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22 septembre 2008

Le deuxième souffle

A bout de deuxième souffle

On n’en finira pas de comparer « Le deuxième souffle » d’Alain Corneau et celui de Jean-Pierre Melville, datant de 1966, chacun tiré du même roman de José Giovanni, « Un règlement de comptes ». Les amateurs vont évidemment se jeter sur l’occasion de soupeser les mérites et les défaillances de l’un ou de l’autre, pour arriver à la cinéphilique conclusion que rien ne vaut l’original. Pas besoin d’être grand clerc, et pas besoin d’avis pour cela. Mais autant dire que la justice ne serait alors que sommairement rendue. Alain Corneau et sa troupe méritent sans doute mieux que cela. Ils méritent au moins qu’on se pose un instant, sans a priori, abandonnant tout souvenir de la première version, pour tenter de se laisser emporter dans le sillage de la seconde. Oublier Lino Ventura, Paul Meurice, Raymond Pellegrin, Paul Frankeur, Marcel Bozzuffi, Michel Constantin, Christine Fabréga, Pierre Zimmer. Ne regarder que leurs successeurs comme s’ils étaient les premiers, les seuls. Gageure ? Peut-être. Mais après tout, pourquoi ne pas essayer et juger le second sur ses propres mérites plus que sur ses écarts au premier ? C’est pourtant la moindre des choses. L’argument de l’histoire étant connu depuis la première version, il supportera donc un résumé un peu détaillé qui ne pourra qu’aider à se faire une opinion.

Dans les années 60, après avoir refusé la proposition de ses anciens amis d’organiser son évasion, Gustave Minda, dit Gu (Daniel Auteuil), s’échappe de sa prison en compagnie d’un codétenu, un troisième se tuant dans l’opération. Au même moment qu’ils apprennent l’évènement par la presse, les amis de Gu voient leur restaurant parisien attaqué par une escouade de porte-flingues qui laissent Jacques, dit Le Notaire (Jean-Claude Dauphin), sur le carreau tandis que l’un d’entre eux est mortellement blessé par la riposte d’Alban (Jacques Dutronc), homme de main de la bande de Jacques et de sa compagne Simonetta, dite Manouche (Monica Bellucci). Le commissaire Blot (Michel Blanc) ne tarde pas à arriver sur les lieux où il se lance dans une longue tirade expliquant par avance les versions des uns et des autres avant même qu’ils n’ouvrent la bouche, au terme de quoi il ne peut arrêter personne.

Escortée à son domicile par Alban, Manouche se fait alors menacer par deux petites frappes dont elle est délivrée par l’intervention de Gu arrivé en silence. Après leur avoir fait avouer qu’ils sont venus sur les renseignements de Jo Ricci (Gilbert Melki), un louche patron de bar, Gu et Alban les raccompagnent à proximité du domicile de Jo avant de les abattre et de les abandonner dans leur voiture. Gu rejoint alors une planque discrète où, aidé par Alban, il se refait une santé et renoue avec Manouche, sa compagne d’avant son emprisonnement.

Après quelques temps, le trio part pour Marseille avec le projet de faire embarquer Gu pour l’Italie, avec l’aide de Théo (Jean-Paul Bonnaire), un marin local habitué de ce genre de trafic. Sur place, Gu se voit proposer une affaire par l’entremise d’une vieille connaissance, Orloff, un truand local : le braquage d’une camionnette de transfert de fonds, au sein d’une bande menée par Venture Ricci (Daniel Duval), qui se trouve être le frère de Jo. Le casse se déroule comme prévu, Gu abattant un des motards de l’escorte et Antoine (Nicolas Duvauchelle), le râleur de la bande, descendant le second. La police marseillaise est sens dessus dessous, conduite par le commissaire Fardiano (Philippe Nahon) en rage, lui-même asticoté par le commissaire Blot arrivé sur place et qui ne désespère pas de coincer Gu. Loin des méthodes expéditives de Fardiano qui finit par coincer Venture, Blot fait courir le bruit que Gu a donné son acolyte, le laissant aux prises avec le reste de la bande. Celle-ci se joint à Jo, qui cherche à récupérer pour lui-même la part et les affaires de son frère, pour un ultime règlement de comptes.

Miracle de la remakisation d’un polar des années 60, enfin un film de gangsters dont la trame et le détail sont immédiatement compréhensibles, sans aller-retour sauvage, sans état d’âme parasite. Si considération sociale il y a, elle est simple et directe, et se limite au propos, traitant de l’ambiance dans le milieu et dans son pendant policier. On n’échappe évidemment pas, quoi que bien plus discrètement que dans la version de Melville dont cela semblait être finalement la principale préoccupation, à quelques allusions externes sur les mœurs violentes d’une certaine police, hérités des méthodes de l’occupation. Mais la relation est raisonnablement liée, dans l’époque pas si éloignée de la guerre à laquelle tous ces braves gens ont d’évidence été confrontés. Cela n’empêche pas le rappel du changement de cadre auquel ce bon Gu doit faire face, un glissement des mentalités et des pratiques vers une disparition des valeurs autrefois essentielles de loyauté, d’amitié, de respect, d’honneur. Tout bouge, et quiconque a mis sa vie entre parenthèses durant quelques années a du mal à retrouver ses marques, ses repères. Gu a beau tenter de retrouver un second souffle, il butte rapidement sur un monde qui lui est étranger. Et comme les dinosaures de « Jurassic Park », tout puissants qu’ils aient pu être dans le monde de leur époque, leur transplantation dans une autre ère ne peut que les conduire à la violence et à la disparition. Gu et Blot l’ont d’emblée compris, le premier en signant ses actes à la façon de celui qui n’a rien à perdre, le second en décodant la signature au premier coup d’œil.

Mais hélas, le miracle s’arrête à peu près là. Et le premier faux-pas saute au premier regard sur l’interprétation des acteurs. Michel Blanc, qui a décidément réussi sa reconversion, échappe à l’hécatombe, à l’image de quelques seconds rôles comme Daniel Duval. On les sent humains, hésitants, plus denses que la moyenne, et tout simplement crédibles. Pour le reste, le drame est vite consommé dans un jeu théâtral et ampoulé. Daniel Auteil se complait dans une diction articulée impossible et dans des mines surexpressives qui auraient à peine dépareillé dans une production des années 20. Monica Bellucci,, malgré une plastique qu’on peut lui reconnaître comme remarquable sans être obligé de succomber à son charme, n’a pas grand-chose d’autre à offrir et finit par s’accorder au jeu d’Auteuil. Nicolas Duvauchelle en fait des tonnes dans le côté gamin râleur qui a grandi trop vite et qui se prend pour un homme sous prétexte de son absence d’hésitation à se servir de son arme. Gilbert Melki n’est pas en reste dans le genre « j’te regarde par en dessous ». Jacques Dutronc a comme d’habitude une place à part. Il fait du Dutronc quoi qu’il arrive et puis c’est tout. Pas mal d’ailleurs. Mais a priori, sa mission semblait plutôt être de faire du Orloff. En tout cas c’est ce qu’on aurait pu imaginer.

La mise en scène ? Bien sûr, on ne peut que goûter la qualité de la reconstitution des années 60. Sur ça, rien à dire. A un regard rapide, pas de fausse note évidente. Les véhicules, les vêtements, les accessoires semblent bien d’époque. Les nostalgiques apprécieront, tant ceux de la période que ceux de la version melvillienne.

Le noir et blanc de 1966, bien adapté au style du film noir, étant décidément passé de mode, il n’était plus possible désormais, semble-t-il, d’échapper à une version en couleur. La difficulté est alors contournée par l’emploi extensif d’une lumière de fond ocre-jaune sur-présente. Comment ne pas se rappeler le choix identique de John Huston pour « Reflet dans un œil d’or » ? Mais là où la couleur avait un sens dans le symbolisme du film de Huston, on peine à voir une dimension autre qu’esthétique dans le choix de Corneau. On perçoit bien la volonté, dans cette réalisation, d’un hommage au maître. Mais comme si l’enjeu avait fait peser un poids insurmontable sur les épaules de Corneau, et malgré quelques libertés comme un développement plus important du rôle de Manouche, ou comme le centrage du thème sur une histoire d’homme se percevant d’emblée comme étranger dans un monde qui a évolué sans lui et l’a laissé sur le bord de la route, on semble en rester à ce niveau.

En sortant de la projection, on se dit bien que le projet valait d’être tenté, quelle que soit la réussite du résultat. Et qu’au moins au nom de ce cran qu’il a du falloir pour se lancer dans l’aventure, il ne serait pas honnête d’être trop véhément dans le commentaire. D’autant qu’on s’est faufilé gratos dans une avant-première super-privée. Mais vous connaissez la Sylvain Etiret Company ! Avec eux, on ne rigole pas. La devise de la maison, c’est un aphorisme du boss : « Si c’est bof, tu dis : C’est bof ! ». Alors qu’est-ce que vous voulez faire avec un zigoto pareil aux commandes ?

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