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20 septembre 2008

Une fiancée pas comme les autres (Lars and the real girl)

Un espoir inattendu dans le monde du celluloïde

A lire le résumé sur le programme du Festival de Deauville, « Lars and the real girl » (« Une fiancée pas comme les autres »), de 2007 et de Craig Gillespie, n'est pas le film le plus tentant qui soit. En quelques lignes, on se dit que ça va être une histoire de pervers plus ou moins sociopathe bourrée de psychanalyse à trois francs cinquante (on devrait dire à cinquante centimes d'euro maintenant, je suppose). Alors comment je me suis retrouvé dans cette salle ? Va savoir. Peut-être le vague sentiment de culpabilité de ne pas rentabiliser le pass festival hors de prix en séchant la séance. En tout cas je suis là, maintenant. Bah, au pire, si c'est trop casse-pied, je pourrai toujours piquer un petit roupillon. Allez mon gars, lance ton projo, qu'on voie ça d'un peu plus près !

Lars (Ryan Gosling) et son frère Gus Lindstrom (Paul Schneider) habitent leur maison d'enfance, Gus et sa femme Karin (Emily Mortimer) enceinte dans l'habitation principale, Lars dans le garage séparé qu'il a réaménagé. Ils ont été élevés par un père veuf depuis le décès de son épouse en mettant Lars au monde. Le caractère taciturne du père avait fait fuir Gus dès que possible, qui semble n'être revenu retrouver son frère et la maison qu'au décès du père. Lars travaille dans un bureau à proximité de celui d'une dénommée Margo (Kelli Garner) qu'il ne laisse visiblement pas indifférent. Lars est manifestement bien intégré dans leur petite ville malgré un caractère assez solitaire qui le pousse à même refuser la plupart des invitations de Karin à prendre quelques repas en famille. Ce comportement original semble prendre fin d'abord quand Lars reçoit la livraison inhabituelle d'une énorme caisse, puis quand il vient solliciter de Gus et Karin une invitation à dîner pour leur présenter Bianca, sa petite amie rencontrée sur internet, qui est venu le rejoindre. La surprise est grande quand chacun réalise que Lars leur présente une poupée gonflable grandeur nature qu'il considère comme une vraie personne. Ne sachant comment réagir, Gus et Karin entrent dans le jeu puis, prenant argument d'une probable fatigue due au décalage horaire, organisent une consultation pour Bianca chez le Dr Dagmar Berman (Patricia Clarkson), femme - médecin généraliste local également connue pour ses compétences de psychologue. En l'absence d'autre manifestation d'incohérence chez Lars, le Dr Berman propose un simple suivi régulier et de ne pas tenter de détromper Lars, qui ne se laisserait d'ailleurs pas convaincre. C'est d'ailleurs ce que vérifie rapidement Gus lors d'une tentative de secouer son frère qui semble ne même pas entendre les paroles de Gus. Suivant la prescription du Dr Berman pour venir en aide du mieux possible à Lars, et avec l'aide de toute la communauté mise au courant, d'abord étonnée, parfois réticente, puis finalement coopérante, tout le monde entre alors dans le jeu et se met à intégrer Bianca comme un nouveau membre. Et au lieu de l'hostilité attendue qui aurait pu le conduire à un internement, Lars devient pour la ville une espèce de doux dingue, conservant sa place dans la société, et protégé par elle.
Tout le reste du film montre alors le suivi de l'évolution de cette « liaison » entre Lars et Bianca, jusqu'à son terme. Comment dire la fraîcheur de ce film dont le sujet semblait pourtant le promettre à un traitement sur le mode du sinistre ? Nulle part il n'y est question de perversion quelconque. Juste d'un trouble qui atteint un être plus fragile et que le reste de la communauté tente d'aider du mieux qu'il peut. Il y est question d'entraide, de tolérance, de patience, d'amitié, d'affection. Le tout sans tomber dans la mièvrerie. Bien sûr, on se dit qu'il serait merveilleux, ce monde où chacun pourrait compter sur ses voisins ou ses proches dans une confiance respectueuse. Que tout ça n'est guère crédible. Qu'il y aura toujours quelque part quelqu'un qui cèdera aux mauvais penchants de la moquerie, de la violence, de l'égoïsme, de l'avidité, à la tentation de profiter d'une situation instable. Et alors ? Serait-il plus crédible, un monde qui ignorerait toute capacité d'entraide ? Qu'est-ce qui nous empêche d'imaginer le meilleur, quitte à devoir aussi affronter le pire avec un peu plus d'optimisme ?

Outre cette capacité de l'entourage, qu'en est-il du trouble de Lars. D'abord les difficultés de la communication quand elle en vient à devoir passer via un média inanimé de substitution. Ensuite les interactions qui malgré tout s'opèrent entre ce qu'il faut bien appeler un parcours délirant et la réalité qui l'entoure, qui s'y connecte, qui le fait évoluer, qui l'oriente, qui le fait réagir dans le sens de la meilleure protection pour celui qui s'y réfugie. Tous les délires sont-ils ainsi, je ne sais pas. Mais tous méritent à tout le moins qu'on s'interroge sur leur capacité à remplacer une réalité trop douloureuse par une pseudo-réalité plus protectrice, jusqu'à ce que des ressources nouvelles permettent à nouveau d'affronter le monde tel qu'il est. Car il s'agit bien pour Lars d'un parcours, d'un voyage au travers un hiver froid et sombre de sa vie, depuis les neiges du début du film jusqu'au printemps de la fin qui s'ouvre comme à une renaissance. Un parcours de régression au stade où les enfants jouent à la poupée, où ils leur parlent, les consolent, les habillent, les choient, les pleurent aussi parfois. Un stade où nul ne songerait à leur asséner que le Père Noël n'existe pas et que Margot n'est qu'un bout de plastic. On se fiche bien de savoir ce qu'ils peuvent bien lui raconter, à Margot, puisque c'est justement par cet objet transitionnel qu'ils accèdent progressivement à une maîtrise de la réalité.

Et la maîtrise est d'ailleurs bien ce qui manque à Lars et qu'il s'efforce d'obtenir. La maîtrise des ses émotions avant toute chose. La maîtrise de ce deuil jamais fait d'une mère morte en le mettant au monde, presque morte « de » l'avoir mis au monde, dont il ne se sépare jamais de la couverture qu'elle lui avait tricotée avant sa naissance et qui fait maintenant office de foulard permanent, du deuil aussi de ce père mort de la tristesse de la perte de sa femme. Double culpabilité sur de si frêles épaules. Maîtrise de la peur que ce cataclysme ne s'abatte maintenant sur cette belle-sœur enceinte, si maternelle à son égard, et qui manifeste déjà tant d'inquiétude pour lui alors que le terme approche. Mais la maîtrise aussi de cette frayeur du contact physique, de cette sensation de brûlure cutanée intense comme de cette sensation d'étouffement quand il survient. C'est tout cela que le Dr Berman encourage chacun à accepter en Lars, et à faire avancer au rythme qui lui est supportable vers un retour à l'âge adulte qu'il n'avait jamais atteint que physiquement.

C'est tout cela que le film encourage chacun à accepter en soi, cette impulsion à accepter en l'autre les failles qui le hantent comme on aimerait trouver l'acceptation que nos propres failles soient tolérées et prises en charges dans une douceur enfantine. Et pour nous dire tout ça, le plus étonnant est à quel point les acteurs et la mise en scène parviennent à rendre aussi vivant non seulement le personnage de Bianca mais aussi son corps inanimé. Au point qu'on finit presque par en oublier le caractère d'objet. Elle en devient presque expressive tant chacun s'est approprié sa présence et son rôle dans l'histoire.

Conte de Noël pour adulte, peut-être raison de tous ces noms nordiques chez les personnages principaux, conte de douceur dans un monde de brutes, baume de tendresse sur les plaies qui nous traversent, on finit par se dire que si le cinéma intello auteuriste parvient à sortir ainsi de son misérabilisme social, il y a peut-être un espoir inattendu dans le monde du celluloïde.

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