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28 septembre 2008

Michael Clayton

La Firme

Les choses ont bien changé depuis que le charme de George Clooney opérait dans « Urgences ». Maintenant, même s’il est toujours pris dans les mêmes méandres de sa vie personnelle en plus de ses problèmes au boulot, son personnage a perdu en humour ce qu’il a gagné en sérieux. On s’attend bien encore à voir pétiller un regard en coin, mais c’est ici peine perdue. C’est une histoire sérieuse pour grandes personnes. Les midinettes devront se faire une raison, même si elles ne semblent pas encore au courant s’il faut en juger sur l’émotion qui s’est emparée du petit périmètre deauvillais où le film est présenté en marge du 33ème festival du film américain.

De fait, le film de Tony Gilroy a décidé d’aborder les choses sous un angle sociétal quasi politique. En France, on aurait vu Costa Gavras aux mannettes. Aux Etats-Unis, on aurait bien vu Sidney Pollack. Et là, bien vu, Pollack est justement producteur de l’opus, tout en assurant un des rôles principaux de l’histoire. Il paraît d’ailleurs que Gilroy a eu bien du mal à conserver la direction des opérations. De là à penser que le rôle confié à Pollack permettait de le garder sous surveillance pour ne pas se faire souffler le coup. A moins, plus sobrement, que la présence du maître ne renforce simplement la caution morale et politique du sujet.

Pour l’histoire, les choses sont à la fois simples et compliquées. Simples sur la trame, et compliquées sur le détail.

La trame s’attaque à l’histoire d’un avocat, Michael Clayton, employé un peu particulier d’un de ces cabinets fleuves dont les Américains ont le secret, dont le rôle est de faire le ménage dans les affaires un peu compliquées sans apparaître au premier plan. En l’occurrence, il est appelé à la rescousse lorsque Arthur Edens (Tom Wilkinson), l’associé en charge d’une affaire au long cours opposant une multinationale agrochimique à une class action de victimes d’une intoxication qu’ils reprochent à la firme d’avoir voulu étouffer, lorsque l’associé, donc, ulcéré par les conséquences dramatiques du comportement de la firme qu’il est censé défendre, pète un câble en pleine confrontation et se range du côté des victimes. Au début, personne ne sait plus bien sur quel pied danser. Les victimes se méfient de ce zozo qui semble pris de folie et se met à s’excuser auprès d’eux. Le cabinet d’avocats, mené par Marty Bach (Sidney Pollack), qui voit filer une recette astronomique mais veut initialement parier sur un coup de folie. La firme cliente, sous la férule du chef de son service juridique, Karen Crowder (Tilda Swinton), qui étudie en catastrophe les options qui restent ouvertes pour parer au désastre. Finalement, tout le monde se décide pour une mise à l’écart du trouble fête, d’abord en tentant de l’isoler, puis par des voies d’autant plus radicales que les options se resserrent. D’abord du côté du manche, Clayton en vient à refuser le camp du plus fort et reprend le combat de son ami.

Sur le détail, je dois avouer avoir un peu perdu le fil des évènements tant la forme choisie a quelque chose de déstabilisant pour mes neurones défaillants.

Il semble en effet passé de mode de vouloir simplement raconter une histoire de manière compréhensible. L’heure est à la manipulation du temps, avec des allers-retours dont la valeur esthétique m’échappe un peu mais qui doivent bien servir à quelque chose. Il n’est plus non plus recommandé de décrire les actes de chacun. Il est devenu impératif de placer le ou les héros dans leur contexte socio-familialo-émotionnel, avec famille recomposée à tiroirs, enfant en garde alternée plus ou moins bien vécue, fratrie à problèmes, au mieux énoliques si ce n’est opioïdes ou viraux, dettes plus ou moins sévères et ornière financière insondable. On ne voit pas très bien en quoi tout cela aide à mieux comprendre le sujet du film, mais bon, c’est là, et c’est posé comme un paquet-cadeau pour donner une touche d’humanité à un personnage qu’on aurait peut-être eu tendance à voir comme un justicier masqué d’un autre âge.

Il ne semble plus de mode non plus d’expliquer simplement des situations simples. Il faut que l’excitation que les personnages rencontrent se traduise dans la vitesse de leurs propos. Je ne sais pas si quelqu’un s’est amusé à mesurer l’évolution avec le temps du débit verbal dans les films américains. En tout cas, de nos jours, plus les situations sont compliquées, plus la parole accélère, au point pour les dialogues de devenir des monologues croisés. Quelque chose du genre « Tu veux me parler, Paul ? OK, tu as dix mots » ; « Mais chef, c’est important ce que j’ai à vous dire … » ; « T’en es à 12, t’as dépassé ton quota, et de toute façon j’ai un rendez-vous urgent. Maggie, on y va. Prenez votre carnet, je vous dicte la suite dans l’ascenseur. Vous avez annulé mon rendez-vous chez le coiffeur ? Dites à John que c’est des roses pour ma femme. A 17h15». Enfin, quelque chose du genre, quoi. A se demander quand ces types trouvent un moment pour réfléchir à ce qu’ils disent ou surtout à ce qu’ils ont envie de dire. On partait de l’idée pas débile de mettre un peu de vécu dans des personnages autrefois trop lisses. On en est arrivé à des ludions virevoltants de jeux vidéo encore moins crédibles. Ca valait le coup, non ? Le plus étonnant, c’est d’ailleurs que le trouble naît moins de la succession d’évènements finalement pas si rapide que ça que de la façon de les relater.

Faut-il réellement ajouter un mot quant à la réalisation elle-même ? Ou a-t-on déjà compris que c’est bien plus le parti pris narratif qui est en jeu que la maîtrise de sa mise en œuvre ? Pas grand-chose en effet à redire sur ce dernier plan dès lors que l’on a accepté le projet. Tout est affaire de technique, d’artisanat efficace, maîtrisé, certes, mais comme à blanc.

Une fois dit tout cela, que reste-t-il à se mettre sous la dent ? Quelques numéros d’acteurs sympathiques bien que parfois un peu monocolores à l’image de Clooney qui fait très bien le sérieux préoccupé et qui s’y tient. Une série d’évènements intercurrents dont on ne sait finalement plus trop s’ils ont une utilité ou non, à l’image de ce leitmotiv d’histoire de donjons et dragons du fils de Clayton, dont on pressent le code symbolique à plein nez sans parvenir à le décrypter, et sans s’en porter plus mal par ailleurs. Une histoire pleine de la bonne conscience de la dénonciation des profits faramineux de multinationales mettant en danger l’environnement et la santé humaine. Après tout, ne faisons pas la fine bouche, il est sans doute utile que le débat soit porté ainsi sur la place publique étatsunienne et mondiale même si c’est sous une forme aussi élémentaire.
(Egalement publié sur Cinemaniac.fr)

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