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28 septembre 2008

Little children

Les enfants ne sont pas où l’on croit

Dans sa grande saga du Cinéma Etasunien Festivalisé à Deauville 2006, la Sylvain Etiret Company est heureuse de vous présenter ce soir, dans la série Film d’Auteur Intimiste, une œuvre de Todd Field, soutenue par Kate Winslet et Patrick Wilson, « Little Children ». (A ne naturellement pas confondre avec « Chicken Little », américain aussi, mais boxant dans une autre catégorie … Désolé, je n’ai pas pu m’en empêcher).

L’histoire est somme toute relativement simple. Une petite ville des USA vit le retour chez sa mère (Phyllis Somerville) de Ronald James McGorvey (Jackie Earle Haley), à sa sortie de prison, après qu’il y ait purgé sa peine pour exhibitionnisme. Le quartier est en plein émoi à l’idée de ce que la proximité de ce pervers amènera d’insécurité dans les esprits sensibles des pauvres enfants du secteur. C’est que le coin est peuplé de mères de famille oisives dont l’essentiel des occupations tourne autour de la promenade des enfants, la station au square, et les commérages sur le banc pendant que les marmousets découvrent balançoires, pelouses et autres bacs à sable. Parmi la bande de commères en question, Sarah Pierce (Kate Winslet), délaissée par son mari, Richard (Gregg Edelman), se tient un peu à l’écart, participant au groupe mais ne parvenant pas à s’y trouver réellement à l’aise. Jusqu’au jour ou débarque dans le square Brad Adamson (Patrick Wilson), un papa-poule qui fait office de nounou pendant qu’il est officiellement en train de préparer son examen de droit et que son épouse Kathy (Jennifer Connelly) se consacre à entretenir les finances de la maison. Rapidement, ces deux éléments décalés dans l’ambiance générale se réfugient dans une complicité qui ne va pas tarder à tourner à la liaison torride sous couvert de l’amitié des bambins respectifs. De son côté, Brad est cornaqué par Larry Hedges (Noah Emmerich), un ancien policier mis sur la touche pour cause de bavure, et qui s’est donné comme mission de tarabuster McGorvey et d’attiser les braises de l’animosité contre lui dans le voisinage.

Autour d’une construction assez banale et relativement attendue, le film parvient à conserver l’attention de bout en bout, ponctué qu’il est de rebondissements qui surviennent dès qu’on commence à se demander si tout cela n’est pas un peu long. Et malgré cette aimantation de l’attention, il parvient néanmoins, tour de force ultime, à procurer l’impression d’une durée qui dépasse largement les 1h37 de la projection. Faut-il considérer cela comme un succès ou un défaut du film ? A voir. Offrir la sensation au spectateur d’un spectacle du double de sa durée réelle, pour le prix d’une place normale, sans vraiment générer d’ennui, et en ne consommant qu’1h37 de sa durée de vie, donc en lui permettant d’utiliser les 1h37 restantes à d’autres activités, ce n’est après tout peut-être pas le signe d’un mauvais placement. Mais brisons-là de ces considérations prosaïques et annexes, et revenons-en au sujet qui nous occupe.

Avant d’en arriver au fond, signalons encore, pour les amateurs de luxure, quelques scènes mettant en valeur la sympathique nudité de Kate Winslet, ainsi qui la mécanique pelvienne de Patrick Wilson pour laquelle je suis tout prêt à imaginer qu’elle puisse émouvoir quelques cœurs sensibles. N’étant pour ma part pas doté des hormones adéquates, je m’en tiendrai néanmoins sur ce point au stade de la supposition.

Pour en revenir à nos moutons, la Middle Class américaine est décidément une source inépuisable de découverte de l’âme humaine, de ses heurs, de ses malheurs, de ses travers. Aujourd’hui, nous examinerons la psychologie de la femme au foyer, la surprotection infantile, le délire de masse, la solitude, le besoin de rédemption, le bovarisme. Vaste programme, isn’t it ?

Comment entrer dans cette description sans se lancer dans la rédaction d’une thèse ? Comment l’entreprendre sans se frotter au jugement de valeur ? Comment ne pas aborder les rapports étroits, complexes, et contradictoires, entre le puritanisme et le piédestal délirant imposé à l’enfance, entre le comportement de foule panurgienne et la foi en l’accomplissement d’une autonomie individuelle, entre la recherche illusoire de la sécurité et l’entretien complaisant d’une peur panique, entre la confusion de la justice et de la vengeance et la désagrégation de l’humain, entre la culpabilité et la rédemption, entre des fanatismes socialement intégrés et la schizophrénie d’une sexualité crainte / désirée / masquée / exhibée / … ?

Comment ne pas réaliser à quel point cet embrouillamini relève de comportements infantiles qui ne vivent le monde qu’en blanc ou noir, en bons ou méchants, en rêve ou cauchemar. Si l’âge adulte est justement celui de l’abandon d’une vison magique et naïve du monde et de l’acquisition d’une capacité à construire sereinement sa voie au milieu de la multitude des déclinaisons de gris qui peuplent l’univers, comment regarder encore cette Amérique là comme autre chose qu’une vaste cours d’école désertée par ses surveillants. Les petits enfants du titre, les Little Children dont il est question, ne sont certainement pas ces gamins omniprésents au détour de chaque plan du film. Ils siègent au sommet de la hiérarchie d’une société qui se croit adulte et qui n’est en fait qu’un rêve de gosse. Quoi d’étonnant quand, par hasard, une de ces âmes pures commence à percevoir la vanité et la dangereuse futilité de ce cadre de pensée, quand elle ébauche un mouvement qui devrait la sortir de l’enfance, si elle en reste malgré tout imprégnée telle une Emma Bovary tentant de fuir sa condition et se précipitant dans l’illusion d’un autre absolu. Quoi d’étonnant si Sarah Pierce est justement dans le film une brillante exégète de Flaubert et d’Emma ?

C’est en tout cas sur la voie de cette prise de conscience que nous emmène Todd Fields. Et dire qu’il conserve un quelconque espoir dans le fait que cette prise de conscience réussisse à déplacer la montagne qui empierre le chemin d’une évolution de cette société semble à 10000 lieues de sa vision désespérée. La castration de toute velléité demeure irrémédiablement au bout d’une route qui ne mène à rien d’autre qu’à un retour sur elle-même, ou tout espoir s’abolit en un plongeon dans l’immobilisme où le temps même n’a plus ni prise ni intérêt et peut dès lors cesser d’exister. La fin du film est de ce point de vue d’une cruauté symbolique parfaite.

Mais si c’est bien cela, le fond de notre affaire, ne faut-il pas opérer un petit retour sur image et voir dans cette impression d’ennui, de lenteur, de banalité, de construction attendue, le préliminaire justement à cet abandon dans lequel Todd Fields baisse les bras devant l’impossibilité de la tâche ? N’est-ce pas justement par ces symptômes que le mal est finalement pleinement reconnu ? Probablement … Et probablement qu’à sa seconde lecture, le même film prendrait une dimension échappant largement au primo-spectateur.
(Egalement publié sur Cinemaniac.fr)

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