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20 septembre 2008

Eldorado

Pieds nickelés-lès-Quiévrain

Et c'est reparti. Un petit tour à nouveau par un film de la sélection 2008 de la Quinzaine des Réalisateurs. Et retour vers le nofutureland qui semble faire maintenant partie, sauf exception, du paysage. Pourtant, ce brave Tonton Sylvain commençait à se méfier et il avait un peu tendu l'oreille pour repérer ce que les pionniers de la projection avaient pensé de « Eldorado ». Et les échos semblaient plutôt tranquilles, voire dans le genre comique. C'est dire si on était loin de la sinistrose ambiante et si Tonton y allait presque de confiance. Le film est dû à Bouli Lanners, natif de Belgique, qui atteint ainsi à son quatrième opus. Alors voilà, on arrive, on s'installe confortablement pour une avant-première tranquille dans un cinéma de banlieue dégotté pour l'occasion, douillet, avec des fauteuils larges et de la place pour les jambes, un public présent sans être envahissant. Le rêve, en somme. Et la lumière s'éteint sur un rideau qui s'écarte pour laisser poindre un écran blanc. Moteur !

Le film s'ouvre en guise d'introduction sur un clochard babacool et déjanté se prétendant le Christ de retour, assis sur l'herbe sèche. L'histoire elle-même débute alors avec Yvan (Bouli Lanners), rentrant à son domicile au volant d'une guimbarde de type Chevrolet qu'il fait profession de retaper avant de les revendre à des amateurs. Dépenaillé, arborant le short élimé qui ne le quittera plus, il réalise que son domicile a été visité, avant de se rendre compte qu'il est en fait en cours de visite. Tuyau de plomb en main, il se met en chasse, jusqu'à localiser le malfrat sous son lit, refusant d'en sortir. Yvan s'installe alors dans un fauteuil face au lit, prêt pour un siège qui les mènera jusqu'au matin. Le voleur, Elie (Fabrice Adde), profite d'un moment d'assoupissement d'Yvan pour tenter une sortie. Mais Yvan se réveille juste à temps pour faire chuter Elie lourdement dans l'escalier au bas duquel il fait mine de se blesser.

Prenant pitié de ce voleur de pacotille, Yvan finit par le reconduire jusqu'à la route principale où il le laisse avec le projet de rejoindre en stop le domicile de ses parents. Yvan vaque alors à quelque négociation de vente d'une de ses voitures retapées à sa façon, pour en revenir dépité devant le refus des acheteurs. Sur le chemin du retour, il tombe sur Elie qui n'a pas bougé d'un pouce. Par solidarité de tocards, il décide alors de le conduire lui-même jusqu'à ses parents, près de la frontière française.

Commence alors un road movie conduisant les deux hommes de mésaventure en mésaventure : panne de voiture, accident nocturne, dépannage par un nudiste en vadrouille, rencontre avec la famille d'Elie dont le père l'éjecte à grand bruit, toilette au grand air dans une rivière glacée, baraque à frites au pied des piles d'un pont, tentative de sauvetage d'un chien ligoté qui leur arrive sur le toit après avoir été balancé du pont, … Et c'est au bout de ce périple que chacun reprendra sa route de son côté.

L'histoire pourrait être sûrement amusante si elle était traitée avec un minimum de légèreté, une once de dynamisme, un soupçon de sourire. Mais au lieu de ça, les situations sont posées lourdement, avec un débordement de plans fixes sans paroles, chers au cinéma d'auteur, sur personnages ne sachant que se dire dans un silence gêné, et dans une économie de sourires qui frise au bout du compte l'avarice. Il peut y avoir un attrait pour le pince sans rire, pour peu qu'il soit contrebalancé par une surprise dans l'exécution. Mais lorsque les trois ingrédients ont décidé simultanément de maintenir l'aiguille de leurs compteurs sur un zéro obstiné, on se demande bien comment le sourire du spectateur va bien pouvoir trouver à éclore. Et de fait, l'impression générale tend davantage à prendre pitié pour ces deux zozos qu'à une quelconque empathie avec l'un ou l'autre. Là où on aurait bien tenté une projection ou une identification, on se retrouve finalement en retrait, en spectateur d'une histoire étrangère.

Et les séquences de caméra portée, voire de caméra subjective, ne font pas grand-chose à l'affaire si ce n'est d'ajouter une distance de journal télévisé au lieu de raccourcir le champ et de créer une proximité.

Le film est par ailleurs précédé d'une aura de western moderne. Sauf à paraître un odieux puriste rabat-joie, on hésite à demander à quoi tient une telle comparaison. Il y a bien la forme road movie qui peut faire un peu illusion, mais … et alors ? La forme est de plus renforcée par une bande son de rock mélodique vaguement apparenté à un country lointain. Mais est-ce bien suffisant pour justifier la comparaison ? Quoi alors ? La collection d'une galerie d'hurluberlus de rencontre, une baignade sanitaire dans une rivière, une nuit à la belle étoile dans un campement de fortune ? Belle affaire !

Quant à l'histoire elle-même, les quelques circuits neuronaux encore actifs du spectateur moyen, ne peuvent évidemment pas manquer de résonner à l'évocation d'un garagiste se prenant d'affection pour un zonard junkie qu'il suit dans ses tribulations. Non ? Allons, « Tchao pantin ! » n'était-il pas une première version de la même histoire, citadine au lieu de rurale, et à la noirceur plus assumée ?

Reste un petit mystère. Que vient faire ce titre d' « Eldorado » plaqué sur ce récit ? Quel est cet Eldorado qui semble annoncer la quête des personnages dont on ne voit pas bien ce qu'ils cherchent ? On imagine qu'il fait référence à ce paradis perdu de l'enfance qu'Elie tente d'approcher par un retour auprès de ses parents. Peut-être.

Quant à l'intervention initiale enfin de ce clochard mystique de l'introduction, même Tonton Sylvain, qui a d'ordinaire l'esprit relativement tordu pour aller voir des significations cachées ou symboliques derrière les indices les plus douteux, même lui, il donne sa langue au chat. Quelque chose encore à voir avec la quête d'un paradis perdu, avec l'expiation des péchés de jeunesse que nos deux zigotos semblent porter ? Encore peut-être.
(Egalement publié sur Cinemaniac.fr)

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