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28 septembre 2008

King of California

Le retour de Charlie

Deauville étalait ses flots bleus sous le doux soleil des derniers jours d’août. La légère brise marine portait à mes oreilles le crissement des vagues molles sur le sable opalin. Les planches, autrefois si fertiles en dames à chapeaux et en messieurs à redingote, ne laissaient plus échapper que les clameurs tranquilles de sages enfants en cette dernière semaine de vacances les rapprochant à grandes enjambées de la rentrée scolaire …

Mon œil, oui ! On se pèle ici comme en Novembre. J’ai un rhume qui me tient depuis une semaine et je tousse comme un tuberculeux à l’agonie. Ils auraient planté ce fichu festival à Reykjavik, au moins on se serait méfié et on aurait apporté du lainage. Au lieu de ça, on se tape un temps de Toussaint vêtus comme en plein été. Résultat, on attaque l’ouverture du festival sous antibiotiques. Merci Monsieur Flemming. Un américain, non ? Finalement, c’est peut-être lui le vrai héros du festival.

En tout cas, entre deux comprimés de paracétamol, en train de siroter un café brûlant réparateur, et voilà-t-y pas que la table voisine vient se faire occuper par Matt Damon et sa donzelle. Résultat, le bar entier suspend son souffle, et la serveuse qui fait des efforts désespérés pour rester naturelle se mange une tenture en pensant à autre chose. Ca valait quand même quelques cachets juste pour ce moment-là. Du coup, la soirée d’ouverture, qui met en scène Michael Douglas, paraît un peu terne malgré un film au titre ronflant qui ne manque pas d’un certain charme, « King of California ». Jugez par vous-mêmes !

Miranda (Evan Rachel Wood) se présente devant l’hôpital psychiatrique, attendant son père qui doit en être justement libéré après que la dernière en date de ses multiples frasques l’y a conduit une fois de plus. On ne sait pas bien en quoi consistait le dernier épisode, mais on comprend rapidement qu’après avoir fait fuir sa femme, après avoir dilapidé des fortunes en achats ruineux et somptuaires, après avoir entretenu une série de formations de jazz plus ou moins loufoques, seule Miranda avait pu rester au côté de ce maniaco-dépressif tendance maniaque abondante en apprenant à se débrouiller plus ou moins seule. C’est ainsi qu’elle a pu, malgré son jeune âge, conserver la maison, échapper aux services d’aide à l’enfance et à leur lot de placements, se dégotter un job au MacDo du coin, se payer une voiture déglinguée mais néanmoins efficace.

Le retour de Charlie (Michael Douglas) n’échappe pourtant pas au retour quasi biologique du plaisir des retrouvailles avec un père visiblement aimé, comme on aime un enfant turbulent et fantasque. D’ailleurs les loufoqueries paternelles ne se font pas attendre, avec un petit discours à brûle pourpoint sur les chinois nus … ceux qui seraient jetés à la mer à la limite des eaux territoriales, leurs vêtements pliés dans des sacs poubelle, et qui gagneraient la côte à la nage. Puis les histoires tordues s’enchaînent, déclenchant de moins en moins le sourire de Miranda, jusqu’à la vente en douce de sa voiture, qu’elle convint finalement son père d’annuler, puis l’expulsion de leur maison.

C’est que Charlie a un projet en tête, qu’elle finit par lui faire avouer : la récupération d’un trésor caché en 1624 dans le secteur par un moine espagnol pourchassé par quelques sauvages, dont il a découvert l’existence par ses lectures dans la bibliothèque de l’hôpital, où il a eu durant son séjour tout le loisir de documenter par une exploration approfondie sur internet. Autant dire que Miranda est initialement sceptique. Mais elle finit néanmoins par se prendre au jeu, emportée par l’enthousiasme paternel et les premiers indices corroborant discrètement l’ébauche de l’esquisse d’une piste. Leurs recherches les conduisent à une cache probable qui se trouverait sous la dalle bétonnée du sol d’un supermarché du coin. Reste à passer à l’acte, avec l’aide de Pepper (Willis Burke II), un ancien compagnon de jazz de Charlie, à peine moins allumé que son copain.

Pour le reste, demandez à Mike Cahill qu’il vous montre la fin de son film. Ce n’est sûrement pas le film du siècle, mais une honnête comédie qui se laisse voir tranquillement, un sourire aux lèvres.

C’est que Michael Douglas met une bonne volonté évidente dans ce rôle de pied nickelé hirsute à plaisir. Le regard rond, la mèche rebelle, la barbe en bataille, tout l’attirail du doux dingue en goguette. Et on ne lésine pas sur le charme du monsieur qui, dans son gentil délire, parvient même à subjuguer une fliquette venue le réprimander. Ajoutez lui une capuche genre KWay bien serrée autour du visage, et l’effet est assuré.

Willis Burke se tient en réserve de la république, pour compléter le tableau quand il en est besoin. Un petit peu plus les pieds sur terre, mais à peine. Un bon sexagénaire de couleur au guidon d’une moto à court de fuel, avec dans le regard ce même grain de folie qui fait à la fois craquer et bondir cette pauvre Miranda.

Miranda, justement. Evan Rachel Wood en progéniture dépassée par les frasques paternelles s’en sort finalement assez bien face aux pitreries douglassiennes. D’autant que les pitreries restent en permanence en demi-teinte, jouant jusqu’au bout sur l’ambiguïté de la réalité ou de la fantasmagorie des rêves de trésor du père.

Et c’est bien là que réside le ressort de la plaisanterie. Est-ce du lard ou du cochon ? Est-ce que Charlie a réellement mis le doigt sur quelque chose, ou est-ce qu’on se laisse simplement embarquer par la conviction d’un illuminé attachant et chanceux ? Est-ce qu’on va vers « Les doux dingues ont bien le droit de vivre, eux aussi, pour autant qu’ils ne font de mal à personne » ou vers « Méfiez-vous de ce que celui qui crie au loup peut finir par être un jour quand même face au loup » ? Est-ce que finalement, ce n’est pas dans les espoirs de cet enfant de père que se tient davantage le comportement adulte qui va de l’avant que dans celui de cette mère de fille qui s’évertue à garder son ancrage dans la réalité ? Où commence et où finit l’enfance ? Où commence et où finit l’âge mûr ? Où s’achève le rêve et où commence l’espoir ?

Mike Cahill laisse planer la question jusqu’au bout du film, et même jusqu’après le dénouement de l’histoire. Tout au plus multiplie-t-il les indices en chemin, sans qu’on sache toujours immédiatement où il nous conduit. Qu’est-ce que c’est que cette profession de « mannequin mains » de la mère de Miranda ? Qu’est-ce que c’est que cette réunion de quartier pour appeler à l’entraide avec les nouveaux arrivants au moment où les huissiers vident la maison de Miranda et Charlie ? Qu’est-ce que c’est que cette bande dessinée moyenâgeuse de Charlie en grand entretien avec le moine de l’histoire ? Qu’est-ce que c’est que cette étymologie du nom « Californie »? Les pistes sont là, débrouillez vous !
(Egalement publié sur Cinemaniac.fr)

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