Les aventures de la famille Dujapon
Un petit tour au festival 2008 du film asiatique de Deauville, et me voilà embringué dans une projection que je n’aurais probablement pas choisie de ma propre initiative. Mais, bon, on sait ce que c’est, les festivals. On est là, alors on se laisse faire, on n’ose pas refuser. En plus, on vous glisse une invitation entre les doigts. Alors qu’est-ce que vous voulez dire ? Par dessus le marché, il fait un temps de chien, un froid de canard, une lumière entre chien et loup, … Bref, pas moyen d’y couper. Alors allons-y, pourquoi pas, après tout. Ca s’appelle comment, déjà ? « Funuke Show Some Love, You Losers! » … Et ça veut dire quoi ? En VO, ça donne « Funuke domo, kanashimi no ai wo misero ». Ah bon. D’un certain Yoshida Daihachi dont c’est la première réalisation. Soit. On est là pour découvrir, non ? Et ça a été présenté à Cannes en 2007, et à Marrakech, et à Warsovie … Ben alors, là, j’ai du retard à rattraper, on dirait. Allez, ça suffit maintenant. Elle commence, cette séance ?
Un chat trainaille au milieu d’une jolie route de campagne. Un camion s’approche à vive allure. Les freins crissent subitement. Une longue trainée sanglante tatoue la chaussée. Changement de décor. On est à l’enterrement de Monsieur et Madame Wago dont on apprend qu’ils ont été écrasés par le camion en voulant sauver le chat qu’ils ne connaissaient pas. Et qu’ils n’aimaient d’ailleurs pas particulièrement les chats. Les voisins sont réunis dans la maison familiale où la cérémonie se tient autour du fils Shinji (Nagase Masatoshi), de sa femme Machiko (Nagasaku Hiromi), de sa petite sœur Kiyomi (Satsukawa Aimi). Sa femme est si maladroite en tentant de consoler tout le monde qu’elle parvient à déclencher une crise d’asthme chez la sœur avant de se faire envoyer bouler par son mari. Arrive la grande sœur Sumika (Sato Eriko) en provenance de Tokyo qui commence par demander de l’argent pour payer le taxi avant d’offrir un chat en peluche à la petite sœur qui manque de défaillir encore. La belle-sœur se fait à nouveau rabrouer par son mari en tentant de s’interposer entre les deux sœurs devant cette maladresse.
On comprend ainsi progressivement l’accumulation de contentieux au sein de cette pauvre famille entre une sœur ainée égocentrique qui n’a depuis toujours qu’une seule obsession : devenir actrice, et qui ne recule devant aucune manipulation, aucune colère, aucune violence, aucun excès pour y arriver, un frère, ou plutôt un demi-frère, qui s’acharne depuis toujours à vouloir apaiser toutes les tensions familiales, et une jeune sœur sur qui repose le péché originel d’avoir raconté l’histoire de la grande, acariatre et égocentrique, dans un manga de sa production dont la victoire à un concours pour publication a projeté les affres de la famille dans le déshonneur de la place publique. Pour compléter le tableau, la belle-sœur, ex-enfant trouvée, se greffe sur la famille par le concours d’un agence matrimoniale sollicitée par le frère dans le cadre d’un mariage platonique dont on ignore la motivation.
Une fois le décor planté, il ne reste plus qu’à faire vivre tout ce petit monde durant quelques semaines éprouvantes pendant lesquelles le passé refait surface, tente plus ou moins de se régler et de solder ses comptes. Et dans ce jeu de massacre, malheur aux faibles, qui ne sont d’ailleurs pas ceux qu’on croit.
La première évidence est la référence directe et pour tout dire explicite à la bande dessinée, ici la bande dessinée nippone ou manga. Les spécialistes excuseront mes approximations à ce propos tant mon ignardise est grande sur le sujet. Il n’en reste pas moins que la séquence de clôture qui découpe l’écran en une page d’album de BD est largement plus qu’allusive. Quelques plans naturalistes outrés sont autant d’évocations évidentes. Pour n’en citer qu’un, dans les suites immédiates de l’accident initial, la petite sœur en contre-plongée, auprès d’une main amputée au poignet gisant sur le macadam et tenant encore une cigarette toujours fumante, ne laisse planer aucun doute sur l’inspiration. Les amateurs se feront sans doute une joie de découvrir les autres plans du même accabit. Sans compter les scènes où la chose est tellement apparente qu’elle est soulignée au sein même du film par une copie de la même scène sous une forme dessinée.
La seconde évidence, et mon inculture nippone m’empêche de déterminer s’il s’agit d’une caractéristique du manga en général, de l’une de ses tendances en particulier, ou plus généralement s’il faut le relier au genre « bande dessinée », est le côté monolytique et caricatural des personnages et des caractères. Il y a bien quelques revirements de trajets, mais ils ont cette soudaineté et ce côté entier de la magie du saut entre deux cases disjointes tout en tentant de figurer une continuité.
La troisième évidence est l’extrème transparence des personnages, leur caractère prévisible et sans surprise. J’exagère peut-être un peu : la surprise vient quand même lorsqu’on se dit « Non, il ne va quand même pas faire ça ! » et que si, il le fait. La première fois, on se trouve intelligent, la seconde, on se le redit, la troisième on se dit que c’est quand même téléphoné, la quatrième que ça devient lassant, et à partir de la cinquième, on rentre dans la surprise. Un genre de surprise de répétition, comme il y a un comique de répétition.
Mais il n’y a pas que cela dans cette transparence. Il y a le fait que « nous » voyions la transparence, que nous, occidentaux, a prori éloignés des codes, des références, de la culture asiatique, ayons cette capacité à entrer dans la psychologie et les réactions des personnages. Comment se fait-il que les ressorts psychologiques que nous avons appris à décoder à coup de Moi, de Sur-moi, de refoulé, d’Œdipe, aient autant de valeur explicative des comportements de l’autre bout du monde qu’ils pourraient en avoir à notre porte ? Comment se fait-il que, au prix modique du gommage de rares facteurs locaux (la couleur de la boite aux lettres du village, l’alphabet utilisé lors de l’écriture, la hauteur des tables, le volant à droite dans les automobiles), on a aussi bien l’impression de regarder une histoire se déroulant en plein Périgord ? On aurait appelé ça « La horse » et on y aurait mis Gabin quelque part que ça n’aurait pas vraiment détonné. Oui, d’où vient cette sensation de proximité ? Du fait que le monde japonais tel qu’il est décrit se serait tellement imprégné des codes de l’occident en quelques années qu’il s’y serait définitivement fondu ? Du fait que nous ne retiendrions que les éléments que nous comprenons et que nous négligerions ceux que nous ne comprenons même pas comme étant des codes propres ? Du fait que le petit médecin viennois aurait mis à jour une théorie explicative universelle ? Du fait que le film serait destiné à l’export et donc utiliserait nos propres codes pour nous le rendre compréhensible ? Allez savoir. Un peu de tout ça, peut-être.
Tout cela est bel et bon, soit, mais au delà de la découverte, que reste-t-il de ce film ? Euh … La forme manga ? Non, ça j’ai déjà dit. Des jolies images bien filmées et bien cadrées ? C’est un peu pareil, non ? Définir un cadre et y mettre des images correctes, c’est un peu un minimum pour une bande dessinée. Un peu d’inventivité dans la forme ? Cest vrai que ce n’est pas ordinaire, même si ça n’est guère révolutionnaire non plus, de présenter les scènes d’échange de courrier de la façon employée. Des actrices pulpeuses ? C’est vrai que la grande sœur a quelques attraits, essentiellement dans sa moitié supérieure. Les jambes sont par contre un véritable message de propagande contre l’anorexie. Ils jouent bien, au moins, tous ces acteurs ? Eh bien, si on accepte d’entrer dans le moule de l’exagération de la bande dessinée, on peut sans doute dire qu’ils sont dans le tempo. Seul le frère reste dans une certaine sobriété qui finalement ne nuit quand même en rien. La belle-sœur est sans doute un cas particulier : elle parvient à se fondre dans la forme demandée tout en gardant une fraicheur presque crédible tant est touchante sa bonne volonté naïve et sincère. Un exploit dans le contexte.
Quant au fond, à l’histoire elle-même, à ses ressorts, que dire ? Disons que dans un monde réel difficile par ses contraintes matérielles, certains se réfugient dans une espèce de rêverie fantasmatique, chez l’une le dessin, chez une autre l’écriture d’un courrier confinant au courrier du cœur et les rêves de gloire, chez la troisième le rêve de la famille idéale et la confection de poupées de chiffons, alors que d’autres portent au premier degré le poids des responsabilités et la charge de garder les pieds sur terre. Au résultat, on se demande laquelle est réellement la stratégie la plus efficace. C’est un peu codé ? Peut-être, mais il faut bien que je laisse quelque surprise pour le spectateur qui sera malgré tout tenté par les aventures de la pauvre famille Dujapon …
Un petit tour au festival 2008 du film asiatique de Deauville, et me voilà embringué dans une projection que je n’aurais probablement pas choisie de ma propre initiative. Mais, bon, on sait ce que c’est, les festivals. On est là, alors on se laisse faire, on n’ose pas refuser. En plus, on vous glisse une invitation entre les doigts. Alors qu’est-ce que vous voulez dire ? Par dessus le marché, il fait un temps de chien, un froid de canard, une lumière entre chien et loup, … Bref, pas moyen d’y couper. Alors allons-y, pourquoi pas, après tout. Ca s’appelle comment, déjà ? « Funuke Show Some Love, You Losers! » … Et ça veut dire quoi ? En VO, ça donne « Funuke domo, kanashimi no ai wo misero ». Ah bon. D’un certain Yoshida Daihachi dont c’est la première réalisation. Soit. On est là pour découvrir, non ? Et ça a été présenté à Cannes en 2007, et à Marrakech, et à Warsovie … Ben alors, là, j’ai du retard à rattraper, on dirait. Allez, ça suffit maintenant. Elle commence, cette séance ?
Un chat trainaille au milieu d’une jolie route de campagne. Un camion s’approche à vive allure. Les freins crissent subitement. Une longue trainée sanglante tatoue la chaussée. Changement de décor. On est à l’enterrement de Monsieur et Madame Wago dont on apprend qu’ils ont été écrasés par le camion en voulant sauver le chat qu’ils ne connaissaient pas. Et qu’ils n’aimaient d’ailleurs pas particulièrement les chats. Les voisins sont réunis dans la maison familiale où la cérémonie se tient autour du fils Shinji (Nagase Masatoshi), de sa femme Machiko (Nagasaku Hiromi), de sa petite sœur Kiyomi (Satsukawa Aimi). Sa femme est si maladroite en tentant de consoler tout le monde qu’elle parvient à déclencher une crise d’asthme chez la sœur avant de se faire envoyer bouler par son mari. Arrive la grande sœur Sumika (Sato Eriko) en provenance de Tokyo qui commence par demander de l’argent pour payer le taxi avant d’offrir un chat en peluche à la petite sœur qui manque de défaillir encore. La belle-sœur se fait à nouveau rabrouer par son mari en tentant de s’interposer entre les deux sœurs devant cette maladresse.
On comprend ainsi progressivement l’accumulation de contentieux au sein de cette pauvre famille entre une sœur ainée égocentrique qui n’a depuis toujours qu’une seule obsession : devenir actrice, et qui ne recule devant aucune manipulation, aucune colère, aucune violence, aucun excès pour y arriver, un frère, ou plutôt un demi-frère, qui s’acharne depuis toujours à vouloir apaiser toutes les tensions familiales, et une jeune sœur sur qui repose le péché originel d’avoir raconté l’histoire de la grande, acariatre et égocentrique, dans un manga de sa production dont la victoire à un concours pour publication a projeté les affres de la famille dans le déshonneur de la place publique. Pour compléter le tableau, la belle-sœur, ex-enfant trouvée, se greffe sur la famille par le concours d’un agence matrimoniale sollicitée par le frère dans le cadre d’un mariage platonique dont on ignore la motivation.
Une fois le décor planté, il ne reste plus qu’à faire vivre tout ce petit monde durant quelques semaines éprouvantes pendant lesquelles le passé refait surface, tente plus ou moins de se régler et de solder ses comptes. Et dans ce jeu de massacre, malheur aux faibles, qui ne sont d’ailleurs pas ceux qu’on croit.
La première évidence est la référence directe et pour tout dire explicite à la bande dessinée, ici la bande dessinée nippone ou manga. Les spécialistes excuseront mes approximations à ce propos tant mon ignardise est grande sur le sujet. Il n’en reste pas moins que la séquence de clôture qui découpe l’écran en une page d’album de BD est largement plus qu’allusive. Quelques plans naturalistes outrés sont autant d’évocations évidentes. Pour n’en citer qu’un, dans les suites immédiates de l’accident initial, la petite sœur en contre-plongée, auprès d’une main amputée au poignet gisant sur le macadam et tenant encore une cigarette toujours fumante, ne laisse planer aucun doute sur l’inspiration. Les amateurs se feront sans doute une joie de découvrir les autres plans du même accabit. Sans compter les scènes où la chose est tellement apparente qu’elle est soulignée au sein même du film par une copie de la même scène sous une forme dessinée.
La seconde évidence, et mon inculture nippone m’empêche de déterminer s’il s’agit d’une caractéristique du manga en général, de l’une de ses tendances en particulier, ou plus généralement s’il faut le relier au genre « bande dessinée », est le côté monolytique et caricatural des personnages et des caractères. Il y a bien quelques revirements de trajets, mais ils ont cette soudaineté et ce côté entier de la magie du saut entre deux cases disjointes tout en tentant de figurer une continuité.
La troisième évidence est l’extrème transparence des personnages, leur caractère prévisible et sans surprise. J’exagère peut-être un peu : la surprise vient quand même lorsqu’on se dit « Non, il ne va quand même pas faire ça ! » et que si, il le fait. La première fois, on se trouve intelligent, la seconde, on se le redit, la troisième on se dit que c’est quand même téléphoné, la quatrième que ça devient lassant, et à partir de la cinquième, on rentre dans la surprise. Un genre de surprise de répétition, comme il y a un comique de répétition.
Mais il n’y a pas que cela dans cette transparence. Il y a le fait que « nous » voyions la transparence, que nous, occidentaux, a prori éloignés des codes, des références, de la culture asiatique, ayons cette capacité à entrer dans la psychologie et les réactions des personnages. Comment se fait-il que les ressorts psychologiques que nous avons appris à décoder à coup de Moi, de Sur-moi, de refoulé, d’Œdipe, aient autant de valeur explicative des comportements de l’autre bout du monde qu’ils pourraient en avoir à notre porte ? Comment se fait-il que, au prix modique du gommage de rares facteurs locaux (la couleur de la boite aux lettres du village, l’alphabet utilisé lors de l’écriture, la hauteur des tables, le volant à droite dans les automobiles), on a aussi bien l’impression de regarder une histoire se déroulant en plein Périgord ? On aurait appelé ça « La horse » et on y aurait mis Gabin quelque part que ça n’aurait pas vraiment détonné. Oui, d’où vient cette sensation de proximité ? Du fait que le monde japonais tel qu’il est décrit se serait tellement imprégné des codes de l’occident en quelques années qu’il s’y serait définitivement fondu ? Du fait que nous ne retiendrions que les éléments que nous comprenons et que nous négligerions ceux que nous ne comprenons même pas comme étant des codes propres ? Du fait que le petit médecin viennois aurait mis à jour une théorie explicative universelle ? Du fait que le film serait destiné à l’export et donc utiliserait nos propres codes pour nous le rendre compréhensible ? Allez savoir. Un peu de tout ça, peut-être.
Tout cela est bel et bon, soit, mais au delà de la découverte, que reste-t-il de ce film ? Euh … La forme manga ? Non, ça j’ai déjà dit. Des jolies images bien filmées et bien cadrées ? C’est un peu pareil, non ? Définir un cadre et y mettre des images correctes, c’est un peu un minimum pour une bande dessinée. Un peu d’inventivité dans la forme ? Cest vrai que ce n’est pas ordinaire, même si ça n’est guère révolutionnaire non plus, de présenter les scènes d’échange de courrier de la façon employée. Des actrices pulpeuses ? C’est vrai que la grande sœur a quelques attraits, essentiellement dans sa moitié supérieure. Les jambes sont par contre un véritable message de propagande contre l’anorexie. Ils jouent bien, au moins, tous ces acteurs ? Eh bien, si on accepte d’entrer dans le moule de l’exagération de la bande dessinée, on peut sans doute dire qu’ils sont dans le tempo. Seul le frère reste dans une certaine sobriété qui finalement ne nuit quand même en rien. La belle-sœur est sans doute un cas particulier : elle parvient à se fondre dans la forme demandée tout en gardant une fraicheur presque crédible tant est touchante sa bonne volonté naïve et sincère. Un exploit dans le contexte.
Quant au fond, à l’histoire elle-même, à ses ressorts, que dire ? Disons que dans un monde réel difficile par ses contraintes matérielles, certains se réfugient dans une espèce de rêverie fantasmatique, chez l’une le dessin, chez une autre l’écriture d’un courrier confinant au courrier du cœur et les rêves de gloire, chez la troisième le rêve de la famille idéale et la confection de poupées de chiffons, alors que d’autres portent au premier degré le poids des responsabilités et la charge de garder les pieds sur terre. Au résultat, on se demande laquelle est réellement la stratégie la plus efficace. C’est un peu codé ? Peut-être, mais il faut bien que je laisse quelque surprise pour le spectateur qui sera malgré tout tenté par les aventures de la pauvre famille Dujapon …
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