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28 septembre 2008

Le fils du désert (Three godfathers)

Carrément mieux que l’autre

Ce n’est pas tous les jours qu’on découvre un petit trésor oublié. Surtout dans un genre aussi trivialisé que le western dans lequel on s’attend à ce que les gentils soient gentils et que les méchants soient méchants. Pardi, c’est simple : les ricains ont inventé le Mac Do, un sandwich prémaché qui tient au ventre comme une plume sur la tête d’un indien, vite fait – vite vendu – vite avalé, et ils ont le western, qui tient dans la tête autant de place qu’un Mac Do en tient dans l’estomac, vite fait – vite vu – vite oublié … Taratata !! Il existe bien sûr toute une collection de soupes westerniennes à la guimauve matinées de forts relents de navet, mais il y a aussi un certain nombre de perles d’une nacre profonde. Et quand c’est au fin fond d’une malle oubliée qu’on découvre un petit collier de ces perles que grand-mère avait remisées au grenier des antiquités, la découverte prend un parfum sépia qui fleure bon l’encaustique et le sachet de lavande d’autrefois. Comme un Raphaël retrouvé sous les coups de pinceau d’un aïeul peintre du dimanche dont la présence d’une toile d’occasion avait chatouillé l’envie d’en barbouiller la surface quitte à en recouvrir et plonger dans l’oubli le délicat croquis d’un vague italien hérité par hasard.

« Le fils du désert » (Three godfathers), celui de 1936, de Richard Boleslawski, est un OVNI de ce genre. On le prend au premier abord pour le film du même nom que John Ford commit en 1948, celui avec John Wayne. On attend un peu et puis on se dit « Tiens, je pensais que c’était en couleur », mais bon, après tout, peut-être que la mémoire est trompeuse. On attend encore un peu, histoire de voir le Duke et sa démarche inimitable, mais non, on a beau patienter, rien ne vient et de Duke point. Vient alors une vague sensation de révolte : « M’enfin, c’est quoi c’t’arnaque ?! Je r’connais quand même bien l’histoire ! ». Et puis tout doucement s’allume la petite bougie de la compréhension qui éclot dans l’arrière-cours d’un neurone endormi : « Ben ça doit être un remake alors ». Mais c’est bizarre, l’image a l’air plus vieille que dans le souvenir … Et puis la petite bougie prend de la vigueur et commence à réveiller quelques neurones supplémentaires qui s’ébrouent lourdement en émergeant d’un long sommeil ankylosé. « Bon sang, mais c’est bien sûr ! C’est tout le contraire. C’est John Ford qui a fait le remake. Ca, c’est celui qui a été remakisé … ». Bingo ! (En fait, même le film de 1936 est aussi un remake de versions antérieures.) Mais le temps que l’illumination arrive, on s’est pris au jeu, on a mis le doigt dans l’engrenage fatidique qui a fait entrer dans le film, et … et ben c’est pas si mal après tout. C’est même carrément mieux que l’autre pour tout dire !

L’histoire est comme un conte de Noël qui se déroulerait à l’ouest des Pecos. Trois bandits braquent la banque de New Jerusalem dans la période de Noël et tentent d’échapper à leurs poursuivants en s’enfonçant avec leur butin dans le désert aride qui s’étend dès les portes de la ville. James 'Doc' Underwood (Lewis Stone) fait figure d’intellectuel dans la bande. Outre sa part du butin, sa sacoche est lourde des livres qu’il transporte dans sa fuite : une pièce de Shakespeare, des poésies de Milton, …, qu’il relit à la faible lueur du feu de camp à l’heure où ses compagnons s’endorment le soir venu. Sam 'Gus' Barton (Walter Brennan) est un homme simple et bon que le sort n’a pas épargné. Il compense son analphabétisme par un bon sens à toute épreuve. Si Doc a l’intelligence de l’esprit, lui a l’intelligence du cœur. Enfin, Robert 'Bob' Sangster (Chester Morris) est le jeunot de la bande. Pragmatique, il ne s’embarrasse pas d’états d’âme. Pas méchant au fond, et d’une honnêteté à sa mesure pour autant qu’il n’ait rien à y perdre. En chemin, ils découvrent près d’un point d’eau un chariot immobilisé sous le soleil torride et dans lequel une femme seule est en train d’accoucher. Ils aident la pauvre femme qui meurt en couches et se retrouvent avec la charge du nouveau-né sur les épaules. Ils découvrent alors que le point d’eau qui devait leur permettre de se ravitailler et de continuer leur traversée du désert est empoisonné et que leurs réserves sont désormais comptées, leur interdisant de poursuivre leur route, surtout avec une quatrième bouche à abreuver. Décision est prise de rebrousser chemin vers New Jerusalem, mais les positions se tendent : Doc tient à ramener l’enfant quoi qu’il en coûte ; Bob, conscient que cela signifierait l’épuisement prématuré des réserves d’eau, refuse que sa part soit partagée avec le bébé ; Gus cherche la conciliation tout en se rapprochant de Doc.

La marche du retour est épuisante. Doc tombe le premier et Gus prend avec abnégation le relais de la charge de l’enfant. Lorsque Gus tombe à son tour, Bob doit finalement décider sans recours possible : finir seul le trajet, ce que le reste d’eau lui permettrait de faire, ou emmener le bébé et probablement succomber à son tour. Mais l’attitude de ses compagnons l’a finalement ébranlé dans ses certitudes, et malgré une hésitation initiale, il se résout à espérer que la chance viendra à bout de cette épreuve et décide à contre cœur de reprendre la mission dont Doc puis Gus s’étaient investis. A quelques kilomètres du but, un dernier choix lui est encore imposé sous la forme d’une source empoisonnée à laquelle il peut reprendre des forces en sachant périr sous l’effet du poison après l’heure de marche nécessaire à rejoindre la ville avec l’enfant, mais où il peut aussi abandonner sa charge sans s’y abreuver et tenter une dernière marche en solitaire. C’est titubant dans l’agonie du poison qu’il entre finalement en ville et la traverse sous un soleil toujours brûlant jusqu’à l’église où la population est rassemblée pour l’office, et où il s’effondre et meurt à l’instant où il remet l’enfant sain et sauf entre les mains d’une paroissienne.

Incrédible équipage que ce trio de bandits humanistes. Impossibles braqueurs que ce Doc, féru de Milton et de Shakespeare, ou que ce Gus, grand-père bonhomme et pétri de douce abnégation. Improbable naissance sous les auspices de renégats renonçant, telle une offrande ultime, à leur butin et à leur vie à mesure de leur marche vers le salut d’un faible nouveau-né. Certes. Et alors ? Incrédible équipage que ces trois Rois Mages sillonnant le désert de Galilée à la suite d’une improbable étoile ? Fuite puis retour pénitent mais plein d’espoir de puis vers une Jerusalem, fut-elle nouvelle à défaut d’être céleste ? Impossible rachat de ces voleurs expirant sur la même colline que celui qui avait vu se pencher sur son berceau ces rois porteurs de myrrhe, d’ambre et d’encens ? L’allégorie de la fable permet toutes les licences. Noël se veut message d’espoir, d’espoir en l’homme, en le rachat des fautes, en la rémission des erreurs, en la force de l’humanité face aux penchants égoïstes. « Le Fils de désert » se coule dans ce moule et reprend le message. Gus, le cœur simple, est ce bienheureux à qui le royaume des cieux appartient. Sa prière dans le soleil rasant face à la platitude du désert est étonnante de ressemblance avec l’Angélus de Millet.

Mais le lyrisme du propos dans un quasi huis clos à trois personnages ne fait pas oublier le spectateur à qui est proposé un divertissement en forme de conte. Hollywood n’est pas Copenhague et « Le Fils du désert » n’est pas « Ordet », comme Boleslawski n’est pas Dreyer. Les rares moments d’emphase ne sont là que comme par inadvertance, comme de lentes séquelles d’un jeu théâtral de cinéma muet. Walter Brennan et Lewis Stone sont d’une sobriété et d’un naturel rafraîchissants dans lesquels le spectateur ordinaire est bien plus tenté de se projeter que d’y rechercher une chambre d’écho de ses émotions secrètes. La sortie du muet sur les terres d’outre-atlantique était ainsi en train de gagner une modernité simple de pionniers, certes bercés de spiritualité, mais empreints d’un pragmatisme du quotidien.

Pour les revêches à l’imagerie du far west, c’est peut-être en revoyant ce genre de cinéma qu’ils pourront se réconcilier avec la forme du western. Pour les adeptes du genre, c’est un western atypique méritant plus qu’un détour par les origines.

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