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22 septembre 2008

10000 (10,000 B.C.)

Pas un de moins



Affiche France (allocine.fr)


Nouveau samedi de goguette à Montparnasse. Pour une fois, j’ai fini mon tour de garde de ce matin à l’heure et j’ai pu quitter le travail sans encombre, laissant à l’équipe d’après-midi la charge de prendre le relais. Ca se fête, non ? Pas de quoi se trouver une projection à tarif réduit ; c’est réservé à la première séance du matin, ça. Mais ça permet de trainailler sans se presser et de se donner le temps de choisir. Les sorties de la semaine n’ont rien de bien affriolant, mais heureusement qu’il reste quelques cinoches perdus pour se complaire dans les secondes mains. Pour trouver du carrément classique, il faudrait se rapprocher de Saint-Michel, mais bon, maintenant que je suis là, je n’ai pas plus envie que ça de me taper une trotte de plus. Et puis tiens, c’est quoi, ce « 10000 » qui passe ici ?

Affiche USA (cinemovies.fr)

Pas une antiquité pourtant, juste quelques semaines d’âge. L’affiche m’avait tenté sans trop savoir de quoi ça parlait quand elle ornait le fronton des salles en vue. Mais l’occasion ne s’était pas présentée et le film de Roland Emmerich était vite passé à la trappe. Pas bon signe, ça ! … Ah bon, c’est vrai, ça ? « Le dernier roi d’Ecosse » avait eu la même carrière de distribution, et pourtant … Allez, c’est la fête, au diable les préventions. Et c’est ainsi que, n’écoutant que son courage, Tonton Sylvain fait l’acquisition d’un ticket d’entrée immédiate pour une séance de rattrapage.

A en croire son titre (« 10000 BC » en VO), l’histoire semble se passer à une époque préhistorique. Une tribu vêtue de peaux de bêtes, et spirituellement guidée par la Vieille Mère (Mona Hammond), une femme chaman gardienne de tradition et des augures, vit de la chasse saisonnière d’un pachyderme inattendu, quelque chose d’allure intermédiaire entre le mammouth et le mastodonte. La chasse, menée par le village entier, revêt d’ailleurs un caractère quasi religieux et s’entoure d’une prophétie quant à la fin de la tribu annoncée par l’apparition d’un enfant aux yeux bleus. De fait, l’animal totem fait son retour annuel de manière de plus en plus tardive. Ce qui semble être ainsi la dernière chasse devant la raréfaction des animaux met finalement en exergue une jeune chasseur, D'Leh (Steven Strait), qui s’y distingue et est promu chasseur en chef de la tribu. Pris de remords, il doit néanmoins renoncer à ce titre après avoir avoué avoir davantage profité d’un heureux hasard que fait montre d’un courage émérite. Il doit par là même renoncer à la jeune fille aux yeux bleus, Evolet (Camilla Belle), promise au vainqueur et dont il est épris depuis leur enfance et qu’elle avait été recueillie par la tribu.

Peu après, le campement de la tribu est mis à sac par une horde de cavaliers qui kidnappe plusieurs des hommes pour les destiner à l’esclavage. Le chef de la horde, Warlord (Affif Ben Badra), s’approprie au passage Evolet pour son propre usage. D’Leh n’accepte pas la situation et décide de partir à la poursuite de la horde pour libérer les captifs. Il convainc Tic-Tic (Cliff Curtis), le chasseur en chef en titre, de l’accompagner, et la Vieille mère leur adjoint un acolyte en renfort. Enfin, un gamin de la tribu décide de les suivre en cachette et n’est inclus dans la bande que lors de sa découverte, le lendemain du départ.

La poursuite s’engage ainsi, sur les traces de la horde, d’abord au travers de montagnes enneigées, puis d’une épaisse forêt humide où la bande tente une attaque qui se solde par un échec avec la capture de l’acolyte par les ravisseurs. La horde distance à nouveau ses poursuivants en entrant dans une savane désertique puis en embarquant sur des bateaux suivant le cours d’un immense fleuve. Là, D’Leh manque de se faire occire par un tigre à dents de sabre géant dont il finit par se faire un allié avant de rencontrer une tribu locale. Il apprend alors par des peintures rupestres que son clan et cette nouvelle tribu ont déjà eu un contact une génération auparavant, quand le propre père alors en disgrâce de D’Leh avait suivi le même trajet. Quelques guerriers se joignent alors à la poursuite qui reprend jusqu’à la découverte, en plein désert, de la cité des kidnappeurs où les esclaves sont employés dans la pratique d’un culte autour d’une étrange pyramide qu’ils contribuent en outre à construire, et où règne un énigmatique personnage voilé et mystérieux.

La confrontation finale peut alors enfin avoir lieu.

Dire que l’histoire est d’une grande crédibilité historique serait sans doute quelque peu exagéré, et on n’en finirait pas de recenser les divers anachronismes. On serait d’ailleurs bien en peine de situer l’époque du film tant les indices se mêlent, se chevauchent, s’entrecroisent. Le titre du film n’est à cet égard qu’une fausse piste supplémentaire en renvoyant le spectateur de VO à « 10000 BC », en bon français à 10000 avant Jésus Christ. Au spectateur de VF est d’ailleurs épargné cette chausse-trappe en n’annonçant que « 10000 » sans qu’on sache bien à quoi il est fait allusion. De toute façon, il est rapidement évident que la question n’a aucun intérêt.

Dire que l’histoire en elle-même possède sa propre crédibilité interne ne serait pas moins exagéré. L’insouciance de la tribu devant les indices de la réalisation de la prophétie fait peine à voir. Les décalages émotionnels entre les expressions des personnages et les situations présentées, fréquemment à contre-temps, sont à la limite du simplement compréhensible. Le parcours de la horde au travers de paysages hétéroclites fait fi de toute perplexité.

Dire que les effets spéciaux ravissent le spectateur serait à peine moins surfait. Ils pèchent d’ailleurs moins par la technique que par leur intégration dans le cours du récit. Juste deux exemples. D’abord celui de la rencontre de D’Leh avec le tigre à dents de sabre géant, au fond d’un piège qui se remplit d’eau de pluie : la qualité de l’animation allié à l’effet de fourrure mouillée est sans doute remarquable, mais sans tenir compte du caractère presque risible des réactions des personnages dans leur contexte. Ensuite celui du grand pachyderme dans la cité après la bataille : l’animation est encore une fois certainement réussie, pour peu qu’on ne s’interroge pas sur les raisons des gestes de ce pauvre animal qui semble se demander ce qu’on attend de lui et qui fait quelques pas de droite ou de gauche comme pour un défilé de mode. Bref, tout cet étalage d’effets spéciaux semble plus relever du collage de séquences auxquelles on aurait secondairement tenté d’adjoindre une histoire pour en justifier la juxtaposition. On a ainsi rapidement l’impression d’assister à une exposition vantant la virtuosité technique de la société d’animation dans un catalogue publicitaire. On s’épargnera dans ce contexte de commenter les quelques effets spéciaux ratés à l’animation approximative, aux changements d’échelle et de taille des personnages numériques au passage d’un plan à l’autre voire à l’intérieur du même plan.

Dire que le scénario fait preuve d’une originalité redoutable serait encore rendre un bien trop grand hommage au résultat. On reconnaît tellement d’allusions à des films du genre que c’en devient presque un jeu d’essayer de les repérer. Pour ne citer qu’un seul exemple, les références à « Stargate » sont innombrables. Bien sûr, rien de comparable à « Les cadavres ne portent pas de costard », rien d’aussi trivial et directement copié ou parodique. On n’est même pas dans l’allusion. On est dans l’emprunt de l’esprit, comme le squatter s’installant dans les meubles d’un autre. On sait qu’on y est, on en reconnaît l’environnement, l’ambiance, mais rien ne s’y passe comme prévu. Un peu à la manière d’une suite, ou d’un opus destiné à clarifier un point particulier à l’intérieur d’une saga.

Et pourtant, il ressort de tout ce travail quelque chose d’inattendu, un genre de charme imprévu, comme on en trouvait dans les effets spéciaux de carton pâte de Georges Méliès ou dans la bonne volonté évidente des trucages de bout de ficelle d’ « Invisible Invaders ». Il y a comme un détonateur à rêves dans une telle accumulation d’approximations et d’achronie. Il y a comme une fraîcheur que quelques descendants d’Ed Wood avaient su entretenir. Il est loin d’être certain que Roland Emmerich ait eu le désir ou la conscience de frapper cette cible, mais il n’est pas interdit de saluer néanmoins la performance même si elle est probablement involontaire.

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