Add to Technorati Favorites

28 septembre 2008

Find me guilty

Le cas Lumet de la (justice de) paix

Un des clous du Festival de Deauville 2006 était la présentation du dernier opus de Sidney Lumet, absent pour l’occasion, mais en présence de Vin Diesel, sympathique et fantasque colosse étasunien. La Sylvain Etiret Compagnie ne pouvait pas rater ça. C’est que depuis « 12 Hommes en Colère », le réalisateur s’était forgé une aura de virtuose du film-procès qu’on ne pouvait qu’être tenté d’observer dans une nouvelle incursion dans le genre.

L’histoire est la quasi retranscription d’un procès réel amenant Jackie Dee DiNorscio (Vin Diesel) devant ses juges. Jackie Dee est un truand notoire exerçant le métier de mafioso comme d’autres sont plombiers ou marchands de légumes. Il a une haute idée des valeurs de sa profession, en particulier de son code de l’honneur, d’autres diraient de sa déontologie. C’est que chez ces gens là, monsieur, on ne parle pas, non, on ne parle pas. On bute. Le gang est une grande famille dans laquelle on se serre les coudes quoi qu’il arrive. Un stage en prison n’est qu’un passage obligé dans une carrière de mafioso, un peu comme on ne peut espérer passer de l’université à l’entreprise sans un passage par la case Stage. Pas très agréable, mais ça fait partie de la carrière. Et quand un procureur se met en tête de démanteler une « famille », un honnête truand saura garder un silence professionnel. C’est du moins comme cela que Jackie vit son métier.

De fait, cette fois-ci, le procureur Kierney (Linus Roache) met le paquet et décide une opération d’envergure conduisant à un procès massif, présentant l’ensemble de la bande à ses juges, en l’occurrence à son juge, le Juge Finestein (Ron Silver), et à son jury populaire. Chacun des accusés y est épaulé par son avocat. Chacun sauf cet original de Jackie Dee qui, portant la profession de bavard en peu d’estime pour l’avoir vue à l’œuvre sans en avoir pu goûter l’efficacité malgré la hauteur de son salaire, décide d’assurer lui-même sa défense. Stupeur sur les bancs de la défense, les divers avocats, dont Ben Klandis (Peter Dinklage), le Conseil de Nick Calabrese (Alex Rocco), le parrain de la bande, anticipe rapidement à quel point l’irruption de ce franc tireur du barreau va compliquer la tâche de tout le monde. Si Klandis, en bon professionnel, comprend rapidement qu’il faudra faire contre mauvaise fortune bon cœur, jusqu’à en arriver à une certaine admiration de son confrère amateur, ce n’est cependant pas le cas de son client qui, de bout en bout, nourrit une animosité certaine à l’égard de son ancien homme de main.

Le film est ainsi le récit de ce procès fleuve s’étalant sur deux ans, le plus long que les USA aient connu, et des improvisations naïves ou géniales de Jackie Dee, jusqu’au verdict final du jury.

Voilà pour l’histoire officielle. Mais que nous apprend-elle ?

Tout d’abord la force de la conviction du naïf qui, ayant été formé à certaines valeurs, ne peut imaginer qu’elles ne soient pas partagées, et trace sa route à leur aune contre vents et marées. On n’est pas loin en l’occurrence d’un Forrest Gump version mafioso, plein de bonne volonté, de la certitude de bien faire, sans vraiment se poser de question : « Cours Forrest, cours ! »

Deuxièmement la relativité de la notion de bien et de mal. Dans un univers où la valorisation essentielle porte sur le respect des valeurs de droiture vis-à-vis du clan, toute attitude hostile envers l’extérieur est hors du champ de la morale, n’est qu’un moyen purement utilitaire de mettre en pratique la fidélité au clan. Pour un chasseur responsable de l’approvisionnement du groupe, l’abattage d’animaux ne suscite aucun état d’âme quels que soient les moyens utilisés. L’honneur est dans la capacité à nourrir le clan, pas dans la façon de chasser. Il n’y a pas pour autant de malveillance envers les proies ou de plaisir à leur souffrance. Simplement, les proies sont hors du clan, donc n’ont de valeur qu’utilitaire.

Troisièmement, la relativité de la notion de succès ou d’échec. Si Jackie Dee, à l’issue du procès, en ressort vainqueur, il est salué comme tel alors même qu’il entre dans le fourgon cellulaire qui le reconduit en prison où il doit poursuivre sa peine acquise lors d’une précédente affaire. La victoire ne repose en rien sur un changement de sa condition carcérale. Elle ne repose que sur elle-même, ne trouve sa récompense que dans l’effort qui y mène, pas sur ses conséquences pratiques, ici quasiment absentes.

Quatrièmement, les limites du système pénal étasunien. Dans un procès de cette ampleur, il suffit malgré tout d’un grain de sable, d’un accusé qui ne connaît pas et qui ne suit pas les règles, et tout se désorganise. Mais si le doute profite à l’accusé et que le système prend le risque de rater un coupable, c’est pour renforcer la garantie qu’un innocent ne soit pas pris au piège à tort. - En tout cas en théorie. Qui peut réellement dire qu’aucun innocent n’est jamais condamné aux USA ? Qui oserait croire que la manipulation du jury et l’art de se mettre les rieurs dans la poche n’est jamais exploitée par l’accusation et qu’il profite toujours à l’accusé ? -. Par ailleurs, comment garder confiance en un système permettant une telle durée de procès : au bout de deux ans d’audience, comment les jurés ont-ils pu survivre ne serait-ce que matériellement ? Qui, sinon une classe d’inactifs, peut bien se permettre de consacrer deux ans de sa vie à juger un unique procès ? Est-on encore dans la crédibilité du caractère populaire du jury ? Quelle est la capacité d’un jury classique de discuter dans ses délibérations d’une affaire aussi chargée et interminable ? Le parallèle avec « 12 Hommes en Colère » prend ici son sens : le débat qui faisait la gloire et l’honneur du groupe d’Henry Fonda a-t-il encore un sens dans de telles conditions ? D’ailleurs, le verdict est prononcé ici en un temps record qui surprend jusqu’au procureur et aux accusés, preuve s’il en est de l’absence du débat, tué dans l’œuf par la durée du procès.

Comment comprendre l’épisode de l’annonce à Jackie Dee, par la cour, de la mort de sa mère ? Ou celui de l’évolution de l’état de santé d’un des accusés qui le conduit à suivre le procès depuis un brancard sur lequel il est amené chaque jour de l’hôpital ? Sans doute par la longueur et l’enlisement de l’organisation qui entache le procès de tous ces doutes. Et le fait qu’il s’agisse du compte rendu d’une histoire réelle renforce encore cette suspicion contre le système, transformant ce qui aurait pu apparaître comme une comédie parodique outrée et sans portée en un réquisitoire effrayant.

Faut-il alors regretter le choix de Vin Diesel pour le rôle de Jackie Dee ? Bien sûr, il est difficile d’oublier l’image de Monsieur Gros Bras, de l’Action Hero, même derrière la prise de poids qui semble être devenue outre-Atlantique le critère du professionnalisme chez les acteurs (et qui a fait basculer Stallone de Rambo et autre Cobra dans le camp de Cop Land du cinéma qui a des choses à dire) et derrière l’abandon du crâne rasé. Mais Bruce Willis a déjà montré la voie avec la même bascule d’image. Et peut-être justement l’arrière-plan de non-dit dans cet emploi de Vin Diesel, la rénitence de son image malgré la transformation, renforcent-ils la sensation d’un Jackie Dee vaguement primaire et par là même en capacité de faire exploser le système judiciaire.

Impressionnant parcours pour la pensée d’un réalisateur comme Sidney Lumet qui, après presque 50 ans, se repose encore les mêmes questions que dans son premier film, en y répondant de manière maintenant désespérée sans illusion. Paradoxalement, c’est le ton de comédie qui porte le mieux ici cette désillusion posée et pragmatique.

Aucun commentaire: