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22 septembre 2008

L'homme de la Tour Eiffel (The man on the Eiffel Tower)

Duel au sommet

J’aurais bien continué sur le terrain de l’avant-première et du « je l’ai vu avant vous », mais allez savoir pourquoi, je n’ai pas une invitation à tous les coups. La vie est mal faite, hein ?! Et puis il faut bien avouer qu’une petite pause de salle obscure permet de remplacer par une excursion vers la petite lucarne, et de se replonger dans une pile de vieilleries qu’on a mis de côté depuis longtemps pour les jours de jeûne. Alors justement, puisqu’on en cause, un été à Paris, dans une post-canicule qui transforme le mois d’Août en un avant-goût de Novembre, pas grand-chose sur grand écran, et un mange-disques en état de marche … l’occasion rêvée, non ?

- Alors, allons-y Pépère. Y’a quoi dans ta musette ?

- Ben mes loupiots, vous allez m’en dire des nouvelles. Un bon vieux Maigret des familles. Et pas n’importe lequel : le premier adapté pour Hollywood. Il y en avait eu quelques uns en France avant ça, et même d’autres bouquins de Simenon portés à l’écran outre-Atlantique. Mais de Maigret, point, nib, nada ! C’est-y pas une trouvaille, ça ? Ca vous la coupe, hein ?!

- Pour sûr, Papy, ça nous la coupe grave …

- Pas d’insolence, morveux ! Si c’est pour vous foutre de ma bobine, je vous laisse regarder vos niaiseries numériques. Tant pis pour vous !

- Meuh nan, Papy, on rigole … Alors, c’est quoi cette antiquité ?

- « La guerre des nerfs », que c’est, le bouquin en VO. Les étatsuniens, ils en ont fait « l’Homme de la Tour Eiffel ». Pourquoi pas, après tout. D’autant que, et ils l’ont même noté au générique, Paname est quasiment un des personnages du film. Et ça fait quelque chose de revoir le Paris de l’époque, en 1950. Ils ont pas pu s’empêcher d’y mettre un peu leur sauce, mais quand même, ça fait queq’chose. Les taxis standardisés comme qui dirait les Yellow Cabs de New York, à mon idée, c’est du flan pour que les ricains ne perdent pas le fil trop vite. J’ai même l’impression qu’ils ont fait un micmac entre le Flore et les Deux Magots. Pas certain, mais bon, c’est un peu du détail. Pour le reste, c’est comme si qu’on y était, …

- OK, on a pigé que ça t’a remis tes vingt ans. C’est quand même pas tout … ?

- Bien sûr que non, sales gosses. T’as déjà rêvé de Charles Laugthon en Maigret ? Et ben t’y es ! Et Burgess Meredith à la fois à l’image et derrière la caméra ? Et ben banco ! Encore que là, c’était moins une. Le film avait commencé avec Inving Allen aux manettes. Ce n’est qu’après quelques jours que Laughton a fait la star et a imposé un changement de réalisateur. On a mis Meredith aux commandes, secondé par Charles Laughton qui a réalisé les scènes où Meredith était à l’écran. Marrant, non ? Tout ça avec un procédé de couleur de l’époque, l’Anscocolor, qui devait concurrencer le Technicolor. Je crois que ça a bien tenu avec d’autres films, mais pour celui-ci, les outrages du temps s’en sont payé une tranche. Sauf si tu fais une thèse sur l’histoire de la couleur dans le cinéma, il vaut quasiment mieux le voir en noir et blanc pour éviter l’ulcère. Enfin … si t’as déjà un ulcère, ça peut peut-être se jouer …

- Ben dis donc, ça a l’air top, ton machin !

- Un peu, mon neveu ! … Enfin, juste un peu, quoi, pour le document. Et pour l’histoire. Parce que pour le reste, c’est vrai qu’y aurait à redire.

- Eh là Pépère ! Un coup de blues dans les voiles ? T’as encore oublié tes gouttes, c’est pas bien …

- Quand vous aurez fini de faire les imbéciles … Evidemment, l’histoire, c’est du Simenon. C’est pas Agatha Christie qui se fiche un peu de ce qui se passe dans la caboche des gens. Tout ce qui l’intéresse, elle, c’est comment on découvre le coupable, la recherche des preuves, comment on débrouille les sacs de nœuds … Simenon, lui, il va y regarder d’un peu plus près entre les neurones. Pas trop loin quand même, c’est pas « Le Silence des Agneaux » ou vos autres torrents d’hémoglobine de maintenant. Mais ça doit être une des premières fois à l’écran qu’on parle de psychose dépressive. Un début, quoi.

- Si tu nous disais un peu de quoi ça cause quand même, ce serait peut-être plus simple, non ?

- Peut-être, oui. Au comptoir du Café des Deux Magots, Bill Kirby (Robert Hutton) rejoint sa femme, Helen (Patricia Roc), et une amie, Edna (Jean Wallace). On apprend vite que Bill vit aux crochets de sa tante qui ne se décide pas à mourir et à céder son héritage. Puis la conversation glisse rapidement sur le fait qu’Edna s’impatiente de ce que Bill parle enfin à sa femme. Sitôt dit, sitôt fait : Bill et Edna annonce leur liaison à Helen qui se retire froidement en disant que si elle accepte le divorce, ce n’est pas sans réclamer sa part de l’héritage. Un inconnu, entendant la conversation, se met en devoir de trucider la tante. Il embauche un petit rémouleur, Joseph Heurtin (Burgess Meredith), que sa bergère tarabuste pour son manque de rentrées financières, pour cambrioler la résidence de la vieille dame et lui fait porter le chapeau de l’assassinat. Et naturellement, à qui c’est qu’on confie l’enquête : au Commissaire Maigret (Charles Laugthon), évidemment. A partir de là, c’est un jeu du chat et de la souris dans tout Paris entre Maigret et le suspect numéro 1, un ancien étudiant en médecine retors d’origine tchèque, Johann Radek (Franchot Tone), qui manipule tout le monde, même cerné de près par le bon Maigret tout en pipe et chapeau.

- Ben ça a l’air pas mal, comme ça. C’est quoi qui te chiffonne au juste, Papy. C’a a l’air tout comme t’aimes, du quasi noir et blanc, une vraie histoire, du suspense, des acteurs américains de l’âge d’or du cinoche. Vu l’époque, ça ne doit pas non plus être saturé d’effets spéciaux.

- Ah ça non. J’imagine ce que vos zigotos de maintenant auraient fait avec un scénario pareil. Et la scène finale sur la Tour Eiffel … sans numérique et sans effet de caméra … ça, ça a de la gueule ! Pas d’explosion, pas de scène torride. Une ou deux poursuites en voiture, et encore à 20 à l’heure. Et malgré tout un suspense que se tient …

- Ben alors, …

- Ben alors des petits riens, mais qui font au bout du compte un drôle d’arrière-goût de « C‘est pas ça ». Laughton a beau se donner du mal, on a du mal à le voir en Maigret. Il joue bien de la pipe, mais au point de se retrouver parfois noyé dans un épais nuage de fumée. Il a bien toujours l’inspecteur Janvier collé à ses basques mais plus comme un brave teckel que comme un collaborateur. A côté de ça, il sait être roublard, cynique, voire emporté, tout en restant crédible. Meredith est dans le sobre, mais juste un peu trop sobre. On a droit à des gros plans sur lunettes en cul de bouteille qui auraient plu à Bunuel, mais était-ce bien à sa place dans le contexte ? Franchot Tone la joue dandy slave jusque dans une démarche à la limite de la caricature, jusque dans une prise de cigarette sur-sophistiquée, et sans compter qu’il est largement hors d’âge pour un type dont l’unique raison sociale est d’avoir abandonné ses études de médecine deux ans auparavant. A côté, le regard pervers, le sourire carnassier, la mèche folle, … pas mal. Changement de ton avec Wilfrid Hyde-White qui fait un Professeur Grollet, ancien chef de service de l’étudiant Radek, plus vrai que nature. Comment ce type fait-il pour avoir une telle douceur de ton, de regard, de parole, une telle élégance ? Ca, c’est un mystère que j’aimerais bien comprendre un jour.

- Et la mise en scène, c’est comment, alors ?

- Qu’est-ce que tu veux dire d’une mise en scène à trois têtes ? Et ben ça donne une alternance bizarre d’atmosphères hétéroclites. Curieusement, les parties attribuables à Charles Laughton ont une vague parenté surréaliste qu’on s’attend peu à voir sortir des pattes de ce type. Des images au contraste quasi bunuelien (je l’ai pas déjà dit, ça ?), des jeux de lumière inspirés, des silences impossibles … C’est peut-être ça, la vraie surprise du film. Les parties réalisées par Allen sont indétectables à un non initié, et sont probablement peu nombreuses. Les parties dues à Meredith sont plus classiques, peut-être manquant d’inspiration mais sans surprise.

- Mouais … Et c’est ça qui te rend bougon ? Et ben Papy, y’a vraiment pas de quoi. Regarde comme t’étais content tout à l’heure de nous parler de ta trouvaille. Et regarde comme tu ronchonnes maintenant sur des bricoles. Tu vas pas me dire que tu vas bouder ton plaisir, quand même ! Ta première impression, c’était quoi ? Ca t’a plu ? Alors OK, ça t’a plu, et le reste on s’en fout …

- … T’es un drôle de loustic, toi, tu sais ?! Allez, dégage maintenant, et laisse-moi regarder Shirley Temple. J’ai aussi trouvé ça dans mes archives, mais c’est pas de ton âge. Oust !!!

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