un peu exagéré, mais on voit l'idée). Allez, un second exemple pour le plaisir : l'attitude de Mrs Jones une fois toxinisée ne trouve pas de réelle explication quand elle fait mine de s'en prendre à ses invités alors que les intoxiqués n'étaient jusque là agressifs qu'envers eux-mêmes ; de plus, son visage tuméfié et marqué par quelques éclats de verre résiduels après avoir explosé une fenêtre à coups de tête, est à la limite de l'inspiration du maquilleur, pratiquement risible tant il semble bâclé.
Le fond se voulant inquiétant avec une vision pessimiste de l'influence de l'homme sur son environnement, il est contrebalancé par un contre-point d'humour (Elliot tentant de convaincre un arbuste de sa bonne volonté avant de se rendre compte qu'il est artificiel ; le groupe de fuyards trouve refuge dans une maison visiblement désertée avec tous les stigmates d'un départ précipité de ses occupants abandonnant aux suivants un repas tout prêt sur une table dressée, avant de réaliser qu'ils ont investi un pavillon témoin et un décor de carton-pâte). Un second contre-point tient dans l'instillation d'une dose d'émotion familiale très étatsunienne, avec les rapports réconciliatoires doucereux d'Elliot et Alma, l'intégration progressive de Jess en tant que fille adoptive, tout un petit jeu autour d'une bague qui se balade de l'un à l'autre et dont la pierre a le pouvoir de changer de couleur en fonction des émotions de celui qui la porte, … Malheureusement, ce qui aurait dû être une soupape cathartique à l'angoisse générée par le problème principal, et justement du fait de la difficulté à faire monter cette angoisse dans le cœur du spectateur, se retourne en un parasitage intempestif.
Le jeu des acteurs, de son côté, vient difficilement au secours de cette série de difficultés. Ce n'est pas tant qu'il soit mauvais. C'est plutôt qu'il semble ne pas vouloir décoller, prendre un envol que mériterait l'action. Il semble comme bridé, constamment hésitant entre la préoccupation liée au sujet de fond et le désir de dédramatiser la situation. Mais c'est peut-être là plus un problème de direction d'acteurs que de jeu proprement dit. Dans ce contexte, difficile d'isoler une prestation plutôt qu'une autre. Tout le jeu semble lisse et égal, équitablement réparti entre les différents personnages.
Reste la question de fond qui fait le sujet du film, les conséquences sur l'environnement de l'activité humaine, et le choc en retour sur l'homme en écho ou en conséquence de cette agression de l'environnement. Il n'y a pas tant de films sur le sujet, signe des temps, et il semblerait que la vague écologiste commence à frapper les côtes hollywoodiennes après avoir frappé depuis quelques années déjà à la porte du cinéma indépendant. Dommage simplement que cette tentative reste au niveau de l'essai non ou à peine transformé.
Peut-être l'environnement en travaux du cinoche qui projetait le film aurait-il dû alerter. Mais la lecture des indices est souvent bien plus facile a posteriori qu'a priori …
Et oui, la Fête du Cinéma s'est terminée hier, mais quelques cinoches compatissants ont décidé de jouer les prolongations de 24 heures, et vacances aidant, comme Tonton Sylvain a sa journée off, me voilà sur le pied de guerre dès l'ouverture. Le premier film qui lance les hostilités, à 10h20, dans tout Montparnasse, c'est « Phénomènes », de M. Night Shyamalan (« The happening », en VO). Bon, pourquoi pas ? Ca aurait pu être pire, non ? C'est le type qui avait fait « Le sixième sens », et j'avais été littéralement séché, si je puis me permettre …
Comme ça, spontanément, j'aurais plutôt choisi Le Monde de Narnia II : le Retour, mais ça commence plus tard, et la journée n'est pas terminée. Alors on verra ça dans un deuxième temps. Hauts les cœurs et en avant pour l'aventure.
D'ailleurs la grande aventure, ça commence avec le type qui contrôle les billets, juste après la caisse, qui se prend les pieds dans l'absence de tapis en tentant de m'indiquer le chemin de la salle et qui s'y reprend à trois ou quatre fois : « C'est parce que, comme on est en travaux, je n'arrive pas encore à mémoriser les nouveaux numéros des salles. Mais allez-y, si, si, je vous assure, ça doit être là … Et au fait, faîtes attention dans les marches, ça glisse avec les bâches de plastique par terre … ». De fait, non seulement on se prend les pieds déjà dans les explications du joyeux poinçonneur, mais aussi dans les bâches, les bouts de moquette tout juste collée ou en attente de l'être, en s'engouffrant dans un étroit tunnel aux murs ornés de chatterton en une artistique disposition imitant à s'y méprendre l'œuvre du hasard ou celle d'un ouvrier du bâtiment saisi en plein chantier. D'ailleurs, l'imitation est soignée à l'extrême, avec en fond sonore un bruit de perceuse et en visuel, titillant le coin de l'œil, justement la silhouette du dit ouvrier semblant s'affairer à l'angle d'une cloison. Si c'est pas du soin du détail, ça … En fait, sur le coup, je ne peux pas m'empêcher de me demander si tout ce micmac n'est pas un peu volontaire, juste histoire de déstabiliser le client et de le mettre dans une ambiance d'anormalité. « Sylvain, mon bon Sylvain, tu ne crois pas ça, quand même ? ! », que je me dis. « Euh, ben non, … mais ça aurait été une idée rigolote, non ? Après tout, ils ont bien les moyens, chez UGC ! », que je me réponds, vaguement rassuré. Et en plus, tout ça pour une place à demi-tarif (horaire matutinal oblige) du demi-tarif (Fête du Cinéma oblige). On n'en demandait pas tant, mais puisque c'est là, pas d'hésitation, on prend … De toute façon, c'est déjà payé, et composté.
Mais là où ils sont forts chez UGC, c'est qu'à partir de là, plus rien ! Une fois passée la porte de la salle, rien, nada, woualou … La salle, normale. Un peu petite, peut-être, le sol un peu en faux plat imitant des marches d'escaliers dans la pénombre ambiante, qu'on lève le pas à chaque rayure et qu'on trébuche en pensant le reposer sur une marche alors qu'il retombe lourdement à son altitude d'origine … des gamineries, à peine … Juste un petit accessit pour les fauteuils à l'air confortable dont la courbure impossible a dû gagner le prix du Vicelard d'Or quelque part. Pas de quoi fouetter un chat donc : du classique, pas plus. Non, visiblement, on tient le chaland en haleine pour laisser éclater le mystérieux finalement sur l'écran. Bien vu, non ? Et là, on tombe dans le panneau, on reste d'un œil sur le qui vive tandis que de l'autre on commence à se détendre. On reluque un peu les deux blondes qui viennent d'entrer et la plus blonde qui se redirige aussitôt vers la sortie, portable en main, saisie d'une soudaine envie de se micro-ondiser le lobe temporal. On s'étonne à peine d'une grand-mère installant péniblement deux bambins turbulents, sous l'œil éberlué de la blonde survivante qui s'est retournée pour mater la scène, bouche bée (Pourquoi bouche bée ? J'en sais rien, à vrai dire, ça doit être un truc de blonde). Et c'est là que le film commence …
Mais là, une petite précaution s'impose. Soit Tonton Sylvain peut raconter l'histoire pour que chacun sache de quoi on parle. Soit il peut rester soucieux du suspens et se contenter d'un résumé succinct. Mais on perdrait alors en matière à discussion. Dilemme. Et ces dans des moments comme ça qu'on se dit que Dieu est grand, quand l'illumination arrive : et si on faisait les deux, en prévenant du passage à sauter en fonction de la sensibilité du lecteur ? Alleluyah ! Tope là, banco, et dix de der !
*** Passage à sauter à pieds joints si on préfère garder le suspens ***
New York, Central Park, 08h33. Chacun vaque à ses occupations, qui faisant son footing, qui allant au boulot, qui se baladant tout simplement. Deux copines sont sur un banc et discutent tranquillement. Soudain, un cri dans le lointain. Puis des gens qui s'arrêtent brusquement dans leurs déambulations. Certains reviennent même sur leurs pas à reculons sur quelques mètres. Une des deux copines prend un regard fixe et inexpressif, se saisit de son crayon à cheveux et se le plante dans la gorge. Fin de la première scène.
Au pied d'un immeuble en construction, quelques ouvriers discutent, de bonne humeur. Mais la discussion est brutalement interrompue par la chute mortelle aux pieds du groupe d'un collègue qui bossait dans les étages. Dans l'émoi, on a à peine le temps de commencer à appeler des secours qu'un second corps s'écrase à l'atterrissage. Puis un troisième, un quatrième, … Et c'est bientôt une pluie serrée de corps en chute libre à la suite manifeste de plongeons volontaires qui vient encombrer le sol devant le chantier. Panique. Fin de la seconde scène.
Dans une salle de classe d'une petite ville du New Jersey, Elliot Moore (Mark Wahlberg) tente de faire son cours de sciences naturelles et de vanter les mérites de la démarche scientifique à une classe d'adolescents sympa. Petite joute verbale gentille avec le cancre local, et le cours est interrompu par la proviseur adjointe qui vient chercher Elliot pour une réunion de profs d'urgence. La nouvelle des événements de New York est arrivée jusque là, et les autorités soupçonnent une attaque terroriste par un genre de gaz neurotoxique. On décide alors de renvoyer tout le monde dans ses foyers pour éviter les concentrations de civils, cibles potentielles du groupe terroriste suspecté. Elliot se laisse convaincre par son copain Julian (John Leguizamo), prof de maths de son état, que leurs deux couples s'écartent par prudence de la ville et se rendent chez la mêre de Julian, à distance du lieu des attaques présumées qui se multiplient rapidement et semblent se concentrer sur le nord-est du pays. On décide alors de se retrouver à la gare après un saut à la maison pour récupérer les familles respectives. Elliot revient donc avec sa femme, Alma (Zooey Deschanel), avec qui il y a manifestement un petit froid, tandis que Julian ne peut ramener que sa fille Jess (Ashlyn Sanchez), sa femme s'étant absentée à New York pour la journée pour quelques emplettes. Julian est bien un peut inquiet, mais il a sa femme régulièrement au téléphone et elle est en train de quitter la ville par autocar sans encombre. Elle projette de rejoindre tout le monde chez sa belle-mère par cette voie. Nos quatre héros entament donc leur trajet en train dans une certaine bonne humeur.
Naturellement, les choses n'en restent pas là, et le train doit s'arrêter dans un village isolé, d'abord devant l'arrivée par téléphone de nouvelles alarmantes d'extension du phénomène dans un territoire plus large qu'escompté, et surtout par la rupture de toute communication tant avec l'amont qu'avec l'aval de la voie. Tout le monde descend et se retrouve au bistrot local. Les nouvelles retransmises à la télévision sont de plus en plus alarmantes et on commence à mettre en doute l'hypothèse terroriste. Des spécialistes interrogés expliquent le mode d'action de la toxine invoquée, qui inhiberait l'instinct de conservation. On se perd en conjectures sur l'origine possible de cette toxine, qui prend de plus en plus l'aspect d'une catastrophe naturelle. Toute la petite ville décide de déguerpir en voitures, en embarquant les passagers du train bloqué. Mais Julian, qui n'a plus de nouvelles de sa femme, décide de partir à sa recherche dans une autre direction que le groupe. Il confie Jess à Elliot et Alma avant de se mettre en route. Il n'ira d'ailleurs pas très loin, vite rattrapé par une attaque de toxine fatale.
Suivent alors les pérégrinations d'Elliot, Alma, et Jess au sein de groupes de réfugiées de plus en plus réduits. On suit à la fois leurs déplacements, mais aussi l'imagination en marche d'Elliot qui se raccroche à ses valeurs « de l'esprit scientifique » pour tenter de comprendre ce qui se passe et imaginer des échappatoires. Les hypothèses se précisent à mesure que des observations nouvelles apportent des bribes de compréhension et un fil directeur au puzzle. Tout ça reste un peu confus, mais on comprend globalement que les plantes seraient en train de libérer dans l'air une toxine en réaction à l'excès d'agression qu'elles subissent du fait de l'activité humaine. Et que cette libération serait ciblée contre les rassemblements d'humains. Au fur et à mesure des heures, la défense végétale devient de plus en plus précise, s'attaquant à des groupes de plus en plus petits.
Finalement, le groupe d'Elliot, réduit à trois personnes, lui, Alma et Jess, trouve refuge dans une ferme isolée de tout auprès de Mrs Jones (Betty Buckley), une vieille femme misanthrope et paranoïaque qui accepte néanmoins de les garder pour la nuit. Au matin, les catastrophes reprennent, puis cessent subitement comme elles avaient commencé, laissant le monde sur ses hypothèses d'explication et ses craintes d'une récidive ultérieure du même phénomène.
*** Fin du passage à sauter si on a voulu garder le suspens, et début du passage à sauter si on a lu le précédent ***
Pour faire simple, la nature semble se rebeller contre les excès des hommes et se débrouiller pour se libérer radicalement de la présence humaine. Devant cette hécatombe qui progresse, Elliot, sa femme Alma, et Jess, la jeune fille de Julian, un collègue d'Elliot, qu'ils ont recueillie, se lancent dans une fuite pour la survie.
(Ca c'est du pitch, ou je ne m'y connais pas !)
*** Fin du passage à sauter pour ceux qui n'ont pas sauté le premier passage à sauter, et retour à la lecture commune de tout le monde, enfin, de ceux qui restent … ***
Pour ceux qui ont vu « La guerre des mondes » et qui ne supportent pas de voir deux fois le même film, on peut d'emblée en rester là. L'histoire en est globalement la photocopie, à peine transposée à un environnement plus quotidien. Ray trimbalait sa fille et son grand fils, là où Elliot trimbale sa femme et la fille d'un copain. L'holocauste venait d'une invasion d'extra-terrestres, là où il vient maintenant d'une révolte du règne végétal. La main du bourreau était celle des ET, et devient ici la propension au suicide. Pour le reste, on prend un papier calque si on a de la patience, une bonne photocopieuse si on manque de temps, et le tour est joué.
Mais pour la beauté du geste, imaginons cependant qu'il existe de par le vaste monde quelques irréductibles qui n'ont pas vu « La guerre des mondes », ou qui se fichent de le revoir, ou qui sont tentés d'en voir une nouvelle version, ou qui ont survécu à cette longue présentation et se disent : « On n'a pas lu tout ça pour rien, quand même ! Allez, on va jusqu'au bout », ou qui veulent voir jusqu'à quel point ce pauvre Sylvain va s'enferrer dans son histoire, … ou même qui cumulent la série complète de ces perversités. On peut imaginer, non ? Ah, j'en vois deux dans le fond qui lèvent la main (je me fiche de savoir si c'était pour demander la permission d'aller au petit coin ; y'avait qu'à pas bouger, voilà !). Reprenons.
Outre « La guerre des mondes », le film doit un tribut à quelques films illustres. L'exemple le plus évident remonte au « Sacré Graal » des Monthy Python, dont la scène du combat contre le chevalier noir dont chaque assaut se solde par un membre en moins revient immédiatement en mémoire en voyant ce pauvre suicidaire dans la cage aux lions du zoo. On localise de même quelques plans à la Romero de la série des Morts-Vivants, avec attroupement de zombies vaguement hagards. Encore que là, d'une part ce soit la loi du genre (et on se souvient du très kitsch « Space invaders » qui offrait les mêmes séquences), et d'autre part ce ne soient pas des zombies spécialement agressifs sinon pour eux-mêmes. Comme dans « Les cadavres ne portent pas de costard », on peut même en faire un jeu pour cinéphiles : Qui reconnaîtra la scène et le film de départ ?
Mais passons sur ces détails. Après tout, un réalisateur a bien le droit à quelques clins d'œil à ses illustres prédécesseurs. M. Night Shyamalan ne s'en prive pas, voilà tout. Par contre, On rirait du clin d'œil avec lui si ses propres productions relevaient d'une inspiration tonique, voire simplement du travail bien fait. Au lieu de ça, il y a un je ne sait quoi de facile, de lent, de téléphoné, qui donne tout au long du film un arrière goût de téléfilm. Quelques plans sont bien tentés, comme cette série de suicides dans une foule à l'arrêt dans une rue dans laquelle la présence d'un revolver, qu'un policier vient de laissé tomber après s'être logé une balle dans la tête, donne lieu au ramassage en série du revolver pour des suicides successifs jusqu'à la fin du chargeur. Le tout est suivi par la caméra au ras du sol, fixant le pistolet et les pieds de la future victime jusqu'à sa chute et celle du revolver, ramassé par le zombi suivant, etc … Mais de telles scènes sont bien rares au milieu de choses hélas convenues. Un seul exemple : une mère a sa fille au téléphone pendant qu'elle est atteinte par le mal, commence à bredouiller, puis manifestement se jette par la fenêtre dans un bruit de verre brisé, le groupe autour de la mère semblant plus intrigué que réellement affecté, la mère mimant l'hystérie comme aux répétition d'une pièce de patronage (c'est peut-être un peu exagéré, mais on voit l'idée). Allez, un second exemple pour le plaisir : l'attitude de Mrs Jones une fois toxinisée ne trouve pas de réelle explication quand elle fait mine de s'en prendre à ses invités alors que les intoxiqués n'étaient jusque là agressifs qu'envers eux-mêmes ; de plus, son visage tuméfié et marqué par quelques éclats de verre résiduels après avoir explosé une fenêtre à coups de tête, est à la limite de l'inspiration du maquilleur, pratiquement risible tant il semble bâclé.
Le fond se voulant inquiétant avec une vision pessimiste de l'influence de l'homme sur son environnement, il est contrebalancé par un contre-point d'humour (Elliot tentant de convaincre un arbuste de sa bonne volonté avant de se rendre compte qu'il est artificiel ; le groupe de fuyards trouve refuge dans une maison visiblement désertée avec tous les stigmates d'un départ précipité de ses occupants abandonnant aux suivants un repas tout prêt sur une table dressée, avant de réaliser qu'ils ont investi un pavillon témoin et un décor de carton-pâte). Un second contre-point tient dans l'instillation d'une dose d'émotion familiale très étatsunienne, avec les rapports réconciliatoires doucereux d'Elliot et Alma, l'intégration progressive de Jess en tant que fille adoptive, tout un petit jeu autour d'une bague qui se balade de l'un à l'autre et dont la pierre a le pouvoir de changer de couleur en fonction des émotions de celui qui la porte, … Malheureusement, ce qui aurait dû être une soupape cathartique à l'angoisse générée par le problème principal, et justement du fait de la difficulté à faire monter cette angoisse dans le cœur du spectateur, se retourne en un parasitage intempestif.
Le jeu des acteurs, de son côté, vient difficilement au secours de cette série de difficultés. Ce n'est pas tant qu'il soit mauvais. C'est plutôt qu'il semble ne pas vouloir décoller, prendre un envol que mériterait l'action. Il semble comme bridé, constamment hésitant entre la préoccupation liée au sujet de fond et le désir de dédramatiser la situation. Mais c'est peut-être là plus un problème de direction d'acteurs que de jeu proprement dit. Dans ce contexte, difficile d'isoler une prestation plutôt qu'une autre. Tout le jeu semble lisse et égal, équitablement réparti entre les différents personnages.
Reste la question de fond qui fait le sujet du film, les conséquences sur l'environnement de l'activité humaine, et le choc en retour sur l'homme en écho ou en conséquence de cette agression de l'environnement. Il n'y a pas tant de films sur le sujet, signe des temps, et il semblerait que la vague écologiste commence à frapper les côtes hollywoodiennes après avoir frappé depuis quelques années déjà à la porte du cinéma indépendant. Dommage simplement que cette tentative reste au niveau de l'essai non ou à peine transformé.
Peut-être l'environnement en travaux du cinoche qui projetait le film aurait-il dû alerter. Mais la lecture des indices est souvent bien plus facile a posteriori qu'a priori …
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