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22 septembre 2008

L’esprit de Caïn (Rising Cain)

Caïn et la belle

La soirée Brian de Palma se poursuit. Au programme Rising Cain (L’Esprit de Caïn, pour les anglophobes) (1992) après Dressed to Kill (Pulsions, pour les molièrophones) (1980) (voir mon avis sur Pulsions), et surtout après une introduction inattendue par Mission to Mars (la VF a un titre en anglois !) (2000). Dressed to Kill était un sommet de la prise de tête. L’esprit de Caïn sera-t-il à la hauteur ? Ou notre ami Brian vérifiera-t-il que l’inconvénient d’atteindre un sommet c’est qu’on ne peut qu’en descendre ?

L’histoire est en gros la même que celle de Dressed to Kill, en plus compliqué. Ou du moins le point de départ est le même, mais ensuite, la broderie est bien plus alambiquée. Encore une histoire de double personnalité, qui devient ici une histoire de personnalités multiples.

Pour faire simple, un psychiatre, le Dr. Nix (John Lithgow), se sert de son fils comme d’un sujet d’observation. Sa femme, Jenny (Lolita Davidovich), réalise progressivement la perversité de la situation et tente de se rebeller avec l’aide d’un ancien soupirant, Jack Dante (Steven Bauer), qui fait sa réapparition opportune. Mais interviennent alors des personnages jumeaux du mari, en fait des personnalités différentes (Carter/Cain/Dr. Nix/Josh/Margo) dans le corps de son mari, qui se chargent de déblayer les embûches qui se dressent devant le projet délirant qu’il s’est donné, chacune étant spécialisée dans un mode de réaction différent. La principale est une espèce d’âme damnée, porteuse de la plupart des instincts mauvais, qui vient rattraper la personnalité « sociale », celle que tout le monde connaît, dès qu’elle s’apprête à faiblir dans la réalisation de leur projet. Un genre de « démon gardien ». On découvre au fur et à mesure que cette démultiplication mentale ne vient pas de nulle part, mais qu’elle trouve sa source dans l’enfance du mari, élevé par un père également psychiatre et porteur du même projet d’étude du développement de la personnalité chez l’enfant. Après avoir été démasqué, le père s’est autrefois suicidé mais ses travaux et ses agissements ont laissé des traces dans l’esprit torturé de son principal sujet d’observation, ce fils devenu psychiatre lui-même et reproduisant maintenant le schéma paternel.

Est-ce qu’il y a réellement besoin d’en dire plus ? L’histoire est des plus attendues dès lors que l’on a compris le ressort du film, cette bascule permanente d’un esprit à l’autre dans le même personnage. Et cela on le comprend quasiment dès la première scène, au bémol près que durant quelques instants on se demande encore s’il ne va pas s’agir d’une histoire de jumeaux. Dès que la troisième personnalité apparaît, l’affaire est entendue. Et on a tellement vu depuis longtemps de récits de ce genre que la surprise n’est même plus un moteur de l’attention. Depuis l’Ange Gardien avec Clavier et Depardieu, jusqu’au Seigneur des Anneaux et son Golum en proie à la dispute de son âme innocente avec son mauvais génie, on a vu tant de déclinaisons du sujet qu’il est difficile d’être pris de cours. Tout juste si le maquillage de John Lighgow lorsqu’il incarne son père laisse-t-il sur la question de savoir s’il s’agit réellement du père dont le suicide n’aurait été que manipulation ou si c’est le changement de personnalité qui déforme suffisamment ses traits. Autant Pulsions était-il un concentré symbolique, une mine de références, un exercice de décodage, autant L’Esprit de Caïn est transparent, lisse, et pour tout dire convenu.

Inutile par ailleurs de revenir sur la discussion à propos de Pulsions concernant la réalité de cette pathologie typiquement nord-américaine. La question reste la même : relève-t-elle de la médecine, c’est-à-dire de l’individu, et partant d’une situation universelle à laquelle chacun d’entre nous peut un jour être confrontée, ou bien relève-t-elle d’une fantasmagorie sociale ou culturelle propre aux Etats-Unis, et par là nous en apprend elle davantage sur l’homme ou sur la mentalité étatsunienne ? Et si c’est la seconde réponse, que nous apprend-elle sur notre propension à médicaliser les rapports sociaux, mais aussi à voir dans l’autre un insondable mystère d’où serait susceptible de surgir des monstres inconnus, à mécaniciser le vivant en voyant dans son développement mental le fruit de manipulations contrôlables, à rêver la toute puissance maléfique d’un génie bricoleur de la mécanique cérébrale, … Mais à l’évidence Brian De Palma n’est pas dans cette interrogation sociale ou politique. Il reste sur le plan médical et humain, et c’est bien là la plus grosse difficulté à entrer dans son histoire lorsque l’on n’est pas né du bon côté de l’Atlantique.

La seconde difficulté tient au jeu des acteurs qui ne brille pas par son caractère inoubliable. La performance de John Lithgow qui doit assurer ces passages successifs d’un personnage à un autre est bien parfois marquée de quelques fulgurances, en particulier lors de son entretien sous hypnose durant lequel l’ensemble de ses personnalités se retrouve présent, allant et venant en quelques secondes. Mais ces épisodes sont bien rares. Il y a bien l’éclaircie offerte par Frances Sternhagen (Dr. Lynn Waldheim) lorsqu’elle mène justement cet entretien sous hypnose, mais encore une fois, il s’agit de bien peu dans l’ensemble d’un film par ailleurs laborieux.

Et lorsque la soirée s’achève, que la cure De Palmesque touche à sa fin, que Morphée se pointe et vient couvrir de son drap langoureux les dernières velléités d’un éveil incertain, on éteint la télé et on change de paillasse en se disant qu’il est décidément trop tard pour compatir sur la chute et la vie de Brian.

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